Lionel
Meney publie aujourd’hui un livre où il est beaucoup question de l’anglicisation
de la France. Et, aussi, du recul du français au plan international.
Lionel
Meney publie aujourd’hui un livre où il est beaucoup question de l’anglicisation
de la France. Et, aussi, du recul du français au plan international.
L’Office québécois de la
langue française (OQLF) vient de publier une étude sur la langue d’accueil et
de service dans les commerces. Déjà en 1988, le Conseil de la langue française
(aujourd’hui disparu) avait fait une enquête sur ce thème à Montréal, enquête
reprise en 1995. Cette fois-ci, les enquêteurs ont aussi visité des commerces
de localités autres que Montréal.
On peut non seulement
regretter mais déplorer que, dans la constitution de son échantillon de
commerces montréalais en 2023, l’OQLF n’ait pas eu la présence d’esprit, ou
tout simplement l’intelligence, de faire des sous-échantillons qui auraient
permis de faire des comparaisons fiables avec les résultats de 1988 et de 1995.
On aurait pu voir l’évolution sur 35 ans ! Il y a à l’OQLF un Comité de
suivi qui ne semble plus comprendre que le suivi qu’il a à faire doit s’inscrire
dans la longue durée.
Je ne peux donc que faire
quelques comparaisons bancales à partir des résultats de la dernière enquête.
De 1988 à 1995, l’accueil en
français dans les commerces sur rue du boulevard Saint-Laurent passait de
72 % à 86 %. En 2023, il est de 74,2 % dans le centre de Montréal
(zone évidemment plus vaste). Les échantillons ne sont pas comparables mais
rien n’interdit de s’interroger sur le recul du français comme langue d’accueil
dans le centre-ville.
Regardons maintenant l’ouest
de l’île. Voici un tableau qui résume les résultats ; la comparaison est
statistiquement valable pour 1988 et 1995 mais non pour 2023 :
Langue
d’accueil dans les commerces à Montréal
(en %
des commerces sur rue)
|
1998 |
1995 |
2023 |
|
Centre-ville ouest |
59 |
66 |
Zone
ouest |
49 |
Côte-des-Neiges-Snowdon |
60 |
53 |
On peut se demander s’il n’y
aurait pas eu une baisse dans l’accueil en français dans l’ouest de l’île de
Montréal depuis 35 ans. Mais on ne peut l’affirmer.
Le rapport de l’OQLF conclut
toutefois à un recul du français comme langue d’accueil de 2010 à 2023 :
Entre
2010 et 2023, le taux d’accueil en français a diminué de 13 points de
pourcentage, passant de 84 % à 71 %.
Entre
2017 et 2023, dans les zones est et nord, le taux d’accueil en
français a diminué de plus de 5 points de pourcentage (de
96 % à 91 % dans la zone est et de 83 % à 78 % dans
la zone nord).
Dans
la zone ouest, cette diminution a été de 3 points de pourcentage (de 52 %
à 49 %). Le taux d’accueil en français dans la zone centre est
demeuré semblable à celui de 2017, s’établissant à 74 %.
[Points de pourcentage = percentage point. En
français correct : point, tout court.]
On peut se demander si ce
recul n’aurait pas été plus grand si on avait pu faire la comparaison avec les
enquêtes de 1988 et de 1995.
Rappelons que l’OQLF, dans
sa dernière enquête sur l’affichage, n’avait pas non plus jugé bon d’utiliser
une méthodologie qui aurait permis la comparaison avec les enquêtes antérieures :
cliquer ici pour lire mes commentaires.
* * *
L’enquête de 1995 avait
vérifié s’il y avait une différence dans la langue de l’accueil quand le client
faisait partie d’une minorité. Boulevard Saint-Laurent, l’accueil en français
passait dans ce cas de 86 % à 72 %. On ne sait pas si l’on a pris en
compte cette variable dans l’enquête de 2023.
Une lectrice, Diane Lamonde, me signale qu’elle a vu dans la presse européenne le mot lapin et l’expression poser un lapin pour traduire « no show ». Effectivement, on en trouve facilement plusieurs attestations dans Internet :
TF1
Info, 19 avril 2023 : Ne pas se rendre à un restaurant malgré votre
réservation peut vous coûter très cher. Certaines tables n'hésitent plus
désormais à exiger une empreinte bancaire lors de la réservation, pour pouvoir
débiter en cas d'absence du client. La raison de cette pratique armée de
méfiance ? Trop de lapins !
Ouest-France, 3
septembre 2022 : « No show », ces lapins que les restaurants ne
digèrent plus en Loire-Atlantique
Noovo
(La Presse canadienne), 27 mars 2023 : «No show»: les restaurateurs
trouvent qu’ils se font poser un lapin plus souvent
BFM
Business, 8 août 2023 : "Poser un lapin" à un professionnel:
le coût exorbitant d'une pratique fréquente
Les
réservations non honorées, ou "no-show", peuvent représenter une
perte allant jusqu'à 10% du chiffre d'affaires, estime la vice-présidente de la
confédération nationale des instituts de beauté et spas.
Paris-Normandie,
11 août 2023 : « No show » : après les restaurants,
les coiffeurs normands victimes des « lapins » de clients indélicats
Lapin et poser
un lapin relèvent incontestablement de la langue familière. On s’étonne quIls
ne figurent pas déjà dans le GDT (Grand dictionnaire terminologique) de l’OQLF
(Office québécois de la langue française), si prompt à enregistrer, voire à
légitimer, les usages de la « langue courante ».
Il est question dans
l’actualité en France de faire payer 10 euros pour un rendez-vous médical
non honoré. L’expression est reprise dans plusieurs médias. Il peut être
rassurant de constater que, dans la Start-Up Nation du président Macron,
on ne parle pas de « no show ».
