jeudi 26 février 2015

Quel terme pour un personnage haut en couleur ?




Mado Lamotte est de passage au Capitole* de Québec. Je viens d’entendre une journaliste d’« Ici Radio-Canada Première » la (le) qualifier de personnificateur féminin (en clair : woman impersonator).


J’ai été étonné de trouver ce commentaire politique engagé sur le site de la diva :

Au secours, appelez le 911, J.E. et Denis Lévesque, le Québec est sens dessus dessous, Philippe-le gros nounours-Couillard et ses libéraux corrompus sont de retour au pouvoir après une trop courte pause de 18 mois. Mais qu’est-ce qu’on va faire ? C’est ben épouvantable ! On déménage en Europe ou on s’annexe à l’Islande ?


Le Grand Dictionnaire terminologique (GDT) de l’Office québécois de la langue française (OQLF) n’a pas de fiche « personnificateur féminin » ou « woman impersonator ».


En revanche, il a une fiche drag queen, traduction travelo (note : « familier »). Et il a deux fiches « travesti » : cross-dresser et transvestite (mais sans mention du mot familier travelo). Aucune de ces fiches n’est l’œuvre d’un terminologue de l’OQLF.


Tout cela pourrait être ramené dans une seule fiche, en y ajoutant le terme anglais woman impersonator dont le seul équivalent français standard est pour l’instant travesti (dont l’équivalent dans le registre familier est travelo).


J’avais déjà noté que, dans le Franqus (devenu depuis Usito), on ne trouvait pas « personnificateur féminin », pourtant bien attesté en français québécois (voir mon billet « Les lacunes du Franqus dans la description du français standard en usage au Québec »).


Je rappellerai que, pour Littré, le personnificateur est « celui qui personnifie. Plutarque, en personnificateur de l'histoire, peint plus qu'il ne raconte, [Lamartine, dans le Dict. de POITEVIN.] »
________ 
* Écrit Capitole plutôt que Capitol (à l’anglaise) grâce à une campagne de l’Asulf : merci, juge Auclair !


mercredi 25 février 2015

Lois de Murphy et terminologie


Je viens de tomber sur une des célèbres lois de (ou attribuées à) Murphy : A man with one watch knows what time it is. A man with two watches is never sure.
Je me suis tout de suite aperçu que cette loi s’appliquait parfaitement aux fiches du Grand Dictionnaire terminologique (GDT) de l’Office québécois de la langue française (OQLF) en général et, en particulier, à celles dont j’ai traité hier : Un utilisateur qui tombe sur une seule fiche sait de quoi il retourne. Un utilisateur qui tombe sur plus d’une fiche ne peut jamais être sûr de rien.


mardi 24 février 2015

La dent dure


Aurais-je une dent contre le Grand Dictionnaire terminologique (GDT) de l’Office québécois de la langue française (OQLF) ? À vous d’en juger après cette présentation de quelques fiches du domaine de la dentisterie.


Quand on tape le mot « plombage » dans le GDT, on obtient 21 résultats. Mais aucun dans le domaine dentaire. On a plus de chance avec Wikipédia qui affiche alors « amalgame dentaire » et précise : « Bien qu'encore appelé ‘ plombage ’, l'amalgame dentaire ne contient pas de plomb. » Quant à « amalgame » employé dans le domaine de la médecine dentaire, le GDT n’a qu’une fiche vieillie, « obturation à l’amalgame », de la Fédération dentaire internationale (1966).


Le GDT a bien quelques fiches « obturation » dans le domaine de la médecine dentaire (en fait, six fiches : deux de l’AFNOR, deux fiches anonymes de 1990, une de L. Roucoules et une autre de la Fédération dentaire internationale). Mais rien qui permette de savoir s’il est acceptable ou non d’utiliser le mot « plombage » puisqu’il n’apparaît pas dans ces fiches.


Qu’en est-il du « fil dentaire » ? Pour l’anglais « dental floss », le GDT a deux fiches, vieillies. L’une, de Radio-Canada (1985), donne trois équivalents français : « soie dentaire », « fil dentaire », « fil de soie dentaire », avec en entrée principale le premier. L’autre fiche, de la Fédération dentaire internationale (1966 !), n’offre qu’un seul équivalent français : « soie floche pour usage dentaire ». Quant au Larousse en ligne et à Wikipédia, plus à jour, ils n’ont que « fil dentaire ».


