samedi 30 septembre 2017

Un débat vieux de six ans



Ce qu’il faudrait déterminer collectivement, c’est si l’Office québécois de la langue française peut changer son mandat et ne faire que décrire l’usage ou s’il doit continuer à l’orienter ; s’il doit se contenter de servir de miroir à la langue en usage au Québec ou s’il doit persévérer à lui proposer des fenêtres sur de nouvelles perspectives.
– Nadine Vincent, « Ceci n’est pas un ‘grilled cheese’ », Le Devoir, 29 septembre 2017


L’Office québécois de la langue française doit-il se contenter de décrire l’usage ? C’est justement la question que posait en 2011 un groupe d’anciens terminologues de l’Office dans une lettre ouverte :

L’Office ne peut se limiter à observer et à enregistrer l'usage, ou les usages en concurrence, comme l’exigerait la démarche lexicographique, car il a le mandat de déterminer quel usage il faut préconiser. Or, il parvient de moins en moins à le faire […]. […] le Grand dictionnaire terminologique n'a pas pour vocation de décrire la langue courante. […] l’Office doit revenir à sa mission : faire face à l'envahissement de l'anglais en privilégiant, entre autres, les termes français corrects existants au lieu de termes empruntés récemment à l'anglais, de termes hybrides ou de traductions littérales même si, dans le dernier cas, ces mots sont attestés au Québec depuis longtemps. Car, dans les langues de spécialité, ce qui est québécois, ce ne sont souvent que des traductions littérales, des termes plus près d’un folklore désuet que de la modernité.

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Deux nouveaux articles portent sur la politique de l’emprunt de l’OQLF :






vendredi 29 septembre 2017

À propos d’un colloque



La nouvelle version de la politique a fait l’objet d’une présentation en bonne et due forme, en octobre 2016, au Colloque du réseau des Organismes francophones de politique et d’aménagement linguistiques tenu à Québec, au Musée de la civilisation. Ce colloque international, auquel les médias et le public ont été conviés, regroupait des spécialistes de divers horizons, des professeurs d’université, des linguistes, des professionnels de la langue et des personnalités publiques. La présentation du projet de politique y ayant reçu un accueil favorable, la politique a été adoptée quelques mois plus tard.
– Monique Cormier, « L’OQLF tient compte de l’évolution du Québec », Le Devoir, 27 septembre 2017


Dans sa défense du document Politique de l’emprunt linguistique de l’Office québécois de la langue française, Monique Cormier invoque l’accueil favorable lorsque le projet fut présenté à un colloque. Elle ne dit pas que le texte lui-même de l’énoncé de politique a été soumis à l’approbation de cet aréopage. Et pour cause : on ne voit pas comment des spécialistes en linguistique française auraient pu laisser passer des perles comme l’affirmation que l’expression hockey sur étang est un calque « non intégrable au système linguistique du français » (voir mon billet d’hier) ou une tautologie comme « la dynamique sociolinguistique [est] en évolution constante » (p. 3).


Quand on consulte le programme du colloque (disponible en ligne, cliquer ici), on constate que la présentation du « traitement de l’emprunt linguistique à l’Office québécois de la langue française » (titre de la communication) n’a occupé qu’une demi-heure en fin d’après-midi le mardi 18 octobre 2016. Dans les colloques, l’habitude est de consacrer une vingtaine de minutes à la présentation de la communication et dix minutes à la discussion. Ces dix minutes auraient-elles suffi pour manifester l’accueil enthousiaste des auditeurs à un projet dont ils n’avaient pas le texte ?

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Le Devoir de ce jour publie un texte de Nadine Vincent sur la nouvelle politique de l’emprunt linguistique de l’OQLF. Extrait :

[…] la nouvelle politique de l’emprunt de l’OQLF étonne. Elle prétend qu’elle opte maintenant pour une « stratégie d’intervention réaliste », qu’elle va tenir compte de la « légitimité » des usages et de leur traitement dans des « ouvrages normatifs ». Or, sur qui se basent les ouvrages normatifs pour accepter ou critiquer un emploi : bien souvent sur l’OQLF !  


