…il faut
violer pour un moment la langue afin de peindre des travers nouveaux que
partagent quelques femmes.
‑ Balzac, Illusions perdues
Son éditeur Leméac présente ainsi sur son
site Internet le dernier roman de Biz, L’horizon
des événements :
Le
Biz sociologue est à l’œuvre ici : il tend sa loupe au-dessus du milieu
universitaire, à l’heure des trigger
warnings, des snowflakes
et de la cancel culture,
et dépeint, non sans humour, la peur s’emparant de ceux qui sont censés
éduquer, mais qui plient et ploient l’échine pour préserver des acquis, une
job, un pouvoir. En résulte le portrait d’un milieu qui ne sait plus ce qu’est
le milieu...
On jugera du style et de l’humour de
l’auteur par ce passage où le narrateur Achille Santerre, admirateur de Michel
Houellebecq et spécialiste de Céline, va voir le directeur de son département,
un Haïtien :
Le
bureau de Napoléon Cherenfant était un bric-à-brac de cabane à canne à sucre.
Dans un improbable micmac baroque and roll, les statuettes et les masques
vaudou côtoyaient les sculptures de Saint-Jean-Port-Joli, un aviron et une
ceinture fléchée. Sur le mur du fond trônaient fraternellement des portraits de
Louis-Joseph Papineau et de Toussaint Louverture. Au bas des tableaux,
Cherenfant avait fondu les devises du Québec et d’Haïti : Je me souviens
que l’union fait la force (p. 180).
Biz rit gentiment, car la charge est de
fait assez légère, des professeurs de l’« Université de Montréal au
Québec » et de leurs étudiants prompts à se déclarer victimes de
micro-agressions. Les hommes du roman perdent de plus en plus de pouvoir :
« au département, les minorités étaient maintenant en majorité. À
proprement parler, les femmes n’étaient pas une minorité, mais elles exerçaient
le pouvoir. […] on comptait évidemment des gays, des lesbiennes et des
personnes racisées, mais aussi deux trans et une Innue convertie à l’Islam »
(p. 31). Les hommes vieillissants hétérosexuels et cisgenres se réfugient loin de
l’université dans une taverne de l’Est qu’ils appellent le Parc jurassique.
Biz se moque des universitaires branchés et
de leurs modes : « les féministes plus vieilles n’en démordaient pas :
le mot bitch était misogyne et ne
devait être employé sous aucun prétexte. Leurs consœurs plus jeunes
considéraient que les femmes pouvaient se réapproprier le mot en B, comme les
Noirs l’avaient fait avec le mot en N. Les gays et les transgenres non racisés
ne savaient pas trop de quel bord se ranger. Le grand senestre écartelé dans son
intersectionnalité » (pp. 112-113). Un prof déclare : « Corriger
l’écriture inclusive, c’est l’enfer. Un sabir indéchiffrable. Ielle(s), les élu∙e∙s
départementaux∙ales… Les celleux… Les ceuses ? Ça me prend quatre fois
plus de temps par copie. » Un autre lui répond : « La seule
chose que l’écriture inclusive n’inclut pas, c’est le style. C’est lourd, c’est
lourd… Crisse que c’est beige. C’est pus de la littérature, c’est des documents
de la Ville de Montréal » (p. 33). Propos de taverne, dira-t-on. Ils
ont été effectivement tenus dans la taverne du Parc jurassique. Mais lisez
maintenant cet extrait d’une réunion du département des littératures : « Moi,
ch’t’écœuré d’être discrédité juste parce que je suis un gars ! Au mieux,
ch’us un tas de marde, au pire un violeur potentiel » (p. 209).
On aura compris que Biz joue sur les
niveaux de langue et que ses profs n’ont pas toujours un langage châtié. On navigue
entre français standard, français familier ou argotique, « français
standard en usage au Québec » et québécois familier : c’est ce que le
linguiste Claude Poirier a appelé « l’intrication des mots régionaux et
des mots du français général dans le discours québécois ».
Le vocabulaire de Biz comprend évidemment
en majorité des mots de niveau neutre mais on y trouve ce que nos endogénistes
appellent des francismes (ringardiser,
cramer, tronche, galérer) et des québécismes (biscuits soda, stationnement au lieu de parking, combo, etc.). Des francismes comme ringardiser ou galérer ne
se trouvent pas dans Usito, le dictionnaire du « français vu d’ici »,
mais de façon plus étonnante c'est aussi le cas de québécismes comme combo, ostiner (mais
Usito a obstiner) ou comptoir à salades.
En fait, pour être plus précis, ce dernier exemple figure bien dans Usito mais
non dans la nomenclature, uniquement sous l’entrée bar à salades (« anglicisme critiqué »).
Si Biz s’en prend au wokisme, c’est
uniquement à coups d’aiguille. On sent à sa lecture l’influence de Houellebecq.
Mais Biz est moins pessimiste, à preuve son happy
end.
Référence
Poirier, Claude (1983), « L’intrication des mots
régionaux et des mots du français général dans le discours québécois », Langues et linguistique, no 9, p. 45-67.