Doit-on dire « pont » ou « bridge » ? Apparemment le GDT préfère « bridge », mais cela devient moins clair quand on regarde le détail des fiches. Car le GDT livre six résultats dans le domaine de la médecine (mais aucune fiche produite par l’Office lui-même) :




On constate que dans cinq cas, c’est le terme international, ou standard, qui est donné en entrée. Mais il n’y a aucune indication sur le statut d’emprunt sémantique de « pont » en français québécois. La fiche de Roucoules n’a que « bridge », les deux fiches de la fédération dentaire ont trois équivalents (« bridge », « pont », « prothèse intercalée »), la fiche de Schering Canada en a deux (« pont fixe », « bridge »).


Décidément, quand on regarde les fiches du GDT d’un peu près, il y a de quoi avoir les dents agacées.


mardi 17 février 2015

Le vote prépondérant à Outremont et dans le GDT


[…] à la suite du départ de la conseillère Lucie Cardyn, il ne reste plus que trois conseillères et la mairesse, Marie Cinq-Mars. Mindy Pollak, de Projet Montréal, vote systématiquement en bloc avec la mairesse. Comme on se retrouve avec deux votes contre deux, Marie Cinq-Mars en profite pour utiliser systématiquement son droit au vote prépondérant, ce qui bloque l’opposition des deux autres conseillères et donne à la troisième un poids démesuré par rapport à elles. Or la mairesse a utilisé par dix fois son vote prépondérant en deux séances.
— Micheline Bail, « Outremont : quand deux votes en valent trois », opinion publiée dans Le Devoir du 16 février 2015


Depuis plusieurs jours, il est beaucoup question dans les médias du « vote prépondérant » de la mairesse d’Outremont. La banque de données terminologiques Termium d’Ottawa préfère le terme « voix prépondérante » et note que « vote prépondérant » est un anglicisme. Le Lexique des élections / Elections Glossary publié en 1988 par le Bureau des traductions d’Ottawa précise à la page 10 : « L’Office de la langue française recommande ‘voix prépondérante’ plutôt que ‘vote prépondérant’ ».

Que dit l’Office de nos jours ? On ne trouve rien sur « vote prépondérant » et « voix prépondérante » dans la Banque de dépannage linguistique. Quant au Grand Dictionnaire terminologique, il illustre une fois encore qu’il devient de plus en plus un fourre-tout :



La première fiche, sans indication d’auteur (il s’agit peut-être d’une fiche de l’Office, mais pourquoi ne pas l’indiquer ?), a une note qui explique qu’employer « vote prépondérant », « c’est commettre un anglicisme ».

La deuxième fiche accepte, sur un pied d’égalité, « vote prépondérant » et « voix prépondérante ».

Quant à la troisième, elle n’a que « vote prépondérant » comme équivalent de « casting vote ».


lundi 16 février 2015

Le Fatbike, encore


La semaine dernière, j’ai entendu une animatrice de Radio-Canada Première à Québec parler de « vélo sur neige » et sa collègue lui rétorquer que, pour sa part, elle préférait « vélo des neiges ». J’ai déjà traité des équivalents français possibles à l’anglais « fatbike » (voir les billets « Gros bicycle » et « La lourdeur du vélo, la légèreté de la fiche »).


Ce que j’ai oublié de dire, dans mes deux billets, c’est qu’il est pour le moins curieux de mettre en entrée principale dans un dictionnaire terminologique « vélo à pneus surdimensionnés » quand les dictionnaires dits de langue, comme le Larousse en ligne, précisent que vélo est un mot familier. D’autant plus curieux que les terminologues endogénistes du Grand Dictionnaire terminologique de l’Office québécois de la langue française n’arrêtent pas de nous bassiner avec la marque « langue courante » dont j’ai traité à maintes reprises dans ce blog. Pour une fois qu'ils auraient pu utiliser cette marque à bon escient, ils ne le font pas.


jeudi 12 février 2015

Quatrième anniversaire



C’est aujourd’hui le quatrième anniversaire de la publication, dans Le Devoir, du manifeste des anciens terminologues de l’Office québécois de la langue française, Au-delà des mots, les termes. Le manifeste dénonçait le changement d’orientation dans les travaux terminologiques de l’Office québécois de la langue française. Le manifeste a été signé par dix-neuf anciens terminologues de l'OQLF. Il a reçu l’appui d’une centaine de professionnels de la langue, linguistes, terminologues, traducteurs, correcteurs ou réviseurs.


