jeudi 23 février 2017

Schizoterminologie : de nouveaux exemples


Dans Le Devoir de ce jour, le traducteur Jean Delisle attire notre attention sur un emprunt sémantique à l’anglais :

Le mot « sanctuaire » est en fait un calque de l’anglais lorsqu’on lui donne le sens de réserve (faunique, naturelle) ou de refuge (pour femmes, pour sans-abri, pour animaux). Il me semble donc qu’il vaudrait mieux parler de « ville refuge » plutôt que de « ville sanctuaire ». Et le mot français a de surcroît l’avantage d’évoquer le substantif « réfugié » et le verbe « se réfugier ».


Son analyse rejoint celle du Grand Dictionnaire terminologique (GDT) de l’Office québécois de la langue française (OQLF) dans la fiche « réserve ornithologique » :

Le terme sanctuaire d'oiseaux, calqué de l'anglais bird sanctuary, est déconseillé puisqu'il entre inutilement en concurrence avec des mots comme réserve ou refuge qui sont déjà bien implantés en français.


Mais le GDT continue de véhiculer des fiches comportant un équivalent inapproprié : sanctuaire de chasse, sanctuaire de la flore et de la faune sauvages, des oiseaux migrateurs, sanctuaire faunique, ichthyologique, etc. Il est vrai que la majorité de ces fiches n’ont pas été produites par des terminologues de l’Office. Mais pourquoi diffuser des fiches qui contredisent d’autres fiches du GDT?


mercredi 22 février 2017

Réaction au texte de Lionel Meney


Les commentaires que les lecteurs laissent sur un blog passent souvent inaperçus. C’est pourquoi je reprends dans mon billet d’aujourd’hui le commentaire d’un internaute sur « Essor et déclin de l’endogénisme au Québec selon Lionel Meney » mis en ligne il y a deux jours :

Excellente analyse : je peux en témoigner; j'ai vécu de l'intérieur toute la période que M. Meney décrit très justement. Le résultat de la langue endogène triomphante c'est que, dans les universités françaises et dans les organisations internationales, la salle se vide quand les endogénistes interviennent ou font des interventions, totalement incompréhensibles. Ils ne se rendent pas compte qu'au moment où le Québec peut être de plus en plus présent sur la scène internationale, ils privent le Québec et les Québécois de chances exceptionnelles et les font reculer et s'isoler comme les générations précédentes n'auraient jamais imaginé.
André Sirois


mardi 21 février 2017

Schizoterminologie


Le président-fondateur et président honoraire de l’Association pour le soutien et l’usage de la langue française (ASULF), le juge à la retraite Robert Auclair, vient d’écrire à l’Office québécois de la langue française (OQLF) :

J’ai fait remarquer récemment à un journaliste que l’appellation salle de montre était un anglicisme de showroom. Il m’a rappelé à l’ordre rapidement en m’envoyant une copie de la fiche de l’Office sur ce mot. Je constate que salle de montre est maintenant un terme privilégié dans une fiche qui date de 2015. Autant que je sache, il s’agit d’une nouvelle orientation de l’Office. Ce choix me prend totalement par surprise. Pourquoi un tel revirement ? Je ne devine pas l’intérêt que votre organisme peut avoir à accepter cette appellation dénoncée depuis belle lurette chez nous.
Encore aujourd’hui, le MULTIdictionnaire et LE FRANÇAIS AU BUREAU de même que des auteurs comme Chouinard, Forest et Meney écartent cette appellation. Je ne vous demande nullement de justifier votre position, mais je ne peux m’empêcher de vous dire que je me l’explique mal. Y a-t-il plusieurs de ces nouvelles fiches qui changent une recommandation existante depuis longtemps ? Va-t-il falloir vérifier à chaque intervention s’il n’y a pas une fiche nouvelle qui pourrait contredire la précédente ? Franchement, ça m’agace.


