Dans ce billet, je présente quelques lacunes relevées dans le Franqus à partir de textes lus dans Le Devoir ou de propos entendus à la radio et à la télévision depuis la publication de mon dernier billet. Ces exemples appuient les conclusions que j’y exposais.
Les lacunes relevées sont d’autant plus étonnantes que je n’ai pas fait d’effort particulier pour dénicher des poux dans le Franqus. Les mots dont je signale l’absence sont tout simplement des mots utilisés dans les médias (du 10 au 14 janvier 2013).
Vire-capot
Le gouvernement Marois réserve un traitement-choc à la classe politique en 2013 avec des mesures contre les députés vire-capot et les élus démissionnaires.
Le Devoir, 10 janvier 2013
On peut se demander pourquoi le ministre Drainville, qui entend déposer un projet de loi anti-vire-capot, fait une distinction entre le député qui choisit de devenir indépendant et le vire-capot.
Bernard Descôteaux, « Loi anti-vire-capot – Une mauvaise idée », Le Devoir, 11 janvier 2013
Le Franqus a bien virer son capot de bord (s.v. capot) mais il n’a pas vire-capot pourtant attesté depuis 1911 selon le TLFQ :
Tes cochons aussi ont fini de fouiller les pétaques des autes. Pi toé, t'as fini de te vanter à la porte d'église que t'as récolté des 200 minots d'avoine puis des 300 minots de sarrazin! C'est avec un siau bleu pi pas un demi-minot que tu vas mesurer ta grosse récolte c't'automne. Eh! fendant de couillon que t'es! T'as fini d'ambitionner sû le monde, mon vire-capot!...
Jean de la Glèbe [pseudonyme du frère Liguori], Cas de sorcellerie : le diable est aux vaches, 1911 (cité d’après le Trésor de la langue française au Québec)
On notera aussi l’apparition dans la langue du mot anti-vire-capot.
Gosseux, patenteux
Peuple de gosseux et de patenteux, complexés dans les angles morts, à l’heure de la mondialisation des talents nous nous contentons de peu.
Josée Blanchette, « Le rustique », Le Devoir, 11 janvier 2013.
Le Franqus a bien les verbes UQ (= usage québécois) gosser et patenter mais il n’a pas les noms gosseux et patenteux.
Médiocratie
Jacques œuvre dans le milieu scolaire depuis 30 ans et là aussi il note un nivellement par le bas, un relâchement devant l’effort, la pente de la facilité en guise de muse. « C’est la médiocratie partout, du primaire jusqu’à l’université. On exige de moins en moins des élèves et des profs. La compétence est devenue marginale, réciter des vers de Prévert, suspect. La compétence exige éthique, rigueur, savoir être, une attitude, quoi ! Plus personne ne doute, et c’est là que le bât blesse. »
Josée Blanchette, « Le rustique », Le Devoir, 11 janvier 2013.
Je ne pensais pas faire grief au Franqus de l’absence du mot médiocratie quand je me suis ravisé et ai entrepris des recherches. J’ai découvert dans le Trésor de la langue française informatisé que le mot est attesté depuis au moins 1844 (dans Balzac) :
MÉDIOCRATIE, subst. fém.
A. Autorité, pouvoir exercé par les classes moyennes. L'audace de détruire le suffrage universel et la liberté de la presse, deux suppressions déclarées impossibles par le bon sens de la médiocratie (GONCOURT, Journal, 1871, p. 758).
B. Pouvoir des médiocres. Nous avons une chambre qui est la représentation de la médiocratie intellectuelle de la province... car à l'heure qu'il est, Paris est sous le joug de l'obscurantisme des prétendus grands hommes de chefs-lieux (GONCOURT, Journal, 1891, p. 22). […]
[…] Étymol. et Hist. 1844 «pouvoir qui s'interpose, génie des obstacles» (BALZAC, Paysans, p. 169); 1869 «pouvoir politique aux mains de gens médiocres» (GONCOURT, Journal, p. 527). Dér. de médiocre*, créé plaisamment d'apr. aristocratie*.
La corrélation
Le moins quelqu’un en sait et le moins il est capable de savoir qu’il ne sait pas.
Josée Blanchette, « Le rustique », Le Devoir, 11 janvier 2013.
Au mot moins, le Franqus donne deux exemples de corrélation : « moins elle en entendra, mieux ce sera » et « plus il réfléchit, moins il comprend ». Au mot plus, on trouve trois exemples : « plus j’y pense, plus je crois que c’est une bonne solution », « plus il agira rapidement, mieux ce sera » et « plus on en de fous, plus on rit ».
