jeudi 31 mai 2012

Cacerolazo, concert de casseroles, tintamarre, charivari, chienlit


Je ferai seulement quelques remarques linguistiques sur le conflit étudiant qui en est à sa quinzième semaine. Mais, d’abord, que dire d’un gouvernement qui interprète le vote populaire comme un mandat d’inaptitude que lui donnent les électeurs pour faire ce qu’il veut en leur nom pendant quatre ans ? Un gouvernement qui pense que la crise sera réglée si les citoyens lui signent un nouveau mandat d’inaptitude pour continuer d’agir en leur nom ?

Pour une fois, je ne parlerai pas du Grand Dictionnaire terminologique de l’Office québécois de la langue française. Le voudrais-je que ce serait inutile puisque Lionel Meney, dans son blog Carnet d’un linguiste, a dit tout ce qu’il y avait à dire sur les fiches casserole du GDT. Et on a aussi presque tout dit sur l’origine chilienne, argentine, acadienne, moyen-âgeuse, du cacerolazo, du battage de casserole.



J’ai déjà noté dans le billet précédent l’intérêt sociolinguistique qu’il pouvait y avoir dans les reportages en direct que produit CUTV sur les manifestations nocturnes à Montréal. Je verse deux anecdotes à ce dossier.


Lors des premiers « concerts de casserole » à Montréal, la télévision de l’Université Concordia, dans ses reportages en anglais, parlait de « casseroles » puis maintenant on utilise une expression plus idiomatique de l’anglais, « pots and pans ». Les puristes ont tendance à dénoncer les réactions de francophones qui adoptent des mots anglais. Il est intéressant de constater que les anglophones montréalais empruntent au français et qu’eux aussi, après avoir adopté casserole pour parler des manifestations, ont eu un réflexe puriste pour revenir à l’expression idiomatique pots and pans.


Une autre anecdote a attiré mon attention. CUTV essaie de favoriser l’expression non seulement en anglais ou en français mais aussi dans les langues maternelles des jeunes issus de l’immigration. C’est ainsi que j’ai entendu quelques jeunes hispanophones à l’accent chilien. J’ai noté qu’une jeune hispanophone, dans son espagnol, utilisait le mot « greve » (grévé) plutôt que le terme espagnol standard huelga. Pour parler comme certains démographes, on pourrait écrire que cela est un exemple de francotropie. Car la personne en question n’a pas non plus utilisé le mot « estraik » (<strike), ce qu’elle aurait peut-être fait dans un contexte similaire aux États-Unis. Ces phénomènes d’emprunts chez les allophones mériteraient d’être étudiés de façon plus approfondie et j’y reviendrai peut-être un de ces jours.


*   *   *

Carrés rouges, carrés verts, carrés blancs, carrés jaunes


Les grévistes ont adopté comme symbole le carré rouge. On a vu un groupe dissident d’étudiants arborer un temps le carré vert mais ils semblent s’être maintenant ralliés au carré rouge. Des adultes ont lancé le mouvement des carrés blancs. Mais on a oublié les carrés jaunes – les personnes qui ont eu des emplois parce qu’une personne complaisante a apposé, dans la plus grande discrétion, un Post-It jaune sur leur dossier de candidature. Ces nominations partisanes, cela aussi fait partie de la situation que de plus en plus de personnes dénoncent de la façon qu’elles peuvent.



vendredi 25 mai 2012

La révolution comme si vous y étiez


Cliquer sur l'image pour voir la vidéo



Voir la révolution en direct, c’est ce que propose, rien de moins, CUTV, la télévision de l’Université Concordia de Montréal :