Dans le domaine de l’hébergement et du tourisme, le GDT avait repris une fiche de 1978 de l’ancienne Association française de terminologie, « défection »
(mais, depuis 2022, le mot n'apparaît que comme synonyme de « défaillance »).
Proposition curieuse. Avant la chute du mur de Berlin en 1989, on faisait
défection à l’Est ou à l’Ouest, pas nécessairement avant de se rendre à son
hôtel.
On trouve « défaillance » et « défaillant »
dans France Terme. Le GDT reprend « défaillant ». Il a aussi « client
défaillant » et « défaillance du voyageur ». On parle déjà d’une
défaillance technique, cardiaque, mécanique. Mais une défaillance du
voyageur ? On peut bien penser que le client défaillait lorsqu’il est
arrivé à l’hôtel, mais dans ce cas sa défaillance ne l’a pas empêché d’honorer
son rendez-vous.
France Terme comme l’Office sont partis de l’anglais sans
essayer de penser en français, sans faire abstraction de l’anglais. Cela donne
un résultat pitoyable.
En 2018, j’avais mis en
ligne un billet portant sur l’expression anglaise « no show »
utilisée en français, tant en France qu’au Québec : je vous invite à le
lire (en cliquant ici), il est plus complet que le présent billet.
À la suite de la chronique
de Jean-François Lisée sur l’étude Langue de l'espace public au Québec en
2022, l’Office québécois de la langue française a apporté une rectification :
Contrairement
à ce qui a été mentionné par l'Office à la suite de la sortie de l'étude, la
pondération a été effectuée à partir des données du recensement de 2021 et
non à partir de celles du recensement de 2016. L'échantillonnage, quant à lui,
a bel et bien été effectué sur la base du recensement de 2016.
Mais cela ne répond pas à
toutes les questions que pose cette étude, en particulier aux critiques que j’ai
faites dans le billet précédent.
En outre, que dire du taux
de non-réponse ? Il est de 77 % dans l’enquête de 2022 et de
54 % dans celle de 2016. Cela n’affecte-t-il pas la validité des
résultats et des comparaisons ? Est-ce pour cette raison que l’étude parle d’un échantillon « assez
représentatif » ?
Jean-François Lisée a
publié, dans Le Devoir du mercredi 10 avril 2024, une chronique
fracassante. Ou plutôt une chronique qui fracasse l’étude Langue de l’espace
public au Québec en 2002 de l’Office québécois de la langue française
(OQLF).
Il se demande « pourquoi
une étude dont le terrain a eu lieu au début 2022 n’est publiée qu’en mars
2024, alors que la situation démographique québécoise change à un rythme jamais
enregistré depuis, disons, la Conquête ». En effet, de 2022 à 2024, « la
progression du nombre d’immigrants temporaires est passée en deux ans de
quelque 290 000 à plus de 560 000. » Lisée croit que l’étude
aurait dû être publiée « en précisant que ses insuffisances étaient telles
qu’il ne fallait en tirer aucune conclusion sur le présent. Cela aurait évité
aux commentateurs peu versés en méthodologie de brandir ces chiffres pour
affirmer que la situation est ‘ stable ‘, voire que davantage
d’anglophones qu’avant adoptaient la langue de Félix à la ville. Le contraire
est indubitablement vrai. ».
Les arguments de Lisée sont
dirimants : vous pouvez en prendre connaissance en cliquant ici.
J’ajouterai quelques points
aux critiques de Jean-François Lisée.
Il s’agit d’un rapport
anonyme. Pas de préface de la présidente de l’OQLF. On ne dit même pas si le
rapport a été approuvé par le Comité de suivi de la situation linguistique au
Québec.
À la page 4 on peut
lire :
Les
personnes sondées étaient invitées à répondre au questionnaire en se basant sur
l’expérience qu’elles avaient vécue au cours des six mois précédant le sondage.
Or, lors de cette période de référence, étant donné la pandémie de COVID-19,
des mesures sanitaires étaient en vigueur, dont la fermeture des salles à
manger des restaurants et l’obligation de présenter un passeport vaccinal pour
fréquenter certains commerces. Les interactions au sein de l’espace public,
c’est-à-dire les interactions à l’extérieur de la maison avec des personnes
autres que les parents ou amis, étaient ainsi moins nombreuses et moins variées.
On veut étudier la langue
des interactions dans l’espace public dans une période où on admet qu’elles
étaient moins nombreuses et moins variées. Et on ose en plus comparer les
résultats à ceux de 2016, une période « normale ». On marche sur la
tête !
Enfin, il y a une innovation
méthodologique : la notion d’échantillon « assez représentatif »
(p. 43)! Avant, un échantillon était représentatif ou pas.
Ma conclusion est dans le
titre de ce billet.
Dans
les messages publiés par un réseau de chercheurs auquel j’appartiens, je
commence à voir le mot chercheureuses utilisé comme pluriel de chercheur
et chercheuse.
Hier
sur une chaîne britannique j’entendais pour la première fois l’expression « woman
born female ». Je vais sans doute finir par m’habituer à entendre « persons
with wombs » pour désigner les femmes.
En France,
le 12 mars, lors des questions au gouvernement, la ministre déléguée à
l'Enfance, à la Jeunesse et des (sic) Familles a demandé à Sandrine Rousseau de ne « pas
jeter l'eau propre sur l'ensemble des professionnels ».
Incontestablement
le niveau monte. La députée avait déjà atteint son niveau de crue (cliquer ici),
la ministre va bientôt la rattraper.
Ce n’est
pas un poisson d’avril.