Aucune mention de la forme de corrélation le plus… le plus (le plus on est de fous, le plus on rit) inspirée de l’anglais (the more, the merrier).
Abat et strike
Le Franqus a l’UQ (usage québécois) abat « au jeu de quilles, fait de renverser toutes les quilles avec la première boule » mais le mot ne renvoie pas à UF (usage de France) strike, pourtant présent dans le dictionnaire qui le classe dans la catégorie des anglicismes critiqués.
Donner son bleu
Lui donner son bleu ?
Titre d’un article de Rémi Tremblay dans L’Écho de Frontenac, 28 avril 2011
Je n’ai pas trouvé l’expression donner son bleu (congédier) dans le Franqus aux mots donner et bleu.
Mitchif
Traditionnellement, la langue parlée par les Métis de l’Ouest était le « michif », un mélange de cri et de français, auquel s’ajouteraient des emprunts à l’assiniboine et à l’ojibwe. Mais on y trouve différents dialectes, selon la région.
Caroline Montpetit, « Métis d’hier et métis d’aujourd’hui », Le Devoir, 12 janvier 2013
Le mot mitchif est absent de la nomenclature du Franqus. Tout comme assiniboine. Ojibwé n’apparaît que dans l’article thématique « Les langues autochtones du Québec ».
Docufiction
Plus tard, dans la saison du Périscope, les drag queens de Changing Room, le docufiction d’Alexandre Fecteau, reviennent se raconter sans faux-fuyants.
Philippe Couture, « Théâtre à Québec – Un hiver en deux teintes », Le Devoir, 12 janvier 2013
Le Franqus a docudrame (et drag-queen), mais pas docufiction.
Déjanté
La visite européenne n’est pas si fréquente en saison régulière à Québec, alors on déroule le tapis rouge pour accueillir à la salle Multi le collectif anglo-allemand Gob Squad, orchestrateurs d’une symbiose déjantée entre cinéma et théâtre avec leur Gob Squad’s Kitchen (You’ve Never Had It So Good).
Philippe Couture, « Théâtre à Québec – Un hiver en deux teintes », Le Devoir, 12 janvier 2013
Déjanté (ou déjanter) est absent de la nomenclature du Franqus
Castelet électronique
À Québec, les marionnettes sont d’ailleurs reines, et ceux qui n’ont pas encore découvert les possibilités du castelet électronique du laboratoire LANTISS de l’Université Laval se précipiteront chez Premier Acte en février pour voir Le voyage de Tchékhov à Sakhaline.
Philippe Couture, « Théâtre à Québec – Un hiver en deux teintes », Le Devoir, 12 janvier 2013
Le mot castelet est absent du Franqus. Sur le site du Laboratoire de robotique de l’Université Laval, on trouve cette précision :
Ce castelet électronique est une maquette, à l'échelle un dixième, d'un espace scénique comprenant plusieurs éléments technologiques du monde du spectacle : éclairage motorisé, projection d'images, réalité augmentée et évidemment une scène déformable. La qualité première de cette maquette technologique est de réunir les différents médias dans le même outil.
Source : http://robot.gmc.ulaval.ca/fr/recherche/theme405.html
Décalé
Le rêve et sa logique décalée sont également au cœur de la démarche de Raphaël Posadas, auteur et metteur en scène de la pièce Le « K » Buster, qui explore différents niveaux de réalité et d’imaginaire à partir de la figure mythique de Buster Keaton.
Philippe Couture, « Théâtre à Québec – Un hiver en deux teintes », Le Devoir, 12 janvier 2013
L’adjectif décalé est absent de la nomenclature du Franqus. Définition du Larousse en ligne : « être sans conformité, sans rapport direct avec quelque chose ou quelqu’un ».
Crochet
Un « crochet », selon une expression vieillotte, c’est une compétition de chant. Au temps fou du cabaret, un machiniste utilisait une sorte de gaffe pour tirer les candidats hués par le public avec un effet de scène assuré. Les Français ont récupéré le terme pour forger le mot « télécrochet », qui désigne donc un concours de chant télévisuel.
Stéphane Baillargeon, « Télévision – Le télécrochet comme manque d’audace », Le Devoir, 12 janvier 2013
Le mot crochet au sens de « compétition de chant » est absent du Franqus. Télécrochet aussi, bien sûr.