Un groupe d’anciens terminologues de l’OQLF avait écrit à la présidente-directrice générale de l’Office en 2011 pour dénoncer ce «changement d'orientation regrettable dans les travaux terminologiques de l'Office.» Les signataires notaient qu’il y avait « deux tendances à l'Office ».


Ces deux tendances existent toujours.


Exemple de la première tendance : dans la fiche dénoncée par le juge Auclair, salle de montre est considéré comme un « terme privilégié », accompagné, il est vrai, de la mention « Québec ». Une note précise :


Salle de montre est acceptable en français. Les réserves émises sur ce terme n'ont pas lieu d'être. En effet, montre est employé ici au sens de « étalage, exposition, exhibition ». Cet usage, attesté en français depuis plusieurs siècles, est maintenant rare en Europe […]


Encore une fois, on nous sert l’argument que le terme n’a pas lieu d’être critiqué puisqu’il était en usage dans les siècles passés. Contre cet argument, j’ai proposé de faire valoir le principe du mulet du maréchal de Saxe : en effet, le maréchal Bugeaud disait que le mulet du maréchal de Saxe avait fait la guerre pendant trente ans et était toujours resté un mulet. En d’autres termes, l'ancienneté ne saurait être en soi un indice de capacité. Comme je l’ai déjà écrit dans ce blog, l’idéologie endogéniste véhiculée par certains terminologues veut nous faire faire un bond en arrière.


Exemple de la seconde tendance, qui constitue l’inverse de la première. Dans la fiche « développement » (considéré comme un « terme déconseillé » au sens de lotissement), on lit la remarque :

En français, le mot développement n’a pas le sens de « lotissement ». C’est un faux ami à éviter.

Pourtant, le mot développement en ce sens s’entend et se lit couramment au Québec. Pour d’autres mots de ce type, le GDT utilise les marques « langue courante », « Québec », ou encore « terme à usage restreint ». Deux poids, deux mesures.


Le GDT souffrirait-il de schizoglossie ? Rappelons que pour Einar Haugen* (linguiste américain d’origine norvégienne), la schizoglossie est « la maladie linguistique dont peuvent être atteints les locuteurs et les scripteurs exposés à plus d’une variété de leur propre langue ».
____________
* Einar Haugen, « Schizoglossia and the linguistic norm », Monograph Series on Languages and Linguistics 15, Georgetown U.P., 1962, pp. 63-69.


lundi 20 février 2017

Essor et déclin de l’endogénisme au Québec selon Lionel Meney


« Dans les années 1960-1970, la génération alors en place dans le réseau universitaire et les organismes chargés de la langue défendait la norme du français standard international et la nécessité de se rapprocher de la France en matière de langue.

[…]
Avec les années 1970 est arrivée une génération de jeunes universitaires québécois. Pour la plupart formés en France, en particulier à Aix-en-Provence et à Strasbourg, munis d’un doctorat d’université ou de 3e cycle, ils sont rentrés au Québec avec de belles perspectives de carrière. Les universités étaient alors en plein développement, les postes, nombreux. La linguistique, la sociolinguistique, la planification linguistique, la traduction, les études contrastives de l'anglais et du français, la lexicographie québécoise, la terminologie, portées par le mouvement nationaliste, étaient à la mode. On créait des programmes d’enseignement, des centres de recherche, tenait des colloques. Les financements étaient nombreux et faciles à obtenir. L’ancienne génération n’avait qu’à s’effacer.


Un véritable réseau endogéniste s’est formé dans le petit circuit des universités québécoises francophones (au nombre de 4), en particulier dans les facultés des lettres et celles des sciences de l’éducation, et dans les organismes provinciaux chargés de la langue (Conseil de la langue française, Office de la langue française, Secrétariat à la politique linguistique, ministère de l’Éducation). Vis-à-vis de l’extérieur, le groupe était uni par son rejet de la norme française, sa recherche d’une norme québécoise, ce qui n’empêchait pas qu’à l’intérieur il était marqué par des dissensions idéologiques opposant québécisants et aménagistes, mais aussi par des conflits de personnes.

