Je n’ai pas trouvé meilleur titre pour introduire mon billet sur l’univocité du terme scientifique et technique. Pour celui que l’on considère comme le fondateur de la terminologie (au sens de discipline : Terminologielehre), l’ingénieur autrichien Eugen Wüster, le terme est monoréférentiel. Voici la définition tirée du Vocabulaire systématique de la terminologie (OLF, 1985) :
Dans un domaine donné, un terme ne désigne qu’une notion. En principe. Car cet idéal est rarement atteint, même dans les taxonomies (classifications scientifiques). Prenons l’exemple de la chimie. À côté du terme bicarbonate de sodium coexistent le terme plus ancien bicarbonate de soude et les appellations carbonate monosodique, carbonate acide de sodium (ancienne appellation en pharmacie), sans compter hydrogénocarbonate de sodium qui est le terme de l’Union internationale de la chimie pure et appliquée. Tous ces termes sont monoréférentiels, c’est-à-dire qu’ils ne réfèrent qu’à un seul objet, NaHCO3. Pour éviter la confusion entre le bicarbonate de soude et la soude caustique, on préconise d’utiliser l’appellation moderne bicarbonate de sodium. Malgré tout, le Grand Dictionnaire terminologique (GDT) de l’Office québécois de la langue française (OQLF) met bicarbonate de soude au rang des termes privilégiés (fiche de 2016). Comme si ce n’était pas assez, il introduit d’autres appellations relevant de la langue courante, dont une désuète :
Le rédacteur de la fiche oublie que la mission du GDT est de fournir la terminologie française officielle (standardisée) pour l’État, l’industrie, le commerce, les échanges internationaux, etc., pas de décrire les divers usages passés ou locaux du français au Québec (pour cela il y a le Dictionnaire historique du français au Québec et Usito). C’est ce mandat qu’ont rappelé d’anciens terminologues de l’Office dans leur manifeste Au-delà des mots, les termes :
Il faut en effet prendre conscience que la démarche terminologique est différente de la démarche lexicographique. Alors que la seconde est essentiellement descriptive, vouée à l’enregistrement objectif des usages sans les juger, la première a pour objectif de déterminer quelle est la meilleure dénomination pour un objet ou un concept. C’est ainsi que se définit le dictionnaire terminologique. L’Office ne peut se limiter à observer et à enregistrer l'usage, ou les usages en concurrence, comme l’exigerait la démarche lexicographique, car il a le mandat de déterminer quel usage il faut préconiser.
Je citerai encore Jean-Claude Corbeil, ancien directeur de l’Office de la langue française, ancien sous-ministre responsable de l’application de la langue française, co-auteur du Visuel, et Marie-Éva de Villers, ancienne responsable de la terminologie de la gestion à l’Office et autrice du Multidictionnaire :
La mission de [l’Office] est d’assurer la définition et la diffusion par le GDT des terminologies françaises des différents domaines d’emploi. À cet égard, son rôle ne s’exerce pas dans tous les registres de langue : il se limite aux registres de la langue technique courante ou soutenue. Il n’entre pas dans les attributions de l’OQLF de décrire et de légitimer les emplois de registre familier.
Quand on refuse de voir quelle est la mission d’un dictionnaire terminologique, comment elle a été détournée, il est facile de traiter, à visière baissée et du haut de sa tour d’ivoire universitaire, les signataires du manifeste de puristes et de ringards et d’assaisonner le tout d’âgisme.