mercredi 30 novembre 2011

L’heure du lunch


Le billet précédent m’a donné l’idée d’aller vérifier comment le Grand Dictionnaire terminologique de l’Office québécois de la langue française traitait les termes désignant les repas. Au menu aujourd’hui : comment on traduit lunch time ou lunch break.


Lunch time renvoie à la fiche meal period, traduction : période de repas. Peut-être un calque, mais plus probablement pas.


La fiche offre l’occasion de voir quels sont les usages réels (du moins ceux qui apparaissent sur la Toile), comment ils sont traités dans le GDT … et lesquels sont occultés. Vous verrez que les silences du GDT sont étonnants.


Commençons par l’anglais. Une chose saute aux yeux : c’est le terme le moins fréquent, meal period, qui apparaît comme terme principal anglais. Mais cela peut se comprendre du point de vue terminologique. En revanche, ce qui est plus curieux, c’est l’absence, sur la fiche, du terme qui vient au deuxième rang dans les pages Internet rédigées en anglais du tableau 1 : lunch break. De même que de meal break, deux fois plus fréquent que le terme anglais retenu pour être mis en entrée.

Tableau 1
Nombre de pages Internet où les termes apparaissent
*Termes n’apparaissant pas sur la fiche du GDT
Google, résultats du 29 novembre 2011


Passons maintenant au français.


Tableau 2
Nombre de pages Internet où les termes apparaissent
*Termes n’apparaissant pas sur la fiche du GDT
Google, résultats du 29 novembre 2011


Dans l’ensemble des pages Internet rédigées en français du tableau 2, c’est l’expression pause déjeuner qui domine (48,4 %).


Le terme français mis en entrée principale de la fiche, période de repas, est très peu usité dans les pages Internet de France et est présent dans 15,1 % des pages Internet canadiennes du tableau 2. Mais ce qui est le plus intéressant, ce sont les termes absents de la fiche du GDT.


On a déjà pu noter à quel point, depuis une dizaine d’années, le GDT était prompt à consigner des expressions de la langue courante, la plupart du temps pour les entériner même lorsque ce sont des calques de l’anglais. Ici pourtant, aucune mention, encore moins approbation, du terme le plus courant au Québec pour désigner la pause-repas : heure du lunch, apparaissant dans 63 % des pages Internet canadiennes rédigées en français. Ni aucune mention de heure de dîner (12,3 %). Ces deux expressions, qui ensemble apparaissent dans plus de 75 % des pages canadiennes du tableau 2, sont donc reléguées dans les limbes du GDT – concept qu’il faut bien conserver pour le GDT même si le pape Benoît XVI l’a abandonné en matière théologique. Au limbus patrum (limbe des patriarches) et au limbus puerorum (limbe des enfants) il faudra donc substituer le limbus verborum praetermissorum Magni Dictionarii terminologici.


*   *   *


Il est vrai que l’expression période de repas apparaît dans la Loi sur les normes de travail (art. 92.5 : « la durée de la période de repas, avec ou sans salaire »). Toutefois, dans l’interprétation de la loi donnée par la Commission des normes du travail, on trouve le terme pause-repas[1].


Il a sans doute échappé au rédacteur de la fiche que l’équivalent français pause-repas figurait déjà en 1976 dans le Dictionnaire canadien des relations du travail de Gérard Dion (défini dans cette édition comme la « période plus ou moins longue accordée à l'employé pour prendre son lunch »). Ce genre d’attestation dans un ouvrage qui fait autorité et qui, soit dit en passant, a été subventionné par l’Office (cf. illustration) aurait-il été jugé insuffisant pour que le rédacteur mette le terme pause-repas en entrée principale ?

Gérard Dion, Dictionnaire canadien des relations du travail, édition de 1986

Une curiosité : pause-repas est le terme que le ministère du Travail de l’Ontario utilise : « Un employé ne peut pas travailler plus de cinq heures consécutives sans prendre une pause-repas de 30 minutes » (http://www.worksmartontario.gov.on.ca/).