Précisons, pour les lecteurs étrangers, que l’Université Concordia est une université de langue anglaise. CUTV (Concordia University Television) s’est donné clairement une mission « alternative » : to provide a “voice for the voiceless” in addressing issues of concern in specific communities and by producing programming by and for those who are not adequately served by the mainstream media. À ce que j’ai compris en l’écoutant ces jours derniers, CUTV a décidé, pour mieux participer au débat politique québécois, de devenir de plus en plus bilingue. Certains animateurs ont encore une maîtrise assez relative du français mais le fait intéressant est que, pour eux, l’engagement politique ne peut plus se faire sans le français. Ce qui me rappelle ce que dit Jean-Claude Corbeil, dans son petit livre L’aménagement linguistique du Québec (Montréal, Guérin, 1980) au sujet de l’intégration de non-francophones : ils seront pleinement intégrés le jour où, ayant appris le français, c’est dans cette langue qu’ils participeront aux débats publics (je cite de mémoire, n’ayant pas le livre sous la main). Depuis le temps que l’on parle du « français langue publique » (ce qui a donné lieu à la création du fumeux indice de langue d’usage public), en voilà une illustration on ne peut plus concrète et dont le ton incommodera fortement les personnes de droite.



Du point de vue linguistique, un autre point intéressant : lors de ses diffusions en direct, CUTV cherche à donner la parole aux communautés issues de l’immigration, d’où la diversité des accents en français. D’où aussi des interventions en espagnol, souvent d’enfants d’immigrants chiliens à en juger par l’accent (et qui peuvent s'exprimer par ailleurs en français, bien sûr, puisque ce sont des « enfants de la loi 101 »).


Tous les reportages produits par CUTV dans le cadre du « Printemps Érable » sont archivés et déjà plusieurs sont disponibles sur YouTube. Je signale le fait car je crois qu’il y a là un matériau digne d’intérêt pour le sociolinguiste.



samedi 12 mai 2012

Quand le GDT fait un U-turn


Pendant une trentaine d’années, l’Office québécois de la langue française a tenu le terme tête-de-violon pour un calque. C’est encore sa position dans le Lexique des légumes publié en 1992 et ce sera sa position jusqu’en 2008. Rappelons que ce lexique a été élaboré par un comité comprenant un représentant du ministère de l'Agriculture, des Pêcheries et de l'Alimentation du Québec et un autre du ministère de l’Agriculture du Canada.




Lexique des légumes (1992)
crosse de fougère

Terme à éviter : tête de violon

fiddlehead
Matteuccia struthiopteris;
Pteretis pensylvanica

Notes. 1. Le terme tête de violon est un calque du terme anglais fiddlehead. En français, la partie du violon à laquelle ressemble ce légume s'appelle crosse, mot également utilisé en botanique.

2. Les crosses de fougère sont les jeunes frondes de certaines de ces plantes qui se consomment comme légumes verts à l'époque de la préfoliation.



*   *   *

Puis, en 2008, brusque revirement du Grand Dictionnaire terminologique : tête-de-violon n’est plus considéré comme un « terme à éviter » et il devient synonyme de plein droit de crosse de fougère.


Cette décision ayant suscité quelques réactions (pour un exemple, cliquer ici), on apporte en 2011 un changement largement cosmétique : tête-de-violon n’est plus synonyme mais « quasi-synonyme » et on lui accole la marque « langue courante ».


*   *   *


L’Office n’en étant plus à une contradiction près, il continue, sur son site Internet, à faire la promotion du Lexique des légumes :


vendredi 11 mai 2012

Conflit de normes : de la difficulté d’accorder ses violons


C’est la saison des crosses de fougère. J’ai déjà écrit plusieurs billets sur le sujet. Je note que, depuis la mise en ligne de mon premier billet, le Grand Dictionnaire terminologique de l’Office québécois de la langue française a rétrogradé le terme tête-de-violon, qui avait le statut de synonyme dans la fiche de 2008, au statut de quasi-synonyme dans la fiche de 2011 et qu’il le fait accompagner maintenant de la marque « [langue courante] ». Au fond, peu de changements significatifs. La position du Bureau de la traduction à Ottawa est beaucoup plus claire : il s’agit d’un terme « à éviter ».



Je lis dans De l’usage de l’emprunt linguistique (OQLF, 2011) la phrase suivante : « C’est en raison même de sa mission de promotion du français et de son rôle d’orientation de l’usage que l’Office a précisé sa position normative. »


Si la position de l’Office avait été beaucoup plus claire ces dernières années, s’il avait vraiment rempli son rôle d’orienter l’usage, s’il n’était pas revenu sur sa décision de considérer tête-de-violon comme un terme à éviter, la note suivante, qui apparaît sur la fiche, n’aurait pas sa raison d’être : « Dans l'étiquetage de produits commerciaux, l'usage n'est pas encore fixé entre crosse de fougère et tête-de-violon. »


mardi 8 mai 2012

Le GDT permet-il de trouver gougoune à son pied ?



