lundi 22 septembre 2025

L’intégrabilité des emprunts/2


Dans mon billet du 28 mars 2023 sur l’intégrabilité des emprunts, j’annonçais une suite qui porterait sur les critères sémantiques d’intégration.

Rappelons d’abord ce qu’est un anglicisme sémantique. C’est un sens nouveau donné à un mot français sous l’influence de l’anglais. Comme le disait le premier (1980) Énoncé d’une politique relative à l’emprunt de formes linguistiques étrangères de l’Office (pas encore québécois) de la langue française : « L’emprunt sémantique peut se produire sous l’influence de formes apparentées (to realize, réaliser) ou d’une correspondance de sens entre les deux mots, mais dans un autre champ de signification » (copy, copie pour désigner un exemplaire de livre).

Il faut distinguer l’emprunt sémantique du calque. Ce dernier est la traduction littérale en français d’une expression d’une autre langue (low profile, profil bas). La notion de calque s’applique également à un mot simple, analysable en éléments, que l’on traduit littéralement (listing, listage). Pour qu’il y ait calque, il faut donc qu’il y ait au moins deux éléments (deux unités minimales porteuses de sens).

Ces distinctions ont été rendues plus obscures dans les deux versions subséquentes de politique des emprunts linguistiques de l’Office québécois de la langue française (OQLF).

Raisonnons à partir de quelques exemples.

Bris d’égalité est une traduction littérale de tie break. Pour le Grand Dictionnaire terminologique (GDT), « bris d'égalité est un calque morphologique acceptable du terme anglais tie-break, qui s'intègre bien au système morphosémantique du français. » Sur ce calque, je citerai le linguiste français Louis-Jean Calvet :

Début mai, étant à Québec pour un colloque, j'avais noté un usage proprement québécois dans le vocabulaire du tennis consistant à utiliser bris d'égalité à la place de l'anglais tie break pour désigner ce qu'on appelle en français hexagonal jeu décisif […]. Je me rends compte aujourd'hui que l'expression est généralisée : balle de bris pour balle de break, briser le service du rival, avoir une chance de bris, etc. Ce qui est frappant, ou du moins ce qui me frappe dans cette volonté québécoise de « désaméricaniser » le lexique, c'est que pour comprendre des formes que nous n'employons pas en France il suffit le plus souvent de se demander à quoi elles correspondent en anglais. Pour comprendre balle de bris il faut passer par balle de break. […] on a souvent l'impression que l'on suit au Québec une troisième voie consistant à traduire mot à mot de l'anglais. En d'autres termes, les Québécois ont tendance, lorsqu'ils suivent les instructions officielles, à parler anglais en français. C'est-à-dire que la néologie se ramènerait souvent pour eux à la traduction, ou plutôt à ce qu'on appelle en termes techniques le calque. Le visage de la langue en est bien sûr transformé. Mais, surtout, cette tendance me semble conforter au plus haut point la domination de l'anglais.

Il ajoute :

Franciser ainsi l'anglais en croyant lui résister constitue un phénomène étrange que j'aurais tendance à analyser non pas en termes linguistiques mais plutôt en termes psychanalytiques. J'écris ces quelques lignes en écoutant d'une oreille distraite une chaîne de télévision québécoise et j'entends sauver de l'argent, qui est bien sûr une traduction de to save money pour dire économiser. Il s'agit là d'une forme populaire, mais les responsables québécois de la politique linguistique me paraissent aller strictement dans le même sens. (Billet du 24 juillet 2008, en ligne sur le site de Louis-Jean Calvet.)

(Louis-Jean Calvet parle de phénomène étrange qu’il faudrait analyser en termes psychanalytiques plutôt que linguistiques. Suis-je le seul à avoir constaté que les deux grandes lois linguistiques québécoises, la loi 22 et la loi 101, sont dues à deux psychanalystes ?)

Deuxième exemple : l’évolution sémantique récente du mot communauté au détriment de collectivité. Il y a quelques décennies, le mot communauté utilisé sans autre précision désignait au Québec presque toujours une communauté religieuse. Au début, je trouvais fort curieux d’entendre parler de condamnation à des travaux dans la communauté ou d’entendre des autochtones s’inquiéter des répercussions de telle ou telle décision gouvernementale dans la communauté. Évidemment, il s’agissait d’un emprunt à l’anglais. Aujourd’hui, l’emploi de communauté au sens de collectivité semble être passé dans l’usage québécois. Au Québec, c’est sous l’influence de l’anglais qu’on donne à communauté un sens qui est plutôt celui de collectivité, c'est-à-dire ensemble organisé de la population coïncidant avec une subdivision du territoire, jouissant de la personnalité morale et ayant le pouvoir de s'administrer par un conseil élu.

Dernier exemple : bris d’eau, traduction littérale de water break (on entend aussi régulièrement à la radio bris d’aqueduc). Il s’agit tout simplement de la rupture d’une conduite d’eau. L’expression bris d’eau est une absurdité sémantique. Mais en vertu du principe saussurien de l’arbitraire du signe*, cette suite de sons absurde finira peut-être par être associée au concept de rupture de conduite. Comme le disait joliment le GDT dans la fiche « jouabilité » (aujourd’hui révisée), « parfois, les mots finissent par prendre le sens que l’usage leur donne ».

Ces exemples montrent à quel point il peut être vain de chercher des critères sémantiques pour filtrer les emprunts à une langue étrangère.

Ma conclusion générale au présent billet et au billet du 28 mars 2023, c’est qu’il n’y a pas de critères infaillibles et universels pour décider de l’acceptation ou de l’intégrabilité des emprunts linguistiques. Même les difficultés phonétiques peuvent être contournées. On trouvera toujours un moyen d'intégrer les mots étrangers si on y tient vraiment ou si l’on doit le faire : un présentateur de journal télévisé trouvera le moyen de prononcer Brno (ville tchèque) ou Wrocław (ville polonaise). Il faut donc se résoudre au cas par cas. C’est revenir à la sagesse du premier énoncé de politique linguistique de l’Office (1980) : les « critères [d’acceptation ou de rejet] ne doivent pas être considérés isolément, mais […] ils doivent être appliqués comme un ensemble pondéré pour chaque cas d’emprunt ou de calque » (p. 15).

