mardi 30 juillet 2024

L’air du temps/ 5

 

Le Devoir, 30 juillet 2024

Le féminin judokate s’emploie depuis des dizaines d’années. On trouve sur Internet une attestation de son emploi en 1990 dans le quotidien belge Le Soir. On trouve aussi quelques attestations dans la presse québécoise. Ce féminin est devenu d’usage courant en Europe. Il est pourtant ignoré d’Usito, le dictionnaire de Sherbrooke, et du Grand Dictionnaire terminologique (GDT) de l’Office québécois de la langue française (OQLF).

 

Sports Beauce, 21 février 2024

lundi 29 juillet 2024

L’air du temps/ 4


À cause des fortes pluies récentes, on ne sait pas si certaines épreuves olympiques pourront avoir lieu dans la Seine. Qu’à cela ne tienne, la ministre Amélie Oudéa-Castera, assurément pas le couteau le plus affûté du tiroir, a « dégagé des jours de contingence » pour d’autres solutions, comme je l’ai entendu dire sur une chaîne d’infos (cf. aussi Le Parisien du 29 juillet 2024).

J’ai déjà noté que l’anglicisme « plan de contingence », déjà présent au Québec (cliquer ici et ici), commençait à se répandre en France. L’anglicisme s’intègre tellement qu’il adopte une nouvelle forme, jour de contingence.

 

mercredi 24 juillet 2024

Sur Chomsky : la redécouverte de l’Amérique

   

 

…un monde où l’on est en voie d’oublier l’existence de la linguistique parce que Chomsky en a dégoûté le public…

André Martinet, Mémoires d’un linguiste, p. 330


Lorsque des chercheurs américains, comme Chomsky, qui, au départ, ne sont pas des linguistes, mais des logiciens, posent que tout énoncé comporte nécessairement le couple sujet-prédicat, ils prennent simplement la relève de l’impérialisme gréco-latin pour imposer l’impérialisme linguistique de l’anglais.

André Martinet, cité par Claude Hagège, La grammaire générative, réflexions critiques, p. 47, note 2


L’emploi du langage tel qu’on l’observe ne saurait assurément constituer l’objectif effectif de la linguistique, si celle-ci doit être une discipline sérieuse.

—Chomsky, Aspects, cité par Cl. Hagège, p. 73

 

Je n’ai pas osé intituler ce billet « Chomsky et moi » parce que cela aurait été décidément trop prétentieux, d’autant que je n’ai jamais rencontré le personnage. Mais j’ai été confronté à son œuvre parce qu’à la fin des années 1970 c’était le courant qui dominait les études de linguistique à Cambridge.

André Martinet rapporte qu’Uriel Weinreich (co-auteur des remarquables « Empirical Fondations in Historial Linguistics ») aurait dit : « La lumière en linguistique vient du MIT » (p. 68). À mon époque on ne doutait certainement pas à Cambridge UK que la lumière venait de Cambridge MA.

C’est ainsi que le cours de linguistique théorique comprenait une extase devant la transformation passive. Dans les dendrogrammes (les structures arborescentes) si typiques du chomskysme on se demandait le plus sérieusement du monde si tel ou tel branchement devait se faire vers la droite ou vers la gauche.

Parmi « les élucubrations chomskyennes », il faut que je dise un mot sur ce que Martinet appelle les « tripotages transformationistes » (p. 68). Pour résoudre l’ambiguïté de certains énoncés comme « flying planes can be dangerous » les générativistes recourent à des « transformations ». Martinet fait remarquer que pour lever l’ambiguïté, il suffit de remplacer « can be » par « is » ou « are » (p. 69). C’est du niveau de l’école primaire quand on nous expliquait que, pour déterminer s’il fallait écrire jouer ou joué, il suffisait de remplacer le verbe par un autre du deuxième groupe (finir, fini).

Autre exemple de tripotage transformationiste, l’ellipse obligatoire d’un constituant dans les phrases à verbe passif dans les langues qui ne présentent pas le complément d’agent de l’anglais. C’est un point que j’ai un peu étudié dans une langue indo-iranienne (cliquer ici pour lire l’article)..

Ce que j’ai trouvé de plus pénible, c’est la lecture de The Sound Pattern of English de Chomsky et Halle. Cela m’a donné des maux de tête tout comme, quelques années plus tôt dans un cours de littérature française au collège, la lecture du Planétarium de Nathalie Sarraute. J’ai trouvé que Chomsky et Halle redécouvraient l’Amérique. J’avais en effet suivi à l’Université Laval le séminaire d’Arthur Padley sur la grammaire comparée des langues germaniques et je voyais que, bien souvent, les « structures profondes » dégagées par Chomsky et Halle étaient identiques ou quasi identiques aux formes reconstituées pour le germanique commun.

On a souvent accusé les générativistes d’imposer aux autres langues la grammaire de l’anglais sous couvert de structure profonde. D’où la description générativiste de nombreuses langues. Mais tous ces travaux ne sont pas d’une grande utilité pour les locuteurs de langues en voie de disparition qui manquent de manuels scolaires pour transmettre la langue ancestrale aux futures générations.

Il faudrait aussi, mais je ne le ferai pas, parler de la façon dont les générativistes se sont imposés un peu partout dans les institutions américaines, reléguant les non-générativistes aux marges, par exemple dans une association comme LACUS, Linguistic Association of Canada and the United States dont Wikipedia dit : The Linguistic Association of Canada and the United States (LACUS) was founded in August 1974 […]. This was largely a reaction against the narrowing of the field following Noam Chomsky’s generative grammar theory. 

On aura compris que je ne suis pas un grand fan de Chomsky.