…un monde où l’on est en
voie d’oublier l’existence de la linguistique parce que Chomsky en a dégoûté le
public…
—André Martinet, Mémoires
d’un linguiste, p. 330
Lorsque des chercheurs
américains, comme Chomsky, qui, au départ, ne sont pas des linguistes, mais des
logiciens, posent que tout énoncé comporte nécessairement le couple sujet-prédicat,
ils prennent simplement la relève de l’impérialisme gréco-latin pour imposer
l’impérialisme linguistique de l’anglais.
—André Martinet, cité par Claude Hagège, La
grammaire générative, réflexions critiques, p. 47, note 2
L’emploi du langage tel
qu’on l’observe ne saurait assurément constituer l’objectif effectif de la
linguistique, si celle-ci doit être une discipline sérieuse.
—Chomsky,
Aspects, cité par Cl. Hagège, p. 73
Je n’ai pas osé intituler ce
billet « Chomsky et moi » parce que cela aurait été décidément trop
prétentieux, d’autant que je n’ai jamais rencontré le personnage. Mais j’ai été
confronté à son œuvre parce qu’à la fin des années 1970 c’était le courant qui
dominait les études de linguistique à Cambridge.
André Martinet rapporte
qu’Uriel Weinreich (co-auteur des remarquables « Empirical Fondations in
Historial Linguistics ») aurait dit : « La lumière en
linguistique vient du MIT » (p. 68). À mon époque on ne doutait
certainement pas à Cambridge UK que la lumière venait de Cambridge MA.
C’est ainsi que le cours de linguistique
théorique comprenait une extase devant la transformation passive. Dans les
dendrogrammes (les structures arborescentes) si typiques du chomskysme on se
demandait le plus sérieusement du monde si tel ou tel branchement devait se
faire vers la droite ou vers la gauche.
Parmi « les
élucubrations chomskyennes », il faut que je dise un mot sur ce que
Martinet appelle les « tripotages transformationistes » (p. 68).
Pour résoudre l’ambiguïté de certains énoncés comme « flying planes can be
dangerous » les générativistes recourent à des
« transformations ». Martinet fait remarquer que pour lever
l’ambiguïté, il suffit de remplacer « can be » par « is »
ou « are » (p. 69). C’est du niveau de l’école primaire quand on
nous expliquait que, pour déterminer s’il fallait écrire jouer ou joué,
il suffisait de remplacer le verbe par un autre du deuxième groupe (finir,
fini).
Autre exemple de tripotage
transformationiste, l’ellipse obligatoire d’un constituant dans les phrases à
verbe passif dans les langues qui ne présentent pas le complément d’agent de
l’anglais. C’est un point que j’ai un peu étudié dans une langue indo-iranienne
(cliquer ici pour lire l’article)..
Ce que j’ai trouvé de plus
pénible, c’est la lecture de The Sound Pattern of English de Chomsky et
Halle. Cela m’a donné des maux de tête tout comme, quelques années plus tôt
dans un cours de littérature française au collège, la lecture du Planétarium
de Nathalie Sarraute. J’ai trouvé que Chomsky et Halle redécouvraient
l’Amérique. J’avais en effet suivi à l’Université Laval le séminaire d’Arthur
Padley sur la grammaire comparée des langues germaniques et je voyais que, bien
souvent, les « structures profondes » dégagées par Chomsky et Halle
étaient identiques ou quasi identiques aux formes reconstituées pour le
germanique commun.
On a souvent accusé les
générativistes d’imposer aux autres langues la grammaire de l’anglais sous
couvert de structure profonde. D’où la description générativiste de nombreuses
langues. Mais tous ces travaux ne sont pas d’une grande utilité pour les
locuteurs de langues en voie de disparition qui manquent de manuels scolaires
pour transmettre la langue ancestrale aux futures générations.
Il faudrait aussi, mais je
ne le ferai pas, parler de la façon dont les générativistes se sont imposés un
peu partout dans les institutions américaines, reléguant les non-générativistes
aux marges, par exemple dans une association comme LACUS, Linguistic
Association of Canada and the United States dont Wikipedia dit : The Linguistic
Association of Canada and the United States (LACUS) was founded in August 1974 […].
This was largely a reaction against the narrowing of the field following Noam
Chomsky’s generative grammar theory.
On aura compris que je ne
suis pas un grand fan de Chomsky.