lundi 20 juin 2011

Banderilles /6

El banderillero sevillano Curro Molina, poniendo un par de banderillas en la Maestranza de Sevilla (Wikimedia Commons)


Je traite aujourd’hui de l’expression être à l’emploi de, acceptée par l’Office québécois de la langue française. On trouvera la fiche complète à la fin du billet.


Le rédacteur a ajouté la note suivante : « Bien qu'elle soit critiquée par des ouvrages correctifs à cause de l'origine qu'on lui attribue généralement (calque de l'anglais to be in the employ of), la locution être à l'emploi de constituerait en fait une adaptation morphosyntaxique d'un emprunt plus ancien en français du Québec […] ». L’expression être à l’emploi de ne serait donc pas un calque mais une adaptation morphosyntaxique d’un emprunt !


Voici comment le Trésor de la langue française de Nancy définit le calque :

B. LING. Procédé de création d'un mot ou d'une construction syntaxique par emprunt de sens ou de structure morphologique à une autre langue.



Une expression qui ne serait pas un calque mais une adaptation morphosyntaxique ? Autant le dire comme je le pense : nous sommes très près de la sodomisation des diptères.


« Cette adaptation est parfaitement conforme au système linguistique du français » : heureusement ! Pourquoi adapter si ce n’est pas pour rendre un mot ou une expression conforme au système linguistique du français ?


Autre notation intéressante de la part du rédacteur : « La locution être à l'emploi de est d'un usage ancien et généralisé au Québec ». Quand on a un peu fréquenté le Grand Dictionnaire terminologique, on sait que, dans les notes, dès qu’on peut affirmer qu’un usage est vraiment ancien, on n’hésite pas à le dater. Ainsi, pour le mot vidanges, on lit : « Dans son édition de 1762, le Dictionnaire de l'Académie française […] ». Mais quand le mot n’est pas attesté avant le XXsiècle, ou peu avant le XXsiècle, on se contente de dire qu’il est « ancien ». Ainsi d’aréna qualifié d’« emprunt ancien à l'anglais canadien » : le mot date de 1898. Et ainsi de l’expression être à l’emploi de dont la plus ancienne attestation dans le Trésor de la langue française au Québec est datée de 1900.


Selon la version « bêta » (celle qui est en ligne) de Franqus (qui a l’air parti pour ne pas en manquer une), « L’emploi de être à l’emploi de (de l’anglais to be in the employ of) est critiqué ».


En décembre 2008, le Bureau de la traduction à Ottawa a publié une longue analyse de l’expression être à l’emploi de dont la conclusion est que cet usage est condamnable. Pensiez-vous que l’Office allait modifier pour autant sa fiche de 2003 ? Que nenni !


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Voici la conclusion de l’article de Jean-Claude Gémar publié dans L'Actualité langagière (volume 5/4,décembre 2008) du Bureau de la traduction :

Une tournure à bannir
L'expression être à l'emploi de, probablement formée au contact de l'anglais en milieu de travail, s'est étendue à la langue courante, d'abord parlée, puis écrite. On la trouve au Québec – dans des textes de droit, tel le Code du travail (L.R.Q. chapitre C-27, à l'article 105, par exemple), des contrats de travail et des conventions collectives -, ainsi qu'au Nouveau-Brunswick15. Mais elle ne paraît nulle part ailleurs dans le monde francophone, ce qui soulève de sérieux doutes sur son authenticité française.
Or, présence, constance et répétition d'un fait d'usage n'en garantissent ni l'authenticité ni le bien-fondé et encore moins le « bon usage », garant de la qualité de l'expression d'une langue donnée. Jean Darbelnet, linguiste canadien, distinguait les anglicismes (bienvenus!) qui enrichissent le fonds du français (cf. music hall) et ceux (à rejeter) qui, en se substituant à des mots, tours et formulations existants, l'appauvrissent en en réduisant les moyens d'expression16. Tel est bien le cas de l'expression en cause, qui se substitue à des manières de dire plus simples, en usage depuis des générations et suivies par les pays francophones et leurs institutions ainsi que par les organisations internationales.
Au terme de l'analyse des quatre aspects linguistiques principaux de cette expression, nous pouvons en conclure qu'elle est critiquable sous au moins trois, voire quatre chefs d'accusation. Comme anglicisme d'abord, la probabilité qu'il s'agisse d'un calque linguistique étant grande, elle ne peut être absoute au bénéfice du doute. Ensuite, sa construction syntaxique – où la fonction attributive tient, en regard de la grammaire, un rôle essentiel lorsque le verbe être est mis en cause – est au moins suspecte. Sur le plan stylistique, cette formulation est maladroite et de surcroît peu économe; elle ne saurait remplacer des formulations bien établies telles que :
·         A (le salarié, l'employé, la personne) est employé par B / chez B / dans la fonction publique;
·         A travaille chez B / à (la Régie / la SAQ / au palais de justice);
·         B est un salarié / un employé / un membre du personnel de C.
Sur le plan sémantique enfin, un doute subsiste sur la valeur réelle (la « signification ») du mot emploi qui, dans une telle structure syntaxique, n'est pas utilisé de façon absolue.
Au final, ces doutes et aspects critiquables font de être à l'emploi de une expression condamnable aux motifs de barbarisme et de solécisme doublés d'anglicisme. Et à supposer qu'il s'agisse d'un régionalisme (canadianisme alors, car il n'est pas circonscrit au Québec), n'étant pas dans le bon usage, il devrait être qualifié de « mauvais aloi ».

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Et voici la fiche du GDT :

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