Lionel
Meney publie aujourd’hui un livre où il est beaucoup question de l’anglicisation
de la France. Et, aussi, du recul du français au plan international.
Lionel
Meney publie aujourd’hui un livre où il est beaucoup question de l’anglicisation
de la France. Et, aussi, du recul du français au plan international.
L’Office québécois de la
langue française (OQLF) vient de publier une étude sur la langue d’accueil et
de service dans les commerces. Déjà en 1988, le Conseil de la langue française
(aujourd’hui disparu) avait fait une enquête sur ce thème à Montréal, enquête
reprise en 1995. Cette fois-ci, les enquêteurs ont aussi visité des commerces
de localités autres que Montréal.
On peut non seulement
regretter mais déplorer que, dans la constitution de son échantillon de
commerces montréalais en 2023, l’OQLF n’ait pas eu la présence d’esprit, ou
tout simplement l’intelligence, de faire des sous-échantillons qui auraient
permis de faire des comparaisons fiables avec les résultats de 1988 et de 1995.
On aurait pu voir l’évolution sur 35 ans ! Il y a à l’OQLF un Comité de
suivi qui ne semble plus comprendre que le suivi qu’il a à faire doit s’inscrire
dans la longue durée.
Je ne peux donc que faire
quelques comparaisons bancales à partir des résultats de la dernière enquête.
De 1988 à 1995, l’accueil en
français dans les commerces sur rue du boulevard Saint-Laurent passait de
72 % à 86 %. En 2023, il est de 74,2 % dans le centre de Montréal
(zone évidemment plus vaste). Les échantillons ne sont pas comparables mais
rien n’interdit de s’interroger sur le recul du français comme langue d’accueil
dans le centre-ville.
Regardons maintenant l’ouest
de l’île. Voici un tableau qui résume les résultats ; la comparaison est
statistiquement valable pour 1988 et 1995 mais non pour 2023 :
Langue
d’accueil dans les commerces à Montréal
(en %
des commerces sur rue)
|
1998 |
1995 |
2023 |
|
Centre-ville ouest |
59 |
66 |
Zone
ouest |
49 |
Côte-des-Neiges-Snowdon |
60 |
53 |
On peut se demander s’il n’y
aurait pas eu une baisse dans l’accueil en français dans l’ouest de l’île de
Montréal depuis 35 ans. Mais on ne peut l’affirmer.
Le rapport de l’OQLF conclut
toutefois à un recul du français comme langue d’accueil de 2010 à 2023 :
Entre
2010 et 2023, le taux d’accueil en français a diminué de 13 points de
pourcentage, passant de 84 % à 71 %.
Entre
2017 et 2023, dans les zones est et nord, le taux d’accueil en
français a diminué de plus de 5 points de pourcentage (de
96 % à 91 % dans la zone est et de 83 % à 78 % dans
la zone nord).
Dans
la zone ouest, cette diminution a été de 3 points de pourcentage (de 52 %
à 49 %). Le taux d’accueil en français dans la zone centre est
demeuré semblable à celui de 2017, s’établissant à 74 %.
[Points de pourcentage = percentage point. En
français correct : point, tout court.]
On peut se demander si ce
recul n’aurait pas été plus grand si on avait pu faire la comparaison avec les
enquêtes de 1988 et de 1995.
Rappelons que l’OQLF, dans
sa dernière enquête sur l’affichage, n’avait pas non plus jugé bon d’utiliser
une méthodologie qui aurait permis la comparaison avec les enquêtes antérieures :
cliquer ici pour lire mes commentaires.
* * *
L’enquête de 1995 avait
vérifié s’il y avait une différence dans la langue de l’accueil quand le client
faisait partie d’une minorité. Boulevard Saint-Laurent, l’accueil en français
passait dans ce cas de 86 % à 72 %. On ne sait pas si l’on a pris en
compte cette variable dans l’enquête de 2023.
Une lectrice, Diane Lamonde, me signale qu’elle a vu dans la presse européenne le mot lapin et l’expression poser un lapin pour traduire « no show ». Effectivement, on en trouve facilement plusieurs attestations dans Internet :
TF1
Info, 19 avril 2023 : Ne pas se rendre à un restaurant malgré votre
réservation peut vous coûter très cher. Certaines tables n'hésitent plus
désormais à exiger une empreinte bancaire lors de la réservation, pour pouvoir
débiter en cas d'absence du client. La raison de cette pratique armée de
méfiance ? Trop de lapins !
Ouest-France, 3
septembre 2022 : « No show », ces lapins que les restaurants ne
digèrent plus en Loire-Atlantique
Noovo
(La Presse canadienne), 27 mars 2023 : «No show»: les restaurateurs
trouvent qu’ils se font poser un lapin plus souvent
BFM
Business, 8 août 2023 : "Poser un lapin" à un professionnel:
le coût exorbitant d'une pratique fréquente
Les
réservations non honorées, ou "no-show", peuvent représenter une
perte allant jusqu'à 10% du chiffre d'affaires, estime la vice-présidente de la
confédération nationale des instituts de beauté et spas.
Paris-Normandie,
11 août 2023 : « No show » : après les restaurants,
les coiffeurs normands victimes des « lapins » de clients indélicats
Lapin et poser
un lapin relèvent incontestablement de la langue familière. On s’étonne quIls
ne figurent pas déjà dans le GDT (Grand dictionnaire terminologique) de l’OQLF
(Office québécois de la langue française), si prompt à enregistrer, voire à
légitimer, les usages de la « langue courante ».
Il est question dans
l’actualité en France de faire payer 10 euros pour un rendez-vous médical
non honoré. L’expression est reprise dans plusieurs médias. Il peut être
rassurant de constater que, dans la Start-Up Nation du président Macron,
on ne parle pas de « no show ».