À partir du moment où on n’accepte pas l’usage québécois dominant (heure du lunch), pourquoi ne pas donner comme premier terme celui qui domine dans le français international (pause déjeuner) ? On me dira peut-être qu’il rend mal l’anglais meal period. C’est que, en effet, le terme anglais est plutôt juridique, c’est d’ailleurs lui (ou meal break) que l’on trouve dans les textes législatifs et juridiques. Dans la langue juridique, il me semble que, en français, on devrait préférer pause-repas, équivalent exact de meal break (ce dernier plus fréquent que meal period). N’oublions pas que pause-repas est le terme proposé dans un dictionnaire qui fait autorité depuis 35 ans dans le domaine des relations de travail. On ne peut pas sans cesse réinventer la roue.


Ma conclusion : encore une fois, on a perdu l’occasion d’utiliser à bon escient la notion de « langue courante ». En anglais courant, on dit lunch time (accessoirement lunch break). En français courant, l’usage dominant est pause déjeuner – et on pourrait discuter d’une adaptation québécoise en pause dîner. Mais, pour cela, il faudrait que le GDT décide d’abord quel nom il donne au repas de midi…


Et le mot de la fin : la fiche passe sous silence le terme le plus usité en France (pause déjeuner), le terme le plus usité au Québec (heure du lunch) et un terme anglais fréquent (lunch break) pour désigner le concept traité. Comment ces trois termes ont-ils pu échapper au rédacteur ?



[1] « Ce paragraphe vise toutes les catégories de pause à l’exclusion de la pause repas prévue à l’article 79 LNT. Cette disposition ne crée aucune obligation pour l’employeur d’accorder à ses employés une pause café. Cependant, lorsqu’il le fait, il doit rémunérer les salariés pour cette période » (http://www.cnt.gouv.qc.ca/salaire-paie-et-travail/horaire-de-travail/les-normes-du-travail/article-57/index.html)



mardi 29 novembre 2011

À quelle heure dîne-t-on ?


Je viens de faire une découverte curieuse dans le Grand Dictionnaire terminologique de l’Office québécois de la langue française.


Pour le mot dîner, le GDT a deux fiches. La première donne la définition suivante : « Repas au menu soigné servi en l'honneur de quelqu'un ou pour souligner un événement spécial », sans indication du moment de la journée où ce repas est pris. La seconde présente dîner, « repas du soir », comme « quasi-synonyme » de souper avec la précision : « Au Canada, le terme dîner, au sens de ‘repas du soir’, est surtout d'usage protocolaire. »


Comment s’appelle le repas que l’on prend à midi ? À Montréal en particulier, on l’appelle souvent lunch mais, selon le GDT qui, pour une fois, laisse de côté la « langue courante », ce mot est à éviter au profit de collation (« repas très léger consommé rapidement en dehors des heures de repas habituelles »), mot qui par conséquent désigne autre chose.


Pour le GDT, le repas de midi n’a pas de nom.


Au moment de mettre en ligne ce billet, un scrupule me saisit et je me demande si je suis bien le premier à avoir noté cette absence. Je pense tout de suite à aller vérifier dans Main basse sur la langue de Lionel Meney. Ce dernier avait bien noté la lacune (p. 419), dans quasiment les mêmes termes que moi. Le livre de Lionel Meney a paru il y a plus d’un an. Le moins que l’on puisse dire, c’est que les responsables du GDT ne réagissent pas au quart de tour (en « langue courante » : ne se retournent pas sur un dix cennes). Rappelons qu'il a fallu un bon mois pour corriger une grossière faute de français relevée par Lionel Meney (l'emploi du mot air au féminin, p. 441).

