jeudi 30 octobre 2014

Bris d’eau


 
Le Soleil, 29 octobre 2014

Le 28 octobre, rupture d’une conduite d’eau principale à Québec, présentée dans plusieurs médias comme un « bris d’aqueduc ». Le lendemain, sur Radio-Canada Première, j’entends le chef d'antenne Jacques Beauchamp parler d'un « bris d'eau à Québec ». Évidemment, il fallait s'y attendre, « bris d'eau » est une traduction littérale de l'anglais. Voici ce que j'ai trouvé sur Internet :

Water breaks are common on older infrastructure due to ground shifting or deterioration of the pipe material and fittings. (site de la ville de Lloyminster située à cheval sur la frontière de l’Alberta et de la Saskatchewan)
Boil Water After a Water Break (site de la ville d’Athens en Ohio)
Sunset Boulevard reopens after huge UCLA water break (titre du Washington Post, 4 août 2014)


mercredi 29 octobre 2014

Lettre d’une ex-terminologue de l’OQLF


Le Devoir publie aujourd’hui une lettre de Monique Héroux sur la qualité de la langue. Mme Héroux est l’une des signataires du manifeste « Au-delà des mots, les termes » d’un groupe d’anciens terminologues de l’Office québécois de la langue française (OQLF).


lundi 27 octobre 2014

Le fond du panier


Libération, 27 octobre 2014


L’entreprise Caddie qui fabrique des chariots de supermarché fait parler d’elle ces jours-ci. Occasion pour moi de dénoncer une nouvelle fois la fiche « panier d’épicerie » que le Grand Dictionnaire terminologique (GDT) de l’Office québécois de la langue française s’acharne à donner comme équivalent de l’anglais shopping cart / trolley. Occasion aussi pour moi de rappeler les contradictions de l’OQLF.


Car on ne trouve que chariot d’épicerie dans le Vocabulaire illustré des chariots, des roues et des roulettes de manutention publié par le même Office « en collaboration avec les milieux de l’ingénierie, de la terminologie et de la traduction ainsi que les Presses internationales Polytechnique ». On peut même y lire la remarque suivante qui met en garde contre l’utilisation de panier d’épicerie à la place de chariot d’épicerie : « le terme panier d’épicerie, qui est parfois utilisé pour désigner le chariot d’épicerie, correspond plutôt à un type de panier qui sert à l’achat de marchandises en petite quantité ».


De plus, le Lexique panlatin des chariots de manutention, publié lui aussi par l’Office, n’a pas panier d’épicerie mais seulement chariot d’épicerie. Ce lexique a été publié en collaboration avec l’École polytechnique de Montréal et avec des universités de la Belgique, de la Catalogne, de l’Espagne, de l’Italie, du Mexique et de la Roumanie.


Lire aussi le billet « L’orientation de l’usage et la désorientation des usagers : nouvelle illustration »

 
Le Monde, 27 octobre 2014

Bis repetita placent

GDT, fiche « panier d'épicerie »


Le GDT croit-il donner plus de poids à sa remarque (par ailleurs inepte) en la répétant ?


Remarque inepte parce qu’il est normal de réduire un terme complexe dans la vie courante. Cela va tellement de soi que les dictionnaires ne l’indiquent pas (sauf le GDT, bien sûr, mais de manière peu systématique).



samedi 25 octobre 2014

À la solde des Anglais


Quand j’ai lu, dans Edge of Eternity de Ken Follett, le passage suivant :

Filipov said: “Our Polish comrades require military assistance urgently, to resist the attacks of traitors in the employ of the capitalist imperialist powers.” (Ch. 54, p. 940)

je me suis demandé comment « in the employ of » serait traduit en français. Trouverait-on le calque « à l’emploi de » ? Sachant le français, les traducteurs ont bien évidemment évité le piège de la traduction littérale :

Filipov déclara : « Nos camarades ont besoin d’une aide militaire de toute urgence pour résister aux attaques des traitres à la solde des puissances impérialistes capitalistes. » (p. 1038)


