lundi 30 juin 2014

Le GDT à l’heure du Mondial de foot / 1



Hier, match* Costa Rica-Grèce. Que ne diffuse pas Ici Radio‑Canada télé (encore la télévision de la radio !). Je vais donc voir à la CBC. Après la prolongation, le score** est toujours 1-1. On va en… shoot out. En fait, shoot out, ça se dit comment en français quand on parle du football (soccer) ? Ce n’est pas le Grand Dictionnaire terminologique (GDT) de l’Office québécois de la langue française (OQLF) qui vous le dira car, s’il a bien une fiche sur ce terme, elle ne concerne que le hockey. Équivalents proposés pour le hockey : fusillade (Canada), tirs de confrontation (Canada), séance de tirs au but, tirs de barrage ; avec la note : « Le syntagme tirs au but, lorsqu'il est employé seul au pluriel, peut prêter à confusion dans le domaine du hockey sur glace, car il sert par ailleurs à indiquer le nombre de tirs effectués par une équipe vers le but des adversaires pendant une période de jeu ou durant toute la partie. »


Et quel est l’équivalent français de shoot out lorsque l’on parle du football ? La réponse est facile… quand on la connaît d’avance (puisque le GDT ne nous aide guère sur ce point) : tir au but. Pour le coup, le GDT est pléthorique, il nous offre neuf fiches sur ce dernier terme. Cette abondance met paradoxalement en lumière une faiblesse du GDT : le domaine d’utilisation est trop général – sport – et il faut vérifier chaque fiche pour découvrir celle qui s’applique au football. Et c’est une fiche sans définition, produite par un organisme étranger, qui ne fait pas de renvoi au terme penalty shoot out.



Car le GDT a une fiche de l’INSEP (Institut national du sport et de l’éducation physique de France) penalty shoot out = séance de tirs au but, qui est en fait l'équivalent français que l'on cherche. Mais il faut faire le parcours du combattant pour le trouver. Il est donc très difficile de trouver le terme français quand on ne le connaît pas d’avance (!) ou quand on part d’un terme anglais tronqué, ce qui est forcément souvent le cas dans le discours (dans la « langue courante », pour parler comme les auteurs de certaines fiches du GDT). Tout cela n’est pas très user-friendly, convivial.


J’aurai l’occasion de revenir sur le thème du GDT à l’heure du Mondial de foot.


* Deux fiches du GDT nous mettent en garde contre l’emploi du mot match en français : « L'emprunt à l'anglais match est attesté dans les sports depuis le XIXe siècle et est fréquemment employé dans ce domaine. Cependant, il existe plusieurs termes français que l'on utilisera de préférence à celui-ci : partie, rencontre, joute, combat, épreuve, confrontation, etc., selon le cas. Dans la plupart des contextes, on pourra parler d'une partie ou, s'il s'agit d'une partie à caractère officiel, d'une rencontre. » Le mot est entré en français il y a près de deux cents ans (1819). L’Office a des réticences sur ce mot mais légitime aréna, pourtant plus récent (1898).
** Tiens ! Le GDT accepte ce mot (fiche de 1997).



samedi 21 juin 2014

L’onomastique royale


Dans mon billet du 30 juin 2011, je demandais sous quel nom les dictionnaires français enregistreraient le prince William le jour où il deviendrait roi. Dans les dictionnaires de noms propres publiés en français, passerait-t-on de Guillaume IV à William V ? On peut parier pour la seconde hypothèse puisque l’habitude se perd de traduire les prénoms, écrivais-je.


On vient d’avoir une illustration cette semaine du bien-fondé de ma prédiction. Le nouveau roi d’Espagne est présenté dans les médias comme Felipe VI alors que le précédent roi à avoir porté le même nom s’appelle en français Philippe V.
 