(Cliquer sur les images por les agrandir)

samedi 26 novembre 2011

Quand l’exemple vient d’en haut


Tiré du quotidien Liberté (Algérie), 26 novembre 2011 :


Sarkozy voulait des cours de langue française aux émigrés
Fallait commencer par l’Élysée
Par : Rubrique Radar

mardi 22 novembre 2011

L’incohérence d’une campagne de promotion


Dans Le Devoir du 22 novembre, la présidente de l’Office québécois de la langue française dit qu’elle envisage « des sanctions pénales » pour les entreprises qui ne respectent pas la Charte de la langue française en matière d'affichage. Ce qui est normal : on s’attend à ce qu’il y ait des amendes quand quelqu’un ne respecte pas la loi. Ce qui est plus curieux, c’est de lire sur le site de l’Office :

L’Office offre un programme de soutien financier (afin de corriger un affichage public existant qui est non conforme à la Charte de la langue française). Ce programme s'adresse aux plus petites entreprises qui emploient de 5 à 99 personnes, et l'aide financière peut couvrir 75 % des dépenses admissibles, et ce, jusqu'à concurrence de 50 000 $ par entreprise.
– http://www.respectdelaloi.gouv.qc.ca/entreprises/


Depuis quand paie-t-on pour faire respecter la loi ? Paie-t-on les automobilistes pour qu’ils respectent les feux rouges ?


Depuis quand doit-on payer pour se faire respecter ?


Payer pour se faire respecter, n’est-ce pas admettre que l’on n’a même plus le respect de soi ?

vendredi 18 novembre 2011

À la recherche de la prédominance perdue



Puisque, allez savoir pourquoi, j’ai des lecteurs dans des pays comme la Lettonie, la Russie, la Pologne et même l’Inde, il peut être utile de mentionner que la nette prédominance du français est une notion qui a été pondue par la Cour suprême du Canada lorsqu’elle a invalidé l’article de la Charte de la langue française qui imposait l’unilinguisme français dans l’affichage commercial. La Cour suprême avait alors déclaré que le Québec avait le droit d’exiger que le français prédomine nettement dans l’affichage commercial sans toutefois définir plus clairement la notion de nette prédominance. Dans la pratique, celle-ci a été interprétée comme exigeant que les messages rédigés en français soient en nombre deux fois plus important que les messages dans une autre langue ou que les messages français soient écrits en caractères deux fois plus gros.


Dans le billet précédent, je notais que, dans sa campagne de sensibilisation à la place du français dans l’affichage des marques de commerce, trois des cinq dessins dont l’Office québécois de la langue française se servait accordaient en fait la nette prédominance à l’anglais :


Vous aurez peut-être noté que les dessins 3 et 4, où l’anglais est nettement prédominant sur le français, sont de taille plus petite, ce qui peut diminuer l’impact visuel de l’anglais dans la campagne publicitaire de l’Office. J’ai donc pensé laisser à chacun la possibilité d’évaluer si tel est bien le cas : dans l’illustration suivante, la colonne de gauche présente les cinq dessins dans une taille identique et la colonne de droite les présente dans leur taille originale :


Pour conclure :

jeudi 17 novembre 2011

Mais où est donc passée la nette prédominance du français ?




(Cliquer sur l'image pour l'agrandir)
Source :
http://www.respectdelaloi.gouv.qc.ca/la-loi/



Toutes les entreprises enregistrées au Québec ont un nom conforme à la Charte de la langue française dans le fichier de l’Inspecteur général des institutions financières :


[…] en ce qui concerne l'immatriculation des noms d'entreprises, le Québec s'est doté d'un instrument juridique adéquat dont la puissance peut être démontrée facilement. Les mesures que l'Inspecteur général des institutions financières a prises pour appliquer la Loi sur la publicité légale ont pour résultat que les noms d'entreprises sont conformes à la Charte de la langue française. Cela ne signifie pas que ces noms doivent être unilingues français, car nous savons que la loi permet d'utiliser des mots provenant de langues différentes de la langue officielle. S'il existe encore quelques noms qui ne sont pas conformes, il s'agit, dans la plupart des cas, d'enregistrements faits avant le 1er janvier 1994, date d'entrée en vigueur de la Loi sur la publicité légale.
Toutefois, il ne faut pas perdre de vue le cas des entreprises constituées sous le régime fédéral. Même si les entreprises immatriculées sous un nom anglais seulement doivent fournir une version française de leur nom pour être enregistrées au fichier de l'Inspecteur général des institutions financières, ces entreprises constituées sous le régime fédéral ont la possibilité de faire affaires, sous ce seul nom anglais, partout au Canada, y compris au Québec. En revanche, les entreprises immatriculées ailleurs, à l'étranger ou dans d'autres provinces canadiennes, doivent utiliser seulement la version française approuvée par l'Inspecteur général des institutions financières.

