La basilique Notre-Dame à Montréal
Pendant des décennies, l’idéologie dominante au Québec a fait de la langue la gardienne de la foi. L’illustration la plus éclatante en a été le célèbre discours d’Henri Bourassa à la basilique Notre-Dame de Montréal en 1910. Rappelons les faits. Lors du Congrès eucharistique international tenu à Montréal en septembre 1910, le légat du pape, l’archevêque de Westminster, prononça un discours dans lequel il se montrait en faveur de l’anglicisation de l’Église catholique au Canada pour favoriser la diffusion de la foi en Amérique du Nord. Au pied levé, Henri Bourassa, directeur-fondateur du Devoir, quotidien né quatre mois plus tôt, lui répondit. Un sténographe du journal se trouvait sur place et put donc nous conserver les mots de cette réplique improvisée. Les lignes suivantes décrivent bien l’essentiel de l’argumentation de Bourassa :
On évalue à près de quinze millions les descendants d’Irlandais catholiques qui ont perdu la foi de leurs pères. N’est-il pas vrai que l’usage de la langue anglaise, en jetant les Irlandais dans les milieux anglo-protestants, est la cause première et principale de cette effroyable trouée dans les rangs de l’Église ? N’est-il pas également vrai que les cas d’apostasie sont extrêmement rares chez les Canadiens français qui ont conservé leur langue et leurs traditions nationales ? (Cité dans Guy Bouthillier et Jean Meynaud, Le choc des langues au Québec 1760-1970, Montréal, Presses de l’Université du Québec, 1972, p. 405)
Dans la vision d’Henri Bourassa et du chanoine Lionel Groulx, la langue avait un rôle ancillaire, elle était au service de la foi.
Henri Bourassa
Renversement de situation : un siècle plus tard, un groupe de prêtres alerte les médias. Selon eux, le diocèse de Montréal, par son laxisme en matière de langue, en particulier par un recours généralisé au bilinguisme, contribuerait à l’anglicisation des immigrants. Dans une lettre au cardinal Turcotte, quatre prêtres et un agent de pastorale, disant représenter l’opinion de dizaines d’autres personnes, écrivent :
La langue officielle au Québec, c'est la langue française. Elle est la langue commune de tous les Québécois. L'Église, comme institution publique, n'a-t-elle pas à s'inscrire tout naturellement dans cette voie ? Une pratique systématique du bilinguisme est discriminatoire à long terme pour la population francophone (cité dans Le Devoir, 22 décembre 2009, p. A1).
Le même article cite les propos suivants de l’un des signataires : « On remarque une bilinguisation galopante de l'Église depuis quelques années en ce qui a trait aux communications et aux célébrations liturgiques. On est contre ça ». Et un prêtre qui a demandé de garder l’anonymat déclare : « L'Église de Montréal est un facteur important d'anglicisation. […] Tous les programmes de catéchèse des communautés culturelles, sauf pour les Vietnamiens, sont en anglais. C'est inadmissible. »
Dans Le Devoir du 24 décembre 2009, Hélène Pelletier Baillargeon réclame que l’Église applique la Charte de la langue française :
Quant à nous, catholiques de Montréal, nous devons nous montrer solidaires pour mettre fin à cette politique de bilinguisation de notre Église. Pour ma part, je me propose de suspendre ma contribution à la grande collecte annuelle du diocèse jusqu'à ce que les autorités responsables de cette politique se conforment au texte et à l'esprit de la Charte de la langue française (loi 101). Et j'invite tous les croyants catholiques de Montréal à en faire autant.
* * *
La foi, gardienne de la langue ? La proposition est plus sérieuse que plusieurs pourraient le penser. Il est bien connu que les immigrants catholiques sont plus pratiquants que les Québécois « de souche ». L’Église ne s’y trompe pas, qui voit là une source de régénérescence.
Les immigrants sont souvent pris en charge à leur arrivée par des groupes communautaires, parfois religieux, qui continuent donc de jouer un rôle de suppléance face aux insuffisances de l’État.