Certains prétendent que ce changement de position s’appuierait sur une évolution du Québec. Évolution en quel sens ? Le français n’est plus menacé au Québec ? Les Québécois ne veulent plus défendre le français ? Je demande à voir les études qui le démontrent. Parce qu’aux dernières nouvelles, le Québec est toujours constitué d’un îlot d’un peu plus de huit millions d’habitants, seul territoire de l’Amérique où le français est la seule langue officielle, et entouré de plus de 350 millions d’anglophones. Et les Québécois ne sont pas plus satisfaits de la qualité de leur langue aujourd’hui qu’au XIXe siècle, ainsi que le prouvent les articles répétés sur la trop faible maîtrise de la langue par les enseignants de français, pour ne donner qu’un exemple.

Alors, que nous utilisions tous le mot « grilled cheese » parce que « sandwich au fromage fondant » n’a pas passé la rampe de l’usage n’a aucune importance dans le débat actuel. Ce qu’il faudrait déterminer collectivement, c’est si l’Office québécois de la langue française peut changer son mandat et ne faire que décrire l’usage ou s’il doit continuer à l’orienter ; s’il doit se contenter de servir de miroir à la langue en usage au Québec ou s’il doit persévérer à lui proposer des fenêtres sur de nouvelles perspectives.



jeudi 28 septembre 2017

Les mots légitimes


Dans son énoncé de politique sur les emprunts linguistiques, l’Office québécois de la langue française (OQLF) précise que l’emprunt doit être « légitimé ». Qu’est-ce à dire ? À la page 25 du document, on nous apprend qu’un emprunt légitimé est un « emprunt linguistique reçu dans la norme sociolinguistique d’une langue, accepté par la majorité des locutrices et des locuteurs d’une collectivité donnée. » La majorité des Québécois utilisent des anglicismes comme joke, à date, coconut, céduler, set de vaisselle, etc. : ils sont « généralisés » et « implantés » (sic, c’est une tautologie) ainsi qu’utilisés par la grande majorité des Québécois depuis bien plus de 15 ans. Et si les mots ont un sens, les anglicismes qui figurent depuis des décennies dans des textes de loi et dans des textes normatifs (pensons aux conventions collectives) doivent donc être aussi considérés comme légitimés.


À quelques reprises, la Politique de l’emprunt linguistique parle d’emprunts rejetés parce qu’ils sont « non légitimés » (p.ex. p. 16), sans plus d’explication. On ne sait pas qui décide de cette non-légitimation.


Dans sa défense de la position de l’Office publiée dans Le Devoir hier, Monique Cormier lève un coin du voile sur la légitimation des anglicismes :

Seuls sont finalement admis les emprunts qui sont d’usage standard, couramment acceptés, voire valorisés dans les meilleurs écrits qui servent de référence au Québec et qu’on peut retrouver* dans des ouvrages tels que le Multidictionnaire de la langue française et Usito.


Madame Cormier n’a pas vu le problème que pose son affirmation. C’est que le document Politique de l’emprunt linguistique donne comme exemples d’anglicismes qui sont désormais acceptés par l’Office des mots qui sont précisément refusés par le Multidictionnaire comme pâte à dents, démoniser et papier sablé. Disons que l’argument invoqué par madame Cormier manque de cohérence.


Quant au dictionnaire Usito, il a l’habitude de signaler tous les mots qui, un jour ou l’autre, ont été critiqués. Il est difficile de l’invoquer pour appuyer le nouveau laxisme de l’OQLF.
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* Pour les retrouver, il faut d’abord les avoir perdus.


mercredi 27 septembre 2017

La défense de l'indéfendable


Le Devoir de ce jour publie le texte de Jean-Claude Corbeil et de Marie-Éva de Villers déjà paru dans Le Soleil et repris dans mon blog le 24 septembre. Il publie aussi un texte de Monique Cormier prenant la défense du document Politique de l’emprunt linguistique de l’Office québécois de la langue française. Voici ma réplique à Monique Cormier mise en ligne sur le site du Devoir :