Dans le domaine de l’hébergement et du tourisme, le GDT avait repris une fiche de 1978 de l’ancienne Association française de terminologie, « défection »
(mais, depuis 2022, le mot n'apparaît que comme synonyme de « défaillance »).
Proposition curieuse. Avant la chute du mur de Berlin en 1989, on faisait
défection à l’Est ou à l’Ouest, pas nécessairement avant de se rendre à son
hôtel.
On trouve « défaillance » et « défaillant »
dans France Terme. Le GDT reprend « défaillant ». Il a aussi « client
défaillant » et « défaillance du voyageur ». On parle déjà d’une
défaillance technique, cardiaque, mécanique. Mais une défaillance du
voyageur ? On peut bien penser que le client défaillait lorsqu’il est
arrivé à l’hôtel, mais dans ce cas sa défaillance ne l’a pas empêché d’honorer
son rendez-vous.
France Terme comme l’Office sont partis de l’anglais sans
essayer de penser en français, sans faire abstraction de l’anglais. Cela donne
un résultat pitoyable.
En 2018, j’avais mis en
ligne un billet portant sur l’expression anglaise « no show »
utilisée en français, tant en France qu’au Québec : je vous invite à le
lire (en cliquant ici), il est plus complet que le présent billet.
À la suite de la chronique
de Jean-François Lisée sur l’étude Langue de l'espace public au Québec en
2022, l’Office québécois de la langue française a apporté une rectification :
Contrairement
à ce qui a été mentionné par l'Office à la suite de la sortie de l'étude, la
pondération a été effectuée à partir des données du recensement de 2021 et
non à partir de celles du recensement de 2016. L'échantillonnage, quant à lui,
a bel et bien été effectué sur la base du recensement de 2016.
Mais cela ne répond pas à
toutes les questions que pose cette étude, en particulier aux critiques que j’ai
faites dans le billet précédent.
En outre, que dire du taux
de non-réponse ? Il est de 77 % dans l’enquête de 2022 et de
54 % dans celle de 2016. Cela n’affecte-t-il pas la validité des
résultats et des comparaisons ? Est-ce pour cette raison que l’étude parle d’un échantillon « assez
représentatif » ?
Jean-François Lisée a
publié, dans Le Devoir du mercredi 10 avril 2024, une chronique
fracassante. Ou plutôt une chronique qui fracasse l’étude Langue de l’espace
public au Québec en 2002 de l’Office québécois de la langue française
(OQLF).
Il se demande « pourquoi
une étude dont le terrain a eu lieu au début 2022 n’est publiée qu’en mars
2024, alors que la situation démographique québécoise change à un rythme jamais
enregistré depuis, disons, la Conquête ». En effet, de 2022 à 2024, « la
progression du nombre d’immigrants temporaires est passée en deux ans de
quelque 290 000 à plus de 560 000. » Lisée croit que l’étude
aurait dû être publiée « en précisant que ses insuffisances étaient telles
qu’il ne fallait en tirer aucune conclusion sur le présent. Cela aurait évité
aux commentateurs peu versés en méthodologie de brandir ces chiffres pour
affirmer que la situation est ‘ stable ‘, voire que davantage
d’anglophones qu’avant adoptaient la langue de Félix à la ville. Le contraire
est indubitablement vrai. ».
Les arguments de Lisée sont
dirimants : vous pouvez en prendre connaissance en cliquant ici.
J’ajouterai quelques points
aux critiques de Jean-François Lisée.
Il s’agit d’un rapport
anonyme. Pas de préface de la présidente de l’OQLF. On ne dit même pas si le
rapport a été approuvé par le Comité de suivi de la situation linguistique au
Québec.
À la page 4 on peut
lire :
Les
personnes sondées étaient invitées à répondre au questionnaire en se basant sur
l’expérience qu’elles avaient vécue au cours des six mois précédant le sondage.
Or, lors de cette période de référence, étant donné la pandémie de COVID-19,
des mesures sanitaires étaient en vigueur, dont la fermeture des salles à
manger des restaurants et l’obligation de présenter un passeport vaccinal pour
fréquenter certains commerces. Les interactions au sein de l’espace public,
c’est-à-dire les interactions à l’extérieur de la maison avec des personnes
autres que les parents ou amis, étaient ainsi moins nombreuses et moins variées.
On veut étudier la langue
des interactions dans l’espace public dans une période où on admet qu’elles
étaient moins nombreuses et moins variées. Et on ose en plus comparer les
résultats à ceux de 2016, une période « normale ». On marche sur la
tête !
Enfin, il y a une innovation
méthodologique : la notion d’échantillon « assez représentatif »
(p. 43)! Avant, un échantillon était représentatif ou pas.
Ma conclusion est dans le
titre de ce billet.
Dans
les messages publiés par un réseau de chercheurs auquel j’appartiens, je
commence à voir le mot chercheureuses utilisé comme pluriel de chercheur
et chercheuse.
Hier
sur une chaîne britannique j’entendais pour la première fois l’expression « woman
born female ». Je vais sans doute finir par m’habituer à entendre « persons
with wombs » pour désigner les femmes.
En France,
le 12 mars, lors des questions au gouvernement, la ministre déléguée à
l'Enfance, à la Jeunesse et des (sic) Familles a demandé à Sandrine Rousseau de ne « pas
jeter l'eau propre sur l'ensemble des professionnels ».
Incontestablement
le niveau monte. La députée avait déjà atteint son niveau de crue (cliquer ici),
la ministre va bientôt la rattraper.
Ce n’est
pas un poisson d’avril.