Marie-Éva de Villers, auteure du Multidictionnaire de la langue française, a écrit la lettre d’appui suivante :


Dans un texte publié le 12 février 2011 par Le Devoir, le linguiste Jacques Maurais et plusieurs ex-collègues terminologues de l’Office québécois de la langue française (OQLF) déplorent un changement d’orientation noté dans certaines fiches du Grand Dictionnaire terminologique (GDT).

À titre de terminologue responsable des termes du domaine de la gestion de 1972 à 1980 à l’Office de la langue française, d’auteure du Multidictionnaire de la langue française et de directrice de la qualité de la communication à HEC Montréal depuis 1990, je souscris entièrement à la prise de position exprimée par les signataires de ce texte.

Il est peut-être nécessaire de rappeler que le Grand Dictionnaire terminologique n’est pas un dictionnaire usuel, mais plutôt une banque de données de trois millions de termes appartenant à des domaines de spécialité dont l’objet est de déterminer l’usage à privilégier, et non pas d’observer ou d’enregistrer les différents usages. « Il importe que l’école, les milieux de travail et l’ensemble de la société québécoise disposent de la terminologie française dont ils ont besoin et que des outils d’aide à la maîtrise du français soient accessibles de façon à favoriser le remplacement d’une terminologie existante inappropriée [...] », peut-on lire dans le Plan stratégique en matière de politique linguistique 2009 — 2014, section 2, p. 14, qui figure dans le site Internet de l’OQLF.

Les fiches du GDT sont généralement excellentes et renseignent adéquatement les langagiers du Québec et de toute la planète. Cependant, certaines fiches se contredisent et traduisent effectivement une orientation descriptive ne correspondant pas aux principes directeurs dont l’Office s’est doté pour conduire ses travaux terminologiques.


Voici la lettre adressée à l'ancienne présidente de l'OQLF par Lionel Meney, auteur du Dictionnaire québécois-français : pour mieux se comprendre entre francophones (Guérin, Montréal, 1999) et de Main basse sur la langue. Idéologie et interventionnisme linguistique au Québec (Liber, Montréal, 2010), et publiée sur le site de Vigile.net sous le titre « Halte à la dérive de l’Office québécois de la langue française » :

Le « Grand Dictionnaire terminologique » est devenu plus un ouvrage de lexicographie québécoise que de terminologie française.

J’ai pris connaissance de la lettre ouverte, qui vous a été envoyée par neuf anciens collaborateurs de l’Office, sous le titre « Changement d’orientation à l’Office québécois de la langue française. Au-delà des mots, les termes » (voir Le Devoir du 12 février 2011). Je tiens à vous dire que je partage pleinement les critiques portées à votre attention par ces spécialistes qui, ensemble, totalisent un nombre considérable d’années d’expérience dans le domaine de la terminologie, gage du sérieux de leurs critiques.

Moi-même, j’ai procédé à une étude approfondie d’un très grand nombre de fiches terminologiques du GDT. J’ai exposé ma critique dans un chapitre de mon livre « Main basse sur la langue ». Sans entrer dans le détail de ce chapitre intitulé « Le Grand Dictionnaire terminologique ou Orientation de l’usage et usagers désorientés » (p. 405-433), je me limiterai à une énumération des principaux reproches qu’on peut faire à cet ouvrage, à savoir :

• Un changement de norme linguistique. À l’origine, c’est le français standard international qui servait de norme aux travaux de l’Office. Depuis plusieurs années, on remarque que le français vernaculaire québécois leur sert de plus en plus de modèle de référence. Ce glissement a eu plusieurs conséquences négatives. Il a provoqué une hétérogénéité déplorable dans le traitement des termes, selon la date de leur traitement. Il limite l’information de l’utilisateur québécois et le cantonne souvent à des termes de diffusion restreinte. Il étonne et déroute l’utilisateur non québécois.

• Une dérive d’une approche terminologique à une approche lexicographique. Depuis plusieurs années, on trouve de plus en plus dans le GDT des fiches correspondant plus à un ouvrage de lexicographie québécoise que de terminologie française. Il faut rappeler que la Charte de la langue française a confié à l’Office le mandat de définir et de conduire la politique québécoise en matière de terminologie française. Une approche terminologique a pour objectif : a) l’étude de la dénomination des objets et des concepts dans un domaine spécialisé ; b) la détermination et la promotion des termes corrects dans ce domaine. Un ouvrage lexicographique a pour objectif de décrire les termes en usage dans la langue, sans avoir à juger de leur adéquation au concept, de la qualité de leur formation, de leur utilisation par les spécialistes du domaine, de leur correction ou de leur incorrection. Ce sont donc deux approches totalement différentes. L’État québécois a déjà subventionné généreusement d’autres projets visant à rédiger des dictionnaires du français québécois. En ces temps de grandes difficultés budgétaires, le GDT ne doit pas doublonner avec eux. L’opinion publique ne l’admettrait pas.