Conseil houleux et statu quo
à Sainte-Pétronille
Salle qui déborde, questions
coupées court, « appel au calme » : le conseil municipal a été
houleux lundi soir à Sainte-Pétronille.
—Le Soleil,
5 février 2024
Dans
la citation qui précède, conseil municipal (ou conseil tout court) signifie « séance du
conseil municipal ». Cet usage, fort courant au Québec et relevant à l’évidence
de la langue standard tant écrite qu’orale, n’a pas été enregistré par Usito
malgré ses prétentions : « Le dictionnaire Usito décrit tous
les mots du français standard actuellement en usage au Québec, attestés dans
les écrits de langue soignée (registres neutre et soutenu) » (page d’accueil du site).
Usito,
s.v. municipal, ne donne que l’expression conseil municipal, sans
définition. En comparaison, le Trésor de la langue française informatisé (TLFi)
offre la définition suivante : « Assemblée délibérante composée du
maire, de ses adjoints et des conseillers municipaux délégués ou non » et, par métonymie, «séance du conseil municipal».
J’ai
déjà donné de nombreux exemples des insuffisances d’Usito dans la description
du français québécois : par exemple cliquer ici, ici ou ici.
Dans
le cadre de son cours, toujours à Regina Assumpta, une autre prof devait
aborder le thème de l’identité. Elle raconte : « Alors que nous
étions en pleine discussion sur nos valeurs en tant que citoyens, un des deux
élèves de souche de mon groupe a levé la main pour s’exprimer. C’est alors que
tout le groupe s’est mis à rire et à huer en disant que les Kebs n’avaient pas
de valeurs et que nos filles et nos femmes sont en fait des traînées (j’emploie
un vocabulaire acceptable ici […]). Je suis rapidement intervenue et fus coupée
par un grand gaillard d’origine maghrébine qui m’a lancé : “Madame, vous
ne pouvez pas comprendre parce que les Kebs, vous n’avez pas de culture. Vous
faites des trucs de Blancs comme aller au chalet et faire du ski et vous
n’éduquez pas vos enfants.” »
—Jean-François
Lisée, « Identité anti-québécoise », Le Devoir, 24 février 2024
J’ai
découvert le mot Keb pour désigner un Québécois dans cette chronique de
Jean-François Lisée. Le mot est inconnu du Wiktionnaire et d’Usito (rien d’étonnant,
sa base de données semble ancienne) et on le trouve très peu dans Internet :
il s’emploie pour désigner un club de basketball (les Kebs de Laval ou Kebekwa
de Laval : « C'est la fin pour les Kebs à Québec », Le Soleil,
3 mai 2012) ou en parlant du rap (« Le meilleur du ‘rap keb’ de la
dernière décennie », Journal de Québec, 16 mai 2020).
À en
croire les témoignages réunis par Jean-François Lisée, le mot serait courant
dans la langue parlée des élèves de Montréal et serait utilisé dans un contexte
de dénigrement. Il cite deux témoignages d’enseignants :
« Dans
toutes les écoles de la région de Montréal où j’ai travaillé ces 15 dernières
années, je n’en reviens pas de constater l’attitude de mépris ou de honte à
l’égard de la langue et de la culture québécoise. »
« Les
élèves détestent les francophones. On fait la vie très dure à ceux qui veulent
parler français et défendre le fait français : ils sont humiliés et
dénigrés en personne et sur les réseaux sociaux »
Voici
un exemple de la difficulté non pas de hiérarchiser (cf. billet du 19 février 2024), non pas de décrire mais tout simplement de relever les usages québécois.
Depuis quelque temps il est régulièrement question du BAPE dans les médias. Le
dictionnaire Usito, « premier dictionnaire électronique à décrire le
français standard en usage au Québec », a bien relevé l’acronyme et il en
donne la signification : Bureau d'audiences publiques sur l'environnement.
Mais il n’a pas enregistré son usage pour désigner « un examen du Bureau d'audiences
publiques sur l'environnement », usage tout à fait standard en français
québécois depuis bien des années. En voici quelques exemples pigés au hasard :
Benoît
Charette doit mettre ses culottes de ministre de l'Environnement et tenir un BAPE
sur le projet de Northvolt (Journal de Québec, 1er février 2024
Québec
demande un BAPE à Northvolt […] (Journal de Montréal, 10 novembre
2023)
Le
ministre Charette est donc forcé de déclencher un BAPE pour cet
aspect du projet (Journal de Montréal, 10 novembre 2023
L'usine
de recyclage de batteries soumise à un BAPE (titre de L’œil régional, Belœil,
5 novembre 2023)
Que
la rencontre se fasse juste avant le déclenchement du BAPE
correspond à renier la valeur de nos processus de consultation (Le Quotidien,
17 janvier 2020)
Le
président du Partenariat du Quartier des spectacles ne mâche pas ses mots et
évoque l'idée d'un BAPE pour le milieu culturel (HuffPost, 16 janvier
2019)
BAPE «
tronqué » sur Énergie Est (titre dans L’Aut’journal, 3 mars 2016)
Un
nouveau BAPE est déclenché (La Presse, 15 décembre 2014)
Je me demande si la description du français québécois que prétend faire Usito ne s’est pas arrêtée il y a bien des années. Je faisais déjà cette remarque dans un billet le 8 janvier 2013.
Depuis
longtemps les endogénistes affirment leur volonté de procéder à une
hiérarchisation des usages linguistiques au Québec. En témoignent ces propos
tenus par deux des principaux promoteurs de cette tendance à la Commission
permanente de la culture de l’Assemblée nationale lors de la séance du
5 septembre 1996 :
[…]
définir une véritable politique d'aménagement de la langue commune au Québec,
c'est-à-dire une politique qui viserait à hiérarchiser les divers usages du
français québécois
Il
importe donc de fournir aux Québécois et Québécoises des renseignements précis
sur ces emplois corrects et critiqués de ces formes; cela fait partie, on l'a
dit, de l'établissement d'une norme québécoise et d'une hiérarchisation de nos
usages.