Le document de l’OQLF sur les emprunts linguistiques contient un certain nombre d’affirmations discutables et même de faussetés que n’ont sûrement pas entérinées les spécialistes qu’on dit avoir consultés. Pour ne prendre qu’un exemple, on y affirme que l’expression hockey sur glace naturelle doit être préférée à hockey sur étang (pond hockey) parce que cette dernière est un calque « non intégrable au système linguistique du français ». Du haut de sa chaire universitaire, Madame Cormier peut-elle nous expliquer en quoi cette dernière expression est non intégrable au système linguistique du français? Le calque est par définition intégré. Car il est justement le moyen d’intégrer un emprunt : le français n’utilise pas l’emprunt intégral sky scraper mais le calque gratte-ciel. Dès sa première apparition en français, gratte-ciel était intégré au système linguistique ! Faire de l’intégrabilité au système linguistique un critère d’acceptation d’un calque est une absurdité.


dimanche 24 septembre 2017

L’OQLF détourné de sa mission fondamentale


Texte publié dans l’édition électronique du Soleil le 23 septembre :


En matière de promotion et d’enrichissement du français parlé et écrit au Québec, le mandat confié à l’Office québécois de la langue française (OQLF) par la Charte de la langue française se lit ainsi :

« L’Office définit et conduit la politique québécoise en matière d’officialisation linguistique, de terminologie ainsi que de francisation de l’Administration et des entreprises. » (art. 159)

« L’Office veille à ce que le français soit la langue normale et habituelle du travail, des communications, du commerce et des affaires dans l’Administration et les entreprises. » (art. 161)

« L’Office peut assurer et informer l’Administration, les organismes parapublics, les entreprises, les associations diverses et les personnes physiques en ce qui concerne la correction et l’enrichissement de la langue française parlée et écrite au Québec. » (art. 162)

En vertu de la mission qui lui confère la Charte de la langue française, l’Office doit orienter l’usage du français parlé et écrit au Québec.

Une politique modifiée en catimini
La nouvelle politique de l’emprunt linguistique a été adoptée par l’OQLF le 31 janvier 2017 sans réelle consultation du milieu; elle n’a fait l’objet d’aucun communiqué, d’aucune diffusion dans les médias. Elle a été discrètement mise en ligne dans le site Internet de l’organisme sous l’onglet « Politiques et guides ».

N’eût été la vigilance de Jacques Maurais, qui a dénoncé l’assouplissement des nouveaux critères d’acceptabilité des emprunts dans son excellent blogue Linguistique correct, nous n’en aurions pas été informés. À titre d’ancien coordonnateur de la recherche à l’OQLF, puis au Conseil supérieur de la langue française (CSLF), le linguiste Jacques Maurais parle en connaissance de cause.

Voici ce qu’il écrit sous le titre de Démission de l’Office québécois de la langue française : « […] le Québec a connu dans son histoire une vague d’emprunts massifs à l’anglais et le législateur a voulu y réagir. Et c’est pourquoi il a confié à l’Office québécois de la langue française le mandat de franciser le Québec et de déterminer quels mots anglais étaient acceptables dans la langue officielle. Il n’était sûrement pas dans son intention en 1977 de lui demander d’ouvrir les vannes à l’accueil des anglicismes. »

La politique de l’emprunt linguistique n’est pas destinée au grand public, affirme Danielle Turcotte, directrice générale des services linguistiques de l’OQLF. Si ce document est quelque peu technique, son application concerne cependant toute la population. En effet, la diffusion des termes acceptés dans Le Grand Dictionnaire terminologique (GDT) influencera les diverses communications de l’Administration et des entreprises, dont l’étiquetage des produits, l’affichage commercial, les menus des restaurants, les sites Internet, pour ne citer que ces exemples. Les millions de termes figurant dans le GDT touchent tous les domaines d’activité.

Le traitement des emprunts à l’anglais
Le traitement des anglicismes est une composante essentielle de la mission de l’OQLF. La politique qui définit les critères d’acceptabilité des emprunts linguistiques a d’abord été publiée en 1980, puis en 2007 et enfin en janvier 2017. Dans le préambule de sa nouvelle politique, l’OQLF écrit : « La langue et la dynamique sociolinguistique étant en évolution constante, l’Office se doit de mettre sa politique à jour régulièrement afin que ses objectifs en matière de traitement des emprunts soient le plus possible au diapason de cette évolution. » La situation linguistique québécoise a-t-elle progressé au point qu’il soit maintenant justifié d’assouplir les critères d’acceptation des anglicismes? Poser la question, c’est y répondre.