• Des critères d’acceptation ou de condamnation des termes arbitraires, fondés sur des a priori idéologiques, compliqués, contradictoires, d’où un respect non systématique, une application inconséquente de ces critères, variable selon les terminologues et selon les termes.

• Des distinctions alambiquées, peu compréhensibles pour le non-initié, entre « synonyme » et « quasi-synonyme », « terme non retenu » et « terme à éviter », etc.

• Des inconséquences et des erreurs dans l’établissement des marques topolectales.

• De graves lacunes dans la recherche terminologique, qui semble souvent limitée à l’environnement immédiat.

• Une absence de renseignements, dans les fiches accessibles en ligne, sur les sources bibliographiques ayant conduit aux choix terminologiques, ce qui fait peser des doutes sur le sérieux de la recherche.

• Des contradictions dans le traitement de termes de même catégorie (comme les emprunts à l’anglais) et, même, d’un même terme, selon les fiches.

• Une confusion dans la détermination et la définition de certains concepts et dans les explications censées éclairer les utilisateurs sur le choix des dénominations correspondantes.

• Un parti pris pour les termes vernaculaires, même si les termes internationaux ont également cours au Québec.

• Une absence fréquente de mention des équivalents existant en français international.

• Des justifications forcées, laborieuses de certains choix terminologiques, en général des termes québécois (souvent influencés par l’anglais) concurrencés par des termes internationaux.

• La légitimation de nombreux calques de l’anglais au seul motif qu’ils sont en usage en français québécois.

• De graves lacunes dans la gestion des fiches, des fiches qui ont vieilli, des fiches qui se contredisent, etc.

• Une qualité de la langue qui laisse parfois à désirer.

Je crois que l’Office québécois de la langue française a besoin de procéder à une sérieuse réflexion sur son travail terminologique, le modèle linguistique qui doit guider ses choix, ses méthodes de recherche, ses critères d’acceptation des termes. Un coup de barre s’impose pour redresser la situation, revenir à l’esprit de sa mission : il en va de sa crédibilité. Même si le nombre de consultations du GDT est élevé, cela ne signifie pas que tous les utilisateurs sont satisfaits. Les anciens collaborateurs de l’Office qui vous ont adressé cette lettre sont plus qualifiés pour vous dire ce qu’il en est exactement de la qualité du travail terminologique.



mardi 3 février 2015

S’emmêler dans ses fiches


Il arrive au Grand Dictionnaire terminologique (GDT) de l’Office québécois de la langue française de s’emmêler dans ses pinceaux, ou plutôt dans ses fiches.


Ayant entendu ce matin à la radio de Radio-Canada (sic !) ou, comme on dit maintenant, à Radio-Canada Première une animatrice dire que les maires de Québec et de Lévis avaient traité la société de transport CN (Canadien National) de mauvais « citoyen corporatif », j’ai voulu vérifier ce que disait le GDT de ce terme. En tapant « citoyen corporatif », je suis tombé sur la fiche… dirigeant citoyen !!!

Dirigeant citoyen (domaine : appellation de personne) : Dirigeant qui prend les responsabilités sociales que lui confère le pouvoir, et qui se préoccupe notamment de contribuer à diminuer la pollution industrielle, de replacer des salariés licenciés, de trouver des moyens de réduire le chômage. – Note : voir « entreprise citoyenne ». Terme déconseillé : citoyen corporatif; le qualificatif corporatif est un calque abusif de l'anglais.


Corporatif n’est pas un calque mais un emprunt sémantique.


Dirigeant citoyen ? Tous les dirigeants d’une entreprise ne sont-ils pas citoyens ? Peut-être sont-ils des résidents étrangers mais, encore là, ils sont quand même citoyens d’un pays. À moins qu’ils ne soient apatrides ? En tout état de cause, le dirigeant citoyen comme il est défini dans la fiche est plutôt un dirigeant socialiste, ou écologiste, ou de gauche, ou engagé (ou... délégué syndical !). Et qu’est-ce donc qu’un « dirigeant qui prend les responsabilités sociales que lui confère le pouvoir » ? N’aurait-il pas plutôt fallu écrire : dirigeant qui prend au sérieux les responsabilités sociales que lui confère le pouvoir ?


