Dans
le billet précédent, je faisais part de mon étonnement face à la décision des
traducteurs de Edge of Eternity (Aux portes de l’éternité) de Kenn Follet
de rendre en français Negro par Noir. Mais un passage du roman permet de
comprendre les raisons de ce choix. Le voici, en version originale et en
traduction :
The words had also changed. When
George was young, black was a vulgar
term, colored was more dainty, and Negro was the polite word, used by the
liberal New York Times, always with a
capital letter, like Jew. Now Negro was
considered condescending and colored
evasive, and everyone talked about black people, the black community, black
pride, and even black power. Black is beautiful, they said. George was not sure
how much difference the words made. (ch. 41, p. 701)
Le vocabulaire
avait changé, aussi. Quand George était jeune, « Nègre » était un
gros mot, « de couleur » était une expression plus choisie, et le
libéral New York Times trouvait de bon ton d’employer le terme de
« Noir » en l’affublant d’une majuscule, comme Juif. À présent,
« Noir » lui-même était considéré comme presque injurieux et
« de couleur » comme une formule évasive. On ne disait plus que
« black » : la communauté black, la fierté black, et même le Black Power. Black
is beautiful, affirmait-on. George n’était pas sûr que les mots changent
quoi que ce soit dans le fond. (p. 781-782)
D’où les équivalences
suivantes :
Black = Nègre
Colored = de couleur
Negro = Noir
Black
= …black
Follett
ne mentionne toutefois pas nigger
qui, lui, est clairement péjoratif. Le Webster dit : « it now ranks as perhaps the
most offensive and inflammatory racial slur in English ». En comparaison, le même dictionnaire dit de Negro qu’il est « sometimes offensive ». En tout état
de cause, ce dernier mot n’était guère péjoratif jusque dans les années 1960 puisque
Martin Luther King l’utilise dans son discours célèbre I Have a Dream :
But 100 years later, we
must face the tragic fact that the Negro is still not free. One hundred years
later, the life of the Negro is still sadly crippled by the manacles of
segregation and the chains of discrimination. One hundred years later, the
Negro lives on a lonely island of poverty in the midst of a vast ocean of
material prosperity. One hundred years later, the Negro is still languishing in
the corners of American society and finds himself an exile in his own land.
Dans ce champ sémantique on trouve aussi les mots Black African, Black American, Afro-American,
African American.
Quand on considère l’ensemble du champ sémantique,
on comprend pourquoi les traducteurs ont préféré traduire Negro par Noir. Même si,
jusque dans les années 1960 (époque où commence le roman de Follett), le mot Nègre n’était pas plus péjoratif en
français que Negro en anglais. À
preuve, l’art nègre (maintenant appelé art africain traditionnel), Joséphine
Baker et sa Revue nègre (1925), le
concept de négritude d’Aimé Césaire repris par Léopold Senghor, l’Anthologie de la nouvelle poésie nègre et malgache de
langue française de Jean-Paul Sartre (1948), etc.