Les optimistes irréductibles voudront faire valoir que l’Office québécois de la langue française peut toujours filtrer les anglicismes dans les domaines de spécialité. On peut toutefois douter de la volonté de l’organisme d’aller dans ce sens quand on considère sa pratique. À titre d’exemple, alors qu’on aurait pu croire à la fin des années 1990 que le calque tête-de-violon était en régression au profit de crosse de fougère qu’il tentait d’imposer jusque-là, l’Office, au lieu d’orienter l’usage dans la langue commerciale, se contente de constater depuis un quart de siècle : « dans l'étiquetage de produits commerciaux, l'usage n'est pas encore fixé ». Désormais, quand l’Office intervient, c’est le plus souvent pour censurer les anglicismes lexicaux (les mots anglais tels quels) et pour entériner l’usage de calques ou en proposer de nouveaux. La belle affaire ! Nous sommes toujours au même point qu’en 1879 quand Jules-Paul Tardivel décriait « l’habitude, que nous avons graduellement contractée, de parler anglais avec des mots français ».

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*Pour Ferdinand de Saussure, le signe linguistique est une double entité : le signifiant (le son, l’image acoustique) et le signifié (le concept). Le lien entre les deux parties est arbitraire.

 

lundi 8 septembre 2025

Les Linguistes atterré·e·s et la domination de l’anglais


En 2023 paraissait le tract Le français va très bien, merci du collectif des Linguistes atterré·e·s (Gallimard, coll. « Tracts »). J’ai déjà eu l’occasion de publier un billet sur une des pseudo-vérités qu’ils assènent dans ce pamphlet : « L’anglais ne connaît pas de genre grammatical » (cliquer ici pour lire ce billet).

Lionel Meney a publié l’année dernière La sociolinguistique entre science et idéologie. Une réponse aux Linguistes atterrées (Limoges, Lambert-Lucas). L’annonce de cette parution sur un fil de discussion a suscité une polémique lancée par une linguiste subcarpatique ou moldo-valaque (lire mon compte rendu de l’incident en cliquant ici).

Une critique d’un chapitre de ce livre (« Le français n'est pas ‘envahi’ par l'anglais ») a paru récemment dans un blogue de Médiapart. L’auteur, Vincent Doumayrou, est vraisemblablement un traducteur professionnel à en juger par les arguments qu’il utilise. Selon lui, « les LA [= Linguistes atterré·e·s] tombent en fait dans les mêmes travers que les personnes qu’ils prétendent pourfendre au nom de la science ». À noter qu’il a soumis ses critiques à quelques-uns des auteurs et dit qu’il n’en a reçu aucune réponse.

Vincent Doumayrou avertit que ses billets sont supprimés au bout d'une durée maximale de deux ans. Aussi je vais citer quelques extraits de son billet « Les linguistes atterrés se prosternent devant la domination de l'anglais » avant qu’il disparaisse dans les limbes d’Internet :

[…] le livre est un simple ouvrage d’opinion, mais d’opinions proférées avec l’assurance du sachant : pour cette raison, indépendamment même de ses thèses, sa lecture m’a procuré une impression de suffisance assez pénible.

J'ajoute aussi, à titre subsidiaire, m'étonner de l'énoncé suivant : « Les puristes [se plaignent] de ce qu'ils appellent [sic] les anglicismes » ; comme si cette notion n'avait de sens que dans la bouche des puristes. Pourtant, elle désigne un emprunt fait à l'anglais, comme le mot germanisme désigne un emprunt fait à l'allemand, hispanisme à l'espagnol, gallicisme au français : je ne comprends pas la réflexion des LA.

[…] au cours de leur histoire, les langues ont emprunté des mots et des tournures les unes aux autres. Mais au cours de l’histoire, les langues ont aussi une vocation de différentiation culturelle, elles ont formé le support de l’identité des peuples et de la construction des nations. 

[…] Et contrairement à ce que les LA laissent entendre par ailleurs, ce phénomène de construction de l’identité par la langue n’a rien de spécifique à notre pays. Ainsi, dans la Belgique unifiée du XIXème siècle, la Flandre a en bonne partie forgé son identité en réaction à l’influence du français.

De même, l’Angleterre a défendu sa langue par des lois contre le français – notamment le Statute of Pleading de 1362, qui fait de l’anglais la langue des actes de justice, sorte d’équivalent de l’Ordonnance de Villers-Cotterêts : quand ils fustigent la Loi Toubon, les partisans de l’anglais (dont les LA, qui glorifient le monde anglophone comme peu à cheval sur les règles de l’orthographe, ce qui est discutable mais sort du propos de ce billet) oublient qu’en son temps, l’Angleterre a aussi eu recours à des lois de protection linguistique.

[…] De plus et surtout, on peut très bien s’élever contre les anglicismes pour des raisons autres que nationalistes. Ainsi, les LA accuseraient-ils de « lecture nationaliste » des salariés qui lutteraient contre le jargon anglomane employé par l’encadrement, comme cela arrive parfois ?

[…] Il est d’ailleurs déroutant de voir ces derniers [= les LA] dénoncer la complication de l’orthographe française comme un outil de domination des sachants sur les non-sachants, et ne trouver aucune objection à l’anglomanie des élites, comme si cette dernière n'était pas élitiste aussi

[…] je trouve paradoxal que les LA présentent comme un risque tendanciel la disparition du français au profit de l’anglais, alors que leur thèse consiste précisément à affirmer que l’anglais ne menace pas le français... ils reformulent comme une hypothèse recevable la proposition qu’ils présentent quelques pages avant comme une idée reçue à combattre à tout crin…

[…]

Le chapitre s'abstient […] de toute dénonciation quant au fait que l'anglais évince progressivement les autres langues nationales, notamment dans l'enseignement supérieur et la recherche ou encore la vie des grandes entreprises. Dans les écoles de commerce, et petit à petit dans les écoles d'ingénieur, le cours en anglais est devenu la règle, et on peut difficilement éviter l’emploi du terme d’invasion… aucun mot, pourtant, pour dénoncer le risque de perte de domaine du français.

Pour lire le texte complet de Vincent Doumayrou, cliquer ici.