– Conseil de la langue française, Avis sur l’affichage du nom d’entreprise


Mais les entreprises ne sont pas obligées d’afficher leur nom :

Pour les établissements, il n'existe aucune obligation juridique d'afficher sur leur façade quelque élément que ce soit pour identifier l'objet ou révéler la nature de leurs activités commerciales ou des services offerts. Par conséquent, les commerçants ne sont tenus d'afficher ni le nom officiel sous lequel ils sont inscrits dans le fichier C.I.D.R.E.Q. de l'Inspecteur général des institutions financières, ni aucun des autres noms qu'ils ont déclarés dans ce fichier. Cette situation explique pourquoi certains noms affichés diffèrent de ceux qui apparaissent à titre de nom d'entreprise ou de nom d'emprunt dans le fichier de l'Inspecteur général des institutions financières; il arrive même qu'ils soient absents de ce fichier. Il peut même se présenter que certains commerces n'affichent qu'un terme générique : boulangerie, cinéma, dépanneur, etc. D'autres, encore, n'affichent aucun élément permettant de déterminer leurs activités commerciales.



La réglementation (art.25, par. 4) permet d’afficher en anglais une marque de commerce enregistrée (à Ottawa…) uniquement en anglais.


La campagne actuelle de l’Office québécois de la langue française laisse en fait croire qu’une entreprise qui affiche une marque et non le nom enregistré au fichier CIDREQ affiche en fait sa marque comme nom. Et l’Office précise que, dans ce cas, il n’y a même pas obligation de respecter la nette prédominance du français… (et pour cause, puisque la réglementation permet l’affichage d’une marque unilingue anglaise) :


Dans l’affichage, le descriptif (générique) doit-il respecter la nette prédominance du français par rapport à la marque de commerce dans une autre langue?
Dès qu’une entreprise accompagne une telle marque d’un descriptif (générique) en français, elle répond aux objectifs de la Charte de la langue française et la question de la nette prédominance ne se pose pas. Il va sans dire que si le descriptif (générique) est trop peu visible, l’Office pourra considérer qu’il y a absence de générique français. Il est à noter que si une entreprise décidait d’afficher son nom dans plus d’une langue, le nom français devrait être nettement prédominant.
– http://www.respectdelaloi.gouv.qc.ca/citoyens/


De fait, sur les cinq dessins dont l’Office se sert dans sa campagne, trois donnent la nette prédominance à l’anglais puisque la marque elle-même est en anglais en gros caractères et que le mot d’explication en français est en caractères beaucoup plus petits. Disons que cela envoie un drôle de message sur la place du français.


D’où l’impression que nous assistons à une campagne de bilinguisation plutôt que de francisation.


Dans une analyse publiée dans Le Devoir du 17 novembre, Carole Lavallée en vient à la conclusion que la campagne de l’Office vise en fait à sensibiliser « les consommateurs aux droits des entreprises d'afficher leur marque de commerce en anglais. »


À partir du moment où on ne brandit qu’un bâton de styromousse, pourquoi ne pas faire une campagne plus générale d’incitation à la nette prédominance du français dans l’affichage ?