Ce matin, achat de chaussures de sport. J'ai été étonné (sûrement à tort) de constater que le vendeur chez Sports Experts faisait spontanément la différence entre des tennis et des baskets. On est donc loin de l’époque des shoe-claques et des runnings, cette époque où l’on croyait bien parler français en appelant espadrilles ce qu’aujourd’hui on appelle des tennis ou des baskets.


Je suis allé vérifier ce qu'en disait le Grand Dictionnaire terminologique de l’Office québécois de la langue française. Consternation !


La fiche « chaussure de sport » vient d'être rédigée (ou mise à jour, en tout état de cause elle date de 2012). On y confond allégrement espadrilles, tennis et baskets, synonyme et hyperonyme. Et on omet de dire que, dans la « langue courante », tous ces mots sont généralement employés au pluriel.


Selon le GDT, le terme chaussure de sport a comme synonymes, tenez-vous bien, espadrille, tennis et basket. Des espadrilles, des tennis et des baskets, ce serait donc la même chose ! On se demande dans ce cas à quoi peut bien servir un dictionnaire dit terminologique.


Le rédacteur de la fiche ne s’est pas rendu compte que le terme chaussure de sport est un hyperonyme (je lui suggère de lire l’article hyperonymie dans Wikipédia). On aurait à la rigueur compris que, pour une fois, le GDT parle de « quasi-synonyme » – notion qu’il utilise d’ailleurs de façon aléatoire (voir l’analyse de Lionel Meney, Main basse sur la langue, Montréal, Liber, 2010, pp. 424-428).


Regardons de plus près la rédaction de la fiche. L’entrée, chaussure de sport, est au singulier – alors que le mot est surtout usité au pluriel, ce qui n’est pas indiqué sur la fiche. La note commence ainsi : « Le commerce offre une variété de modèles, à tige basse ou haute, de couleurs variées, en fonction de la mode. » Une variété de modèles de quoi ? Il aurait fallu écrire : une variété de modèles de chaussures de sport.


La deuxième phrase de la note se lit ainsi : « Lorsqu'elles sont conçues pour pratiquer un sport particulier, elles répondent à des caractéristiques propres et distinctives, qui touchent tout particulièrement la semelle (forme, épaisseur, composition, avec ou sans crampons, etc.). » À quoi se rapporte le pronom elles ? On le sait d’autant moins que l’entrée de la fiche est au singulier.


Troisième phrase de la note : « Pour la pratique de sports spécifiques, on dira chaussure de tennis, de basketball, de course, de vélo, de soccer, etc. » Le singulier du mot chaussure est parfait dans le cas d’un unijambiste.


Un peu plus loin on lit : « en Europe espadrille renvoie à une chaussure de toile très légère ». Curieux usage du verbe renvoyer pour signifier désigner.


Poursuivons : « Le genre du terme tennis, en usage en France, n'est pas fixé, mais il est le plus souvent attesté au féminin. » Et comprenons : en France, le genre du terme tennis n’est pas fixé mais le mot est le plus souvent féminin.


Bref, la note est rédigée dans un français approximatif.


Enfin, le rédacteur de la fiche chaussure de sport n’a pas mentionné comme « synonyme » [sic] le terme sneaker alors qu’il y a bien une fiche sneaker dans le GDT et qu’elle date de 1973 : « Chaussure basse légère pour l'été, à tige en toile, et dont la semelle, en général en tresse de corde, est emboutie et apparaît en forme de garde-boue tout autour pour se raccorder à la tige. »


Il est ahurissant de constater que, plus d’un an après le manifeste Au-delà des mots, les termes des anciens terminologues de l’Office, ce dernier met encore en ligne des fiches aussi discutables.