Pâte à dents, démoniser et papier sablé : une légitimation d’emplois familiers
Quand l’OQLF juge acceptable le calque de l’anglais pâte à dents sous prétexte qu’il s’agit d’un calque non récent, généralisé, implanté, légitimé, et qu’il est intégrable au système linguistique du français (critères d’acceptabilité des calques), il ouvre la porte à quantité de traductions littérales d’expressions anglaises. Le terme français dentifrice est courant et figure sur tous les emballages de ce produit. Se fondant sur la fiche du GDT, les entreprises de production et de distribution de ce produit pourront désormais employer le terme pâte à dents dans l’étiquetage, dans l’affichage de ce produit et dans les messages publicitaires s’y rapportant.

Quand l’OQLF accepte le verbe *démoniser, inspiré de l’anglais, alors que le verbe diaboliser fait parfaitement l’affaire, le terme *papier sablé, alors que les termes papier abrasif ou papier de verre sont employés, il en résulte un appauvrissement du vocabulaire et tout le contraire d’un enrichissement des langues techniques.

La mission de l’organisme est d’assurer la définition et la diffusion par le GDT des terminologies françaises des différents domaines d’emploi. À cet égard, son rôle ne s’exerce pas dans tous les registres de langue : il se limite aux registres de la langue technique courante ou soutenue. Il n’entre pas dans les attributions de l’OQLF de décrire et de légitimer les emplois de registre familier.

Nadine Vincent, professeure de linguistique à l’Université de Sherbrooke, est également d’avis que « le rôle de l’Office n’est pas de décrire l’usage, mais de l’orienter ». Effectivement, le mandat qui est confié à l’OQLF par la Charte de la langue française est de guider l’usage du français parlé et écrit au Québec.

En conclusion
La politique de l’emprunt linguistique adoptée par l’OQLF en 2017 constitue un recul évident, un retour à la case départ des années 60. Si l’on avait appliqué les critères d’acceptabilité retenus dans la nouvelle politique de l’emprunt linguistique, jamais nous n’aurions été en mesure d’entreprendre et de réaliser les chantiers linguistiques menés par l’Office de la langue française, depuis sa création en 1961 et surtout à compter de 1971, dans le but de mettre en œuvre la volonté du premier ministre Robert Bourassa de faire du français la langue de travail.


Jean-Claude Corbeil, directeur linguistique de l’Office de la langue française de 1971 à 1977, sous-ministre adjoint responsable de la politique linguistique de 1997 à 2000, secrétaire et membre de la Commission des États généraux sur la situation et l'avenir de la langue française (Commission Larose) 2000-2001.

Marie-Éva de Villers, responsable de la terminologie de la gestion à l’Office de la langue française de 1970 à 1980, auteure du Multidictionnaire de la langue française.


jeudi 21 septembre 2017

L’Office québécois de la langue franglaise


« L’Office québécois de la langue franglaise », c’est le titre de l’éditorial que Robert Dutrisac signe dans l’édition d’aujourd’hui du Devoir :

En catimini, l’Office québécois de la langue française (OQLF) a adopté plus tôt cette année une nouvelle Politique d’emprunts linguistiques tranchant avec celles qui guidaient l’organisme. Pour la confection de son Grand Dictionnaire terminologique, l’OQLF a assoupli ses critères visant l’adoption d’emprunts à d’autres langues que le français, emprunts qui, pour la grande majorité, sont des anglicismes.

Dès sa création en 1961, l’Office de la langue française — c’était le nom de l’OQLF jusqu’en 2002 — s’est vu confier la mission de veiller à « la correction et à l’enrichissement de la langue française parlée et écrite », une mission qui fut reprise intégralement dans la Charte de la langue française en 1977. L’organisme s’est engagé dans une vaste entreprise de francisation des termes employés au travail et dans le commerce, une tâche titanesque compte tenu de la domination de l’anglais dans maintes sphères d’activités au Québec. Grâce à son Grand Dictionnaire terminologique, il a favorisé l’usage du français dans les domaines de l’automobile et de l’aéronautique, de la bureautique et de l’informatique, de la gestion et de la comptabilité, pour ne nommer que ceux-là, tout en servant de référence pour l’affichage commercial de toute nature.