Libération, 19 juin 2014

Il n’y a plus guère que les prénoms des papes que l’on traduit encore : Franciscus, François, Francis, Franziskus, Франциск, etc.


lundi 16 juin 2014

Les calques à l’heure du Mondial de foot


Entendu à Ici Radio-Canada télé (encore la télé de la radio !) lors du match Argentine–Bosnie-Herzégovine : le commentateur appelle les joueurs de Bosnie des… Bosniens (au lieu de Bosniaques).


Lu dans la note sur le football ou soccer accessible ces jours-ci à partir de la page d’accueil de l’Office québécois de la langue française : « […] le terme football, également emprunté aux Britanniques (d’après football association), est employé dans les autres pays francophones pour nommer ce sport que l’on appelle soccer au Québec ». En français, on emploie l’article, non l’adjectif démonstratif, dans pareil cas : … le sport que l’on appelle soccer.


Sur la sur-utilisation du démonstratif ce/cet/cette à l’imitation de ce qui se fait en anglais, voir « Le québécois standard, langue calque / 6 ».

dimanche 15 juin 2014

L’anglophobie


Dans un billet récent, j’ai traité de l’anglomanie. Mais anglomanie ne va pas sans anglophobie. C’est en effet le propre des idéologies diglossiques que d’avoir un fonctionnement binaire. (Rappelons que le mot diglossie sert à désigner le rapport inégalitaire qui s'établit entre deux langues au sein d'une société donnée ; une idéologie diglossique a pour objectif de justifier le maintien de cette inégalité.)

Au point de vue lexical, l’anglophobie se traduit au Québec par le rejet quasi systématique des anglicismes lexicaux et par le recours au calque plutôt qu’aux ressources internes du français.

Cachez cet anglicisme que je ne saurais voir. Masquons-le en le traduisant mot à mot.
  
Le calque participe des idéologies diglossiques : il sert à cacher une vérité désagréable, il est un refus simpliste de la réalité. Simpliste, car on ne prend pas le temps de trouver des termes équivalents dans les ressources internes du français.

L’omniprésence des calques au Québec ne peut s’expliquer que par l’analyse des idéologies diglossiques. Elle illustre la collaboration que les dominés apportent à leur propre exclusion. Bourdieu parlait du « renversement fictif des valeurs dominantes », « confirmant ainsi les dominés dans leur subordination et les dominants dans leur domination » (Réponses, p. 60).


vendredi 13 juin 2014

La dérive lexicographique


Un courriel de Diane Lamonde (auteur d'Anatomie d'un joual de parade) m'incite à revenir sur la fiche commission scolaire du Grand Dictionnaire terminologique (GDT) de l’Office québécois de la langue française (OQLF) dont j’ai traité récemment (voir le billet « Faire de la terminologie à Babel »). Voici un extrait de la longue note qui figure sur cette fiche :


Les commissions scolaires ont été créées en 1845. Le terme commission scolaire figurait d'ailleurs dans la Loi de l'instruction publique du 10 mars 1899. La réalité que le terme désignait alors n'est plus tout à fait la même : à l'époque, les commissions scolaires relevaient d'une autorité et lui faisaient rapport; elles sont devenues des organismes qui exercent un pouvoir souverain dans leur domaine de compétence. Même si la désignation commission est moins bien adaptée à la réalité actuelle, le terme commission scolaire est, au Québec, fortement lexicalisé.


Commentaire : à en croire la note, le terme commission scolaire était à l’origine employé à bon escient. La commission scolaire a par la suite été remplacée par un autre type d’organisme, mutation que la note minimise en disant que la désignation est « moins bien adaptée à la réalité actuelle » – en fait, elle est inexacte mais le GDT l’accepte quand même puisque le terme est « fortement lexicalisé ». C’est l’usage au Québec, il va contre les principes de la terminologie, mais consignons-le dans le GDT ! Pourquoi ne pas avouer simplement que le terme conseil scolaire serait préférable du point de vue terminologique même s’il est peu vraisemblable qu’il remplacera commission scolaire à court terme ? (Pour ce faire, il faudrait en effet une forte volonté politique…)