Plutôt que de tenter de réinventer la roue, l’Office devrait revenir au Vocabulaire de la chaussure de Céline Dupré qu’il avait publié en 1982 et dont je cite ici quelques extraits :

Espadrille : Soulier d'été en grosse toile, caractérisé par sa semelle de corde tressée. Il peut affecter différents styles sont le plus classique est plat et comporte un lacet que l'on enroule autour de la cheville.
Forme fautive : espadrille employé pour chaussure de tennis ou tennis et pour chaussure d'entraînement.

Chaussure de basket(-ball) : Bottillon lacé fait de forte toile, à semelle antidérapante généralement de caoutchouc, utilisé pour la pratique du basket-ball et accessoirement comme chaussure de loisirs. Il comporte souvent un renfort au niveau de la malléole interne. Rem. On dit aussi en abrégé, basket.   Formes fautives : running shoe, shoe-claque ou shouclaque.

Chaussure d'entraînement : Soulier lacé de sport fait de forte toile, de cuir ou de matériau synthétique et dont la semelle est antidérapante. Deux ou trois bandes transversales de couleur contrastante décorent généralement la tige de part et d'autre du laçage, et un renfort de caoutchouc couvre le bout. Formes fautives : adidas, espadrille.

Chaussure sport : Type de chaussure solide et confortable à talon plat et semelle épaisse, que l'on porte avec une tenue sport. Antonyme de chaussure de ville. REM. On dit aussi chaussure de sport quoiqu'il soit préférable de réserver cette appellation à la chaussure spécialement conçue pour la pratique d'un ou plusieurs sports : chaussure de basket, de ski, etc.

Chaussure de tennis : Soulier de style derby, ou parfois richelieu, dont la tige est faite de grosse toile. Il est généralement blanc, sans talon, pourvu d'une souple semelle antidérapante et d'un bout de caoutchouc. On le porte pour jouer au tennis ou comme chaussure de plein air.  REM On dit aussi en abrégé : tennis.  Formes fautives : shoe-claque ou shouclaque, running shoe, espadrille.

dimanche 6 mai 2012

In memoriam Roch Valin (1918-2012)





Le linguiste québécois Roch Valin est mort la semaine dernière. Ses réflexions sur la norme linguistique peuvent encore être lues avec intérêt et profit : avec un peu d’effort, on réussira à trouver le texte « Réflexions sur la norme », publié en 1983 dans le livre La norme linguistique, en cliquant ici et en se rendant au chapitre XIX.

Cliquer sur l'image pour entendre la « Prière pour nous autres charnels » de Jehan Alain

Un dictionnaire en panne sur le tarmac



Par ailleurs, les employeurs qui logent leurs travailleurs manquent de place. Ils ont donc tendance à prendre entente avec leurs employés venus d’autres régions. «Le “fly in-fly out” est très répandu, remarque Angélina Gionet.
Jobboom.com, 28 avril 2009

Luc Letendre, coordonnateur de la Ruée vers le Nord, espère réduire le nombre de « fly in-fly out », c'est-à-dire des travailleurs qui viennent travailler en avion, mais qui retournent ensuite vers leurs demeures dans le sud du Québec. Pour y parvenir, il mise sur la qualité de vie de la Jamésie, une région exceptionnelle pour les amants de la nature et les passionnés de plein air.
MonteregiePlus.com Le Journal Internet, 15 septembre 2010

Le système de fly-in/fly-out qu'adoptent de plus en plus de compagnies minières ici et dans le monde est là pour demeurer. Un système qui est bon pour le travail et l'individu, mais mauvais pour la famille et l'esprit de communauté.
Le Soleil, 6 novembre 2011


Hier, j’ai entendu à la radio, dans un reportage en français, l’expression fly-in fly-out, utilisée pour désigner une forme d’emploi propre surtout aux exploitations minières situées dans des régions éloignées et se caractérisant par une rotation des employés transportés par avion sur leur lieu de travail pour une période de plusieurs jours après laquelle on les ramène à leur domicile pour un repos de quelques jours. Puisque l’expression n’apparaît ni dans la nomenclature française du Grand Dictionnaire terminologique de l’Office québécois de la langue française ni dans la nomenclature anglaise, voyons ce qu’en dit Wikipedia : « Rather than relocating the employee and their family to a town near the work site, the employee is flown to the work site where they work for a number of days and are then flown back to their home town for a number of days of rest ».


