L’Office
québécois de la langue française a publié, à la veille du congé pascal, une
étude sur les langues dans l’affichage commercial à Montréal. Le président de
l’Office a parlé des « progrès notables que cette étude nous révèle quant
à la conformité de l’affichage public ». La conformité de l’affichage à la
réglementation linguistique est en effet passée, de 2010 à 2017, de 72 % à
près de 78 %, nous dit le communiqué du 28 avril. Parmi les éléments
pouvant expliquer cette hausse, on mentionne au passage « les nouvelles
dispositions réglementaires ». Soyons clairs : on a changé les
règles, elles sont plus souples aujourd’hui. Pas étonnant donc que l’on
constate une augmentation de la conformité. Normalement, on devrait s’abstenir
de faire ce genre de comparaison.
En
revanche, pour ce qui est de la présence, ou plutôt de la concurrence, des
langues dans l’affichage, l’Office a un sursaut de scrupule et affirme qu’on ne
peut faire de comparaison avec les enquêtes antérieures parce qu’en 2017
l’enquête avait inclus les centres commerciaux contrairement à celles de 1997
et de 1999 et que ces dernières n’avaient pas pris en compte les raisons
sociales dans les analyses de la conformité à la réglementation. Or, dans les analyses
portant sur le visage linguistique de Montréal, on avait inclus en 1997 et 1999
les raisons sociales. On aurait donc très bien pu produire un tableau comparant
1997 et 2017 en retranchant du fichier de 2017 les centres commerciaux. Il nous
semble que c’est simple comme… bonjour,
hi ! D’autant que dans le rapport (note 31) on trouve même une
comparaison avec le taux de conformité de l’affichage en 1999. De plus, les
auteurs précisent qu’ils ont repris le « cadre méthodologique » des
études antérieures (note 3). Les raisons invoquées pour ne pas faire de
comparaison entre 1997 et 2017 sont donc bien faibles. Rien n’empêchait
l’Office de faire ces comparaisons pour suivre l’évolution de l’affichage des
commerces ayant pignon sur rue, à défaut de pouvoir inclure les centres
commerciaux dans l’analyse diachronique. D’autant plus que la méthodologie mise
au point dans les années 1990 avait justement pour objectif de permettre de
suivre cette évolution.
Les
auteurs de l’étude nous fournissent suffisamment d’éléments pour effectuer
nous-mêmes ces comparaisons. Commençons par la constatation que la proportion
des messages d’où le français est absent est significativement plus grande en
2017 dans les commerces ayant pignon sur rue (14,1 %) que dans les centres
commerciaux (6,9 %). On peut donc faire l’hypothèse que, dans une
comparaison entre les données de 2017 (qui incluent les centres commerciaux) et
celles des enquêtes antérieures (qui les excluent), la présence du français
sera surévaluée en 2017.
On
verra que la comparaison ne relève pas des écarts insignifiants entre 1997 et
2017. Au contraire, les écarts sont importants. Par conséquent, il y a lieu de
croire que cela reflète un mouvement réel.
Présentons
d’abord la situation en prenant le commerce comme unité d’analyse. Commençons
par voir quel est le pourcentage des commerces dont l’affichage n’est rédigé
qu’en français ou qu’en anglais. Le tableau qui suit est basé sur le graphique
de la page 23 de l’étude de 2017 et le tableau 4 de l’étude publiée en 2000.
(Les tableaux qui suivent ont été simplifiés, c’est pourquoi la somme des
colonnes ne donne pas 100 %.)
Pourcentage des
commerces ayant pignon sur rue selon la langue d’affichage, île de Montréal, 1997,
1999 (sans les centres commerciaux) et 2017 (sans les centres commerciaux)
1997
|
1999
|
2017
|
|
Français uniquement
|
52
|
47
|
22,8
|
Anglais uniquement
|
2
|
2
|
(1,6*)
|
*Ce dernier chiffre
inclut les messages des centres commerciaux ; compte tenu de ce que nous révèle
par ailleurs l’enquête, on peut estimer que dans les commerces ayant pignon sur
rue la proportion doit être proche de 2 %
Le tableau se lit
comme suit : en 1997, 52 % des commerces n’affichaient qu’en
français, etc.