Pour trouver dans le GDT l’équivalent en français standard du terme « citoyen corporatif », il vaut mieux connaître l’anglais. Car en tapant « corporate citizen », on tombe tout de suite sur la bonne réponse : entreprise citoyenne.


lundi 2 février 2015

Panurge terminologue ou comment Panurge ne parvient pas à retrouver ses moutons


Je n’ai pas l’intention de prendre position en ce qui concerne les appellations en concurrence saut-de-mouton et pont d’étagement. Je me contenterai de présenter ce qui m’apparaît comme des incohérences qui se sont développées au fil des années.


Rappelons la définition que donne maintenant de saut-de-mouton le Grand Dictionnaire terminologique (GDT) de l’Office québécois de la langue française (OQLF): « Dispositif ferroviaire, constitué d'un pont ou d'un tunnel, qui permet le passage d'une voie ferrée, sur une courte distance, au-dessus ou en dessous d'une autre afin d'éviter le croisement à niveau » (fiche de 2013).


Plutôt que de « dispositif », quelqu’un qui aurait eu un minimum de connaissances en terminologie ou en lexicographie aurait parlé d’un ouvrage, et même d’un ouvrage d’art. Voilà avec quelle légèreté on rédige une définition.


Mais il y a encore mieux. Dans la note apparaissant sur la même fiche, on lit : « Bien que plusieurs dictionnaires d'usage relèvent ce terme dans le domaine routier, les spécialistes ne l'utilisent bel et bien que pour parler d'un dispositif ferroviaire. »


La chose est admirable et ne saurait être passée sous silence : pour une rare fois depuis une quinzaine d’années, l’Office décide de faire de la terminologie ! Ou du moins invoque-t-il la technicité d’un terme pour le préférer à un autre terme qui serait utilisé plutôt dans la vie courante. La situation est cocasse quand on se rappelle que le même Office considère comme relevant de la « langue courante » des dialectalismes comme mocauques ou pommes de pré guère connus que dans quelques villages de l’extrême Est du Québec (voir la fiche « canneberge » dont j’ai amplement parlé, cliquer ici pour lire mon billet). Mais tous les arguments peuvent servir quand il s’agit de ne pas mécontenter le ministère des Transports comme on l’a vu dans un autre cas, celui de détour que l’Office a normalisé au détriment de déviation (plus de détails en cliquant ici).


L’Office a encore en ligne dans sa « bibliothèque virtuelle » l’avis de normalisation qui contredit la fiche de 2013 car la note y dit bien que saut-de-mouton est synonyme de passage supérieur ou inférieur et que « Les passages supérieur ou inférieur ont pour but de supprimer les croisements de routes». Donc l’Office lui-même affirme (ou a déjà affirmé) que le mot saut-de-mouton ne s’utilise pas uniquement dans le domaine ferroviaire, à preuve :
 
Cliquer sur l'image pour l'agrandir


En d’autres termes, dans deux documents différents, l’Office a affirmé la même année une chose et son contraire.


Mais il y a encore mieux. Dans une fiche de l’Office datant de 2006 reproduite en 2007 sur le site d’Impératif français, on lit : « Quant à l’expression pont d’étagement, une création inutile et boiteuse [aujourd’hui pourtant préconisée par l’Office] venant doubler le terme technique français saut-de-mouton, elle doit être évitée au profit de ce dernier terme qui est établi dans la terminologie des ouvrages d’art routiers et ferroviaires en Europe et au Canada (ex. : Loi sur la sécurité ferroviaire, art. 13 [6]). »


L’ancien directeur du Comité de linguistique de Radio-Canada, Robert Dubuc, a fait paraître l’analyse suivante le 28 février 2007 :
[…]
Qu'est-ce qu'un saut-de-mouton?
D'après Le Grand Robert (Rey, 1985), saut-de-mouton désigne « le passage d'une voie ferrée ou d'une route au-dessus d'une autre pour éviter les croisements ». La Nouvelle encyclopédie du monde Quillet (Lemiaire, 1962) est plus explicite : « Ouvrage d'art, adapté pour permettre la suppression [des croisements], en faisant passer l'une des voies considérées au-dessus ou au-dessous de l'autre. » Le Nouveau Larousse encyclopédique (Maurbourguet, 1994) corrobore à peu de chose près la définition du Grand Robert. Dans ces deux définitions, c'est le choix de l'incluant passage qui laisse perplexe, un passage étant un endroit par où l'on passe et non une structure. Le terme ouvrage d'art, utilisé par le Quillet, correspond mieux à la réalité que nous connaissons.
[…]
Où en sommes-nous ?
Le Grand dictionnaire terminologique de l'Office québécois de la langue française consigne bien l'emploi de saut-de-mouton, dans le domaine routier, avec une définition qui rappelle celles des dictionnaires Larousse et Robert déjà cités. L'incluant passage y est repris, à tort, croyons-nous. Il conviendrait de donner à saut-de-mouton une définition plus adéquate : « Ouvrage d'art ou structure permettant le passage d'une voie ferrée ou d'une route au-dessus d'une autre pour éviter les croisements. » Cette définition nous fait bien voir que le terme désigne nettement ce qu'on appelle ici improprement "viaduc".