La campagne de l’Office ne porte que sur les marques de commerce. Puisqu’il a fallu onze ans pour mettre en pratique une recommandation formulée par le Conseil de la langue française en 2000, pourquoi avoir restreint la portée de cette recommandation ? Car le Conseil recommandait en fait une approche globale pour augmenter la présence visuelle du français :


QUE l'Office de la langue française exerce davantage son rôle de service et de soutien à la francisation des noms d'entreprises et de l'affichage des établissements commerciaux, en proposant, aux établissements qui s'identifient par une marque de commerce, une série de mesures visant à accroître la présence du français dans leur affichage.


lundi 14 novembre 2011

Le français et son image de marque




L'OQLF a lancé hier une campagne de sensibilisation pour convaincre les entreprises dont la marque de commerce ne comporte aucune inscription en français de se conformer à la Charte de la langue française. Celle-ci permet l'utilisation d'une marque de commerce unilingue anglaise, mais impose dans ce cas que le nom soit accompagné d'un terme descriptif ou d'un slogan en français.
Le Devoir, 14 novembre 2011

L’article du Devoir reprend en substance le communiqué diffusé par l’Office québécois de la langue française le 13 novembre et renvoyant au site Respect de la loi où on peut lire : « […] l’Office souhaite rappeler aux entreprises que la Charte ne les oblige pas à traduire une marque de commerce qui est une expression dans une autre langue que le français, mais qu’elle prévoit toutefois que cette marque doit être accompagnée d’un mot ou d’une expression descriptive (générique) en français, ou encore d’un slogan en français qui décrit les produits ou les activités de l’entreprise. […] Respecter la Charte de la langue française dans l’affichage d’un nom d’entreprise, c’est au minimum afficher un descriptif en français lorsqu’on affiche une marque de commerce dans une autre langue. » 

Les entreprises sont-elles obligées, lorsqu’elles affichent une marque de commerce, d’y adjoindre une description en français ? Voici ce qu’écrivait le Conseil de la langue française en 2000 :


Le Conseil s'est penché sur l'introduction de diverses mesures pour que la prolifération de l'affichage des marques de commerce ne porte pas atteinte à la visibilité du français au Québec.
Il a étudié sérieusement la possibilité d'imposer l'ajout d'un terme générique en français, lorsque la marque de commerce est rédigée dans une autre langue. En effet, la réglementation actuelle sur l'affichage ne prévoit pas d'obligation en ce sens. Lorsqu'il n'existe pas de version française, une entreprise a le droit d'afficher une marque de commerce rédigée uniquement dans une autre langue. Selon l'hypothèse étudiée par le Conseil, un établissement serait tenu d'ajouter un terme comme « magasin », « entreprise », « boulangerie », « quincaillerie », etc., devant une marque de commerce libellée en langue étrangère, lorsque cette marque de commerce sert à identifier un établissement commercial.
Cette hypothèse soulève bon nombre de difficultés. Une marque de commerce forme un tout, protégé par des lois et des accords internationaux; son utilisation s'inscrit souvent dans une stratégie de mise en marché d'un produit ou d'un service, stratégie internationale, voire mondiale. Tout ajout dans son affichage pourrait porter atteinte à son intégrité et aux objectifs de visibilité commerciale de l'entreprise qui en possède les droits exclusifs. De plus, pour de nombreuses marques de commerce, le choix d'un générique ne s'impose pas d'emblée et pourrait rendre la situation encore plus confuse aux yeux des consommateurs. Enfin, il a paru évident qu'il n'était pas possible de trouver une solution unique pour couvrir une multitude de cas particuliers.
Pour ces raisons, le Conseil n'a pas retenu l'hypothèse mentionnée précédemment.


Je suis allé vérifier sur le site de l’Office au cas où le règlement sur la langue de commerce et des affaires aurait été modifié depuis la publication de l’avis du Conseil. Il s’avère que le règlement n’a pas été modifié depuis 1993. Voici ce qui concerne l’affichage des marques de commerce :


25.  Dans l'affichage public et la publicité commerciale, peuvent être rédigés uniquement dans une autre langue que le français:

 4°    une marque de commerce reconnue au sens de la Loi sur les marques de commerce (L.R.C. 1985, c. T-13), sauf si une version française en a été déposée.


