mardi 26 juin 2012

Enfin !


Pour une fois, l’Office québécois de la langue française a corrigé rapidement une fiche que j’avais critiquée. Il n’a en effet mis qu’une dizaine de jours pour modifier le texte de la note de la fiche parc technologique durable :

Ancienne version :


Nouvelle version :


Il m’est venu à l’esprit de vérifier quel était l’usage des différents termes mentionnés sur la fiche parc technologique durable. Le tableau qui suit présente le nombre de pages Google rédigées en français où apparaissent les termes mentionnés sur la fiche. À chacun d’en tirer ses conclusions.


Termes privilégiés par le GDT :
Nombre d’occurrences
(Google, 26 juin 2012)
parc technologique durable   
5*
technopôle durable   
4
Termes à usage restreint selon le GDT :

technoparc écologique   
9
technoparc durable   
5*
Termes déconseillés par le GDT :

parc technologique écologique   
672
écoparc technologique   
25
écotechnopôle
71

______________
* Une attestation dans le GDT, les quatre autres dans mon blog !

vendredi 15 juin 2012

Premières impressions


Ainsi que je le mentionnais dans le billet précédent, l’Office québécois de la langue française a mis en ligne le 7 juin une nouvelle interface d’utilisation de son Grand Dictionnaire terminologique.


Je ne ferai pas de commentaires sur l’interface parce que, pour le faire, il faut l’avoir utilisée sur une assez longue période. Mais disons qu’à première vue elle impressionne. Les informaticiens ont fait un bon travail.


Mais pour ce qui concerne la terminologie proprement dite, les problèmes soulevés il y a seize mois par d’anciens terminologues de l’Office demeurent toujours (voir leur manifeste Au-delà des mots, les termes) et sont sans doute accentués par la nouvelle présentation des fiches terminologiques.


Prenons un exemple critiqué dans le manifeste des anciens terminologues : l’acceptation de chambre de bain comme équivalent français de bathroom. Rien n’a été changé, chambre de bain est même présenté maintenant comme « terme privilégié » au même titre que salle de bain :

Voici quelques autres notes résultant de mes premières consultations du nouveau GDT.


Paradoxe. Les termes qui étaient affublés, dans l’ancien GDT, de la marque « langue courante » sont maintenant rangés sous l’en-tête « termes à usage restreint ». Les termes peuvent donc être à la fois courants et d’usage restreint.



Confusion. Dans la fiche « parc technologique durable », on lit la note : « technoparc écologique et technoparc durable sont considérés comme des équivalences commerciales ». Des termes qui sont des équivalences ? Comprenne qui pourra. La confusion s’accroît, si cela est encore possible, quand on lit plus loin : « l'élément de formation éco- de même que l'adjectif écologique duquel il est issu, ne sont pas des synonymes de durable. » Écologique et durable ne sont pas synonymes mais sont quand même des « équivalences commerciales ».


Insouciance. Le 1er avril, je notais qu’il y avait des fautes d’anglais dans la définition du terme house league. On n’a apporté qu’une correction cosmétique en ajoutant l’article « a » au début de la définition :

Ancien GDT : « leaque [sans majuscule initiale, q au lieu de g], in U.S. english [sans majuscule], is an association of sports clubs or teams ».

Nouveau GDT : « A leaque, in U.S. english, is an association of sports clubs or teams ».


L’OQLF, qui se vante de ce que près de la moitié des consultations de son GDT vient de l’extérieur du Québec peut-il se permettre de se déconsidérer de la sorte ?

Contradiction. Le 4 mai, dans un billet, je notais que le GDT n’avait pas de fiche « fly-in fly-out ». La lacune a été corrigée depuis. Plus exactement, il n’y a toujours pas de fiche « fly-in fly-out » (« a method of employing people in remote areas » selon Wikipédia) mais une fiche « fly-in- fly-out worker » avec comme entrée principale « travailleur volant » et la note : « Travailleur navetteur est proposé pour remplacer le terme anglais fly-in fly-out worker. » Si c’est le terme travailleur navetteur qui est proposé, pourquoi ne pas l’avoir mis en entrée principale ?



