En français, le mot esquimau n’est pas que l’appellation vieillie d’un peuple habitant les régions polaires. Outre une glace enrobée de chocolat, il désigne aussi un vêtement :
Trésor de la langue française informatisé | « Vêtement chaud pour enfant composé d'une pièce ou d'un ensemble |
Dictionnaire de l’Académie, 9e édition | |
Petit Robert | « Vêtement d’enfant en tricot de laine composé d’une veste et d’une culotte formant guêtres » |
Céline Dupré, Vocabulaire de l’habillement, Office de la langue française (1re édition, 1974; dernière édition, 1994) | « Tout ensemble d'hiver pour jeunes enfants, composé d'une veste avec glissière sur le devant et capuchon tenant ou amovible le plus souvent bordé de fourrure acrylique, et d'un pantalon-fuseau avec ou sans pieds. L'esquimau peut également affecter la forme d'une combinaison. À éviter : suit, snowsuit, habit de neige. » |
Le Visuel définit les esquimaux comme des « vêtements portés par les enfants entre environ 3 et 12 ans[1] » et en offre l’illustration suivante :
Source : http://www.ikonet.com/fr/ledictionnairevisuel/vetements/vetements-enfant.php |
Le mot esquimau, au sens de vêtement d’enfant, proposé par l’Office depuis 1974 comme équivalent de snow suit, n’apparaît pas dans le Grand Dictionnaire terminologique de l’Office québécois de la langue française sans qu’on sache pourquoi. Pourrait-il s’agir d’une réticence à utiliser le nom d’un peuple pour désigner un objet ? Cela paraît peu vraisemblable puisque le GDT a, entre autres, des fiches canadienne et charentaise. Peut-être juge-t-on que le mot est en voie de sortir de l’usage ? Mais il faudrait alors donner une explication puisqu’il est enregistré dans plusieurs ouvrages de référence et qu’il est utilisé dans des textes réglementaires du Bureau de la concurrence et du gouvernement du Manitoba (voir illustrations).
Bureau de la concurrence (http://www.bureaudelaconcurrence.gc.ca/eic/site/cb-bc.nsf/fra/01550.html) |
LOI DE LA TAXE SUR LES VENTES AU DÉTAIL, BULLETIN NO 001 Publié en avril 1998 Révisé en février 2007 (http://www.gov.mb.ca/finance/taxation/bulletins/001.fr.pdf) |
Le GDT a deux fiches habit de neige avec les définitions suivantes :
Fiche 1 | « Vêtement d'extérieur couvrant presque entièrement le corps, généralement imperméable, destiné à protéger contre le froid et les intempéries, que l'on porte l'hiver pour faire des activités de plein air. » |
Fiche 2 | « Combinaison d'extérieur très chaude, à capuchon, avec ou sans chaussons, imperméable, munie d'une glissière sur le devant pour faciliter l'habillage, portée par les bébés en hiver. » |
Pour l’instant, laissons de côté la première fiche et regardons de plus près la définition de la seconde fiche : combinaison… portée par les bébés. La définition est restrictive : les sources déjà citées disent plus généralement que l’esquimau est un vêtement d’enfant. La fiche donne comme synonymes : habit de neige pour bébé (terme beaucoup trop restreint par rapport à l’équivalent anglais snow suit), combinaison pilote, pilote.
La fiche ajoute costume de neige comme terme familier « non retenu ». Mais la première fiche précise : « Le terme familier costume de neige provient sans doute de l'anglais snowsuit. » Les deux fiches donnent habit de neige comme équivalent principal de snow suit mais il ne semble pas être venu à l’esprit du rédacteur que habit de neige, tout autant sinon plus que costume de neige, pouvait être un calque de l’anglais. D’ailleurs, le Vocabulaire de l’habillement du même Office ne rangeait-il pas habit de neige parmi les termes à éviter ? Et le GDT lui-même n’a-t-il pas trois fiches qui mentionnent qu’un terme très voisin, habit de pluie, est à éviter ?
Les deux fiches n’ont aucune définition anglaise. Ce qui est sans doute une des causes de leur flou. Pour ne pas allonger indûment mon billet, je ne citerai pas de définition anglaise mais me contenterai de faire remarquer qu’il y a au moins trois concepts à traduire : 1) (infant) snow suit ; 2) (adult) snow suit ; 3) ski-doo one-piece suit.
Revenons à la première fiche. Elle donne comme synonyme : « combinaison d'hiver n. f. [rare] ». Rare, vraiment ? Google indique que le terme est présent dans 1 700 000 pages.
Google, 30 janvier 2012 |
La même fiche indique comme « terme(s) non retenu(s) » : « costume de neige n. m. [familier] ». On peut se demander ce que les usages familiers viennent faire dans un dictionnaire terminologique.
Regardons maintenant de plus près la note de la première fiche.
« Le terme habit de neige […] évoque surtout un vêtement » : dans la langue poétique du GDT, les termes ne désignent plus, ils évoquent.
« Dans le terme habit de neige, habit a le sens de ‘ vêtement de dessus propre à une activité ’, comme dans habit de chasse. » Depuis quand la neige est-elle une activité ? On pourra faire valoir que l’on dit bien manteau de pluie, chapeau de pluie. Mais, dans ce cas, le manteau et le chapeau protègent de la pluie alors que l’habit de neige ne protège pas de la neige mais du froid. Petite nuance sémantique. Mais nous n’en sommes plus à une extension de sens près, n’est-ce pas ?
« Les termes suit de skidoo et suit d'hiver, formées d'après l'anglais… ». Les termes formées !!! (Il est vrai que suit est souvent féminin dans la « [langue courante] ». L’attraction, courante pour le pronom relatif en grec ancien, n’est pas un phénomène accepté dans la grammaire française – sauf peut-être en « français avancé[2] »). Le lecteur sera peut-être intéressé de savoir que cette faute d’accord existait déjà dans la fiche en 2003. La fiche a été refaite en 2011 mais la faute est restée.
« Les termes suit de skidoo et suit d'hiver, formées [sic !] d'après l'anglais, ne comblent aucune lacune lexicale en français ». Ils en combleraient encore moins si le GDT ne passait pas sous silence le terme habit de motoneige qui talonne de près habit de ski-doo dans la « [langue courante] » :
N | % | |
Habit de motoneige | 353 000 | 46,4 |
Habit de ski-doo | 408 000 | 53,6 |
Google, résultats du 30 janvier 2012 |
« Les termes suit de skidoo et suit d'hiver […] sont par ailleurs difficilement intégrables au système linguistique de cette langue [= du français]. » Évitons les a priori normatifs et étudions objectivement la question. Du point de vue phonétique, l’intégration est faite chez plusieurs qui prononcent un /u/ bref, le même que dans soute (en québécois /sUt/). Du point de vue morphologique, il y a hésitation dans le genre : un suit ou une suit, hésitation qui correspond à une différence de prononciation du mot suit ([su :t] / [sUt]). Mais cette variation ne devrait pas être un argument rédhibitoire pour les tenants du québécois standard, langue où un escalier alterne avec une escalier, un habit neuf avec une habit neuve et un autobus avec une autobus. Les termes suit de skidoo et suit d'hiver sont en fait plutôt bien intégrés dans la « [langue courante] ».
1] « Entre trois et douze ans » = between 3 and 12 = de trois à douze ans. Exemple à ajouter à mes billets sur « Le québécois standard, langue calque ».
[2] Sur ce concept, je renvoie à l’ouvrage de Georg Steinmeyer, Historische Aspekte des 'francais avancé', Genève, 1979. En résumé, la faute d’aujourd’hui est l’indice d’une évolution générale future.