Une recherche effectuée grâce à Google révèle que l’expression fly-in fly-out est utilisée dans pas moins de 8 470 pages Internet canadiennes rédigées en français.


Ce néologisme, attesté en français depuis au moins 2009, a échappé au GDT. Pourtant, avec la mise en place du Plan « Nard », le fly-in fly-out est appelé à se développer considérablement. Il serait grand temps que le GDT s’occupât (!) enfin de la vraie « langue courante » !

Article du Journal de Québec, 4 mai 2012

jeudi 3 mai 2012

Tourner les coins rond



La multiplication des fiches dans le GDT / 2

L’unique but du match* Quevilly-Lyon du 28 avril 2012
* « Terme à éviter », selon le GDT !


Si l’on cherche le mot corner, utilisé dans le domaine du football (soccer), le Grand dictionnaire terminologique de l’Office québécois de la langue française livre trois résultats.


Or, les deux premières fiches (coup de pied de coin), provenant de la Commission générale de terminologie et de néologie de France, sont rigoureusement identiques, à l’exception de la présentation typographique (plus aérée dans la deuxième fiche) et d’un synonyme (non présenté comme tel), corner, présent seulement dans la deuxième. Cette fiche se contente de dire que corner est un « équivalent admis ». En revanche, dans la troisième fiche (coup de coin), corner est bien identifié comme synonyme.


Dans les deux premières fiches, le « domaine » indiqué est : sport, football. Par souci de cohérence avec les fiches football et soccer, il aurait peut-être fallu ajouter soccer entre parenthèses. Dans la troisième fiche, le domaine est simplement « sport », ce qui est insuffisant.


Trois fiches alors qu’une seule aurait suffi. L’Office s’est contenté de mettre en ligne une fiche la Commission générale de terminologie et de néologie de France, en la dupliquant, et une autre de l’Institut national du sport et de l'éducation physique sans prendre la peine de les harmoniser.


Il y a aussi une quatrième fiche corner, celle-ci dans le domaine de l’économie. Le mot y est présenté sans marque grammaticale, ce qui révèle déjà une négligence. Mais il y a plus. Car on peut lire en note : « Les cartels commerciaux sont de deux sortes : cartels de vente et cartels de vente (sic). »


On trouve aussi, dans la note de cette quatrième fiche : « (Mot anglo-saxon), de ‘ corn ’, blé ». Ce qui est contredit par l’American Dictionary of the English Language qui donne l’étymologie suivante : Middle English, from Anglo-Norman, from Old French corne, corner, horn, from Vulgar Latin *corna, from Latin cornua, pl. of cornū, horn, point. Le Webster dit la même chose : Middle English, from Anglo-French cornere, from corne horn.– Étymologiquement, le mot corn (« blé », originellement « graine ») n’a aucun lien de parenté avec corner : O.E. corn, from P.Gmc. *kurnam "small seed" (cf. O.Fris., O.S. korn "grain," M.Du. coren, Ger. Korn, O.N. korn, Goth. kaurn), from PIE root *gre-no- "grain" (cf. O.C.S. zruno "grain," L. granum "seed," Lith. Žirnis "pea") (Online Etymology Dictionary). En d’autres termes, corner a un lien de parenté avec le latin cornu (via l’ancien français) et corn entretient un lien de parenté encore plus lointaine avec le latin granum (remontant à l’indo-européen). Que d’erreurs, donc, dans une simple remarque étymologique !



mercredi 2 mai 2012

La multiplication des fiches dans le GDT



Entia non sunt multiplicanda praeter necessitatem.

Guillaume d’Ockham


Je compte bien, d’ici quelques semaines, publier un bilan de mes analyses du Grand dictionnaire terminologique de l’Office québécois de la langue française. Bilan qui viendra s’ajouter au Rapport du Vérificateur général à l’Assemblée nationale pour l’année 1995-1996, aux critiques de la traductrice Hélène Chrétien[1], aux analyses du linguiste Lionel Meney[2] et au manifeste des dix-neuf anciens terminologues de l’Office.