[…]
Cette génération s’éloigne à son tour, laissant la place à une autre génération, qu’elle a formée selon son idéologie et qu’elle a placée aux rares postes restant dans les universités et les organismes d’État. Contrairement à la précédente, cette génération n’a pas connu d’expérience étrangère, n’a pas été en contact avec d’autres variétés de français, hormis celle du Québec, ayant étudié dans la province, souvent dans une seule université. L’intérêt de la société et des autorités pour la linguistique a fortement décliné. Après les vaches grasses des années 1970-1990, qui ont permis le financement de nombreux projets lexicographiques, c’est la période des vaches maigres.


On peut se demander combien de temps encore le mouvement endogéniste pourra dominer le champ linguistique alors qu’il va à contre-courant du sentiment majoritaire de la population québécoise qui désire une norme internationale. Selon des sondages menés par l’Office québécois de la langue française[i], quand on demande aux Québécois s’ils ont l’impression de parler québécois ou de parler français, ils sont 52,6 % à répondre « québécois » et 47,4 %, à répondre « français ». Mais, quand on leur demande si le français correct enseigné dans les écoles doit être le « français international », ils répondent oui à 76,8 %. »

– Lionel Meney, Le Français québécois entre réalité et idéologie. Un autre regard sur la langue, Presses de l’Université Laval, 2017.





[i] Jacques Maurais, Les Québécois et la norme. L'évaluation par les Québécois de leurs usages linguistiques, Office québécois de la langue française, Québec, 2008, p. 22.

dimanche 19 février 2017

Nouvelle parution


Les Presses de l’Université Laval viennent de publier Le Français québécois entre réalité et idéologie. Un autre regard sur la langue de Lionel Meney.


Présentation de l’éditeur :

Au Québec, en matière de langue, le choix d'un modèle de "bon usage" devant guider les locuteurs est l'objet d'un débat permanent. Deux camps s'opposent. D'un côté se trouvent les partisans de l'adoption d'une norme "endogène" (nationale), qu'ils désignent sous le nom de "français québécois standard". De l'autre se situent les défenseurs de l'utilisation d'un français international commun à tous les francophones, tel qu'il est décrit dans les dictionnaires de référence. Ils l'appellent le "français standard international". Les "endogénistes" affirment qu'il existe véritablement une norme propre au Québec, distincte de la norme internationale, et qu'il convient de la privilégier. Dans Le Français québécois entre réalité et idéologie. Un autre regard sur la langue, Lionel Meney déconstruit leur théorie. Pour la première fois, en s'appuyant sur une étude objective approfondie de la langue des journaux québécois, il montre à l'aide de nombreux exemples qu'il n'y a pas, sur le marché linguistique québécois, une seule norme, qui serait ce "français québécois standard", mais deux, un français québécois et un français international. Les deux coexistent et se font concurrence. Une conclusion s'impose : le "français standard international" fait autant partie du paysage linguistique québécois que le "français québécois standard". Vouloir privilégier le seul français québécois est un choix purement idéologique. Imposer le second contre le premier, c'est aller contre la tendance de fond du marché linguistique, qui montre les progrès constants du français international.




Extrait de la préface d’Yves Laberge :

L’auteur du présent ouvrage s’est toujours attaché à décrire le plus justement possible la variété de français en usage au Québec et à déconstruire les idéologies qu’elle a suscitées. Dans son Dictionnaire québécois-français (1999), premier dictionnaire bivariétal francophone, il s’est donné pour tâche de délimiter objectivement le français québécois, en dressant un inventaire de ses particularismes, sans jugement de valeur et en comparaison avec le français de référence. Par la suite, dans Main basse sur la langue, il a entrepris de déconstruire les idéologies linguistiques dominantes au Québec telles qu’on les retrace dans les dictionnaires publiés au cours des dernières décennies et sur certains sites gouvernementaux. Aujourd’hui, Le français québécois entre réalité et idéologie représente une nouvelle étape dans cette recherche de la description la plus objective possible de la vraie nature du français québécois et du marché linguistique d’ici, ainsi que dans cette déconstruction des idéologies linguistiques endogénistes