 

lundi 25 août 2025

La langue de par chez nous


Il y a de cela plusieurs années je me promenais rue Saint-Jean à Québec. Il y avait trois religieuses devant moi et j’entends l’une dire : « chez eux à elle sont venus en fin de semaine ». Peut-être avais-je déjà entendu l’expression mais je ne l’avais jamais remarquée.

Ne cherchez pas d’explication dans Usito, vous ne la trouverez pas. Non plus dans le Dictionnaire historique du français québécois. Il n’y a pas de quoi s’étonner, ce dernier est en cours de publication.

En revanche, Le Glossaire du parler français au Canada (1930) avait noté que « chez nous vont venir » signifiait « mes parents vont venir » :

 


On peut discuter de l’analyse faite par les rédacteurs du Glossaire : il est curieux de définir ce qu’ils considèrent comme une préposition par des syntagmes nominaux.

Je n’ai pas trouvé d’exemples de chez utilisé pour former un syntagme nominal sujet dans le fichier lexical du Trésor de la langue française au Québec.

Du point de vue étymologique, cet usage dérive du sens « dans la maison de » de la préposition chez. On trouve en français standard des exemples où « le groupe prép[ositionnel] peut être lui-même précédé d'une autre prép[osition] à valeur locale, le concept ‘dans’ étant alors neutralisé et chez signifiant ‘la maison où habite..., séjourne habituellement...’ » (Trésor de la langue française informatisé) :

Alors je songeai, puisque j'avais la clef de chez elle, à aller la voir comme de coutume. A. Dumas Fils, La Dame aux Camélias,1848, p. 146.

Les avenues avant chez la tante c'était plein de marrons. Je pouvais pas m'en ramasser, on n'avait pas une minute... Céline, Mort à crédit,1936, p. 51.

 

vendredi 22 août 2025

Une ancienne formule de politesse québécoise

 

Le 11 août, j’ai publié un billet où je citais les propos d’une chroniqueuse du Devoir sur le vouvoiement : « [i]l n’y a pas si longtemps, les enfants vouvoyaient leurs grands-parents, voire leurs parents. ».

Cela m’a rappelé une forme d’interpellation qui me semble aujourd’hui disparue : l’emploi du pronom possessif à la 3e personne du singulier pour s’adresser à ses parents. Les plus anciennes attestations de cette formule datent de 1916 dans le fichier lexical du Trésor de la langue française au Québec (TLFQ) : « Je sais, son père; je sais bien », « C'est-il vrai, sa mère, demanda-t-elle […] » (Maria Chapdelaine).

On trouve des dizaines d’exemples de cette forme d’adresse dans Trente arpents de Ringuet (p.ex., « [é]coutez, son père, ça fait betôt trois mois que vous êtes cheu nous »). On la trouve aussi chez Gabrielle Roy, Germaine Guèvremont, Jacques Ferron, etc. L’exemple le plus récent semble être de Janette Bertrand : « Arrive au XXIe siècle, sa mère ! » (Le bien des miens, 2007).

Dans les exemples du TLFQ, l’interpellation des parents au moyen du pronom de 3e personne du singulier s’accompagne (presque) toujours du vouvoiement. Mais la formule peut aussi s’utiliser entre conjoints et s’accompagner alors du tutoiement, comme dans cet exemple tiré de Bonheur d’occasion :

Elle [Rose-Anna] pencha la tête et hasarda timidement:
- Son père, as-tu pensé à la dépense?
- Oui, sa mère, c'est tout arrangé. Le truck me coûte rien.
- Lachance te le laisse?
La physionomie d'Azarius se rembrunit.

Cet usage n’a pas été enregistré dans le Trésor de la langue française (TLFi) de Nancy (TLFi), où on ne trouve s.v. son que :

A. − [Dans l'interpellation]

1. [Précédant les titres honorifiques de certains personnages importants, pour s'adresser à eux avec révérence ou parler d'eux à la 3epers. du sing.; s'écrit dans ce cas avec une majuscule] Sa (Gracieuse) Majesté la Reine de […]

2. [Précédé de monsieur, madame, et suivi de père, mère, tante..., pour s'adresser à une pers. à la 3epers. du sing. ou parler d'elle par déférence] Monsieur son père, Madame sa mère. […].

Cet usage a complétement échappé à l’attention des rédacteurs d’Usito (pourtant censé décrire le français standard en usage bla bla bla). À l’entrée son, adjectif possessif, Usito s’est contenté d’une variation sur la définition du TLFi :

(devant un titre honorifique) (avec une majusc.) Sert à désigner à la 3e personne un personnage de haut rang.

Aucune référence à l’usage québécois pourtant attesté des dizaines de fois dans le fichier lexical du TLFQ. Et qui avait été enregistré dans le Glossaire du parler français au Canada (1930):



dimanche 17 août 2025

Une ode qui fait désordre


La dernière « « bien-aimée rubrique Point de langue » du quotidien Le Devoir, « à mi-chemin entre l’essai et la vulgarisation scientifique », est une « ode à la variation linguistique » et mériterait plus que les quelques critiques que je vais ici formuler. Car je ne veux pas être victime de la loi dite de Brandolini, selon laquelle la quantité d'énergie nécessaire pour réfuter des sottises est supérieure d’un ordre de grandeur à celle nécessaire pour les produire, selon la définition de Wilipedia.

Première affirmation contestable : « la seule communauté francophone à avoir produit son propre dictionnaire général complet est le Québec, et encore, il a fallu attendre 2013, avec Usito (il y a eu d’autres ouvrages québécois au cours de la riche histoire lexicographique du Québec, mais il s’agissait plutôt d’ouvrages correctifs ou se concentrant sur les particularismes). »

Réfutation : Claude Poirier et Lionel Meney ont déjà montré que l’architecture des articles du dictionnaire Usito reprend souvent celle du Trésor de la langue française (TLF), dictionnaire en 16 volumes (plus supplément) produit à Nancy et depuis plusieurs années disponible gratuitement en ligne. Lionel Meney va même plus loin lorsqu’il affirme : « Usito, prétendument « dictionnaire général et complet » du français québécois, a en réalité repris massivement les termes, les sens et les définitions du dictionnaire du Centre national de la recherche scientifique de France le Trésor de la langue française en 16 volumes. » Pour plus de détails, cliquer ici.