Cette fiche – récente, elle date de 2014 – est un exemple parfait de la dérive lexicographique dénoncée dans leur manifeste par un groupe d’anciens terminologues de l’Office (manifeste « Au-delà des mots, les termes ») : « l’Office ne peut se limiter à observer et à enregistrer l'usage, ou les usages en concurrence, comme l’exigerait la démarche lexicographique, car il a le mandat de déterminer quel usage il faut préconiser », affirmaient les signataires du manifeste.


Cerise sur le gâteau, la note se termine en reconnaissant que, dans les autres provinces canadiennes, mais pas dans la seule province qui a le français comme langue officielle, on emploie le terme approprié du point de vue terminologique :

Le terme conseil scolaire est employé, notamment, dans les autres provinces canadiennes pour désigner le présent concept.
  

Deuxième cerise, une citation de la banque de données Termium du Bureau de la traduction (Ottawa) qui illustre on ne peut mieux la volte-face de l’Office :






  
Troisième cerise : la fiche numéro 47 (20 mars 1998) de la Commission de terminologie juridique du Québec: « Le mot commission ne peut désigner, dans une administration, l’autorité décisionnelle suprême (ce qu’est dans son domaine de compétence, la commission scolaire). » « La Commission de terminologie juridique du Québec recommande unanimement le remplacement de commission scolaire par conseil scolaire ». Cette commission a été créée conjointement par l’Office de la langue française et le ministère de la Justice. Encore une fois, un terminologue de l’Office a changé de son propre chef une décision prise en concertation avec un partenaire extérieur (cliquer ici pour d’autres exemples).



jeudi 12 juin 2014

L’art urbain à Montréal


Dans son édition du 12 juin 2014, Le Devoir a un article de Joseph Boju portant sur le street art à Montréal : « Musée de rue pour cycliste – Un artiste montréalais organise des parcours d’art urbain à travers la ville ». Dans son texte, le journaliste utilise les mots art urbain et street art, jamais le calque art de la rue proposé dans le Grand Dictionnaire terminologique (GDT) de l’Office québécois de la langue française (OQLF).


mercredi 11 juin 2014

Faire de la terminologie à Babel


La lecture d’un billet que Gaston Bernier (vice-président de l’Asulf) a placé récemment sur sa page Facebook m’a incité à vérifier la fiche « commission scolaire » du Grand Dictionnaire terminologique (GDT) de l’Office québécois de la langue française (OQLF) où j’ai trouvé cette perle de langage dont je ne commenterai qu’une partie :

Même si la désignation commission est moins bien adaptée à la réalité actuelle, le terme commission scolaire est, au Québec, fortement lexicalisé. En effet, le sens de chacun des termes cède le pas au signifié unique.


Le terme commission scolaire serait donc composé de deux termes…


Rappelons comment le même GDT définit le terme (fiche de 1985) : « unité signifiante constituée d'un mot (terme simple) ou de plusieurs mots (terme complexe) et qui désigne une notion de façon univoque à l'intérieur d'un domaine. »


Lorsque des terminologues ne connaissent même pas la terminologie de leur propre discipline, ils ne font qu’ajouter au malheur du monde.


P.S. : à l’arrière-garde du progrès, le GDT a encore une fiche commission scolaire catholique et une autre commission scolaire protestante dont l’auteur est le ministère des Ressources naturelles (1994). Il faudrait au moins ajouter que ces termes n'ont plus qu'une valeur historique.


mardi 10 juin 2014

Parfois ?



Parfois, les mots finissent par prendre le sens que l'usage leur donne.

Grand Dictionnaire terminologique (GDT) de l’Office québécois de la langue française (OQLF), fiche jouabilité (2010)

lundi 9 juin 2014

Candidater


Les dicos 2015 révèlent les obsessions politiques de l’Hexagone, avec l’ajout de « post-ethnique », « noniste » (adepte du non) et « candidater ».