[…] les
Québécois et Québécoises n'ont pas accès à la description de ce français
québécois soutenu ou standard et à la hiérarchisation des usages autour de ce
français québécois standard. L'aménagement de la langue passe d'abord par la
prise en compte et la hiérarchisation des usages autour d'un français québécois
standard, c'est-à-dire du bon usage du français au Québec. Pour arriver à
décrire de façon adéquate ce français québécois et surtout ce bon usage, ce bon
modèle de la langue au Québec, nous voyons comme premier moyen la rédaction
d'un dictionnaire. C'est le seul ouvrage de base où les usages linguistiques du
Québec peuvent être hiérarchisés et le français québécois standard explicité. Une
fois établie clairement la hiérarchisation des usages et la norme du français
québécois, il faut s'assurer ensuite du respect de cette norme, c'est-à-dire de
la pratique quotidienne d'un français de qualité.
Il leur
faut des ouvrages de référence de qualité et fiables dans lesquels la
hiérarchisation des usages sera clairement établie et le français québécois
standard écrit parfaitement décrit.
Il n’y
a qu’une seule langue française, avec des variétés internes, et il s’agit de
les hiérarchiser.
On
l’a bien lu : il s’agit de hiérarchiser les usages et non de les décrire,
ce qui serait l’objectif de tout linguiste ou lexicographe normal.
« Une
fois établie clairement la hiérarchisation des usages et la norme du français
québécois, il faut s'assurer ensuite du respect de cette norme » :
par quelle police ?
Je
ne suis pas le premier à attirer l’attention sur le danger que représente cette
conception des usages québécois qu’il faudrait hiérarchiser. Le porte-parole de
l’Opposition officielle à la même Commission parlementaire, Pierre-Étienne
Laporte, ancien président de la Commission de protection de la langue
française, puis de l’Office de la langue française, puis du Conseil de la
langue française, avait émis des réserves sévères sur cette façon de
faire :
[…] il
faut faire preuve, en particulier dans le domaine pédagogique, pour qu'une fois
qu'une variété linguistique est reconnue comme la variété légitime on évite de
créer de l'exclusion sociale.
[…]
entre nous et vous, il y a, disons, un désaccord qui tient au besoin que nous
ressentons d'être d'autant plus prudents qu'ayant réussi à nous libérer de
certaines exclusions que d'autres avaient voulues pour nous, nous ne nous
retrouvions pas à nous exclure nous-mêmes ou à exclure par nous-mêmes certains
de nos concitoyens qui ne se placent pas seulement à différents niveaux d'une
échelle de niveaux de langue, mais qui parlent un français québécois populaire,
comme certains de nos amis français ont bien mis en évidence qu'en France il se
parle – s'écrit, c'est autre chose – un français populaire.
Exclure
par nous-mêmes certains de nos concitoyens ? N’est-ce pas
là le principe de la lutte des classes ?
Une collaboratrice
des deux aménagistes cités plus haut est allée dans le sens de Pierre-Étienne Laporte :
« Il faut avoir l’esprit bien peu scientifique pour oser défendre une
hiérarchisation des usages du français » (Le Devoir, 11 juillet 1997). Et cela un an après que ses
collègues eurent tenu en commission parlementaire les propos que je viens de
rapporter.
Une
étudiante de la même université a écrit[1] :
« On peut donc reprocher à [Diane] Lamonde de poser sur le français
québécois un regard qui manque d’objectivité, étant de toute évidence atteint
par le préjugé populaire qui classe hiérarchiquement les variétés du
français ». Était-ce une façon indirecte de faire un reproche à ses
professeurs ? Quant à Diane Lamonde, il y a bien longtemps que j’ai lu son
livre mais je ne me rappelle pas qu’elle ait soutenu l’idée saugrenue de
procéder à la hiérarchisation des usages. Elle a bien au contraire critiqué
vertement le courant aménagiste.
[1] Compte
rendu de Diane Lamonde, Le maquignon et
son joual, Dialangue 10, 1999,
Université du Québec à Chicoutimi, p. 122.
Comme mes lecteurs ont pu
s’en rendre compte à quelques reprises, je suis exaspéré par la pratique,
devenue courante dans le Grand Dictionnaire terminologique (GDT), d’affirmer
sans preuve que tel ou tel mot fait partie de la « norme sociolinguistique
du français au Québec ». Dans sa Politique de l’emprunt linguistique
(2017), l’Office québécois de la langue française (OQLF) va même jusqu’à
affirmer que « chaque emprunt est évalué en fonction : […] de son
adéquation à la norme sociolinguistique du français au Québec (c’est-à-dire de
sa légitimité dans l’usage) » (p. 9). Sur la base de quelle
enquête ? Aucune ! C’est tout simplement de la pifométrie.
Pourtant il y a eu
quelques enquêtes qui donnent une idée du sentiment sociolinguistique des
Québécois. Mais leurs résultats ne correspondent pas aux attentes des
idéologues endogénistes. Voici un neuvième billet rendant compte des résultats
de quelques-unes de ces enquêtes.