Seconde affirmation : « lors de la Révolution française, la diversité des dialectes est perçue comme un frein à l’idéal d’unité et d’égalité […] La diabolisation des dialectes n’a eu d’autres conséquences qu’une perte de richesse linguistique et la honte dont on garde le souvenir jusqu’à aujourd’hui, comme en témoigne ce message qui aurait été affiché dans les classes de Bretagne : « Il est interdit de parler breton et de cracher par terre ».

Réfutation : à l’époque de la Révolution française, on ne parlait pas de dialectes mais de patois. Et, cerise sur le gâteau, la chroniqueuse considère que le breton est un dialecte. Pour tout linguiste un peu sérieux, le breton est une langue à part entière. Et dans la France contemporaine on le considère comme une langue régionale au même titre que le basque, l’alsacien et nombre de langues des territoires d’Outre-mer.

 

 

 

lundi 11 août 2025

Garde à vous!


Une fois de plus je ne peux m’empêcher de commenter la « bien-aimée rubrique Point de langue » du Devoir, « à mi-chemin entre l’essai et la vulgarisation scientifique. » Celle de samedi dernier n’était pas piquée des hannetons. Elle portait sur le vouvoiement à la suite de la décision du ministre de l’Éducation Bernard Drainville de rendre obligatoire le vouvoiement dans les écoles.

La bien-aimée chroniqueuse s’interroge sur la fréquence du tutoiement au Québec qu’on ne peut expliquer, précise-t-elle, par une influence de l’anglais. Elle propose une explication sociologique qu’elle emprunte à Sapir :

Dans un entretien que le linguiste et anthropologue américain Edward Sapir accorde à Philippe Barbaud dans le cadre de sa chronique de langue « Parler d’ici », en 1984, ce dernier faisait ce rapprochement avec l’anglais. Sapir répond que « c’est loin d’être évident » et propose l’explication suivante : « Je crois plutôt que votre société, pour des raisons historiques évidentes, est nettement plus égalitaire qu’ailleurs. Vos origines rurales ont nivelé les différences hiérarchiques engendrées par les classes sociales du Vieux Continent. Dès lors, que devient l’utilité du “vous” dans l’échange linguistique entre interlocuteurs qui se perçoivent comme égaux, culturellement parlant ? Le vouvoiement s’avère en fin de compte peu représentatif d’une société qui se perçoit plus égalitaire. »

Philippe Barbaud, aujourd’hui à la retraite, a été professeur de linguistique à l’UQAM. Dans un commentaire laissé sur le site web du Devoir, il répond du tac au tac : « J'aurais bien aimé avoir une conversation avec l'ethnolinguiste réputé Edward Sapir... Mais quand il est mort en 1939, je n'étais pas encore né ! »

Donc, selon la chroniqueuse, le vouvoiement est une manifestation d’une société plus égalitaire. Pourtant, elle rappelle « [i]l n’y a pas si longtemps, les enfants vouvoyaient leurs grands-parents, voire leurs parents. » À cela j’ajoute que j’ai eu tout un choc quand, lors ma première classe au cours classique, le titulaire m’a appelé Monsieur et il n’était évidemment pas question que les élèves le tutoyassent. À cette époque (et bien avant d’ailleurs), à l’école primaire, au secondaire, à l’Université, on vouvoyait les enseignants. C’était pourtant après la déclaration de Sapir (mort en 1939 !) sur notre société plus égalitaire qui favorise le recours au tutoiement.

Un autre commentateur a publié sur le site web la remarque suivante : « Quel salmigondis qui tourne en rond sans grande utilité, pour finir en queue de poisson ! Que n'écrirait-on pas pour mettre en doute une décision ministérielle pourtant bien raisonnable ? »

Vous pourrez lire les autres commentaires, au fond plus instructifs que la chronique elle-même, en cliquant ici.

 

lundi 21 juillet 2025

Gloubi-boulga

Je n’ai pu m’empêcher de laisser un commentaire samedi dernier sur le site Internet du Devoir à la suite de la dernière « bien-aimée rubrique Point de langue », « à mi-chemin entre l’essai et la vulgarisation scientifique. » Cette fois la chroniqueuse, sans doute en panne d’inspiration car elle avait abordé le sujet l’été dernier, s’en prend aux difficultés de l’orthographe française. Elle commence par les consonnes étymologiques parasites (comme le g dans doigt) et les consonnes doubles pour, passant du coq à l’âne, décrier les règes d’accord du participe passé. La remarque fort brève que j’ai envoyée à la rédaction du Devoir attirait l’attention sur le fait que la chroniqueuse mêlait deux thèmes : « Il est quand même curieux que notre spécialiste ne fasse pas la distinction élémentaire entre orthographe lexicale (les mots dans le dictionnaire) et orthographe grammaticale (les accords). »

La chroniqueuse a reçu l’appui d’un linguiste dont le commentaire était titré : « Voilà qui devrait confondre de nombreux septiques... » On n’aurait pu rêver meilleur exemple pour appuyer l’orthographe traditionnelle. Ma question « des vrais sceptiques ou des fausses sceptiques ? » n’a pas été publiée…

 


mardi 15 juillet 2025

L’art de tourner en rond sur un pont

 


Le 14 juillet, l’Office québécois de la langue française (OQLF) a mis en ligne, sur la page d’accueil de son site, le communiqué suivant: 

L’Office québécois de la langue française est fier de dévoiler les particularités du français d’ici qu’il a proposées à l’éditeur du Petit Larousse illustré 2026, et qui viennent enrichir l’ouvrage paru en juin : circulaire (document publicitaire), motard, motarde (motocycliste que l’on associe généralement au milieu criminel), procédurier (document qui présente des procédures) et pont (prothèse dentaire). Enfin, à l’initiative de l’équipe éditoriale du dictionnaire, le mot réduflation (réduction de la quantité d’un produit vendu au même prix) a été ajouté sous l’entrée shrinkflation.

Deux remarques.