Anglicisme. La même fiche « travailleur volant » contient un anglicisme : « le transport par navette peut s'effectuer selon des intervalles d'une journée, d'une semaine ou d'un mois, dépendant du rythme de rotation des équipes de travail ». Doit-on conseiller aux terminologues du GDT de consulter la Banque de dépannage linguistique du même Office québécois de la langue française ?

Lorsque l’on dit, par exemple : Il arrivera plus ou moins tard dépendant de l’heure de son départ, on se trouve à employer dépendant de comme une préposition, à la manière de l’anglais depending on. Or, on ne peut employer ce verbe ainsi conjugué comme une préposition en français. La locution dépendant de doit être remplacée, selon les contextes, par selon, suivant, en fonction de ou d’après. (BDL, article « dépendant de »)


Incompréhension de la notion de synonymie. Comme dans l’ancien GDT, les termes espadrille, basket et tennis sont présentés comme s’ils étaient des synonymes du terme chaussure de sport alors qu’ils ne sont que des variétés de chaussures de sport :
Cliquer sur l'image pour l'agrandir


Il me semble que cela fait beaucoup d’éléments critiquables dans ce nouveau GDT et, pourtant, je n’en suis encore qu’à la phase exploratoire.

mardi 12 juin 2012

Le GDT nouveau est arrivé


L’Office québécois de la langue française a lancé la semaine dernière une nouvelle version de son Grand Dictionnaire terminologique.


La page d’accueil du nouveau GDT met maintenant certains termes en vedette. Ces jours-ci, parmi les termes en vedette, il y a ciboule. Voici ce qu’en pense une ancienne collègue.


*   *   *

Depuis que le GDT est accessible en ligne, j'ai toujours prétendu qu'il n'est pas un ouvrage qui peut s'adresser à tout le monde. C'est un ouvrage qui nécessite pour bien comprendre le contenu d'une fiche d'un terme donné d'avoir des connaissances linguistiques pour pouvoir juger de la qualité de l'information qui s'y trouve.

L'Office, à mon avis, ne comprend pas et ne comprendra jamais que les fiches diffusées en ligne doivent être rédigées de façon à pouvoir répondre aux besoins de gens qui dans 99 % des cas n'ont pas une formation linguistique. Ces personnes ont besoin de se faire dire quel mot ils doivent utiliser pour exprimer telle réalité.

J'ai seulement  lu la fiche ciboule et j'en ai eu assez. Rien n'est changé. Les fiches sont rédigées par des spécialistes de la langue pour des spécialistes de la langue et l'Office ne saisit pas qu'il faut les adapter pour la compréhension de monsieur et de madame Tout-le-monde.

Si on prend l'exemple de ciboule, les gens ordinaires qui sont des non-spécialistes de la langue n'ont que faire de toutes ces explications et de ces catégorisations linguistiques. Ils veulent savoir quel terme ils doivent utiliser et pourquoi. Il n'y a pas si longtemps, on nous disait que le terme à utiliser était oignon vert. Et voilà que le terme oignon vert est catégorisé terme à usage restreint, de langue courante et on nous propose maintenant comme termes privilégiés ciboule, cive, oignon d'hiver et cébette. Je suis certaine qu'en ayant lu cette fiche comme elle est libellée, mes ex-collègues de travail me consulteraient pour me demander quel terme ils doivent utiliser. Et, on me traitera d'imbécile, mais dans ce cas, je ne saurais pas quoi répondre.

Je me sentirais encore obligée de dire à ces ex-collègues que le GDT n'est pas une référence qui leur convient. Je les inciterais comme je l'ai fait durant toutes ces années à consulter tout autre ouvrage pour trouver une réponse satisfaisante à leur interrogation. Je leur expliquerais encore et encore que l'ouvrage dans sa forme actuelle devrait être réservé aux seuls spécialistes de la langue parce qu'il exige un grand sens critique pour pouvoir juger de l'information contenue dans les fiches.


*   *   *



Il faut que j’ajoute quelques commentaires au texte de ma collègue.


Si une langagière peine à se retrouver dans le GDT, on peut imaginer le désarroi de l'usager ordinaire.