Dans
les commerces ayant pignon sur rue, l’unilinguisme français est passé de
52 % en 1997 à 22,8 % en 2017. Les données de la première ligne sont
rigoureusement comparables entre elles puisque l’Office nous donne, page 23, un
graphique qui porte précisément sur l’affichage des messages en français dans
les commerces ayant pignon sur rue. On essaiera peut-être de faire valoir que
les données du graphique de 2017 représentent des effectifs réels non pondérés au
contraire des enquêtes de 1997 et de 1999. Ces réserves seraient valables si
nous n’avions affaire qu’à des écarts insignifiants. Mais une différence de
près de 30 points ne peut simplement s’expliquer par des considérations
méthodologiques. Si l’unilinguisme français diminue et que l’unilinguisme
anglais se maintient au fil des ans, c’est bel et bien parce qu’il y a
progression du bilinguisme.
Nous
venons de voir la situation des commerces qui n’affichent qu’en français (ou qu’en
anglais). Voyons maintenant la situation des commerces qui affichent du français (français seulement ou
français avec une autre langue).
Distribution des
commerces ayant pignon sur rue, selon le pourcentage de messages où il y a du
français, île de Montréal, 1997, 1999, 2010 (sans les centres commerciaux) et
2017 (sans les centres commerciaux)
1997
|
1999
|
2010
|
2017
|
|
De 0 à 49 %
|
1,4
|
1,7
|
14
|
|
De 50 % à 74 %
|
6,4
|
6,8
|
22
|
|
De 75 % à 99 %
|
14,8
|
17,1
|
23
|
|
100 %
|
77,4
|
74,4
|
41
|
Voici comment il faut lire le tableau précédent : en 1997, dans
77,4 % des commerces, tous les messages étaient en français ou avaient une
version française accompagnant l’autre langue ; 14,8% des commerces
avaient du français dans 75 % à 99 % de leurs messages, etc.
En
2010, 41 % des commerces ayant pignon sur rue avaient 100 % de leurs
messages en français seulement ou en français accompagnant une autre langue comparativement
à 77,4 % en 1997. Une baisse de 36,4 points. Nous n’avons pas les données
pour 2017.
Enfin,
on peut présenter le visage linguistique global de l’île de Montréal en ne
prenant plus comme unité d’analyse le commerce mais en envisageant l’ensemble
des messages. Pour ce faire, nous ferons appel au tableau de la page 24 de la
dernière étude et à celui de la page 51 de l’étude publiée en 2000 que nous
présenterons de façon simplifiée. Les données de 2017 incluent les centres
commerciaux.
Présence des langues
dans l’affichage en pourcentage, île de Montréal, 1997, 1999 (sans les centres
commerciaux) et 2017 (avec les centres commerciaux)
1997
|
1999
|
2017
|
|
Français uniquement
|
73,3
|
69,0
|
65,0
|
Français et anglais
|
7,3
|
9,2
|
7,8
|
Langue indéterminable
|
13,1
|
14,4
|
20,3
|
Anglais seulement
|
4,5
|
5,8
|
5,1
|
Le tableau se lit ainsi : en 1997, 73,3 % des messages
affichés étaient rédigés uniquement en français, 4,5 % étaient rédigés
uniquement en anglais, etc.
Les
conclusions que l’on peut tirer du dernier tableau sont les suivantes :
dans l’ensemble des messages affichés, l’unilinguisme français passe de
73,3 % en 1997 à 65 % en 2017. C’est une baisse de plus de 8 points.
Le bilinguisme se maintient de même que l’unilinguisme anglais. La proportion
des messages dont la langue est indéterminable (noms propres, toponymes, etc.)
a cru de façon importante (hausse de 7,2 points).
Rappelons
que dans le dernier tableau il ya un biais en faveur du français en 2017. Comme
nous l’avons indiqué plus haut, ces dernières comparaisons, qui incluent les
centres commerciaux, surévaluent la présence du français en 2017 dans les
messages affichés sur les devantures des commerces ayant pignon sur rue à
Montréal.
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