Le
président-fondateur et président honoraire de l’Association pour le soutien et
l’usage de la langue française (ASULF), le juge à la retraite Robert Auclair,
vient d’écrire à l’Office québécois de la langue française (OQLF) :
J’ai fait remarquer récemment à un journaliste que l’appellation
salle de montre était un anglicisme de showroom.
Il m’a rappelé à l’ordre rapidement en m’envoyant une copie de la fiche de
l’Office sur ce mot. Je constate que salle de montre est maintenant un terme
privilégié dans une fiche qui date de 2015. Autant que je sache, il s’agit
d’une nouvelle orientation de l’Office. Ce choix me prend totalement par
surprise. Pourquoi un tel revirement ? Je ne devine pas l’intérêt que
votre organisme peut avoir à accepter cette appellation dénoncée depuis belle
lurette chez nous.
Encore aujourd’hui, le MULTIdictionnaire
et LE FRANÇAIS AU BUREAU de même
que des auteurs comme Chouinard, Forest et Meney écartent cette appellation. Je
ne vous demande nullement de justifier votre position, mais je ne peux
m’empêcher de vous dire que je me l’explique mal. Y a-t-il plusieurs de ces
nouvelles fiches qui changent une recommandation existante depuis
longtemps ? Va-t-il falloir vérifier à chaque intervention s’il n’y a pas
une fiche nouvelle qui pourrait contredire la précédente ? Franchement, ça
m’agace.
Un
groupe d’anciens terminologues de l’OQLF avait écrit à la présidente-directrice
générale de l’Office en 2011 pour dénoncer ce «changement
d'orientation regrettable dans les travaux terminologiques de l'Office.»
Les signataires notaient qu’il y avait « deux tendances à l'Office ».
Ces
deux tendances existent toujours.
Exemple de la première
tendance : dans la fiche dénoncée par le juge Auclair, salle de montre est considéré comme un « terme
privilégié », accompagné, il est vrai, de la mention « Québec ».
Une note précise :
Salle de
montre est acceptable en français. Les réserves
émises sur ce terme n'ont pas lieu d'être. En effet, montre est employé ici au
sens de « étalage, exposition,
exhibition ». Cet usage, attesté en français depuis plusieurs siècles, est
maintenant rare en Europe […]
Encore
une fois, on nous sert l’argument que le terme n’a pas lieu d’être critiqué puisqu’il
était en usage dans les siècles passés. Contre cet argument, j’ai proposé de
faire valoir le principe du mulet du maréchal de Saxe : en effet, le maréchal
Bugeaud disait que le mulet du maréchal de Saxe avait fait la guerre
pendant trente ans et était toujours resté un mulet. En d’autres termes,
l'ancienneté ne saurait être en soi un indice de capacité. Comme je l’ai déjà
écrit dans ce blog, l’idéologie endogéniste véhiculée par certains
terminologues veut nous faire faire un bond en arrière.
Exemple
de la seconde tendance, qui constitue l’inverse de la première. Dans la fiche « développement »
(considéré comme un « terme déconseillé » au sens de lotissement), on
lit la remarque :
En
français, le mot développement n’a
pas le sens de « lotissement ». C’est un faux ami à éviter.
Pourtant,
le mot développement en ce sens s’entend
et se lit couramment au Québec. Pour d’autres mots de ce type, le GDT utilise
les marques « langue courante », « Québec », ou encore « terme à usage restreint ». Deux poids, deux mesures.
Le
GDT souffrirait-il de schizoglossie ? Rappelons que pour Einar Haugen*
(linguiste américain d’origine norvégienne), la schizoglossie est « la
maladie linguistique dont peuvent être atteints les locuteurs et les scripteurs exposés à plus d’une variété de leur propre langue ».
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* Einar Haugen, « Schizoglossia and the
linguistic norm », Monograph Series
on Languages and Linguistics 15, Georgetown U.P., 1962, pp. 63-69.