Isabelle Paré, « 'Tag', 'selfie' et 'hashtag', les nouveaux élus des dictionnaires », Le Devoir, 23 mai 2014


Il y a longtemps que j’avais commencé à rédiger un billet sur le verbe candidater (« être candidat à un emploi, demander une place »). Tant pis, l’actualité m’a devancé. On apprenait récemment que le verbe était dorénavant accepté par les dictionnaires français.


Candidater figurait dans la liste des mots refusés à l’émission Des chiffres et des lettres. J’imagine que la situation a dû changer récemment.


Candidater fait partie du jargon des universitaires français depuis belle lurette. Je l’ai entendu pour la première fois il y a une bonne dizaine d’années mais une recherche sur Internet m’apprend que le linguiste Charles Muller en parlait déjà en 1997 : « Pourquoi refuser aux noms candidat et candidature un verbe candidater, qui éviterait une périphrase ? » (« Les mots qui n’existent pas »).


Candidater est un verbe simple qui pourrait remplacer avec profit l’emprunt sémantique appliquer (appliquer sur un poste) ou le calque faire application, si fréquents au Québec et que postuler n’est pas parvenu à déloger.


vendredi 6 juin 2014

Andains de neige, bourrelets et merlons


Depuis quelques années, on a recours dans la Côte-du-Sud à des andains de neige qui remplacent les clôtures démontables autrefois utilisées pour retenir la neige poussée par le vent. Ce nouveau sens de l’expression andain de neige ne semble pas encore avoir été enregistré dans nos ouvrages lexicographiques (cliquer ici pour lire mon billet sur le sujet). 


Ainsi le Grand Dictionnaire terminologique (GDT) de l’Office québécois de la langue française (OQLF) ne donne qu’un sens à andain de neige: « bande de neige rejetée par une déneigeuse en bordure d'une voie de communication ou d'un trottoir ». La fiche (datée de 2010) ajoute en note : « Les termes remblai de neige et andain de neige sont plus caractéristiques d'un usage nord-américain. En France, on utilise le terme bourrelet de neige. » N’allons pas trop vite en affaires et ne cachons pas la variation linguistique en France. Lionel Meney m’a envoyé un article de la Charente libre où le terme andain de neige a le même sens que dans la fiche du GDT :

Source : Charente libre, 30 janvier 2013


J’ai aussi trouvé dans des documents français l’expression merlon de neige : « le chasse-neige avait laissé un merlon de neige » (source : explossouschampfromier.blogspot.com/p/compte-rendu-des-a.html). Dans les « Procédures de déneigement » de la commune de Saint-Lary–Soulan (Hautes-Pyrénées) on lit aussi :

Procédure des opérations de déneigement de SAINT-LARY 1700 - Saint Lary 1900
[…]
Le dégagement par l’entreprise privée :
● du cheminement piétonnier situé en face des bâtiments de la résidence Armazan. Pour une meilleure réalisation de celui-ci, l’entreprise procède au dégagement des rondins de bois.
● du merlon résultant du déneigement de la voirie et obstruant l’accès aux principales résidences et centres de vacances, les devants des locaux poubelles et des containers.


jeudi 5 juin 2014

Un livre peut-il être meilleur vendeur qu’un autre ?


Pour poursuivre dans la veine du billet d’hier, la lecture du Devoir de ce jour m’apporte un nouvel exemple de ce que Gaston Miron appelait le traduitdu. Un entrefilet (p. B8) est chapeauté du titre « Les dix meilleurs vendeurs 2013 Gaspard en littérature ». Le calque meilleur vendeur semble dû au seul titreur puisque le journaliste, dans son article, emploie plutôt les formulations best-seller et meilleure vente.