Circulaire est non seulement considéré comme une impropriété par le Multidictionnaire et un anglicisme par Lionel Meney (cliquer ici) mais il est condamné dans une fiche du Grand Dictionnaire terminologique (GDT) du même OQLF : « Au Canada, sous l'influence de l'anglais, on emploie souvent le mot circulaire en ce sens [= document publicitaire]. En français, une circulaire est une lettre reproduite à plusieurs exemplaires et adressée à plusieurs personnes à la fois. »

Une fiche de 2022 est venue contredire la première : « Le terme circulaire est acceptable en français. Les réserves déjà émises sur l'usage de ce terme n'ont plus lieu d'être. Dans son sens premier, le nom circulaire désigne une lettre de nature administrative reproduite à plusieurs exemplaires et envoyée à un grand nombre de personnes à la fois. Par extension de sens [nullement influencée par l’anglais !], il désigne un document publicitaire destiné à un vaste public. Son emploi, qui est attesté sporadiquement au début du XXsiècle, est très fréquent depuis les années 1970-1980. Aujourd'hui, le terme circulaire est bien implanté en français au Québec et est utilisé en contexte neutre, à l'écrit comme à l'oral. »

L’usager, ou plutôt la personne usagère, n’a que l’embarras du choix.

Seconde remarque : pont pour désigner une prothèse dentaire. Non seulement le GDT ne donne même pas bridge comme synonyme, il le déconseille carrément : « Bridge, surtout en usage en Europe francophone, est déconseillé en français au Québec. En effet, bridge est uniquement implanté et légitimé dans le domaine des loisirs. » Contrairement à la banque terminologique Termium du gouvernement fédéral canadien, le GDT ne fait même pas mention du terme normalisé par l’Organisation internationale de normalisation (ISO) : prothèse partielle fixe.

 

lundi 14 juillet 2025

Martel en tête

 

Une jeune femme acadienne m’a confié être désemparée quant à la langue à transmettre à ses enfants. Elle se sentait tiraillée entre la volonté de leur léguer la langue de ses ancêtres, avec la fierté d’avoir su la conserver malgré l’adversité, et l’envie de plutôt leur parler dans un français plus normé, afin de leur éviter de se faire juger.

Le Devoir, 12 juillet 2025

 

Voilà ce qu’on a pu lire samedi dernier dans une « bien-aimée rubrique Point de langue », « à mi-chemin entre l’essai et la vulgarisation scientifique. »

C’est vite oublier que les langues changent sans arrêt, sinon elles disparaissent. On ne peut s’attendre à ce que ses enfants et petits-enfants continuent de parler comme leurs ancêtres. Le sociologue américain Joshua Fisman illustre ainsi l’évolution d’une langue : « Pensons au marteau qui appartient à la famille depuis quatre générations : est-il vieux ou neuf ? On en a remplacé la tête trois fois et le manche cinq fois, mais on en parle toujours comme du marteau de l'arrière-grand-père. » À ce sujet, voir mon billet « Le marteau de Fishman » et les exemples que j’y donne.

La chroniqueuse ne peut s’empêcher de faire référence à « la variété de français longtemps vue comme la plus prestigieuse, celle de Paris ». Dans le marché linguistique de l’est du Canada, puis-je lui faire remarquer que la variété de langue qui influence probablement le plus le français parlé en Acadie est celle des médias de Montréal ? Lors de mon dernier séjour à Moncton (j’admets que cela remonte à un certain temps), j’avais été frappé par le fait qu’on entendait peu l’accent acadien à la radio mais surtout l’accent québécois.

 


lundi 7 juillet 2025

Les endogénistes et le syndrome du fax


Cet été encore, Le Devoir nous sert sa « bien-aimée rubrique Point de langue », « à mi-chemin entre l’essai et la vulgarisation scientifique. » L’année dernière, j’avais exprimé des réserves sur ces chroniques (voir mes billets des 5 août 2024, 12 août 2024 et 19 août 2024).

La chronique du week-end dernier portait sur les mots job, fun et week-end. Je me contenterai de citer ce passage où l’autrice critique l’utilisation de l’expression c’est fun par des Québécois au lieu de c’est l’fun, d’usage courant depuis bien longtemps au Québec : « Pourquoi calquer notre usage d’une expression séculaire sur l’usage somme toute assez récent en France ? » (Le Devoir, 5 juillet 2025). On dirait que la chroniqueuse oublie que les locuteurs, même québécois, ne vivent pas en vase clos, ils ont facilement accès à des médias étrangers, ils voyagent et trimbalent des mots avec eux, des étrangers s’établissent chez eux et on parle même du Plateau Mont-Royal à Montréal comme étant le 21e arrondissement de Paris.

Les endogénistes (partisans d’une norme proprement québécoise) sont profondément ringards : voir mon billet « Le purisme pure-laine ou le Grand Bond en arrière ». Le purisme pure-laine cherche à maintenir en vie des mots ou des expressions qui tendent à disparaître en arguant du fait qu’ils étaient anciennement en usage au Québec. Ces puristes ont fréquemment recours à des citations de textes antérieurs au xxe siècle pour justifier leur conservatisme.

On trouve un parallèle de cette attitude dans le mode de communication des pharmaciens avec les médecins : pour le renouvellement des ordonnances ils continuent de recourir au fax, technologie dépassée depuis des lustres partout ailleurs qu’au Québec. J’utilise sciemment l’anglicisme fax car il n’y a plus lieu de se battre pour imposer un terme français pour désigner un appareil qui aurait dû disparaître depuis longtemps.

Certains commentateurs sont victimes du syndrome du fax, ils se refusent à la modernité.

 

 

vendredi 27 juin 2025

La langue française entre globbish et créole

 

Dans Le Devoir d’aujourd’hui (cliquer ici), Christian Rioux commente la déclaration de Jean-Luc Mélenchon « nous parlons tous le créole ». Je ne commenterai pas cette sornette. Je vous propose plutôt de regarder cette vidéo :

 



 


lundi 16 juin 2025

Un pluriel fort singulier


Dans son billet « Quelques âneries relevées dans le tract des Linguistes atterrées », Lionel Meney relève celle-ci : « L’anglais ne connaît pas de genre grammatical » (p. 17). Parmi les signataires du tract, je connais deux ou trois linguistes fort respectables. Je ne comprends pas comment cette sottise ait pu échapper à leur attention.