Dès lors on comprend pourquoi le communiqué de l’Office affirme que la campagne de francisation des marques de commerce affichées se fera dans un esprit de collaboration et non de confrontation. Ce faisant, l’Office met en œuvre en 2011 une recommandation de l’avis de 2000 du Conseil :


QUE l'Office de la langue française exerce davantage son rôle de service et de soutien à la francisation des noms d'entreprises et de l'affichage des établissements commerciaux, en proposant, aux établissements qui s'identifient par une marque de commerce, une série de mesures visant à accroître la présence du français dans leur affichage.



J’invite les personnes inquiètes de la situation de l’affichage à Montréal à lire l’Avis sur l'affichage du nom d'entreprise du Conseil de la langue française. La question des marques de commerce relève d’un processus de règlementation à l’échelle mondiale. Le Conseil notait en 2000 :


L'irritation que suscite l'affichage de nombreuses marques de commerce libellées en anglais ne se manifeste pas seulement dans les sociétés de culture française; elle s'est exprimée ailleurs dans le monde, comme, récemment, en Chine et en Allemagne. Cependant, il est utile de signaler que la protection juridique internationale des marques de commerce s'applique indépendamment de la langue; rappelons l'exemple du Cirque du Soleil qui peut s'afficher sous son nom français aux États-Unis et dans d'autres pays, sans que les États en cause puissent exiger la traduction de son nom d'entreprise.
Le Conseil juge difficile de remettre en question un processus juridique mondial qui a débuté il y a plus de cent ans. Toutefois, si le Québec ne peut agir unilatéralement, il peut exprimer ses préoccupations dans les forums internationaux qui traitent du respect et de la promotion de la diversité culturelle et des langues nationales. L'affichage, en général, et celui des marques de commerce, en particulier, mériteraient de faire l'objet de négociations internationales.
Le Québec pourrait faire des représentations pour promouvoir l'avantage qui existe pour les entreprises d'adopter une approche plurilingue dans la diffusion et l'implantation de leurs marques de commerce afin de rejoindre avec plus d'efficacité les consommateurs auxquels les produits et services sont destinés; pour promouvoir également l'avantage qu'ont les États à assurer le respect de leur langue officielle.
En conséquence, le Conseil de la langue française recommande :

3.   QUE, dans les discussions sur la promotion de la diversité culturelle et des langues nationales auxquelles il participe, le gouvernement du Québec inclue la question de l'affichage des marques de commerce.


Je ne sache pas que cette dernière recommandation ait été mise en pratique.

jeudi 10 novembre 2011

Grandeurs, misères et lacunes du GDT


Le projet de loi 33 (Loi éliminant le placement syndical et visant l'amélioration du fonctionnement de l'industrie de la construction), actuellement à l'étude en commission parlementaire à l'Assemblée nationale, contient une dizaine de fautes que les élus devraient corriger immédiatement, des fautes que tous les dictionnaires reconnaissent. Les principales sont «agent d'affaires» (en français: agent syndical), «coûts défrayés» (coûts payés), «être à l'emploi de» (employé par), «renseignements» (mentions), «certificat de compétence» (certificat de qualification), «occupation» (emploi), «référer» (diriger vers)...
Gaston Bernier, président de l’Asulf (Association pour le soutien et l’usage de la langue française), Le Devoir, 10 novembre 2011, p. A6


L’actualité m’offre l’occasion de vérifier comment le Grand Dictionnaire terminologique de l’Office québécois de la langue française traite les termes mentionnés dans la lettre de l’Asulf. Passons donc en revue chacun de ces termes.


La fiche traitant d’agent d’affaires comme calque de l’anglais business agent devant être remplacé par le terme agent syndical est un modèle du genre. Bravo à son rédacteur ou à sa rédactrice !


Je n’ai rien trouvé dans le GDT sur l’expression coûts défrayés qui devrait être remplacée par coûts payés.


En ce qui concerne le mot emploi, le GDT nous informe que les termes à éviter sont : occupation, position. Il ajoute : « Ce terme [emploi] est employé dans différentes expressions courantes : avoir un emploi, prendre un emploi, être sans emploi, demande d'emploi, chercher un emploi, trouver un emploi. » – Il est significatif que le rédacteur de cette fiche n’ait pas cru bon d’ajouter l’expression être à l’emploi de, ce que j’interprète comme un désaccord avec la position défendue par le rédacteur de la fiche être à l’emploi de.