Mais la prise en charge des nouveaux immigrants par des organismes ou des paroisses catholiques anglophones est presque anecdotique quand on considère que la position officielle du Québec adoptée en 1990 reconnaît que les institutions publiques anglophones – il ne s’agit donc pas ici de petits groupes issus des paroisses mais des établissements des réseaux de la santé et des services sociaux – continueront à jouer un rôle dans l’intégration des immigrants :
Cependant, il est probable — et somme toute compréhensible — que certains de ces immigrants continueront de privilégier l’intégration à la communauté anglophone, surtout à la première génération. Par la suite, l’impact de la fréquentation de l’école française par leurs enfants devrait favoriser leur intégration progressive à la communauté francophone. Le Gouvernement reconnaît donc le rôle qu’ont à jouer certaines institutions anglophones — notamment celles du réseau de la santé et des services sociaux — dans l’intégration d’une partie des nouveaux arrivants ainsi que dans le soutien à la pleine participation des Québécois des communautés culturelles plus anciennes qu’elles ont accueillis dans le passé. C’est pourquoi, même si la priorité sera accordée à l’adaptation à la réalité pluraliste des institutions francophones où le rattrapage à effectuer est plus important, le Gouvernement soutiendra également, dans le cadre de sa politique d’intégration, les institutions anglophones. (Ministère de l’Immigration et des Communautés culturelles, Au Québec pour bâtir ensemble, Énoncé de politique en matière d’immigration et d’intégration, 1990, page 15, note 8)
Cette note, dissimulée en bas d’une page, le ministère de l’Immigration et Communautés culturelles se garde bien de la brandir. À preuve, lors d’un séminaire au Conseil de la langue française dans les mois qui ont suivi la publication de l’énoncé de politique, j’ai posé une question sur cette note à une directrice du MICC. Elle m’a dit que je me trompais, qu’il n’y avait rien de tel dans la politique gouvernementale. Malheureusement, je n’avais pas sous la main mon exemplaire annoté. Immédiatement après le séminaire, dès que j’eus retrouvé le passage concerné, j’envoyai un courriel à la directrice en question. Faut-il s’étonner que je n’aie jamais reçu de réponse ?
* * *
La demande que l’Église de Montréal applique la Charte de la langue française est quand même paradoxale puisque cette dernière exclut de son application tout le domaine religieux, parce que considéré comme relevant de la vie privée. Ainsi, il est prévu que les règles concernant l’affichage ne s’appliquent pas « aux messages de type religieux, politique, idéologique ou humanitaire pourvu qu'ils ne soient pas à but lucratif » (article 59).
La situation est aussi paradoxale du point de vue de l’Église de Montréal qui a historiquement favorisé l’établissement de paroisses « nationales » pour desservir les immigrants, ce qui est loin d’une politique d’assimilation. Ainsi, selon son site officiel, il y a, dans le diocèse de Montréal, quelque 35 paroisses desservant des communautés culturelles :
Allemands | Japonais |
Chaldéens | Latins** |
Chinois | Lituaniens |
Coptes | |
Philippins | |
Coréens | |
Polonais | |
Most Holy Trinity | |
Croates | |
Espagnols | |
Portugais | |
Haïtiens | |
Slovaques | |
Saints Cyril and Method [en anglais !] | |
Hongrois | |
Slovènes | |
Italiens | |
Tamouls | |
Tchèques | |
Vietnamiens | |
* L'astérisque indique une paroisse pluri-ethnique. |
** Paroisse bénéficiant d’un indult (permission spéciale) pour célébrer les offices en latin selon le rite de Pie V.
Source : http://www.diocesemontreal.org/organisation/paroisses/pages_index/culturelles.htm
* * *
Les Québécois ont des attitudes étrangement similaires face à la religion et face à la langue, attitudes qui peuvent se résumer en un mot : désacralisation.
Face à la religion, cette attitude se traduit, depuis des générations, par l’utilisation de jurons ou, si l’on préfère, de sacres. Sacres qui sont venus à être couramment interprétés comme un symptôme d’une langue de mauvaise qualité. Sans compter, bien sûr, une dévalorisation générale de tout l’héritage catholique qui s’est accrue ces dernières années.
Face à la langue, on est en droit de se demander si les francophones « de souche » ont rempli leur part du contrat social qu’implique la Charte de la langue française. Disons-le clairement : le joug le plus dur de l’application de la Charte a été porté par les allophones, qui n’ont plus eu le choix, après 1977, de choisir d’envoyer leurs enfants à l’école anglaise (sauf exceptions) et qui ont dû se mettre à apprendre le français pour pouvoir travailler. Les anglophones ont conservé le droit d’envoyer leurs enfants à l’école anglaise (et même à l’école française) à charge pour eux d’acquérir une meilleure maîtrise de la langue officielle du Québec. Les francophones aussi ont perdu le libre choix de l’école mais, pour l’immense majorité d’entre eux qui envoyaient déjà leurs enfants à l’école française, la nouvelle loi n’a rien changé dans leurs habitudes. Pourtant, on s’attendait en contrepartie à ce qu’ils s’investissent davantage dans l’acquisition d’une plus grande maîtrise de leur langue maternelle. Les résultats des examens de français du ministère de l’Éducation laissent croire que cette attente a été en bonne partie déçue ; même quand les résultats aux examens du Ministère semblent indiquer une amélioration, il ne faut pas oublier que le haut taux d’abandon scolaire – plus élevé chez les francophones que dans les autres groupes – vient jeter une ombre au tableau et le plus souvent annihiler l’amélioration que les statistiques paraissent indiquer. Sans compter que des phénomènes de mode, comme la popularité de certains humoristes, attise le pessimisme des militants les plus fervents de la cause de la qualité du français qui, pour plusieurs, constatent que la langue est une vache sacrée lors de manifestions (rares ces dernières années) de défense de la loi 101 et dans les périodes électorales (arme encore efficace quand le PQ est en difficulté) mais que, dans la vie courante, elle est victime elle aussi d’une forme de désacralisation.