Contre vents et marées, contre même l’analyse détaillée produite par le Bureau de la traduction à Ottawa, le Grand Dictionnaire terminologique de l’Office québécois de la langue française continue d’approuver le calque « être à l’emploi de ». Je renvoie aux textes que j’ai publiés sur le sujet :




jeudi 23 octobre 2014

L’Académie française et la féminisation : nuances



La tradition des timbres de Noël au Canada remontre à 1898. Sur la photo, le maire suppléant Michelle Morin-Doyle, le cardinal Gérald C. Lacroix, Stephan Cleary, de Postes Canada et le curé  de Notre-Dame de Québec Mgr Denis Bélanger ont dévoilé le timbre de Noël mercredi matin.
Valérie Gaudreau, « Un timbre pour le 350e de Notre-Dame de Québec », Le Soleil, 22 octobre 2014


Dans deux billets récents, j’ai évoqué la position de l’Académie française en matière de féminisation (« La féminisation au Palais Bourbon » et « La maire ou la mairesse ? »).


À la suite de l’incident récent (voir « La féminisation au Palais Bourbon ») « opposant à l’Assemblée nationale un député à la ‘ présidente de séance ’ », l’Académie a tenu à rappeler les règles sur la féminisation des noms de métiers, fonctions, grades ou titres. Et elle s’appuie sur le rapport produit en 1998 par la Commission générale de terminologie et de néologie qui
[…] « estime que les textes règlementaires doivent respecter strictement la règle de neutralité des fonctions. L’usage générique du masculin est une règle simple à laquelle il ne doit pas être dérogé » dans les décrets, les instructions, les arrêtés et les avis de concours. Les fonctions n’appartiennent pas en effet à l’intéressé : elles définissent une charge dont il s’acquitte, un rôle qu’il assume, une mission qu’il accomplit. Ainsi ce n’est pas en effet Madame X qui signe une circulaire, mais le ministre, qui se trouve être pour un temps une personne de sexe féminin ; mais la circulaire restera en vigueur alors que Madame X ne sera plus titulaire de ce portefeuille ministériel. La dénomination de la fonction s’entend donc comme un neutre et, logiquement, ne se conforme pas au sexe de l’individu qui l’incarne à un moment donné. Il en va de même pour les grades de la fonction publique, distincts de leur détenteur et définis dans un statut, et ceux qui sont des désignations honorifiques exprimant une distinction de rang ou une dignité. Comme le soutient la Commission générale, « pour que la continuité des fonctions à laquelle renvoient ces appellations soit assurée par-delà la singularité des personnes, il ne faut pas que la terminologie signale l’individu qui occupe ces fonctions. La neutralité doit souligner l’identité du rôle et du titre indépendamment du sexe de son titulaire. »


Dans le texte cité en exergue de ce billet, la journaliste du Soleil s’est conformée à cette règle en utilisant le masculin maire suppléant plutôt que mairesse suppléante.


Toutefois, l’Académie admet que l’on peut utiliser les formes féminines dans la vie courante :

Cependant, la Commission générale de terminologie et de néologie considère – et l’Académie française a fait siennes ces conclusions – que cette indifférence juridique et politique au sexe des individus « peut s’incliner, toutefois, devant le désir légitime des individus de mettre en accord, pour les communications qui leur sont personnellement destinées, leur appellation avec leur identité propre. » Elle estime que, « s’agissant des appellations utilisées dans la vie courante (entretiens, correspondances, relations personnelles) concernant les fonctions et les grades, rien ne s’oppose, à la demande expresse des individus, à ce qu’elles soient mises en accord avec le sexe de ceux qui les portent et soient féminisées ou maintenues au masculin générique selon le cas ». La Commission générale conclut justement que « cette souplesse de l’appellation est sans incidence sur le statut du sujet juridique et devrait permettre de concilier l’aspiration à la reconnaissance de la différence avec l’impersonnalité exigée par l’égalité juridique ».


Dans l’incident du Palais Bourbon, la présidente de l’Assemblée avait expressément demandé qu’on utilise la forme féminine de sa fonction. Mais ce n’était pas une situation de la vie courante… Le distinguo est subtil. L’Académie devrait avoir mieux à faire que de peser des œufs de mouche dans des toiles d’araignée (pour reprendre le reproche que Voltaire faisait à Marivaux).


Je note en terminant que l’Académie utilise l’expression « dans la vie courante ». Le Grand Dictionnaire terminologique de l’Office québécois de la langue française n’arrête pas de nous bassiner, lui, avec sa « langue courante » (voir « La courante »). Le GDT ne fait que montrer qu’il confond registre de discours (niveau de langue) et situation d’énonciation.


mardi 21 octobre 2014

La France ! Ton français fout le camp !