Faudrait-il se résigner à l'emploi régional de viaduc ? Les langues de spécialité ne sont pas le lieu d'élection des régionalismes. En saine terminologie, on les évite dans toute la mesure du possible pour donner plus de rigueur et d'efficacité aux énoncés. […]


Dans un document produit par un organisme du gouvernement fédéral, rien de moins que l’Office des transports du Canada, on trouve cette définition de saut-de-mouton qui ne correspond pas exactement à celle de l’Office : « Ouvrage qui, avec ses approches, est conçu pour permettre le croisement du trafic routier et ferroviaire à différentes élévations. » Rappelons que pour l’Office, « les spécialistes ne l'utilisent bel et bien [le mot saut-de-mouton] que pour parler d'un dispositif ferroviaire. » Tous les spécialistes ? Apparemment pas ceux de l’Office des transports du Canada.


Le lecteur aura compris que, dans toute cette histoire, Panurge peut bien perdre ses moutons et on ne peut que sympathiser avec lui.


dimanche 1 février 2015

Difficile d’orienter l’usage quand on n’est même pas capable de le suivre





C'était la congestion samedi sur les eaux glacées du lac Beauport, où près de 500 hockeyeurs ont participé au 12e Championnat québécois de pond hockey.
Le Soleil, 1er février 2015

C’est la première fois ce matin que j’entends parler de pond hockey. Pourtant, une recherche rapide m’apprend qu’on trouve déjà le terme pond hockey dans un article du Soleil en 2012 :

Après avoir pris une ampleur insoupçonnée depuis neuf ans, le tournoi de pond hockey de Lac-Beauport veut désormais conquérir les amateurs de patins sur glace naturelle de l’Europe.


En 2012, cela faisait neuf ans que l’on parlait de pond hockey dans la région de Québec. Le mot est donc en usage dans notre région depuis au moins une quinzaine d’années. Pourtant, le terme anglais ne figure pas dans la nomenclature du Grand Dictionnaire terminologique de l’Office québécois de la langue française. Et on ne sait donc pas si l’Office l’accepte en français.


Pour savoir ce qu’est le pond hockey, il faut aller se renseigner en anglais. Le Collins en ligne définit ainsi le terme : « (Canadian) ice hockey played on a frozen pond. »


Pour Wikipedia, « pond hockey is a form of ice hockey very similar in its object and appearance to traditional ice hockey, but far simpler and designed to be played on part of a natural frozen body of water. » L’encyclopédie en ligne ajoute: « The term "pond hockey" is also often used, especially in Canada, as a synonym to Shinny. In this context it is meant to describe any form of disorganized ice hockey that is played outdoors, typically on a naturally frozen body of water. » (Faut-il ajouter que le terme shinny n’est pas traité lui non plus dans le GDT ?)


Enfin, pour l’Urban Dictionary, le pond hockey est:

an unofficial game of hockey played on either an outdoor man-made rink or a frozen body of natural water such as a pond or lake. Pond hockey differs from an official game of hockey in the sense that it is much more free-flowing with few game stoppages. Rules and style of play differ on many scales from regional differences to simple pre-game rule setting. Rules such as off-side and icing are often thrown out. The most unique aspect, however, is pond hockey is possible without the employment of a goaltender. Many alternate scoring methods are used instead such as hitting posts and the crossbar to score goals. Also called "shinny" in some areas.


Comme on le voit, l’Office a encore du pain sur la planche. Il me semble qu’il a mieux à faire qu’à désofficialiser les termes qu’il a déjà normalisés dans la Gazette officielle et qu’à dépenser ses énergies à défaire le travail accompli par ses premiers terminologues.