vendredi 17 février 2017

Sixième anniversaire


C’est cette semaine le sixième anniversaire de la publication, dans Le Devoir, du manifeste des anciens terminologues de l’Office québécois de la langue française (OQLF), Au-delà des mots, les termes. Le manifeste dénonçait le changement d’orientation dans les travaux terminologiques de l’Office. « L’Office ne peut se limiter à observer et à enregistrer l'usage, ou les usages en concurrence, comme l’exigerait la démarche lexicographique, car il a le mandat de déterminer quel usage il faut préconiser », affirmaient les signataires. Le manifeste a été signé par dix-neuf anciens terminologues de l'OQLF. Il a reçu l’appui d’une centaine de professionnels de la langue, linguistes, terminologues, traducteurs, correcteurs ou réviseurs.



jeudi 9 février 2017

Recul ou progrès de l'anglicisation ?


Dans Le Devoir de ce jour, la linguiste Louise-Laurence Larivière signe un court texte intitulé « Le français recule-t-il au Québec ? » : 



Oui, il recule. Voici quelques exemples. Autrefois, les artistes partaient en tournée, se produisaient sur une scène et se donnaient la réplique. Maintenant, ces artistes sont sur la route (on the road), sur un stage et oublient parfois leurs lignes (lines). Autrefois, les joueurs de hockey jouaient à l’étranger. Maintenant, eux aussi sont sur la route. Certains titres d’émissions de télévision possèdent un mot français : Star Académie, Star Système, mais la structure inversée n’est pas française, mais anglaise. On devrait dire L’Académie des stars et Vedettariat (non pas le Système des stars). Le titre inversé Fatale-Station est aussi un anglicisme, alors que l’on devrait dire Station fatale. De plus, pourquoi ces germanismes : Oktobierfest (à Sainte-Adèle) et Igloofest (à Montréal) ? Le Festival de la bière et le Festival de la neige ou le Festival d’hiver ne sont pas des titres assez accrocheurs ? Que dire, finalement, de ce cri du cœur de France Beaudoin lors de l’émission En direct de l’univers du Jour de l’An : « Hallelujah de Leonard Cohen est la plus belle chanson québécoise » ? Quand on en est à qualifier une chanson en anglais de « plus belle chanson québécoise » (indépendamment de la qualité de cette chanson), on peut se poser des questions sur l’avenir du français au Québec !

Il n’est pas nécessaire d’aller bien loin pour trouver d’autres exemples. Il y en a déjà beaucoup dans Le Devoir lui-même. Il y a quelques semaines, la chroniqueuse Francine Pelletier parlait d’une « démonstration » au lieu d’une manifestation. La semaine dernière, dans un article sur la fusillade de la mosquée de Québec qui lui a valu une volée de bois vert, elle parlait de loner et de nerd. Dans sa chronique du 25 janvier, elle écrivait : « près de trois millions de personnes ont pris la rue partout sur la planète». Prendre la rue, to take to the street : en français, on descend dans la rue. Radio-Canada n’est pas en reste avec des titres d’émission comme « Médium large » et « La soirée est encore jeune » (the evening is still young). Et dans la vie de tous les jours on peut entendre l’interjection oh my God ! alors qu’il n’y a quand même pas si longtemps on disait mon Dou ! ou mon Dieu !


La question qu’on doit se poser est toujours la même : les Québécois utilisent-ils plus d’anglicismes aujourd’hui que naguère ? Difficile d’y répondre. Car on peut trouver des exemples d’anglicismes disparus ou en voie de disparition. Dans le numéro du Devoir d’aujourd’hui, la journaliste Odile Tremblay parle à propos de livres de meilleures ventes plutôt que de meilleurs vendeurs (best sellers). Et dans la vie de tous les jours (du moins à Québec), rupture de stock semble avoir éliminé back order.

Mais les mauvaises traductions continuent de fleurir :