On sait que le GDT accepte l’expression être à l’emploi de : « La locution être à l'emploi de est d'un usage ancien et généralisé au Québec, tant dans le registre spécialisé que dans le registre courant. Elle est notamment utilisée dans plusieurs textes officiels (lois, règlements, codes, etc.) et est en usage sporadiquement ailleurs dans la francophonie. Bien qu'elle soit critiquée par des ouvrages correctifs à cause de l'origine qu'on lui attribue généralement (calque de l'anglais to be in the employ of), la locution être à l'emploi de constituerait en fait une adaptation morphosyntaxique d'un emprunt plus ancien en français du Québec (être dans l'emploi de, relevé dans le dernier quart du XIXe siècle). Cette adaptation est parfaitement conforme au système linguistique du français. » J’ai écrit un billet sur le sujet auquel je me contente de renvoyer le lecteur (Banderilles / 6) pour ne pas avoir à reprendre ici une démonstration assez longue. Ajoutons simplement que l’Asulf réclame depuis des années la disparition de cette expression des textes législatifs et réglementaires.


La fiche certificat de qualification (terme à éviter : certificat de compétence) est parfaite de mon point de vue.


En ce qui a trait au verbe référer utilisé au lieu de diriger vers, les fiches du GDT ayant référer comme entrée principale ne concernent pas le domaine travail. En revanche, la Banque de dépannage linguistique comble la lacune et offre les exemples suivants pour le verbe référer :


- Nous avons référé cette cliente au Service à la clientèle = Nous avons dirigé cette cliente vers le Service à la clientèle
- Je vais référer votre candidature à la directrice des ressources humaines = Je vais transmettre votre candidature à la directrice des ressources humaines


Le GDT et la BDL n’ont rien sur le terme renseignements utilisé au lieu de mentions.


Ma conclusion ne peut que faire écho à mon titre : grandeur du GDT dans certains cas, quelques lacunes et misère de s’obstiner à défendre l’indéfendable.

mercredi 9 novembre 2011

Retour sur le papier sablé


Еще одно, последнее сказанье —
И летопись окончена моя,
Исполнен долг […]
Pouchkine, Boris Godounov



Je voudrais bien pouvoir faire comme le personnage de Pimène dans Boris Godounov et dire que ce billet est le dernier que je commets sur le Grand Dictionnaire terminologique de l’Office québécois de la langue française. Malheureusement еще не исполнен долг – mon devoir n’est pas encore accompli et je devrai encore produire d’autres billets. Mais celui-ci devrait effectivement être le dernier sur la fiche papier abrasif.

Je vais donc essayer de résumer ce que l’on peut tirer de mon analyse de la fiche papier abrasif du Grand Dictionnaire terminologique que j’ai mise en ligne sous le titre « Un dictionnaire peut-il être bouché à l’émeri ? »


La fiche a comme entrée principale papier abrasif (accompagné de cinq synonymes). L’équivalent anglais est sandpaper, malheureusement sans définition. Mais le fait qu’il soit présenté comme équivalent de papier abrasif montre que le mot anglais est pris dans son sens générique. Donc on aurait aussi bien pu avoir comme entrée principale anglaise abrasive paper (selon Google, 1 160 000 résultats dans les pages Internet rédigées en anglais le 9 novembre).


L’anglais sandpaper a deux sens : un sens générique (papier abrasif), un sens spécifique (papier de sable), comme il ressort de la définition du Webster : « Paper covered on one side with sand or other abrasive material glued fast and used for smoothing and polishing ».


Les synonymes français de papier abrasif que donne la fiche désignent en fait des types de papier selon la matière qui sert d’abrasif : papier de verre, sablé, d’émeri.