Il y a trois genres en anglais et cela est particulièrement clair dans le système pronominal : he, she, it. Dans cette langue, on doit même préciser si le possesseur est un homme ou une femme (his, her) ou s’il est inanimé (its).

Certains noms inanimés ont même un genre autre que le neutre : les voitures automobiles et les bateaux sont féminins. Pour faire le plein d’essence, on dit fill her up (à ne pas interpréter comme une injonction machiste !).



Il y a un usage anglais des pronoms qui est particulièrement déroutant pour un francophone et qui aurait dû signaler aux linguistes atterré·e·s qu’iels (!) étaient dans l’erreur (encore eût-il fallu qu’iels connussent l’anglais à un niveau dépassant l’Assimil) : c’est l’utilisation du pronom pluriel they pour se référer à un antécédent indéterminé ou désigner une (seule) personne, ce qui permet d’éviter d’en préciser le sexe. L’usage de they pour désigner un singulier est ancien (remontant au Moyen Âge) mais il a été longtemps critiqué. Avec la vague du politico-linguistiquement correct, il se généralise dans l’écriture dite inclusive ou épicène. J’en ai relevé de nombreux exemples dans le dernier roman d’Anthony Horowitz, Marble Hall Murders :

(1)               Someone’s thrown themselves under a tube and the whole Central line is shut down. (p. 165)

(2)               He dressed, moved and smiled like someone who took care of themselves and knew their efforts had paid off. (p. 242)

Dans l’exemple 2, il est difficile de comprendre pourquoi l’auteur n’a pas écrit plus spontanément care of himself et knew his efforts. Je me demande si cela n’est pas dû au zèle intempestif de quelque copy editor. Quiconque a déjà publié comprendra ce soupçon.

(3)               […] I saw someone creep out of her room […] and the next day she was dead. I can even tell you how they did it […]. (p. 362)

L’exemple 3 est encore plus curieux. Il n’y a qu’un seul suspect, de sexe indéterminé (someone), mais il devient pluriel dans la phrase suivante (they).

(4)               Every child expects their mother to love them. (p.379)

Cette dernière citation est un exemple chimiquement pur de l’utilisation d’un pronom pluriel pour neutraliser l’expression du genre.

 

lundi 2 juin 2025

Atocas, canneberges et cranberries


Lionel Meney a mis en ligne récemment un billet sur le double langage d’Ocean Spray qui appelle canneberges au Québec ce qu’il met en vente sous le nom de cranberries en France (cliquer ici).

Malheureusement il ne sait pas pourquoi ce fruit est vendu sous le nom de canneberge au Québec. Je tiens le renseignement de Thérèse Villa qui fut à une époque (tournant des années 1970) responsable de la terminologie des produits alimentaires à l’Office de la langue française.

Un article du règlement 683 du ministère de l’Agriculture d’avril 1967 avait rendu obligatoire la présence du français sur les emballages des produits alimentaires (article inspiré d’une disposition française beaucoup plus ancienne). L’Office a laissé l’industrie choisir entre deux termes, atoca et canneberge. À l’époque, l’industrie, c’était uniquement Ocean Spray et elle a choisi canneberge. C’est ce qui explique la disparition progressive du mot atoca, cause que le Dictionnaire historique du français québécois ignore (consulté le 2 juin 2025).

 

Peindre maladroitement

 


Dans l’édition en ligne du Devoir du 30 mai je vois l’expression « peinturer dans le coin ». L’emploi du calque (se) peinturer dans le coin (paint oneself into a corner) dans un journal que certains considèrent comme un média de référence pourrait laisser croire qu’il fait partie du « français standard en usage au Québec ». Pourtant le dictionnaire qui est censé décrire cette variété de français l’omet complétement (Usito consulté le 2 juin 2025). On la trouve pourtant dans le Wiktionnaire qui, lui, n’a pas coûté un sou aux contribuables québécois.

Le verbe peinturer est absent des monographies du Dictionnaire historique du français québécois.

Je n’ai rien trouvé sur se peindre dans le coin dans la Banque de dépannage linguistique (BDL) ni dans le Grand Dictionnaire terminologique (GDT) de l’Office québécois de la langue française (OQLF).

Suis-je le seul à m’étonner de ce genre de lacune ?

 

 


mercredi 14 mai 2025

Ne pas savoir calculer

   

« C’était un travail en soi, de choisir les pièces à exposer », souligne Mme Limoges. Piger dans un passé aussi riche et aussi bien conservé relevait de l’exploit : les Ursulines, au fil de leur présence en terre d’Amérique, ont amassé quelque 50 000 objets et œuvres d’art, en plus de constituer une bibliothèque comptant 60 000 ouvrages. À ces quantités déjà prodigieuses s’ajoutent aussi 235 mètres linéaires d’archives qui, mises bout à bout, s’étaleraient sur un demi-kilomètre.

—« Les Ursulines, premières ‘allumeuses d’étoiles’ de l’Amérique francophone », Le Devoir, 14 mai 2025

 

235 mètres linéaires équivalent à un demi-kilomètre.

Ces mètres linéaires, on ne les a pas vraiment calculés comme on dit aujourd’hui en français populaire. Comme le fait remarquer l’Académie française (3 mars 2022), « [l]’emploi familier du verbe calculer en français, au sens de ‘remarquer quelqu’un, lui prêter attention’, vient vraisemblablement d’une traduction littérale de certaines phrases arabes. »

lundi 12 mai 2025

Mise en boîte


Lionel Meney a mis en ligne il y a deux semaines un billet de blogue sur l’expression « boîte de vote », traduction littérale de ballet box (cliquer ici).

J’ai voulu voir ce qu’en disaient les dictionnaires payés à même nos impôts.

Le Grand Dictionnaire terminologique (GDT) de l’Office québécois de la langue française (OQLF) n’a pas enregistré boîte de vote. Il a une fiche « urne » (de 2022) où le synonyme boîte de scrutin fait partie de la liste des « termes privilégiés ». Avec la note : « Parfois considéré à tort comme un calque de l'anglais ballot box, le terme boîte de scrutin est attesté en français depuis le XVIIIe siècle. » Qui a dit que boîte de scrutin était un anglicisme ? On aimerait le savoir. Le GDT confond-il boîte de vote et boîte de scrutin ? On peut par ailleurs se demander quelle était la fréquence des élections avant la révolution de 1789. Je veux bien concéder qu’il y avait des élections dans les ordres religieux. Mais l’affirmation du GDT me paraît curieuse, d’autant plus qu’on ne sait pas sur quelle source elle s’appuie.