Quand on demande des échalotes dans une épicerie, on se fait donner de l’oignon vert la plupart du temps. On en est ainsi rendu à appeler les vraies échalotes des échalotes françaises ou des échalotes sèches. La situation n’est pas appelée à se clarifier maintenant que l’Office vient de refaire les fiches ciboule, échalote et oignon vert. Seul un tableau permettra de nous y retrouver.


Le tableau suivant synthétise les fiches ciboule, échalote et oignon vert telles qu’elles apparaissent maintenant dans le GDT :

 

Termes à privilégier
Synonymes à usage restreint
Allium cepa
oignon vert, oignon nouveau
échalote (langue courante)
Allium fistulosum
ciboule, cive, oignon d’hiver, cébette
échalote, échalotte, oignon vert (langue courante)
Allium ascalonicum
échalote, échalotte, échalote française, échalote sèche, oignon d’ascalon



L’Office a reçu la mission de franciser la langue du commerce, pas d’y semer la confusion. On commencerait à réduire la confusion si on finissait par accepter que la langue courante n’a pas sa place dans un dictionnaire terminologique :




Termes à privilégier
Synonymes à usage restreint
Allium cepa
oignon vert, oignon nouveau

Allium fistulosum
ciboule, cive, oignon d’hiver, cébette

Allium ascalonicum
échalote, échalotte, échalote française, échalote sèche, oignon d’ascalon




On réduirait aussi la confusion dans la langue du commerce en diminuant le nombre des synonymes (et en les reléguant éventuellement dans la catégorie des termes à usage restreint ou dans une catégorie termes non retenus comme cela a été fait lorsque l'on a procédé à la normalisation de la terminologie des produits de la pêche) :




Termes à privilégier
Synonymes à usage restreint
Allium cepa
oignon vert

Allium fistulosum
ciboule

Allium ascalonicum
échalote


Avant l’adoption de la Charte de la langue française, l’Office collaborait avec le ministère de l’Agriculture à l’application du règlement sur l’affichage bilingue des produits alimentaires. À cette époque, si l’Office était arrivé avec des fiches terminologiques aussi peu claires, l’avocat qui dirigeait le service de la répression des fraudes et des infractions ne se serait pas gêné pour appeler les responsables de l’Office et leur chanter pouilles.





La citation du jour

          Le Devoir, 9 juin 2012


« Laissons la peur du rouge aux bêtes à cornes » (Victor Hugo, Les Misérables).





samedi 9 juin 2012

La langue de la rue

Manifestation du 19 mai 2012, rue Saint-Denis à Montréal (CUTV)



J’ai déjà fait la remarque dans les billets précédents que la crise sociale actuelle contient des enseignements sur la situation sociolinguistique du Québec, en particulier sur la place du français comme « langue commune » (cf. Commission Gendron) ou langue de la cohésion sociale. Dans Le Devoir du week-end, une juriste, Cathy Wong, apporte des arguments qui vont dans ce sens, même si elle n’aborde pas spécifiquement la question linguistique :

On reproche souvent aux personnes issues des minorités ethnoculturelles de briller par leur absence dans les débats sociaux et politiques au Québec et de ne s’intéresser qu’à la promotion des intérêts de leur propre communauté. Or, à travers le conflit étudiant, plusieurs jeunes issus des minorités se mouillent, quelques-uns pour la première fois, au sujet de décisions politiques québécoises. Rouges ou verts, ils s’impliquent dans des enjeux qui touchent non seulement leur communauté d’origine, mais l’ensemble de la société québécoise.

Il y a d’intéressantes leçons à tirer du conflit social actuel sur les rapports entre majorité et minorités. L’engagement des nouvelles générations issues des minorités démontre qu’elles ne s’intéressent pas qu’aux seuls enjeux de leurs communautés respectives. Plutôt, leur mobilisation contribue au renforcement de notre démocratie et illustre leur attachement profond au Québec.