Jusqu’à tout récemment, l’OQLF condamnait les anglicismes et favorisait l’emploi exclusif de termes français. Ce n’est qu’exceptionnellement que l’organisme se résignait à l’emploi de termes anglais. L’approche de l’OQLF était fondamentalement normative et non pas descriptive, quitte à tenir peu compte de l’usage courant, qui, rappelons-le, faisait, à l’origine, la part belle aux emprunts à l’anglais.

Certes, l’OQLF a quelquefois forcé la note avec des traductions inventives. On pense à ce « coup d’écrasement » pour remplacer le mot smash. En revanche, de nombreux termes proposés par l’organisme se sont répandus.

Voulant adoucir son image d’ayatollah de la langue, l’OQLF ouvre la porte, avec sa nouvelle politique, à l’acceptation d’anglicismes dans la mesure où ils sont « non récents », généralisés et « légitimés », des critères pour le moins discutables, voire nébuleux. Affaiblissant sa fonction normative, il veut exercer un rôle de description de l’usage, comme le font les linguistes et les lexicographes.

Contrairement à la France qui se complaît à adopter des mots anglais, le Québec a une longue tradition de résistance aux anglicismes. Avec sa nouvelle politique, l’OQLF s’engage sur une pente savonneuse alors qu’on assiste, au Québec comme ailleurs, à une vague d’anglicisation.


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Je n’avais pas vu que M. Pierre Lincourt avait publié une lettre sur le même sujet dans Le Soleil il y a deux jours :

L'Office québécois de la langue française a quelque peu modifié son mandat en légitimant, en catimini, quelques anglicismes prétextant que ceux-ci sont présents dans la langue courante depuis plusieurs années.
Cette nouvelle direction donne un mauvais signal à la population qui comprend ainsi qu'il est maintenant recommandé d'utiliser des anglicismes si ceux-ci sont utilisés depuis un certain temps. Depuis combien de temps? Nul ne le sait!
Faudrait-il revenir en arrière et accepter en français des anglicismes que nous avons presque réussi à éradiquer comme bumper, wipers, flat, etc.
Il est évident que notre gouvernement ne semble pas très actif dans le domaine de la langue. Quant au ministre responsable de l'application de la charte de la langue française, il est plutôt timide, pour ne pas dire absent, dans sa défense de la langue.
Pierre Lincourt, l.n.d., Chicoutimi 



mercredi 20 septembre 2017

Saisir la balle au bond


• […] il me semble que "balle-molle" est un mot bien intégré à notre vocabulaire. Pourquoi alors lui préférer "softball"?
L'OQLF n'aurait pas dû abandonner «balle-molle»
Dans mon village, cela désignait les sports se jouant avec une balle plus grosse et moins dure (softball et fastball) que celle utilisée au base-ball.
Commentaires sur la page Internet de l’article « L’OQLF ouvre la porte aux anglicismes », Le Devoir, 18 septembre 2017

Si le mot softball n’avait pas été donné comme exemple dans l’article de Stéphane Baillargeon, je n’aurais jamais eu l’idée d’aller jeter un coup d’œil à la fiche correspondante du Grand Dictionnaire terminologique (GDT) de l’Office québécois de la langue française (OQLF). Et je n’aurais pas découvert une nouvelle inconséquence dans ce fourre-tout lexicographique.

La fiche « softball » a été refaite en 2016 et c’est le mot anglais qui apparaît désormais en vedette, ce qui indique nécessairement une certaine préférence. Mais elle fait toujours partie, dans le domaine du « sport », du sous-domaine « balle molle ». Personne à l’OQLF n’a songé à modifier en conséquence ce qu’on y appelle l’« arbre des domaines » :



La fiche nous apprend en outre que softball autant que balle molle s’inscrivent dans la norme sociolinguistique du français au Québec. Ce faisant, le GDT montre qu’il est de plus en plus descriptif plutôt que prescriptif. Sauf que, en plaçant le mot anglais comme titre de la fiche, il le privilégie subrepticement.


Dans sa nouvelle Politique de l’emprunt linguistique, l’Office affirme qu’un emprunt légitimé est un « emprunt linguistique reçu dans la norme sociolinguistique d’une langue, accepté par la majorité des locutrices et des locuteurs d’une collectivité donnée. » Je serais curieux de connaître les résultats d’une enquête sociolinguistique portant sur l’usage de softball et de balle molle. J’ai l’intuition que balle molle viendrait largement en tête. C’est d’ailleurs ce qu’ont semblé croire Anne-Marie Dussault et Marie-Éva de Villers à l’émission 24/60 de lundi dernier.