On trouve dans plusieurs
fiches du GDT la mention : « termes utilisés dans certains
contextes ». Le recours au mot contexte
montre bien que, pour les auteurs des fiches du GDT, la langue est d’abord
conçue, ou perçue, comme quelque chose que l’on trouve dans les dictionnaires
ou au moins dans des textes et non comme un phénomène avant tout sonore. La
preuve en est que l’on ne trouve à peu près aucune indication de la façon dont
on peut ou doit prononcer un mot — même pas dans la fiche
« sauce Worcestershire », nom que peu de gens réussissent à prononcer
de façon intelligible sinon correcte du premier coup. Voici un autre exemple
qui vaut son pesant d’or : « Au Québec, chambre
de bains et chambre de bain sont surtout relevés dans des
contextes de langue courante, tandis que salle de bains et salle de
bain sont employés dans toutes les situations de communication. » A
priori, puisqu’il est question de langue courante, on pourrait croire qu’on inclut
la langue parlée mais, en parlant, fait-on la distinction entre chambre de
bains et chambre de bain ? Chambre de bainze, salle de
bainze ? On voit bien qu’on ne prend en compte que l’écrit.
Quand on ne tient aucun
compte des circonstances des prises de parole il faut se lever de bonne heure
pour affirmer que tel ou tel terme fait partie de la « norme
sociolinguistique du français au Québec ». La norme de quelle catégorie
sociale ? S’exprimant dans quelles circonstances ? « Dans
certains contextes », disons plutôt dans certaines circonstances, on
entend « clutch », « wiper », « tyre », « dash »
tout comme dans d’autres circonstances on entend « salle de bain ».
Pourquoi ne pas même mentionner que ces termes n’appartiennent pas (ou ne
devraient pas appartenir ?) à la « norme sociolinguistique du
français au Québec » ?
Je rappelle quelques
conclusions de mon enquête sur l’utilisation et la connaissance du vocabulaire
français dans un secteur du monde du travail et du monde de l’enseignement
technique, celui de la mécanique automobile.
L’échantillon était composé
de travailleurs et d’élèves du secteur de l’automobile habitant dans la RMR de
Montréal et nés au Québec. Plus spécifiquement, les personnes interrogées se
divisaient en cinq catégories : vendeurs d’automobiles, commis aux pièces,
commis à la clientèle, mécaniciens et élèves de l’enseignement technique.
Dans une autre enquête, une
partie de ce questionnaire a aussi été présentée à un échantillon
représentatif des régions métropolitaines de recensement de Montréal et de
Québec (701 personnes).
Les vendeurs et les commis à
la clientèle étaient plus nombreux à déclarer utiliser les termes standard pour
nommer des pièces ou des composantes de l’automobile que les commis aux pièces,
les mécaniciens ou les élèves.
Les travailleurs du secteur
de l’automobile qui étaient directement en contact avec la clientèle portaient donc
une attention particulière aux termes qu’ils employaient. En d’autres termes,
les répondants se répartissaient en deux groupes bien typés : les
commerciaux ou cols blancs, plus en contact avec le public et déclarant utiliser
dans une forte proportion les termes standard, et les ouvriers ou cols bleus,
qui conservaient dans une plus forte proportion l’utilisation d’un vocabulaire
non standard comprenant plusieurs termes anglais.
Il y a donc une
stratification sociale dans les réponses.
Les résultats des élèves de
l’enseignement professionnel étaient presque toujours plus faibles que ceux des
quatre catégories de personnel travaillant chez les concessionnaires
d’automobiles et même que ceux du grand public.
Les élèves déclaraient un
comportement linguistique analogue à celui des commis aux pièces et des
mécaniciens, mais à un niveau plus ou moins sensiblement inférieur.
À partir du moment que le
GDT fait un travail plus lexicographique que terminologique, il n’est pas
normal qu’il ne tienne pas compte du parler des classes populaires. C’est de la
discrimination sociale.
Pourquoi
le GDT ne reviendrait-il pas à une démarche purement terminologique ?
________
Pour plus de
renseignements sur cette enquête, voir mon billet « Du char à l’auto ».
Comme mes lecteurs ont pu s’en rendre compte à quelques reprises, je
suis exaspéré par la pratique, devenue courante dans le Grand Dictionnaire
terminologique (GDT), d’affirmer sans preuve que tel ou tel mot fait partie de
la « norme sociolinguistique du français au Québec ». Dans sa Politique
de l’emprunt linguistique (2017), l’Office québécois de la langue française
(OQLF) va même jusqu’à affirmer que « chaque emprunt est évalué en
fonction : […] de son adéquation à la norme sociolinguistique du français au
Québec (c’est-à-dire de sa légitimité dans l’usage) » (p. 9). Sur la
base de quelle enquête ? Aucune ! C’est tout simplement de la
pifométrie.
Pourtant il y a eu quelques enquêtes qui donnent une idée du sentiment
sociolinguistique des Québécois. Mais leurs résultats ne correspondent pas aux
attentes des idéologues endogénistes. Voici un hutième billet rendant compte
des résultats de quelques-unes de ces enquêtes.
La
sociolinguiste belge Marie-Louise Moreau a utilisé une procédure astucieuse[1].
Elle demande quelle pilule les enquêtés choisiraient si son ingestion
permettait de parler telle langue ou telle variété de langue. Je me suis
inspiré d’elle pour formuler la question suivante de mon enquête de 2004 :
« Si on disait qu’il existe des pilules vous permettant de parler
parfaitement le français d’Europe ou parfaitement le français québécois mais
que vous ne pourriez prendre qu’une seule de ces pilules, choisiriez-vous… la
pilule vous permettant de parler le français d’Europe, la pilule vous permettant
de parler le français québécois ? »
Les
anglophones sont également partagés entre le modèle du français européen et le
modèle québécois. Chez les allophones, près des deux tiers disent qu’ils
choisiraient la pilule leur permettant de parler le français européen. La différence
entre les anglophones et les allophones est statistiquement significative.