De ces synonymes, un seul a, en français standard, un sens générique (papier abrasif) et un sens spécifique (un papier ayant des particules de verre comme abrasif). Il s’agit du terme papier de verre : « Le papier de verre peut s'entendre littéralement (le verre forme d'efficaces particules abrasives) mais d'autres matériaux que le verre peuvent être utilisés et l'expression papier de verre s'entend souvent au sens large » (Wikipedia, s.v. papier de verre).


Papier de verre est donc l’exact équivalent de sandpaper en langue générale puisqu’il équivaut à la fois à son sens générique et à son sens spécifique. Du point de vue terminologique, le GDT met à juste titre papier abrasif en entrée principale. Mais du point de vue de la lexicographie bilingue, papier de verre = sandpaper.


Papier de sable / papier sablé désigne un type de papier abrasif. Mais, sous l’influence de l’anglais, il a pris au Québec le sens générique. La fiche du GDT nous dit que papier sablé est conforme au système du français et fait le parallèle avec papier verré. On comprend donc que, dans son sens spécifique, le GDT accepte papier sablé qui, dans ce sens particulier, n’est pas un anglicisme. Mais qu’en est-il du sens générique ? On peut déduire, d’un autre document de l’Office que j’ai déjà cité dans un précédent billet, que l’Office considère le sens générique comme un anglicisme. On ne voit toutefois pas pourquoi il l’accepterait, ou tout au moins lui accorderait la préférence, puisque le terme est loin d’être autant « implanté dans l’usage » que papier de verre : 13,4 % pour papier sablé contre 55,4 % pour papier de verre dans les pages Internet rédigées en français du domaine .ca. Je m’attends à ce qu’on me rétorque que le terme est « adapté aux normes sociolinguistiques québécoises » mais je vous avoue que je ne sais pas ce que ces normes mangent en hiver.


*   *   *


Voici comment, à mon sens, la fiche devrait être refaite.


Entrée principale française : elle demeure inchangée, papier abrasif.


Entrée principale anglaise : il faut se demander s’il ne vaudrait pas mieux avoir abrasive paper plutôt que sandpaper (voir, à ce sujet, la discussion dans Wikipedia du terme sandpaper, par exemple : « Would ‘Abrasive paper’ be a more correct title for this article ? [...] Sandpaper refers to abrasive paper that uses sand as the grit although many people use it as the generic term »).


Pour une fois, il serait indiqué de faire intervenir la notion de langue courante, que le GDT utilise souvent comme marque de québécisme (concurrençant alors la marque [Québec]), parfois comme marque de niveau de langue, parfois même comme marque d’acadianisme. Car, couramment tant en France qu’au Québec, le terme papier de verre est le plus utilisé et il est utilisé à la fois comme terme générique et comme terme spécifique.


De cette façon, l’approche terminologique serait respectée (papier abrasif en entrée principale) et du point de vue de la lexicographie bilingue le traitement serait correct (papier de verre, sens 1 et 2 = sandpaper, sens 1 et 2).


La fiche pourrait alors se compléter par une note mentionnant les différents types de papier abrasif : papier de verre (papier verré), papier de sable (papier sablé), papier d’émeri.


*   *   *
Post-scriptum sur la lexicographie québécoise


À comparer avec la fiche du GDT, qui paraît plutôt isolée :


Raoul Rinfret, Dictionnaire de nos fautes contre la langue française, 1896 : « Ne dites pas : du papier sablé, qui est un anglicisme (sand paper), mais du papier de verre : papier enduit de poudre de verre, dont on se sert pour polir les pièces de bois ou de métal.
Dictionnaire québécois d’aujourd’hui, 1re édition : « Papier de verre ou papier sablé »
Dictionnaire du français Plus, s.v. papier : « Papier d’émeri, de verre, utilisé comme abrasif ».
Franqus, s.v. papier : UQ [= usage québécois] papier sablé : « L’emploi de papier sablé (de l’anglais sandpaper) est critiqué. On emploie plutôt papier émeri. »
Multidictionnaire, *papier sablé : calque de l’anglais « sand-paper » au sens de papier de verre.