Le Devoir, 5 juin 2014, p. B 8


Le Grand Dictionnaire terminologique (GDT) de l’Office québécois de la langue française (OQLF) signale que meilleur vendeur est un calque et que, « en français, le nom vendeur désigne une personne, physique ou morale, qui accomplit ou cherche à accomplir une vente. » La fiche best seller list donne comme équivalents privilégiés liste des succès de librairie, liste des livres à succès. Il y a deux fiches best-seller. La première donne comme équivalents succès de librairie, livre à succès, ouvrage à succès. La seconde, succès de vente, article à succès.


Malheureusement, le GDT ne donne pas l’équivalent français le plus idiomatique de best-seller : meilleure vente.

J’ai déjà publié un billet sur best-seller et ses équivalents en français : cliquer ici pour le lire.

mercredi 4 juin 2014

Street art, l’art de la rue et l’art de traduire


Récemment je suis tombé en zappant sur l’émission Questions pour un champion. J’ai oublié la question posée par Julien Lepers mais je me rappelle très bien la réponse : « street art, art ubain ».


Qu’est-ce que le street art ? Consultons Wikipédia :

L'art urbain, ou « street art », est un mouvement artistique contemporain. Il regroupe toutes les formes d’art réalisées dans la rue, ou dans des endroits publics, et englobe diverses techniques telles que le graffiti, la réclame, le pochoir, la mosaïque, les stickers, l'affichage voire le yarn bombing ou les installations. C'est principalement un art éphémère vu par un très grand public.


J’ai ensuite consulté la fiche street art du Grand Dictionnaire terminologique (GDT) de l’Office québécois de la langue française (OQLF) où je n’ai pas été étonné de trouver le calque art de la rue (« art des murales des artistes de la rue »).


Street art à art de la rue, c’est ce que Gaston Miron appelait du traduitdu. Je vous invite à lire les réflexions de Christian Rioux sur le sujet en cliquant ici.


mardi 3 juin 2014

Réforme de l’accord du participe passé


Le Conseil international de la langue française et l’Association EROFA « Études pour une rationalisation de l’orthographe française aujourd’hui » ont élaboré un projet de réforme du participe passé. Le texte paraît dans la dernière livraison du Français moderne (LXXXII/2, p. 310-312). Je le reproduis ici :


L’orthographe du participe passé est, depuis des générations, le pont aux ânes de la grammaire scolaire. Les professeurs ont beau y consacrer d’année en année un nombre important d’heures d’apprentissage, les résultats restent décevants.
Pourquoi ?
D’abord en raison de la complexité des procédures.
Ensuite parce que la plupart des finales écrites ne s’entendent pas et que, d’ailleurs, même en cas de terminaison féminine ou plurielle audible, la pratique orale tend à ne plus marquer les accords ou à effectuer des accords contrevenant à la norme.
Face à cette situation, plusieurs linguistes ont décidé qu’il était de leur devoir d’intervenir. Leur conviction est qu’une nouvelle logique grammaticale s’installe. Si les Autorités décidaient de la permettre officiellement, non seulement la langue française n’y perdrait rien, mais le temps économisé à l’école pourrait être mis au service d’objectifs plus utiles.
Ci-joint le texte de la motion que le Conseil international de la langue française et l’Association EROFA « Etudes pour une rationalisation de l’orthographe française aujourd’hui » ont élaborée.
Nous souhaitons vivement que vous vouliez bien nous faire part de vos observations et que vous souteniez notre démarche en l’appuyant, y compris publiquement.