La
scolarité et l’âge n’influencent que les résultats des anglophones :
61,8 % des anglophones ayant 12 années ou moins de scolarité préfèrent le
modèle québécois contre 54,1% chez ceux qui ont plus de 13 années de scolarité.
Chez
les anglophones âgés de plus de 55 ans, près de quatre sur cinq disent qu’ils
choisiraient la pilule leur permettant de parler le français québécois. Plus de
la moitié des anglophones âgés de 54 ans et moins préféreraient la pilule leur
permettant de parler le français européen.
[1]
Marie-Louise Moreau, « Des pilules et des langues. Le volet subjectif
d’une situation de multilinguisme », dans E. Gouaini et
N. Thiam, Des langues et des villes, Paris, Didier, 1992,
p. 407-420.
Comme mes lecteurs ont pu s’en rendre
compte à quelques reprises, je suis exaspéré par la pratique, devenue courante
dans le Grand Dictionnaire terminologique (GDT), d’affirmer sans preuve que tel
ou tel mot fait partie de la « norme sociolinguistique du français au
Québec ». Dans sa Politique de l’emprunt linguistique (2017),
l’Office québécois de la langue française (OQLF) va même jusqu’à affirmer que
« chaque emprunt est évalué en fonction : […] de son adéquation à la
norme sociolinguistique du français au Québec (c’est-à-dire de sa légitimité
dans l’usage) » (p. 9). Sur la base de quelle enquête ?
Aucune ! C’est tout simplement de la pifométrie.
Pourtant il y a eu quelques enquêtes
qui donnent une idée du sentiment sociolinguistique des Québécois. Mais leurs
résultats ne correspondent pas aux attentes des idéologues endogénistes. Voici
un sizième billet rendant compte des résultats de quelques-unes de ces
enquêtes.
Je reprends ici les analyses que le sociologue
Pierre Bouchard et moi avions faites d’un sondage effectué en 1998. Le questionnaire
avait été soumis à un échantillon représentatif d’adultes francophones,
anglophones et allophones.
Le texte qui suit étudie les réponses
de ces deux dernières catégories et a été publié dans le Devoir du 9 septembre
1999 ; j’y ai apporté quelques modifications cosmétiques.
Le titreur avait ainsi coiffé notre
article : « Les anglophones adoptent la langue du Québec, les
allophones, celle de la France. »
Nous avons cherché à déterminé le modèle
normatif des anglophones et des allophones quand ils parlent français, ainsi
que leur évaluation de la manière de parler des francophones.
L'évaluation que l’on fait de sa
manière de parler traduit une adhésion plus ou moins consciente à l’un des
modèles normatifs prévalant dans le milieu. Dans cette perspective, on
constatera avec intérêt que les allophones ont plus l’impression de parler
français (60 %) que les anglophones (44 %) qui, eux, ont plus
l’impression de parler québécois. Ils se distinguent des anglophones en
privilégiant le modèle français et il s’agit d’une distinction statistiquement
significative.
Les résultats qui suivent corroborent
ce que nous venons de constater. Plus de la moitié des allophones (55 %)
affirment parler à la manière française (20 % tout à fait à la manière
française et 35 % plutôt à la manière française) alors que seulement le
tiers des anglophones (33 %) se disent dans cette situation, si on
additionne ceux qui parlent tout à fait à la manière française et ceux qui parlent
plutôt à la manière française. Malgré certaines difficultés, ces derniers sont
sûrement plus intégrés au contexte québécois.
Un modèle de
référence
Après avoir vu à quel modèle normatif
général les non-francophones adhèrent ou ont tendance à adhérer, il devient
intéressant de déterminer l’évaluation qu'ils font du parler de la population
francophone née au Québec. Cette dernière parle-t-elle très bien, bien, mal ou
très mal le français ? En répondant à une telle question, les anglophones et
les allophones ne décrivent pas vraiment ce qu’est leur conception du modèle
québécois en matière de langue mais nous renvoient à un modèle qu’ils imaginent
plus ou moins consciemment et auquel ils adhèrent ou auraient tendance à
adhérer.
L’évaluation du parler des
francophones est généralement positive : plus de deux anglophones ou
allophones sur trois (68 %) considèrent que les francophones nés au Québec
parlent bien ou très bien. Les anglophones sont en général plus positifs que
les allophones ; ils divergent d’opinion notamment à la catégorie « très bien ».
En effet, 16 % des anglophones affirment que les francophones nés au
Québec parlent très bien, alors que seulement 9 % des allophones font
cette affirmation.
Par ailleurs, il ne faut pas négliger
le fait qu’au moins le quart des anglophones et des allophones considère que la
population francophone née au Québec parle mal. Soulignons que les allophones
se montrent les plus sévères sur ce point (32 % des allophones
comparativement à 25 % des anglophones).
Comment interpréter cette évaluation ?
Pourquoi en est-on venu à la conclusion que certains Québécois parlent très
bien, d’autres bien et d'autres mal ? Sans doute parce que l’on a une idée
plus ou moins précise d’un parler idéal auquel on compare le parler de la
population francophone née au Québec, d'un modèle auquel on se réfère.
On dira que telle personne parle à la
manière française et d’une autre qu’elle parle à la manière québécoise. Si on se
fie aux opinions reçues sur la norme, on aura sûrement tendance à dire que les
personnes qui parlent français ou à la manière française parlent mieux que les
autres. Qu’en est-il des populations consultées ?