Rappelons ce qu’Ariane Archambault et Jean-Claude Corbeil écrivaient, dès 1982, de l’intégration :

On parle beaucoup, surtout ces dernières années, de l'intégration culturelle des anglophones et des allophones à la société québécoise, par opposition à l'assimilation, qui n'est pas jugée un objectif souhaitable ou adéquat. L'intégration, dans l'esprit de beaucoup, est le moyen de concilier l'intérêt pour le Québec et la sauvegarde d'une certaine identité culturelle. La connaissance du français, donc son enseignement, joue un rôle dans ce processus […].
Le terme « intégration » implique à la fois un processus et un état en résultant. Le processus est constitué par la démarche psychologique qu'effectue le sujet vers la communauté québécoise et par les moyens qu'il prend ou que l'on met à sa disposition pour la faciliter ou l'exécuter. L'état qui en résulte est une certaine manière de se sentir membre de la communauté et une certaine aptitude à y vivre.
Face à un phénomène aussi global, nous croyons nécessaire et utile de distinguer des degrés d'intégration, de la minimale à la plus complète. Nous en proposons trois. Au premier degré, la personne est capable de communiquer en français, elle cornait les principales institutions québécoises, dont elle sait comment utiliser les services et les ressources; elle peut gagner sa vie en français et vaquer aux diverses occupations de la vie en société. Elle est autonome et indépendante d'un sous-groupe culturel de soutien ou de refuge. C'est l'intégration de fonctionnement. Au deuxième degré, la personne ajoute à ce qui précède l'intention de jouer un rôle dans la société québécoise, dans une sphère quelconque : la politique, le syndicalisme, les divers mouvements sociaux ou associations de toute nature. De ce fait, elle est active dans la société à la manière et avec les mêmes possibilités qu'un Québécois d'origine et peut y exercer une influence à la mesure de son action. Nous dirions qu'il s'agit alors d'intégration de participation. Au troisième degré, la personne conçoit son avenir et celui de ses enfants comme membre de la société québécoise, pour le meilleur et pour le pire : c'est l'intégration d'aspiration, celle où l'on se sent et on se sait lié aux projets d'avenir du groupe, d'où souvent une implication réelle dans les débats de l'heure, non pour s'y opposer lorsqu'ils menacent un isolement, antérieur à l'intégration de fonctionnement, mais pour y faire valoir ses points de vue et sa propre conception de l'avenir comme membre à part entière de la société.
La connaissance du français est la condition de départ du processus d'intégration de fonctionnement. Son influence ne va pas au-delà en ce sens que rien ne garantit que celui qui connaît le français évoluera vers l'intégration de participation, encore moins d'aspiration. On peut fort bien en demeurer au stade premier.*


Si l’on applique le schéma d’intégration proposé par Ariane Archambault et Jean-Claude Corbeil, les événements récents tendraient à montrer que plusieurs anglophones et beaucoup d’enfants d’immigrants en seraient au troisième degré de l’intégration.

Et si la crise sociale actuelle était la plus importante, même la seule véritable mesure de francisation du régime Charest ?


________
* Ariane Archambault et Jean-Claude Corbeil, L’enseignement du français, langue seconde, aux adultes, Conseil de la langue française 1982.

vendredi 1 juin 2012

La casserolade, d’Éric Woerth à Jean Charest


L’Office québécois de la langue française annonce la mise en ligne, ce mois-ci, du Grand Dictionnaire terminologique multilingue. Ce billet est une contribution pour enrichir ce grand œuvre.

 
Quoi de mieux que de coller à l’actualité tout en évitant à l’équipe du GDT de faire des recherches pour trouver l’équivalent français du mot espagnol cacerolazo, apparu à quelques reprises dans la presse québécoise ces jours derniers ? Ce mot est un dérivé de cacerola dans lequel le suffixe –azo signifie « coup de », comme dans pazo, « coup de poing ».


Il existe un équivalent français, « casserolade », qui fera sûrement tiquer les terminologues endogénistes dans la mesure où ce n’est pas une création québécoise :


   Olivier Besancenot tapant de la casserole lors de la « casserolade pour Éric Woerth »
(cliquer sur l’image pour voir la vidéo ; désolé, il y a d’abord une pub de quelques secondes)