Lionel Meney avait déjà relevé dans son livre Main basse sur la langue (p. 412) que le Grand dictionnaire terminologique de l’Office québécois de la langue française avait tendance à multiplier les fiches portant sur un même terme. Maintenant que les indicateurs de productivité du GDT sont basés sur le nombre de termes plutôt que sur le nombre de fiches, il faut s’interroger sur le nombre des synonymes et s’ils ont vraiment leur place dans un dictionnaire, terminologique ou pas.


Prenons comme point de départ les dix fiches bâton dans le domaine du sport. Et contentons-nous de quelques observations simples.


Fiches
Entrées françaises
Sous-domaine
Synonymes français
Entrées anglaises
Synonymes anglais
Date de la fiche
Origine de la fiche
1
bâton de golf n. m.
Golf
bâton n. m.
   canne de golf n. f.
   
canne n. f.
   club n. m.
club 

2002
OLF
2
crosse n. f.
Matériel sportif
bâton de crosse n. m.
   bâton n. m.

lacrosse stick
   stick 
2001
OLF
3
bâton de ski n. m.
Ski
bâton n. m.

pole
   ski stick 

2007
OQLF
4
bâton de hockey n. m.
Hockey sur glace
bâton n. m.
   crosse de hockey n. f.
   crosse n. f.
   canne de hockey n. f.
   canne n. f.

quasi-synonyme(s)
   hockey n. m. [langue courante]
stick
   hockey 

2004
OQLF
5
bâton n. m.
baseball


1992
OLF
6
bâton n. m.
Ski de vitesse


2003
Éditions Québec-Amérique
7
bâton n. m.
gymnastique


1962
(rien)
8
bâton n. m.
Water-polo

quasi-synonyme(s)
   stick 
1976
OLF
9
bâton n. m.
baseball
batte de baseball n. f. [France]
   batte de base-ball n. f. [France]
   batte n. f. [France]
bat 
1992
OLF
10
batte n. f.
Baseball, balle molle
bâton n. m.


2008
INSEP


Observations


1. Il n’y a aucune définition anglaise. Il est donc difficile de déterminer si les équivalents français proposés correspondent bien aux mots anglais. Par exemple, la troisième fiche, bâton dans le domaine de la gymnastique, n’a ni définition française ni définition anglaise. L’équivalence entre le terme français bâton et le terme anglais bar dans le domaine de la gymnastique paraît a priori curieuse : ne s’agirait-il pas plutôt de barres (parallèles, par exemple ?).


2. Pour la fiche no 2, il y a un synonyme qui constitue un énorme pléonasme : bâton de crosse, puisque le mot crosse est déjà défini par le GDT lui-même comme « long bâton utilisé au sport de la crosse, dont le bout est muni d'un filet servant à attraper, à transporter et à lancer la balle. »


3. Plusieurs entrées principales, tant françaises qu’anglaises, ne sont pas des unités terminologiques, ainsi de bâton (tout court). Pourtant, le GDT se qualifie toujours de terminologique.


4. On confond les unités terminologiques et les unités de discours, tant en français qu’en anglais. Dans le discours (ce que le GDT a la fâcheuse habitude de traduire par « en contexte »[3]), il est normal qu’un terme complexe comme bâton de hockey soit réduit à bâton, tout court, mais on n’a pas à l’indiquer parmi les synonymes – sauf s’il y a une raison impérieuse de faire croître le nombre de synonymes (comme par exemple laisser croire à une hausse de productivité).

5. Les fiches 5, 9 et 10, traitant toutes du même terme dans le même domaine, auraient dû être fusionnées.


Etc.




[1] Hélène Chrétien, «Un gaspillage scandaleux des fonds publics », La Presse, 26 mai 1997, p. B-2.
[2] Lionel Meney, Main basse sur la langue, Montréal, Liber, 2010, pp. 405-443.
[3] « En contexte » = « cité avec son contexte » (Trésor de la langue française informatisé).