On constate d’abord que, pour la très
grande majorité des anglophones, les francophones nés au Québec parlent à la
manière québécoise (92 %) ou parlent tout simplement québécois (86 %) ;
pour les allophones, les résultats sont de 91 % et 84 %. Ce constat
est lourd de signification : il nous renvoie à l’évaluation plus ou moins
positive que l’on fait de la manière de parler des francophones. Si on estime
que les francophones parlent français, on affirmera que ces derniers parlent
bien (>95 %), alors qu’à l'inverse, si on estime que les francophones
parlent québécois, on dira qu'ils parlent plus ou moins mal, la proportion des
non-francophones affirmant qu’ils parlent bien descend à 62 % et 69 %.
Ce que les
parents souhaitent
Une autre façon d’aborder la question
de la norme est de chercher à déterminer le modèle de langue que les parents
souhaitent que leurs enfants parlent. Souhaiteraient-ils qu ’ils apprennent
à «parler comme des Français de France, comme des personnes qui lisent les
nouvelles de Radio-Canada, comme la plupart des politiciens du Québec ou comme
le monde ordinaire qu’on voit dans les jeux télévisés ?». Malgré les
limites évidentes de cette typologie (inspirée des travaux de la Commission
Gendron), il nous apparaît tout de même intéressant de constater que les allophones
ont plus tendance à privilégier un modèle du français parlé apparenté d'une
façon ou d'une autre au modèle français et véhiculé par les Français de France
ou, dans une certaine mesure, par les lecteurs de nouvelles de Radio-Canada (71 %).
Les anglophones, pour leur part, sont moins portés que les allophones à aller
dans ce sens (58 %) et, de ce fait, ils adhèrent plus facilement au parler
des gens ordinaires (34 %) que ces derniers (26 %).
L’attrait suscité par le modèle
français devient encore plus évident quand on demande aux non-francophones s’ils
souhaitent que, dans les cours de français, leurs enfants « apprennent à
parler tout à fait à la manière française, plutôt à la manière française,
plutôt à la manière québécoise ou tout à fait à la manière québécoise ».
Les allophones favorisent nettement le parler à la manière française (« tout
à fait » + « plutôt » = 72 %) alors que les
anglophones se montrent très partagés entre le parler à la manière française
(51 %) et celui à la manière québécoise (49 %).
Enfin, il est possible d’observer les
mêmes tendances pour ce qui est de l’apprentissage du français écrit. Les allophones
privilégient toujours le modèle français: 62 % « aimeraient que leurs
enfants apprennent à écrire le fiançais comme des journalistes français ».
Les anglophones, quant à eux, sont encore aussi partagés entre le modèle
français et le modèle québécois: 52 % « aimeraient que leurs enfants
apprennent à écrire le français comme des journalistes québécois ».
Les allophones privilégient le modèle du français parlé par les Français de France, l’apprentissage du parler à la manière française et l’apprentissage du français écrit tel que le pratiquent les journalistes français. A l’inverse, les anglophones privilégient le modèle québécois: l’apprentissage du français parlé par les gens ordinaires, l’apprentissage du parler à la manière québécoise et l'apprentissage du français écrit des journalistes québécois.
Par ailleurs, les allophones et les
anglophones semblent s’entendre sur une sorte de moyen terme entre les modèles
français et québécois décrits précédemment et qui se traduit par les souhaits
suivants pour leurs enfants: l’apprentissage du français parlé par les lecteurs
de nouvelles de Radio-Canada, l’apprentissage du parler à la manière française
et l’apprentissage du français écrit tel que le pratiquent les journalistes
québécois.
Bref, cette catégorisation nous permet de spécifier les orientations générales des allophones et des anglophones et de mesurer l’attrait général des modèles. Ainsi, plus de la moitié des allophones (54 %) adhèrent au modèle français, un peu plus du quart (27 %) sont intéressés par le modèle intermédiaire (la variante québéco-française) et le reste (19 %) privilégie le modèle québécois. Dans le cas des anglophones, la situation semble moins polarisée, ils se répartissent à peu près également entre les trois modèles: 36 % adhèrent au modèle québécois; 33 % à un modèle intermédiaire (la variante québéco-française) et 31 % au modèle français.
Une enquête de 2004 a repris le même
questionnaire (chapitre 11 du fichier pdf téléchargeable en cliquant ici).
Les mêmes tendances ont été observées (il n’y a pas de différences
significatives entre les résultats de 1998 et ceux de 2004). À ma connaissance,
il n’y a pas eu de nouvelle enquête sur le sujet.
Comme mes lecteurs ont pu
s’en rendre compte à quelques reprises, je suis exaspéré par la pratique,
devenue courante dans le Grand Dictionnaire terminologique (GDT), d’affirmer
sans preuve que tel ou tel mot fait partie de la « norme sociolinguistique
du français au Québec ». Dans sa Politique de l’emprunt linguistique
(2017), l’Office québécois de la langue française (OQLF) va même jusqu’à
affirmer que « chaque emprunt est évalué en fonction : […] de son
adéquation à la norme sociolinguistique du français au Québec (c’est-à-dire de
sa légitimité dans l’usage) » (p. 9). Sur la base de quelle
enquête ? Aucune ! C’est tout simplement de la pifométrie.
Pourtant il y a eu
quelques enquêtes qui donnent une idée du sentiment sociolinguistique des
Québécois. Mais leurs résultats ne correspondent pas aux attentes des
idéologues endogénistes. Voici un cinquième billet rendant compte des résultats
d’une de ces enquêtes.
Ce billet est basé sur une enquête
de 1998 auprès de 1591 francophones âgés de 18 ans et plus, représentant
l’ensemble de la population francophone du Québec. Les données ont été
recueillies par entrevue téléphonique. Pour plus de détails sur l’enquête et le
questionnaire, cliquer ici (fichier pdf téléchargeable; cf. spécialement les
pages 9 et 10).
L’analyse a été effectuée
avec l’aide indispensable du sociologue Pierre Bouchard.