Pour un assouplissement des règles d’accord du participe passé
Les difficultés de l’accord du participe passé (en abrégé PP) sont notoires. Des enquêtes ont montré que les professeurs de français y consacrent environ 80 heures de théorie et d’exercices au cours d’une scolarité ordinaire. Ce ne serait qu’un moindre mal si le succès couronnait l’entreprise. On en est loin. Face aux manquements qui abondent dans les copies d’élèves et dans la bouche ou sous la plume de leurs ainés, des voix réclament d’un peu partout une remédiation.
Le CILF ‘Conseil international de la langue française’ et le groupe EROFA ‘Études pour une rationalisation de l’orthographe française’ soumettent à cet effet aux Autorités gouvernementales et aux Instances de la Francophonie trois propositions *.
1° Les PP employés sans auxiliaire et les PP conjugués avec l’auxiliaire être s’accordent avec le mot ou la suite de mots que l’on trouve à l’aide de la question « Qui ou qu’est-ce qui est (n’est pas) PP ? ».
2° Les PP des verbes pronominaux pourront s’accorder avec le mot ou la suite de mots que l’on trouve à l’aide de la question « Qui ou qu’est-ce qui s’est (ne s’est pas) PP ? » augmentée des éventuels compléments du verbe.
3° Les PP conjugués avec l’auxiliaire avoir pourront s’écrire dans tous les cas au masculin singulier.
La première proposition n’entraine aucune modification concrète (voir ci-dessous 1). La deuxième et la troisième proposition rejoignent des pratiques de plus en plus répandues. Précisons qu’il ne s’agit pas de révoquer la norme officielle, représentative d’un registre de langue soutenu, mais, comme l’usage la transgresse fréquemment, d’ouvrir aux utilisateurs un espace de liberté, qui a d’ailleurs sa logique (voir ci-dessous 2 et 3).

Commentaires linguistiques
1° Le premier point de la proposition 1 ne remet pas en cause le figement optionnel des PP à valeur de préposition, d’adverbe ou de phrase condensée : Passé la poterne… = « après ». Vous trouverez ci-joint les documents = « ci-contre ». Fini les vacances ! = « c’est fini » ou « adieu », etc. Le second point semblerait contredit par des exemples tels Il est tombé des hallebardes (question « qu’est-ce qui est tombé ? », réponse « des hallebardes ») ; or, le propre de la tournure impersonnelle — indépendamment de l’auxiliaire être ou avoir — est justement de mettre en lumière l’évènement qu’exprime le verbe plutôt que les participants à l’évènement.
2° La proposition 2 étend à l’ensemble des verbes pronominaux l’accord des PP à pronom morphologiquement ou sémantiquement indispensable (du type Marie s’est absentée ou du type Marie s’est aperçue d’un détail = « a pris conscience). Beaucoup d’auteurs classiques en usaient déjà ainsi.
3° La proposition 3 s’inscrit dans le droit fil de la perte d’autonomie des PP au sein de formes verbales dont la cohésion ne cesse d’augmenter depuis le Moyen Âge. Quand le poète de Cour Clément Marot préconisait en 1538 l’accord du PP avec le substantif « qui va devant », il légitimait indirectement l’absence d’accord avec le substantif postérieur et enclenchait le processus d’invariabilité généralisée.

Participe passé des verbes pronominaux

Norme actuelle
Propositions
Elle s’est absentée
Elle s’est absentée
Les chemises se sont bien vendues
Les chemises se sont bien vendues
Elle s’est blessée
Elle s’est blessée
Elle s’est regardée dans le miroir
Elle s’est regardée dans le miroir
Marie et Julie se sont embrassées
Marie et Julie se sont embrassées
Ils se sont menti
Ils se sont mentis
Elle s’est lavé les cheveux
Elle s’est lavée les cheveux
Les cheveux qu’elle s’est lavés
Les cheveux qu’elle s’est lavée
Elles se sont ri de son air jovial
Elles se sont ries de son air jovial
Ils se sont abstenus de répondre
Ils se sont abstenus de répondre
Elles se sont regardées et elles se sont plu
Elles se sont regardées et elles se sont plues
Ces spectacles qui se sont succédé
Ces spectacles qui se sont succédés
Elles se sont faites les arbitres de la discussion
Elles se sont faites les arbitres de la discussion
Le pavillon qu’elles se sont fait construire…
Le pavillon qu’elles se sont faites construire…
 