On connaît l'apostrophe de la Du Barry à Louis XV qu'elle appelait, dans l’intimité, « la France ! » Un jour où le café que se préparait le roi était en train de bouillir, elle lui aurait crié : « La France ! Ton café fout le camp ! »
– Robert Chaudenson, blog Nouvelles persaneries, 23 novembre 2010

Voici ce que je trouve dans les notes expliquant les avantages de la dernière mise à jour du logiciel Adobe Reader :

OPTIMISATION
Remplissage de formulaires
Dites adieu aux formulaires papier. Saisissez vos réponses directement dans le formulaire PDF ou cliquez dans les champs pour les renseigner.


Cet emploi du verbe renseigner est relativement récent. Je l’ai entendu pour la première fois il y a une dizaine d’années dans la bouche d’informaticiens français. J’avais alors demandé qu’on utilise plutôt le verbe remplir (« champs à remplir obligatoirement ») dans le formulaire que nous préparions.


Comme le fait remarquer Robert Chaudenson dans le billet de son blog que j’ai cité en exergue (et auquel j’ai emprunté le titre de mon propre billet), le verbe renseigner ne peut avoir qu’un complément animé. Par conséquent, seule une personne peut être renseignée. Du moins en français standard.


Car Daniel Blampain signale qu’en Belgique renseigner quelque chose signifie « indiquer, signaler » (Le français en Belgique : une communauté, une langue, 1997, p. 205). Cet usage était déjà relevé et critiqué par Louis Quiévreux : « Le Belge a pour habitude de RENSEIGNER quelque chose à quelqu'un. Il renseigne une rue à un passant, or, on renseigne quelqu'un sur quelque chose » (Flandricismes, wallonismes et expressions impropres, édition revue et mise à jour, Moorthamers Frères, Anvers-Bruxelles, 1928).


À ma connaissance, le nouveau sens donné au verbe renseigner (un champ, une case) dans le domaine de l’informatique n’a pas encore été enregistré dans les dictionnaires.


mercredi 15 octobre 2014

L’évolution d’un tabou linguistique


Dans le billet précédent, je faisais part de mon étonnement face à la décision des traducteurs de Edge of Eternity (Aux portes de l’éternité) de Kenn Follet de rendre en français Negro par Noir. Mais un passage du roman permet de comprendre les raisons de ce choix. Le voici, en version originale et en traduction :

The words had also changed. When George was young, black was a vulgar term, colored was more dainty, and Negro was the polite word, used by the liberal New York Times, always with a capital letter, like Jew. Now Negro was considered condescending and colored evasive, and everyone talked about black people, the black community, black pride, and even black power. Black is beautiful, they said. George was not sure how much difference the words made. (ch. 41, p. 701)

Le vocabulaire avait changé, aussi. Quand George était jeune, « Nègre » était un gros mot, « de couleur » était une expression plus choisie, et le libéral New York Times trouvait de bon ton d’employer le terme de « Noir » en l’affublant d’une majuscule, comme Juif. À présent, « Noir » lui-même était considéré comme presque injurieux et « de couleur » comme une formule évasive. On ne disait plus que « black » : la communauté black, la fierté black, et même le Black Power. Black is beautiful, affirmait-on. George n’était pas sûr que les mots changent quoi que ce soit dans le fond. (p. 781-782)


D’où les équivalences suivantes :

Black = Nègre
Colored = de couleur
Negro = Noir
Black = …black


Follett ne mentionne toutefois pas nigger qui, lui, est clairement péjoratif. Le Webster dit : « it now ranks as perhaps the most offensive and inflammatory racial slur in English ». En comparaison, le même dictionnaire dit de Negro qu’il est « sometimes offensive ». En tout état de cause, ce dernier mot n’était guère péjoratif jusque dans les années 1960 puisque Martin Luther King l’utilise dans son discours célèbre I Have a Dream :

But 100 years later, we must face the tragic fact that the Negro is still not free. One hundred years later, the life of the Negro is still sadly crippled by the manacles of segregation and the chains of discrimination. One hundred years later, the Negro lives on a lonely island of poverty in the midst of a vast ocean of material prosperity. One hundred years later, the Negro is still languishing in the corners of American society and finds himself an exile in his own land.


