Le billet précédent m’a donné l’idée d’aller vérifier comment le Grand Dictionnaire terminologique de l’Office québécois de la langue française traitait les termes désignant les repas. Au menu aujourd’hui : comment on traduit lunch time ou lunch break.
Lunch time renvoie à la fiche meal period, traduction : période de repas. Peut-être un calque, mais plus probablement pas.
La fiche offre l’occasion de voir quels sont les usages réels (du moins ceux qui apparaissent sur la Toile), comment ils sont traités dans le GDT … et lesquels sont occultés. Vous verrez que les silences du GDT sont étonnants.
Commençons par l’anglais. Une chose saute aux yeux : c’est le terme le moins fréquent, meal period, qui apparaît comme terme principal anglais. Mais cela peut se comprendre du point de vue terminologique. En revanche, ce qui est plus curieux, c’est l’absence, sur la fiche, du terme qui vient au deuxième rang dans les pages Internet rédigées en anglais du tableau 1 : lunch break. De même que de meal break, deux fois plus fréquent que le terme anglais retenu pour être mis en entrée.
Tableau 1 Nombre de pages Internet où les termes apparaissent |
*Termes n’apparaissant pas sur la fiche du GDT
Google, résultats du 29 novembre 2011
Passons maintenant au français.
Tableau 2 Nombre de pages Internet où les termes apparaissent |
*Termes n’apparaissant pas sur la fiche du GDT
Google, résultats du 29 novembre 2011
Dans l’ensemble des pages Internet rédigées en français du tableau 2, c’est l’expression pause déjeuner qui domine (48,4 %).
Le terme français mis en entrée principale de la fiche, période de repas, est très peu usité dans les pages Internet de France et est présent dans 15,1 % des pages Internet canadiennes du tableau 2. Mais ce qui est le plus intéressant, ce sont les termes absents de la fiche du GDT.
On a déjà pu noter à quel point, depuis une dizaine d’années, le GDT était prompt à consigner des expressions de la langue courante, la plupart du temps pour les entériner même lorsque ce sont des calques de l’anglais. Ici pourtant, aucune mention, encore moins approbation, du terme le plus courant au Québec pour désigner la pause-repas : heure du lunch, apparaissant dans 63 % des pages Internet canadiennes rédigées en français. Ni aucune mention de heure de dîner (12,3 %). Ces deux expressions, qui ensemble apparaissent dans plus de 75 % des pages canadiennes du tableau 2, sont donc reléguées dans les limbes du GDT – concept qu’il faut bien conserver pour le GDT même si le pape Benoît XVI l’a abandonné en matière théologique. Au limbus patrum (limbe des patriarches) et au limbus puerorum (limbe des enfants) il faudra donc substituer le limbus verborum praetermissorum Magni Dictionarii terminologici.
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Il est vrai que l’expression période de repas apparaît dans la Loi sur les normes de travail (art. 92.5 : « la durée de la période de repas, avec ou sans salaire »). Toutefois, dans l’interprétation de la loi donnée par la Commission des normes du travail, on trouve le terme pause-repas[1].
Il a sans doute échappé au rédacteur de la fiche que l’équivalent français pause-repas figurait déjà en 1976 dans le Dictionnaire canadien des relations du travail de Gérard Dion (défini dans cette édition comme la « période plus ou moins longue accordée à l'employé pour prendre son lunch »). Ce genre d’attestation dans un ouvrage qui fait autorité et qui, soit dit en passant, a été subventionné par l’Office (cf. illustration) aurait-il été jugé insuffisant pour que le rédacteur mette le terme pause-repas en entrée principale ?
Gérard Dion, Dictionnaire canadien des relations du travail, édition de 1986 |
Une curiosité : pause-repas est le terme que le ministère du Travail de l’Ontario utilise : « Un employé ne peut pas travailler plus de cinq heures consécutives sans prendre une pause-repas de 30 minutes » (http://www.worksmartontario.gov.on.ca/).
À partir du moment où on n’accepte pas l’usage québécois dominant (heure du lunch), pourquoi ne pas donner comme premier terme celui qui domine dans le français international (pause déjeuner) ? On me dira peut-être qu’il rend mal l’anglais meal period. C’est que, en effet, le terme anglais est plutôt juridique, c’est d’ailleurs lui (ou meal break) que l’on trouve dans les textes législatifs et juridiques. Dans la langue juridique, il me semble que, en français, on devrait préférer pause-repas, équivalent exact de meal break (ce dernier plus fréquent que meal period). N’oublions pas que pause-repas est le terme proposé dans un dictionnaire qui fait autorité depuis 35 ans dans le domaine des relations de travail. On ne peut pas sans cesse réinventer la roue.
Ma conclusion : encore une fois, on a perdu l’occasion d’utiliser à bon escient la notion de « langue courante ». En anglais courant, on dit lunch time (accessoirement lunch break). En français courant, l’usage dominant est pause déjeuner – et on pourrait discuter d’une adaptation québécoise en pause dîner. Mais, pour cela, il faudrait que le GDT décide d’abord quel nom il donne au repas de midi…
Et le mot de la fin : la fiche passe sous silence le terme le plus usité en France (pause déjeuner), le terme le plus usité au Québec (heure du lunch) et un terme anglais fréquent (lunch break) pour désigner le concept traité. Comment ces trois termes ont-ils pu échapper au rédacteur ?
[1] « Ce paragraphe vise toutes les catégories de pause à l’exclusion de la pause repas prévue à l’article 79 LNT. Cette disposition ne crée aucune obligation pour l’employeur d’accorder à ses employés une pause café. Cependant, lorsqu’il le fait, il doit rémunérer les salariés pour cette période » (http://www.cnt.gouv.qc.ca/salaire-paie-et-travail/horaire-de-travail/les-normes-du-travail/article-57/index.html)