La semaine dernière, le Consulat général
des États-Unis à Québec a invité quelques personnes intéressées par le sort des
langues autochtones à une visioconférence organisée par le Département d’État à
Washington. Deux chercheuses de la Smithsonian Institution ont parlé de programmes
de revitalisation des langues autochtones. La conférence était en multiplex
entre Washington, Vancouver, Ottawa, Montréal et Québec. Il est apparu en cours de
réunion qu’il y avait des auditeurs en d’autres pays, au moins en Côte d’Ivoire
et en Bolivie. Je continue de m’interroger sur les objectifs de pareille
rencontre : on est peut-être en train de créer un nouveau droit d’ingérence,
celui-ci pour protéger les langues et cultures menacées.
Les conférencières ont présenté d’abord la
situation des langues menacées de disparition dans le monde, faisant la comparaison
devenue maintenant de règle avec la disparition des espèces animales et
végétales. On a aussi présenté le programme Breath of Life pour la revitalisation des langues. On a donné l’exemple d’enfants
que l’on amenait au musée pour leur montrer des pièces de poterie et leur
enseigner en même temps le vocabulaire des autochtones qui les avait
fabriquées. Plutôt passéiste comme approche pour revitaliser les langues. Mais,
après tout, le Smithsonian est d’abord connu pour ses musées.
Une remarque sur l’aspect technique. Les
images du multiplex étaient souvent floues quand elles ne gelaient pas. Pas du
tout la qualité d’images qu’ont à leur disposition les pilotes qui téléguident
les drones dans la série Homeland. Je
me suis demandé in petto ce qu’il en
était pour les drones que l’on envoie en mission en Afghanistan et au Pakistan.
Commencée à 14 h, la conférence s’est
abruptement terminée à 15 h alors que nous croyions qu’elle devait durer
une heure et demie. Ce fut un mal pour un bien car le groupe de Québec a
poursuivi la discussion – plus intéressante, j’oserais dire, que
la visioconférence. Groupe composé de Wendats (Hurons), d’un Abénaquis, d’une
Algonquine, peut-être une Innue (Montagnaise), j’ai un trou de mémoire, et de
quelques Euro-Canadiens. Il y avait là trois personnes qui avaient collaboré à
mon livre Les langues autochtones du Québec
(1992 ; édition anglaise, 1996).
Il est peu connu que les Wendats sont en
train d’essayer de faire renaître leur langue qui a cessé d’être parlée il y a
plus d’un siècle. L’un d’entre eux a fait remarquer la nécessité qu’il y avait,
pour faire renaître la langue ancestrale et pouvoir l’utiliser dans la vie de
tous les jours, de trouver des équivalents pour des mots aussi banals pour nous
que trottoir ou ventilateur (pour cet objet, il croit que la solution serait d’utiliser
un terme qui se rend par une périphrase en français – elle pousse le vent – car, a-t-il ajouté, il y a prépondérance
du féminin en wendat ; ce point mériterait une analyse détaillée et
comparative avec le français, où le masculin « l’emporte » sur le
féminin). Cette remarque est en contradiction avec la vision passéiste (ou
puriste) que l’on a cru détecter, peut-être à tort, dans la présentation faite
dans la visioconférence. En tout état de cause, la conférencière n’avait pas
abordé le thème de la modernisation
des langues, essentiel si l’on veut que les langues en voie de disparition
retrouvent leur utilité dans la vie de tous les jours. Rappelons que la
question a été étudiée en long et en large dans les six volumes de la série Language Reform : History and Future /
La réforme des langues : histoire et avenir (1983-1994) de István
Fodor et Claude Hagège.
Pour ma part, j’ai cité un passage de l’analyse
produite par Statistique Canada des questions du recensement de 2011 portant
sur les langues autochtones : «Selon le
Recensement de 2011, presque 213 500 personnes ont déclaré une langue
maternelle autochtone et près de 213 400 personnes ont déclaré parler une
langue autochtone le plus souvent ou régulièrement à la maison».
Soit une différence de seulement 100 entre les deux nombres. La phrase appelle
deux commentaires. D’abord, il est invraisemblable que les langues autochtones ne
connaissent pas l’assimilation linguistique. Ensuite, on ne dit rien de l’assimilation
linguistique comme telle. Au contraire, on laisse entendre qu’il y a
assimilation de personnes de langue maternelle anglaise ou française aux
langues autochtones : « En 2011, près de
213 400 personnes ont déclaré parler une langue autochtone à la maison.
Bien que 82,2 % d'entre elles aient déclaré cette même langue autochtone
comme leur langue maternelle, les autres 17,8 % ont déclaré une langue
maternelle différente, par exemple, le français ou l'anglais. »
Ces données sont étonnantes au vu de la situation antérieure. Voici ce qu’écrivait
Louis-Jacques Dorais dans mon livre Les
langues autochtones du Québec (publié en 1992 ; à ce moment, les
données du recensement de 1991 n’étaient pas encore disponibles) :
La comparaison entre
langue maternelle et langue d'usage permet de calculer le taux de conservation
des langues autochtones (langue d'usage/langue maternelle). En 1971, ce taux
était de 85,4 % chez les Amérindiens du Québec. Cela signifie que, sur
l'ensemble des personnes ayant une langue maternelle amérindienne, 83,8 %
parlaient cette langue à la maison, 14,7 % parlaient l'anglais, 1,3 %
le français et 0,2 % une autre langue (Bernèche et Normandeau, 1983). Les
transferts linguistiques à partir des langues amérindiennes se faisaient donc
massivement vers l'anglais.
En 1986, le taux de
conservation des langues amérindiennes non mohawks était de 95,8 %,
pourcentage sans doute assez proche de celui de 1971. Cette année-là, en effet,
le taux de conservation des langues amérindiennes parlées en dehors de la
grande région de Montréal était de 94 %. Il est probable aussi qu'en 1986
les transferts linguistiques aient continué à se faire surtout vers l'anglais,
mais sans doute dans une proportion un peu moindre qu'en 1971, l'influence du
français ayant, depuis, légèrement augmenté en milieu amérindien.
Chez les Inuit, le taux
de conservation de l'inuktitut était de 98,6 % en 1986 comme, sans doute,
en 1981. Les quelques transferts se faisaient surtout vers l'anglais.
Il faudrait donc qu’un démographe procède à
une étude sérieuse des données du recensement de 2011 sur les langues
autochtones.