* * *
Parler de religion conduit nécessairement à aborder la question de la quête du sens – thème qui ne fait guère recette de nos jours.
Dans une entrevue au Devoir, Joseph Facal parlait « de ce nouvel Âge des ténèbres décrit par Denys Arcand, où le confort matériel et la bureaucratisation du social ne parviennent plus à dissimuler une abyssale perte de sens » (Le Devoir, 18 janvier 2010). Cette abyssale perte de sens ne se manifeste pas seulement dans le pessimisme ou, plutôt, le cynisme face à la politique et, surtout, face aux politiciens, pas seulement dans le relativisme face aux diverses propositions de réponses qui sont offertes à la quête métaphysique, mais aussi dans la parole québécoise dont le sens est de plus en plus flou. À deux décennies de distance, deux études linguistiques ont documenté ce dernier point de vue. Car la perte de sens, parfois même l’impossibilité d’exprimer sa pensée, n’a pas qu’une composante métaphysique, elle se manifeste dans la parole, relevant ainsi du champ de compétence du linguiste.
Conrad Bureau a étudié les textes produits par l’Administration pour son usage interne (comme les notes de service), textes qui ne sont généralement pas soumis à une révision linguistique (Le français écrit dans l’administration publique. Étude-témoin, Québec, Conseil de la langue française, 1986) et qui sont donc plus à même de révéler les compétences linguistiques réelles de leurs auteurs. Il a découvert que 80 % des erreurs de syntaxe concernaient la construction des phrases et plus de 90 % des erreurs de sémantique étaient des impropriétés ou des barbarismes. Et il concluait : « Ces perturbations syntaxiques et sémantiques apparaissent comme les facteurs d’obscurité les plus importants dans les textes recueillis », avant de poser la question : « Comment un texte, un rapport, une note de service, un compte rendu d’activités sauraient-ils apporter une information adéquate si la pensée demeure plus ou moins informulée ? Car, pour ce chercheur, « L’indice d’obscurité d’un texte est directement proportionnel au nombre d’erreurs qu’il contient. »
Dans mon étude de la langue des bulletins d’information à la radio, j’arrive à des conclusions qui vont dans le même sens :
En ce qui concerne le vocabulaire, contrairement à une idée largement répandue, ce ne sont pas les anglicismes qui sont la cause la plus fréquente d’erreurs, mais plutôt des difficultés d’ordre sémantique : 42 % de toutes les erreurs portent sur le sens d’un mot ou d’une expression. Si nous ajoutons à cette catégorie les anglicismes sémantiques, les cas de redondance et d’incompatibilité sémantique, force est de conclure que la sémantique constitue le principal problème (70,1 % de toutes les erreurs de vocabulaire) (Jacques Maurais, La langue des bulletins d’information à la radio québécoise : premier essai d’évaluation, Montréal, Office québécois de la langue française, 2005).
Dans une société où la diffusion des informations constitue une des bases du système démocratique, comment peut-on véhiculer des informations crédibles dans un flou sémantique ? L’opinion publique se trouve alors à la merci du premier manipulateur venu. Et il ne faut plus se surprendre de voir qu’une radio-poubelle réussit à mobiliser une foule de plusieurs dizaines de milliers de jeunes et à les faire scandaleusement travestir Éluard en leur faisant scander « Liberté, je crie ton nom ».
22 juillet 2004 : 50 000 personnes descendent dans la rue à Québec
pour défendre une radio-poubelle
Il est vrai que la manifestation de 2004 à Québec a été faite grâce à des manipulateurs qui ont excité la foule. Par contre, il ne faut pas oublié les grande manipulation de la religion Catholique sur la population francophone du Canada et surtout sur le Québec. N'oublions pas la citation faite par l'Église, ''La langue pour la religion et la religion pour la langue''. La religion Catholique se servait de la langue pour contrôler politiquement les populations francophones. Au Québec, début des années 50, nous avons été des milliers d'enfants québécois à avoir été expulsé des écoles publiques françaises parce que nous n'étions pas Catholique. Certains d'entre nous, dans les campagnes du Québec, n’avions pas accès à aucune école..., ceci était un crime contre l'humanité ! http://www.leseditionsjpchabot.com/texte/proces_chabot-corrige-plus-aparte.pdf
RépondreSupprimerPour ceux qui veulent avoir accès au procès Chabot, servez vous de Google en faisant :L'affaire Chabot par Jean-Pierre Chabot.
RépondreSupprimerPour ceux qui veulent avoir accès au procès Chabot, servez vous de Google en faisant :L'affaire Chabot par Jean-Pierre Chabot.
RépondreSupprimer