mardi 28 mai 2013

Lettre au p.-d.g. de l'OQLF

Québec, le 20 mai 2013

M. Jacques Beauchemin
Président-directeur général par intérim
Office québécois de la langue française
125, rue Sherbrooke Ouest,
Montréal (Québec)
H2X 1X4 


Monsieur le Président-directeur général,

Puisque vous avez reçu le mandat de procéder à une révision des façons de faire de l’Office québécois de la langue française, j’aimerais attirer votre attention sur une pratique qui s’est installée depuis une dizaine d’années et qui consiste, pour les terminologues de l’Office, à modifier unilatéralement des termes français qui ont pourtant fait l’objet de consensus avec des partenaires de l’industrie ou d’autres ministères, tant québécois que fédéraux.

Je vous donnerai quatre illustrations de cette nouvelle pratique.

Premier exemple : déductible au lieu de franchise. La fiche du Grand Dictionnaire terminologique avait été modifiée, il y a quelques années, pour accepter déductible comme synonyme de franchise dans le domaine des assurances. Lors d’un congrès de l'ACFAS, Mme Marie-Éva de Villers avait demandé si cela ne témoignait pas d’une nouvelle orientation de l’Office. Il est résulté de cette intervention que le rédacteur a dû refaire ses devoirs et signaler déductible comme « terme non retenu ». Toutefois, il a ajouté une note amphigourique pour tenter de se justifier : le GDT, bien qu'il le considère comme « terme à usage restreint », continue de légitimer l’usage du terme déductible… tout en décourageant son emploi « dans les textes officiels à caractère administratif ».

L’Institut d’assurance de dommage du Québec, dans le lexique en ligne sur son site, est beaucoup plus clair que le GDT : « Le mot déductible est un adjectif seulement. Il ne peut être employé comme substantif. »

Sur le mot déductible, la banque de données Termium du gouvernement fédéral adopte elle aussi une position plus claire que celle de l’Office : « Anglicisme courant dans la langue des assurances pour désigner la partie des pertes et des dommages non garantis par l'assureur et qui sont à la charge de l'assuré. En français universel, on désigne cette réalité sous le nom de franchise. »

Quand, au début des années 2000, après trente ans d’efforts, les polices d'assurances utilisaient toutes la terminologie de l'Office (y compris le mot franchise), on est en droit de s’étonner que quelqu’un ait tenté, de sa propre initiative, d'intervenir dans ce domaine, remettant en cause l'œuvre de ses prédécesseurs. Il s’agissait d’une modification unilatérale apportée par l’Office à un vocabulaire qui avait été établi en collaboration avec les compagnies d’assurances au prix d’efforts acharnés (voir Gaston Cholette, L’histoire de l’Office de la langue française de 1961 à 1974).

Deuxième exemple : mélange à (pour) au lieu de préparation pour. Comme équivalent de ice cream mix, le GDT offre : mélange pour crème glacée. La banque de données Termium donne préparation pour crème glacée comme équivalent de ice cream mix et précise comme source : « Comité intergouvernemental de terminologie de l'industrie laitière – Intergovernmental Committee on Dairy Industry Terminology » – comité auquel a participé l’Office ! Par la décision isolée d’un terminologue, l’Office se dissocie donc d’un travail auquel il a pourtant contribué pendant des années.

Le Comité intergouvernemental de terminologie de l'industrie laitière avait en effet été créé pour uniformiser l’étiquetage français et anglais des produits laitiers partout au Canada et pour fournir aux inspecteurs des aliments, tant fédéraux que provinciaux, une terminologie commune. Faisaient partie du Comité, outre des terminologues de l’Office, des représentants du ministère de l'Agriculture, des Pêcheries et de l'Alimentation du gouvernement du Québec, de la Direction générale de la production et de l'inspection des aliments du Ministère de l'Agriculture du gouvernement du Canada, de l'Institut de technologie agricole et alimentaire de Saint-Hyacinthe, de la Division des langues officielles du ministère de l'Agriculture du gouvernement du Canada ainsi que du Bureau des traductions (Secrétariat d'État du gouvernement du Canada).

Troisième exemple : chariot d’épicerie. C’est le terme panier d’épicerie que le GDT privilégie; il admet tout de même chariot d’épicerie mais il ajoute la note : « Les termes chariot et chariot d'épicerie sont parfois utilisés au Québec, mais c'est le terme panier d'épicerie (ou sa forme abrégée panier) qui y est le plus usuel ».

Pourtant, on ne trouve que chariot d’épicerie dans le Vocabulaire illustré des chariots, des roues et des roulettes de manutention publié par le même Office « en collaboration avec les milieux de l’ingénierie, de la terminologie et de la traduction ainsi que les Presses internationales Polytechnique ». On peut même y lire la remarque suivante qui met en garde contre l’utilisation de panier d’épicerie à la place de chariot d’épicerie : « le terme panier d’épicerie, qui est parfois utilisé pour désigner le chariot d’épicerie, correspond plutôt à un type de panier qui sert à l’achat de marchandises en petite quantité ».

Pourtant, le Lexique panlatin des chariots de manutention, publié lui aussi par l’Office, n’a pas panier d’épicerie mais seulement chariot d’épicerie. Ce lexique a été publié en collaboration avec l’École polytechnique de Montréal et avec des universités de la Belgique, de la Catalogne, de l’Espagne, de l’Italie, du Mexique et de la Roumanie.