La note du GDT continue : « C'est vers 1845 que le terme urne, en référence à un des sens latins de urna, fait son apparition […] ». On notera la maladresse de l’expression. Il aurait fallu écrire : un des sens du latin urna.

Le deuxième dictionnaire payé à même nos impôts, le Trésor de la langue française au Québec (TLFQ), n’a enregistré ni boîte de vote ni boîte de scrutin. Il ne peut non plus servir à avaliser la datation du GDT. En consultant son fichier de données, on découvre que la plus vieille attestation de boîte de scrutin date de 1884 dans la Gazette de Joliette : « M. Ernest Myrand, un jeune littérateur de Québec est à Ottawa où il soumet au département des patentes, une nouvelle boîte de scrutin dont il est l'inventeur ». On en trouve une seconde en 1897 mais c’est dans une correspondance privée. Et c’est tout pour le xixe siècle.

Pour Usito, le troisième dictionnaire payé à même nos impôts, « [l]'emploi de boîte de scrutin est parfois critiqué comme synonyme non standard de urne ».

On peut se demander si la condamnation de boîte de scrutin est légitime. On lit en effet dans Littré, s.v. scrutin : « Manière de recueillir, dans une urne, dans une boîte, les suffrages par des billets pliés […] ».

 


mardi 25 mars 2025

La gestion des crosses de fougère

 

Chacun doit gérer sa propre fougère et trouver ses propres solutions, parce que ce n’est pas réaliste de penser qu’on peut transférer les déficits systématiquement au gouvernement.

Geneviève Guilbault, ministre des transports et de la Mobilité durable, citée par Radio-Canada, 25 avril 2024

 

Ce sera bientôt la saison des crosses de fougère. Le Grand Dictionnaire terminologique (GDT) de l’Office québécois de la langue française (OQLF) continue d’affirmer que « dans l'étiquetage de produits commerciaux, l'usage n'est pas encore fixé entre crosse de fougère et tête-de-violon. » S’il y a bien un domaine où on peut prescrire un usage, c’est celui de l’étiquetage des produits alimentaires tant pour des raisons de santé publique que de loyauté des ventes et de protection du consommateur.

Lire mes commentaires sur l’argumentaire de l’OQLF en cliquant ici.

 

lundi 24 mars 2025

Cinquantième anniversaire


C’est aujourd’hui le cinquantième anniversaire du déclenchement de la grève (illégale) des occasionnels[1] de la Régie de la langue française[2].

L’arrêt spontané de travail avait été provoqué par le renvoi de cinq représentants élus par les employés occasionnels du bureau de Québec. Le conflit me semble avoir été couvert principalement par le Journal de Québec dont les archives, apparemment, ne sont pas dans le site BAnQ. Je n'ai guère trouvé que cet article du Devoir du 27 mars 1975 :

Le problème est particulièrement aigu à la Régie de la langue française, qui a succédé au défunt Office de la langue française, où pas moins de 70% des employés sont des occasionnels même s’ils œuvrent au même emploi[3] depuis deux, trois, quatre et même cinq ans.

Une association vient d’être formée par les occasionnels de la Régie et la direction a rétorqué en signifiant le non-renouvellement de contrat des cinq leaders de cette association. [Partiellement FAUX : il y avait un sixième représentant travaillant sous Jean-Claude Corbeil et qui, lui, n’a pas été mis à la porte.]

Rappelons que lors de la création de la Régie les employés permanents avaient été désyndiqués au prétexte que la Régie relevait du Conseil exécutif. Ce qui explique que, pour eux, la solidarité était difficile. L'essayiste Gilles Leclerc et une bibliothécaire ont été les deux seuls employés permanents à refuser de franchir sous escorte policière la ligne de piquetage.

Un ancien collègue, Donald Belley, m'a envoyé copie d'un article du Journal de Québec de début avril 1975 qui montre que le climat a parfois été tendu sur la ligne de piquetage :

 

Cliquer sur l'image pour l'agrandir

Pendant toute la durée de la grève il y a eu dans la rue près des bureaux de la Régie une voiture tellement sale qu’on n’avait pas besoin de voir les deux personnes dans l’habitacle pour savoir qu’il s’agissait d’une voiture banalisée. Il est vrai que le lieu de réunion des grévistes était le local du Parti communiste. Je me rappelle qu’on y voyait sur une étagère les œuvres complètes de Lénine.

Le directeur de l’époque, Jean-Claude Corbeil, a négocié la sortie de crise avec le ministre Oswald Parent (connu pour être intransigeant) et, seul, sans aucun accompagnateur, il est venu la présenter aux grévistes assemblés au Pavillon technique du cégep de Limoilou, boulevard Langelier. Je n’ai pas connu de patron plus courageux.

Après cette grève, le climat de travail a été pourri pendant des années au bureau de Québec. En 1980 j’ai été heureux de pouvoir m’en aller au Conseil de la langue française.



[1] Employés occasionnels = employés en c.d.d.

[2] La Loi sur la langue officielle (loi 22) avait ainsi nommé l’Office de la langue française. La Charte de la langue française a repris l’ancienne appellation.

[3] « Ils œuvrent au même emploi » : quel style !

vendredi 7 mars 2025

Dans le panneau

 

Le mot « STOP » sur un panneau d’arrêt, au Canada comme au Québec, est de l’anglais et contrevient à la Loi sur les langues officielles lorsqu’il est affiché sur les lieux des organismes fédéraux, comme les aéroports et les parcs nationaux. C’est ce que reconnaît un récent rapport du Commissariat aux langues officielles, qui s’oppose ainsi à la position de l’Office québécois de la langue française (OQLF).

Selon la Loi sur les langues officielles, « tous les panneaux et enseignes signalant les bureaux d’une institution fédérale doivent être dans les deux langues officielles, en conformité avec le principe d’égalité réelle », explique le Commissariat aux langues officielles dans une réponse écrite.