L’application de la
procédure statistique dite des « nuées dynamiques » nous a permis de
dégager quatre grands modèles normatifs.
Modèle 1 :
Ceux qui ont l’impression de parler québécois et souhaitent parler comme les
gens ordinaires des jeux télévisés, sont d’accord avec le besoin d’ouverture
aux autres (« Beaucoup de mots utilisés au Québec nous empêchent de
communiquer avec les francophones des autres pays ») et avec la nécessité
de connaître les mots typiques des autres régions de la francophonie, mais en
désaccord avec une certaine harmonisation de la terminologie et avec
l’élimination des mots anglais du français du Québec. Pour simplifier, nous
l’appellerons le modèle « québécois – jeux télévisés ».
Modèle 2 :
Ceux qui ont l’impression de parler québécois et souhaitent parler comme les
lecteurs de nouvelles de Radio-Canada, sont en désaccord avec le besoin
d’ouverture aux autres (« Beaucoup de mots utilisés au Québec nous
empêchent de communiquer avec les francophones des autres pays ») et avec
la nécessité de connaître les mots typiques des autres régions de la
francophonie, mais d’accord avec une certaine harmonisation de la terminologie
et avec l’élimination des mots anglais du français du Québec. Pour simplifier,
nous l’appellerons le modèle « québécois – Radio-Canada ».
Modèle 3 :
Ceux qui ont l’impression de parler français et souhaitent parler comme les
lecteurs de nouvelles de Radio-Canada, sont en désaccord avec une certaine
harmonisation de la terminologie, mais en accord avec le besoin d’ouverture aux
autres (« Beaucoup de mots utilisés au Québec nous empêchent de
communiquer avec les francophones des autres pays »), avec la nécessité de
connaître les mots typiques des autres régions de la francophonie et
l’élimination des mots anglais du français du Québec. Pour simplifier, nous
l’appellerons le modèle « français – Radio-Canada ».
Modèle 4 :
Ceux qui ont l’impression de parler français et souhaitent parler comme les
gens ordinaires des jeux télévisés, sont d’accord avec la nécessité de
connaître les mots typiques des autres régions de la francophonie et une
certaine harmonisation de la terminologie, mais en désaccord avec ce besoin
d’ouverture aux autres (« Beaucoup de mots utilisés au Québec nous
empêchent de communiquer avec les francophones des autres pays ») et
l’élimination des mots anglais du français du Québec. Pour simplifier, nous l’appellerons
le modèle « français – jeux télévisés ».
L’importance de chacun de
ces modèles, c’est-à-dire l’adhésion de la population à l’un ou l’autre de ces
modèles, varie en fonction du degré d’urbanisation. Pour les fins de notre
analyse, nous avons classé le Québec en trois catégories, selon l’intensité de
l’urbanisation : milieu urbain (localités de 50 000 habitants et
plus), milieu semi-urbain (localités de 25 000 à 50 000 habitants) et
milieu rural (zones de moins de 25 000 habitants).
Milieu urbain |
Milieu semi-urbain |
Milieu rural |
Modèle 1 (42 %) |
Modèle 3 (44 %) |
Modèle 3 (39 %) |
Modèle 3 (30 %) |
Modèle 4 (30 %) |
Modèle 1 (34 %) |
Modèle 2 (28 %) |
Modèle 2 (26 %) |
Modèle 4 (27 %) |
Le modèle 1
(« québécois – jeux télévisés ») figure au premier rang en
milieu urbain, est absent en milieu semi-urbain et occupe le deuxième rang en
milieu rural. Le modèle 3 (« français – Radio-Canada »), qui
apparaît au deuxième rang en milieu urbain, prédomine en milieu semi-urbain et
en milieu rural. Le modèle 2 (« québécois – Radio-Canada »)
n’apparaît que dans les milieux urbains et semi-urbains, où il occupe la
dernière place. Le modèle 4 (« français – jeux télévisés ») est
absent du milieu urbain; il apparaît au deuxième rang en milieu semi-urbain et
en dernière position en milieu rural.
Par la suite, nous avons
forcé la procédure statistique et réduit de quatre à trois les modèles
linguistiques valables pour l’ensemble du Québec. Ce qui a produit le tableau
suivant :
Modèles
normatifs constatés et pourcentage de francophones
Ensemble
du Québec
|
Variété géogra-phique |
Modèle de référence |
Mots qui empê-chent de commu-niquer |
Connais-sance des mots typiques |
Utilisation des mêmes mots partout |
Élimina-tion des mots anglais |
Pourcen-tage de franco-phones |
Modèle 2 |
Québé-cois |
Lecteurs de nouvelles de Radio-Canada |
Accord |
Accord |
Accord |
En désaccord |
39 % |
Modèle 3 |
Français |
Lecteurs de nouvelles de Radio-Canada |
Accord |
Accord |
En désaccord |
En désaccord |
33 % |
Modèle 1 |
Québé-cois |
Gens ordinaires des jeux télévisés |
En désaccord |
En désaccord |
En désaccord |
Accord |
29 % |
Le tableau montre que la référence
demeure la langue des lecteurs de nouvelles de Radio-Canada puisque cet élément
fait partie de la définition des deux principaux modèles. Ces deux modèles se
caractérisent aussi par leur tolérance envers les anglicismes. On notera aussi
que le modèle 1, qui prédomine en milieu urbain, occupe le dernier rang dans
l’ensemble du Québec. On remarquera, enfin, une sorte de contradiction interne
du modèle 3 : les personnes qui adhèrent à ce modèle croient que les mots
qui sont utilisés au Québec empêchent la communication avec les francophones
des autres pays mais elles ne croient pas que les francophones devraient
utiliser partout les mêmes mots.