Dans ce champ sémantique on trouve aussi les mots Black African, Black American, Afro-American, African American.

Quand on considère l’ensemble du champ sémantique, on comprend pourquoi les traducteurs ont préféré traduire Negro par Noir. Même si, jusque dans les années 1960 (époque où commence le roman de Follett), le mot Nègre n’était pas plus péjoratif en français que Negro en anglais. À preuve, l’art nègre (maintenant appelé art africain traditionnel), Joséphine Baker et sa Revue nègre (1925), le concept de négritude d’Aimé Césaire repris par Léopold Senghor, l’Anthologie de la nouvelle poésie nègre et malgache de langue française de Jean-Paul Sartre (1948), etc.




mardi 14 octobre 2014

Political correctness à la française


Voici deux extraits du dernier livre de Ken Follett, Edge of Eternity, en français Aux portes de l’éternité. Ils illustrent les conséquences de l’orthodoxie linguistique actuelle : même si en anglais l’auteur a utilisé le mot Negro, conforme à l’usage de l’époque du roman, les traducteurs se sont refusés à utiliser le mot nègre.

*   *   *
Chapitre 11 :
“The Pentagon hates segregation,” he said.
George raised his eyebrows. “Really ? I thought the army was traditionally reluctant to trust Negroes with guns.”
Mawhinney lifted a placatory hand. “I know what you mean. But, one, that attitude was always overtaken by necessity: Negroes have fought in every conflict since the War of Independence. And two, it’s history. The Pentagon today needs men of color in the military. [...]” (p. 125)


« Le Pentagone est profondément hostile à la ségrégation », déclara-t-il.
George haussa les sourcils. « Ah bon? Je croyais que par tradition, l’armée hésitait à confier des fusils aux Noirs. »
Mawhinney leva une main conciliante. « Je comprends ce que vous voulez dire. Mais primo, la nécessité a toujours eu raison de ce principe : des Noirs se sont battus dans tous nos conflits, depuis la guerre d’Indépendance. Secundo, cette attitude relève du passé. Aujourd’hui, le Pentagone a besoin d’hommes de couleur dans l’armée. […] » (p. 155)

*   *   *

Chapitre 45:
“But you’re against the war, and you favor civil rights for Negroes, albeit not too soon; [...].” (p. 809)


Pourtant vous êtes contre la guerre, favorable aux droits civiques des Noirs, même si vous préférez que les choses ne bougent pas trop vite. (p. 900)


samedi 11 octobre 2014

La féminisation au Palais Bourbon


En juin dernier, l’Académie française a publié un rappel sur le féminin des noms de fonction : « […] il convient de distinguer le sexe d’une personne qui exerce une fonction du nom qui désigne cette fonction » (voir mon billet La maire ou la mairesse du 4 août). Un député de l’Assemblée nationale a eu l’idée saugrenue de suivre la directive de l’Académie, ce qui a donné lieu à l’incident suivant :


mardi 7 octobre 2014

Formation des maîtres, dites-vous ?


[…] la formation des maîtres mérite d’être revue en profondeur, car elle est trop axée sur la pédagogie et pas assez sur les savoirs disciplinaires. C’est particulièrement vrai dans le cas du français. L’université doit s’assurer que tous les enseignants maîtrisent parfaitement leur langue, assez du moins pour devenir des modèles en lecture et en écriture, et que l’ensemble des futurs profs puissent réfléchir tout au long de leur carrière à la dimension culturelle des programmes, à leur portée sociale et historique.
– Jean Danis et Michel Stringer, « Le contenu des programmes, un défi pour les syndicats », Le Devoir, 7 octobre 2014, p. A7.


Toutefois, en dépit d’un effort manifeste d’adapter leur langue parlée aux exigences de la situation de prise de parole, il faut reconnaître qu’une majorité de futurs enseignants ont une connaissance et une capacité à utiliser la langue standard trop limitées pour qu’ils puissent, en classe, assumer pleinement leur rôle de modèle linguistique par rapport à cette dimension de la maîtrise de la langue parlée.
– Luc Ostiguy, « La maîtrise de la norme du français parlé dans l’enseignement et les médias : constats et perspectives », Le Français au Québec, les nouveaux défis, Conseil supérieur de la langue française et Fides, 2005, p. 477.