Le Trésor de la langue française informatisé donne les renseignements suivants : « Concours radiophonique où se produisent des amateurs qui peuvent être éliminés sur avis de la foule [les spectateurs sifflant ou criant crochet! (cf. Lar. Lang. fr.)] ou d'un jury, le candidat exclu étant attrapé par un crochet. »
Buzzer
Il ne faut ni la clairvoyance ni l’enthousiasme de la Pythie pour prédire que ce concours « buzzer » en main va crocheter des millions de téléspectateurs, constituer un des piliers de la rentrée d’hiver de la télé québécoise.
Stéphane Baillargeon, « Télévision – Le télécrochet comme manque d’audace », Le Devoir, 12 janvier 2013
Buzzer et buzz (faire, créer le buzz « faire l’événement ») sont absents de la nomenclature du Franqus. Mais on trouve poussoir.
Mâche-patates
« Tous (les candidats) se revendiquent du libéralisme, tous proclament leur foi fédéraliste, tous favorisent le développement économique », rappelle le candidat Bachand.
Voici le socle imperturbable sur lequel fleurissent leurs idées.
Les deux pieds dans le béton, autrement dit.
Le haut du corps peut ainsi beaucoup gesticuler et le mâche-patates se faire aller.
Commentaire figurant sur le site du Devoir à la suite de l’article de Robert Dutrisac, « Chefferie du Parti libéral – Une course prête à prendre son envol »
L’expression familière mâche-patates ne figure pas dans le Franqus.
Médias sociaux
Il n’en fallait pas plus pour échauffer les esprits et soulever, à bon escient il me semble, un débat sur le rôle des affiches dans la publicité des spectacles, mais plus largement sur le rôle de la publicité d’aujourd’hui à l’heure de la transparence nécessaire et des médias sociaux – des médias et des internautes avides de polémique et bien prompts à l’encourager en la diffusant largement.
Jean-Jacques Stréliski, « Coup de gueule à l’opéra », Le Devoir, 14 janvier 2013.
Médias sociaux est absent du Franqus (s.vv. média et social). Définition de Wikipédia : « Les médias sociaux sont des médias qui utilisent des techniques de communication hautement accessibles pour faciliter les interactions sociales. »
Maudit
Et vous savez quoi, Marc Hervieux joue sans doute un peu les prima donna (cela aussi relève de la plus pure tradition opératique), mais qu’importe : c’est un maudit bon chanteur !
Jean-Jacques Stréliski, « Coup de gueule à l’opéra », Le Devoir, 14 janvier 2013.
Cet usage de maudit (maudit bon truc, maudit bon point, maudit bon gars, ç’a pas de maudit bon sens : Google donne plus de 80 000 attestations de maudit + bon) ne figure pas dans le Franqus.
Taliban
Qui ne se souvient de l’Afghanistan et de la déroute initiale des talibans, en octobre 2001, au lendemain du 11-Septembre… et du résultat, dix ans plus tard, de cette interminable guerre du bout du monde, ultimement perdue par les Occidentaux ?
François Brousseau, « Un nouveau bourbier ? », Le Devoir, 14 janvier 2013
Taliban, mot absent de la nomenclature du Franqus.
Djihadiste
Quel est le but de l’intervention française aujourd’hui ? Protéger Bamako d’une poursuite immédiate des conquêtes djihadistes vers le sud ?
François Brousseau, « Un nouveau bourbier ? », Le Devoir, 14 janvier 2013
Si le mot djihad apparaît dans la nomenclature du Franqus, djihadiste en est absent.
Poursuite-bâillon
Pour Pierre Lacerte, les procédures engagées par les trois hassidims [sic] ont toutes les allures d’une poursuite-bâillon destinée à le réduire au silence.
Jeanne Corriveau, « Poursuite-bâillon à Outremont ? », Le Devoir, 14 janvier 2013
Poursuite-bâillon (équivalent français de SLAPP) est absent de la nomenclature du Franqus. Définition de Wikipédia : « Une poursuite stratégique contre la mobilisation publique ou poursuite-bâillon est, en Amérique du Nord, une action en justice visant à entraver la participation politique et le militantisme. »
Découvertes étonnantes dans le Franqus
Mitchourien, adjectif dérivé du nom d’Ivan Vladimirovitch Mitchourine, agronome russe.
Micheton : sous –ton, le mot micheton est donné comme exemple, sans définition ; le mot n’apparaît pas ailleurs dans le dictionnaire. Exemple d’incohérence ?