Elles s’étaient crues responsables
Elles s’étaient crues responsables
Elle s’est dit que…
Elle s’est dite que…
 
 
 
Participe passé des verbes conjugués avec l’auxiliaire avoir
 
Norme actuelle
Propositions
Ils ont mangé la pomme
Ils ont mangé la pomme
La pomme qu’ils ont mangée
La pomme qu’ils ont mangé
Elle a lu tous les contes qu’elle a voulu
Elle a lu tous les contes qu’elle a voulu
Les trente euros que ce billet a couté
Les trente euros que ce billet a couté
Les ennuis que ces paroles m’ont valus
Les ennuis que ces paroles m’ont valu
L’histoire qu’ils ont trouvée amusante
L’histoire qu’ils ont trouvé amusante
Les airs que j’ai entendu jouer
Les airs que j’ai entendu jouer
Les musiciens que j’ai entendus jouer
Les musiciens que j’ai entendu jouer
Les artistes qu’ils ont fait venir
Les artistes qu’ils ont fait venir
Les journaux qu’on m’a dit être bien informés
Les journaux qu’on m’a dit être bien informés
Les travaux qu’ils ont eu à faire
Les travaux qu’ils ont eu à faire
 
*   *   *
 

Vous pouvez commenter le projet de réforme sur ce blog ou vous pouvez transmettre vos commentaires sur le blog du CILF.

dimanche 1 juin 2014

Andains de neige


Lors de déplacements au cours de l’hiver dans la Côte-du-Sud, j’ai découvert qu’un nouveau procédé pour retenir en terrain plat la neige poussée par le vent avait remplacé les clôtures à neige. On trace maintenant des sillons dans la neige à l’aide de chenillettes. On voit tout de suite l’avantage : les clôtures exigeaient installation, démontage et entreposage. Le nouveau procédé est plus économique. Mais comment l’appelle-t-on ?


J’ai posé la question au dialectologue Gaston Bergeron*, qui s’est à son tour adressé à l’historien de la Côte-du-Sud Gaston Deschênes**.


La réponse est qu’il s’agit d’andains de neige. À ma connaissance, ce nouveau sens donné à l’expression andains de neige n’a pas encore été répertorié dans nos ouvrages lexicographiques.


N’ayant pas pris de photos de ces andains, j’ai essayé d’en trouver sur Internet. J’ai fini par découvrir des images de ces pièges à neige... en Savoie :

Chenillettes préparant les andains de neige ou merlons à Tignes
(source : http://www.haute-tarentaise.net/)

Andains de neige, Tignes, glacier de la Grande-Motte, Haute-Tarentaise (Savoie)
 (source : http://www.haute-tarentaise.net/)



Dans le bulletin municipal de Tignes (no 29, novembre 2008), on appelle plutôt ces andains des merlons :



Rappelons qu’au sens strict un merlon est une « levée de terre destinée à servir de protection contre la chaleur, les projections ou les ondes de choc » (Trésor de la langue française informatisé).

À SUIVRE : « Andains de neige, bourrelets et merlons » (6 juin 2014)
* Dulong, Gaston, Gaston Bergeron, Atlas linguistique de l'est du Canada (1980), 10 volumes ; Lavoie, Thomas, Gaston Bergeron et Michelle Côté, Les Parlers français de Charlevoix, du Saguenay, du Lac-Saint-Jean et de la Côte-Nord (1985), 5 volumes.

** Les origines littéraires de la Côte-du-Sud ; suivi d'un Répertoire sommaire des auteurs de la Côte-du-Sud (1996) ; Les voyageurs d'autrefois sur la Côte-du-Sud (2001) ; L'année des Anglais : la Côte-du-Sud à l'heure de la conquête (nouv. éd. rev. et augm.) (2009), etc.