Le Devoir, 7 mars 2025

 

Je croyais que la polémique sur l’utilisation du mot « stop » sur un panneau de signalisation était terminée. Car, comme le rappelle Le Devoir, « le mot ‘ stop ‘ est accepté par les dictionnaires et par l’OQLF ».

L’ancienne Régie de la langue française avait adopté en avril 1976 une résolution normalisant le mot «stop» pour signifier «arrêt» (Le Devoir, 18 juillet 1978). La question s’est à nouveau posée lorsque, à la suite de l’adoption de la Charte de la langue française, un nouvel Office de la langue française (OLF) a remplacé l’éphémère Régie. Le docteur Jacques Boulay, qui en 1978 était membre du « collège » de l’OLF, avait déclaré que « le mot "stop” représente pour les Québécois, et ce depuis nombre d’années, le symbole de l’unilinguisme anglophone » (Le Devoir, 18 juillet 1978). Il introduisait ainsi dans le débat une dimension sociopolitique.

J’ai voulu vérifier la position du Grand Dictionnaire terminologique (GDT) de l’Office québécois de la langue française (OQLF). Résultat de ma consultation : 1067 fiches ! Je me suis contenté de la fiche « panneau ARRÊT » qui est apparue dans la première page des résultats. On y trouve la note : « Depuis 1992 au Québec, l'arrêt obligatoire peut être signalé soit par la mention ARRÊT, soit par la mention STOP, mais il n'est plus permis d'afficher les deux inscriptions (ARRÊT STOP) sur un même panneau. » On ne nous dit pas si l’un ou l’autre de ces mots est conforme à la norme sociolinguistique du français en usage au Québec, formule dont le GDT a l’habitude. Pourtant le choix entre ces deux mots a fait polémique pendant des années. Si l’on faisait un sondage il est bien possible que plusieurs Québécois répondraient que le terme correct est ARRÊT mais qu’ils ont l’habitude de dire STOP. En fait, si je me fie à mon expérience, les Québécois disent plutôt « un ARRÊT STOP ». Le GDT n’a pas à entériner cet usage populaire mais il est quand même étonnant qu’il ne le mentionne pas. Il en va de même du dictionnaire en ligne Usito qui prétend pourtant décrire l’usage du français au Québec. Le Trésor de la langue française au Québec n’en offre que peu d’attestations, comme cette citation d’Yves Beauchemin : « Rue Sherbrooke Ouest, le vieux monsieur Scothfort, son panama rejeté en arrière, contemple, navré, un panneau de circulation. L'ARRÊT / STOP installé depuis toujours au coin de la rue vient de se métamorphoser lui aussi en simple ARRÊT ».

 

mardi 25 février 2025

Rouler à banneau ouvert

 

 

La côte de la Montagne à Québec en face de l'archevêché vers 1909-1910

(cliquer sur l'image pour l'agrandir) 


À l’époque, la neige est transportée à bord de « banneaux », c’est-à-dire des charrettes tirées par un cheval. 

[…]

Selon l’historien Jean-François Caron, la Ville de Québec aurait entrepris de peindre ses « banneaux à neige » en bleu, à partir de 1919. À la blague, on raconte que cela aurait donné naissance à l’expression « être bleu de rage »...

Le Soleil, 24 février 2025

 

Cette citation du Soleil me fournit l’occasion de voir comment nos dictionnaires « nationaux » traitent un québécisme devenu archaïsme.

Le mot banneau est présent et défini dans le Grand Dictionnaire terminologique (GDT) de l’Office québécois de la langue française (OQLF) : « Grande carriole basse ». On dit que c’est un « canadianisme folklorique ou populaire ». La fiche date de 1985. C’est pourquoi on n’a pas remplacé canadianisme par québécisme et qu’on ne dit pas si le mot est acceptable « dans la norme sociolinguistique du français standard en usage au Québec ». Ce dernier renseignement fait cruellement défaut.

Banneau est abondamment attesté dans le fichier lexical du Trésor de la langue française au Québec mais il ne figure pas dans le Dictionnaire historique du français québécois.

Le dictionnaire en ligne Usito est plus complet que le GDT : « [Q/C] 1) Grande carriole basse. Se promener en banneau. » ; 2) Voiture de charge hippomobile ou tirée par des bœufs, sur roues ou sur patins; son contenu. Transporter des légumes dans un banneau. Un banneau de terre, de pierres. ‘ le cheval s’en était allé plus loin avec son banneau et [...] mangeait à pleine gueule du beau blé d’inde’ (D. Potvin, 1925). » Pour le second sens, Usito reprend le Trésor de la langue française de Nancy (TLFi) mais en supprimant la définition « tombereau » et en omettant que le mot est aussi un régionalisme en France :

Région. (Normandie, Canada). Tombereau :

1. ... ils entreprirent d'épierrer la butte. Un banneau emportait les cailloux. Tout le long de l'année, du matin jusqu'au soir, par la pluie, par le soleil, on voyait l'éternel banneau avec le même homme et le même cheval, gravir, descendre et remonter la petite colline. Flaubert, Bouvard et Pécuchet, t. 1, 1880, p. 30.

− Le contenu de ce tombereau :

2. − Des ossements... des crânes? − Mais oui, Monsieur; si vous croyez qu'on prenait le temps des fosses! Après les luttes, ici, hop! que je te cule et te bascule, au trou! en vrague; tant que ça pouvait! Un banneau de terre par-dessus, et on va à l'autre bout du champ... J. de La Varende, Les Manants du roi,1938, p. 145.

 

À l’entrée tombereau, Usito ne fait pas de renvoi à banneau. Ce qui est un peu étonnant dans un dictionnaire censé faire la valorisation du français québécois. Il peut être intéressant de prendre la définition de tombereau du TLFi…

« Voiture de charge hippomobile ou tirée par des bœufs, composée d'une caisse montée sur des roues et qui peut être déchargée en basculant en arrière »

… et de la comparer avec celle d’Usito :

« Voiture de charge hippomobile ou tirée par des bœufs, composée d'une caisse montée sur des roues et qui peut être déchargée en basculant en arrière. »

Les mots de la définition supprimés par Usito ne sont pas anodins, ils situent chronologiquement le véhicule.