Pourtant, c’est chariot qui a été normalisé en ce sens en France en 2000.

Quatrième exemple : têtes-de-violon au lieu de crosses de fougère. Pendant une trentaine d’années, l’Office québécois de la langue française a considéré que le terme tête-de-violon était un calque. C’était encore sa position dans le Lexique des légumes publié en 1992 et ce sera sa position jusqu’en 2008. Rappelons que ce lexique avait été élaboré par un comité comprenant un représentant du ministère de l'Agriculture, des Pêcheries et de l'Alimentation du Québec et un autre du ministère de l’Agriculture du Canada.

C’est crosse de fougère qui commençait à s’imposer dans la langue commerciale lorsque l’Office a brusquement changé de cap en 2008. Et maintenant, l’Office ose écrire sur sa fiche : « Dans l'étiquetage de produits commerciaux, l'usage n'est pas encore fixé entre crosse de fougère et tête-de-violon ». Évidemment que l’usage n’est pas fixé puisque l’Office s’est ravisé pour créer de la confusion.

Ajoutons que, pour Termium, tête-de-violon est un « terme à éviter ».

Les langues évoluent. Il est donc normal que l’Office québécois de la langue française procède, au fil des années, à des ajustements dans la terminologie qu’il propose. La question est de savoir s’il peut procéder à des changements unilatéraux dans des lexiques qui sont le résultat de travaux effectués en collaboration avec l’industrie ou avec des ministères du gouvernement québécois et du gouvernement fédéral.

Le 22 juillet 2008, j’avais alerté Mme France Boucher, alors présidente-directrice générale, sur la « dérive lexicographique » qu’avait prise le GDT. En février 2011, dix-neuf anciens terminologues de l’Office ont, dans une lettre ouverte, attiré l’attention de la présidente-directrice générale d’alors, Mme Louise Marchand, sur cette dérive dans les travaux terminologiques de l’Office : plutôt que d’indiquer l’usage à suivre dans les domaines de spécialité, l’habitude s’est prise de simplement consigner dans le GDT les usages québécois, y compris ceux de la langue courante même quand ce sont des calques de l’anglais (alors que le GDT a pour vocation de traiter des vocabulaires spécialisés et de proposer des équivalents en français standard). Le Grand dictionnaire terminologique a-t-il pour mission de faire la description lexicographique des usages québécois ? Les dizaines de terminologues et de traducteurs qui ont par la suite appuyé la lettre ouverte sont d’avis contraire.

Deux ans plus tard, notre interrogation et notre perplexité demeurent : pourquoi l’Office, qui a pour mission de franciser le Québec, préfère-t-il souvent proposer des calques en lieu et place de termes qui existent déjà en français standard ? À ces inquiétudes j’ajoute aujourd’hui la suivante : pourquoi laisse-t-on à des terminologues l’initiative de modifier des décisions terminologiques qui ont été prises en consultation avec des représentants de l’industrie et de ministères ou organismes tant québécois que fédéraux ?

J’espère que ces considérations vous seront utiles dans l’accomplissement de votre mission de réviser les pratiques en cours à l’Office québécois de la langue française.

Je vous prie de croire, Monsieur le Président-directeur général, à l’expression de mes meilleurs sentiments.


mardi 14 mai 2013

30e anniversaire



En mai 1983 était lancé l’ouvrage La norme Linguistique.  


mardi 7 mai 2013

Têtes de pioche




C’est de nouveau la saison des crosses de fougère et je peux constater que le terme tête-de-violon continue de se répandre comme conséquence du laxisme de l’Office québécois de la langue française.


Le Grand Dictionnaire terminologique de l’Office québécois de la langue française continue d’accepter le calque tête-de-violon, même si, dans sa nouvelle version, il l’a rétrogradé au rang de « terme à usage restreint » avec la marque « Québec, langue courante ».


La fiche contient toujours la sottise suivante pour justifier tête-de-violon : « le mot tête sert à désigner la partie terminale arrondie de certains végétaux (tête d'artichaut, tête d'asperge, tête de champignon). »


Dans les exemples cités, nous avons des expressions faites sur le modèle tête + nom d’un végétal.


Dans tête-de-violon, nous avons le modèle tête + nom d’un instrument de musique.


Personne à l’Office n’a vraiment été capable de voir que l’argument était illogique ?


*   *   *


Pendant une trentaine d’années, l’Office québécois de la langue française a tenu le terme tête-de-violon pour un calque. C’était encore sa position dans le Lexique des légumes publié en 1992 et ce sera sa position jusqu’en 2008. Rappelons que ce lexique avait été élaboré par un comité comprenant un représentant du ministère de l'Agriculture, des Pêcheries et de l'Alimentation du Québec et un autre du ministère de l’Agriculture du Canada.


C’est crosse de fougère qui commençait à s’imposer dans la langue commerciale lorsque l’Office a brusquement changé de cap en 2008. Et maintenant, l’Office a le culot d’écrire sur sa fiche : « Dans l'étiquetage de produits commerciaux, l'usage n'est pas encore fixé entre crosse de fougère et tête-de-violon ». Évidemment que l’usage n’est pas fixé puisque l’Office s’est ravisé pour proposer un calque !


Je rappelle que j’ai traité du terme tête-de-violon dans plusieurs billets :


Tête-de-violon / 1

Crosse de fougère ou tête de violon ?

Faire et défaire, c’est toujours travailler