Pendant ce temps à Barcelone, après-midi du 20 septembre:







Votarem !

mardi 19 septembre 2017

L’OQLF et les anglicismes


Dans son édition d’hier, le quotidien montréalais Le Devoir fait écho à mon texte sur la nouvelle politique sur les emprunts linguistiques de l'Office québécois de la langue française : « L’OQLF ouvre la porte aux anglicismes ».

À l’émission 24/60 d’hier soir, Anne-Marie Dussault s’est entretenue du même sujet avec Marie-Éva de Villers :


Cliquer ici pour accéder à la vidéo

vendredi 1 septembre 2017

La démission de l'Office québécois de la langue française


Ce texte a été publié dans L’Aut’ Journal le 31 août :



Ce n’est sans doute pas tout à fait un hasard que l’année où nous fêtons le quarantième anniversaire de l’adoption de la Charte de la langue française nous apprenons que l’Office québécois de la langue française a révisé le 31 janvier sa politique de filtrage des anglicismes admissibles dans le français du Québec. Cette révision, qui pourrait être symptomatique de nos rapports de plus en plus décompléxés face à l’anglais, s’est faite sans tambour ni trompette, car je n’ai rien lu ou vu à ce sujet dans les médias.

Dorénavant, l’Office acceptera les anglicismes non récents (de plus de 15 ans), généralisés et légitimés (légitimés par qui, on se le demande). Le critère principal d’acceptation est que l’anglicisme soit « implanté » et « généralisé » au Québec (s’il est généralisé, c’est qu’il est implanté : bel exemple de tautologie, inadmissible de la part de terminologues).

L’anglicisme sera donc accepté s’il est « non récent ». Le document nous apprend plus loin qu’un emprunt non récent est un « emprunt linguistique qui, au moment de son analyse, est en usage depuis plus d’une quinzaine d’années. » C’est le cas de la quasi-totalité des anglicismes répertoriés dans le dictionnaire des anglicismes de Colpron ou dans le Multidictionnaire.

L’énoncé de politique précise que l’emprunt doit aussi être « légitimé ». Qu’est-ce à dire ? À la page 25, on nous apprend qu’un emprunt légitimé est un « emprunt linguistique reçu dans la norme sociolinguistique d’une langue, accepté par la majorité des locutrices et des locuteurs d’une collectivité donnée. » La majorité des Québécois utilisent des anglicismes comme joke, à date, coconut, céduler, set de vaisselle, etc. : ils sont généralisés et implantés (sic) ainsi qu’utilisés par la grande majorité des Québécois depuis bien plus de 15 ans. Et si les mots ont un sens, les anglicismes qui apparaissent depuis des décennies dans des textes de loi et dans des textes normatifs (pensons aux conventions collectives) doivent donc être aussi considérés comme légitimés.

Le document de l’OQLF nous apprend l’existence de « la » norme sociolinguistique du français au Québec. On parle de cette norme au singulier. Norme sociolinguistique unique, définie par on ne sait qui, en référence à on ne sait quel groupe. Cela est une absurdité. Car le Québec, comme toute société, n’est pas homogène. Les sociolinguistes savent bien qu’il existe plus d’une norme dans une société. Selon sa classe sociale, sa région, son groupe ethnique, son âge, etc., on a tendance à adopter des variétés non standard comme emblèmes de solidarité. À cela s’opposent des normes sociales qui agissent dans l’ensemble de la communauté et qui tendent à valoriser les usages considérés comme standard. Dans les faits, la plupart des personnes alternent, à des degrés divers, entre formes standard et formes non standard selon leurs situations de communication.

L’énoncé de politique sur les emprunts précise que « la » norme sociolinguistique du français au Québec s’appelle aussi « norme de référence ». Cette appellation, norme de référence, est tout de même curieuse. Car la norme est la règle, le principe auquel on doit se référer pour juger ou agir. Parler de norme de référence, c’est, une fois de plus, commettre une tautologie, inadmissible sous la plume de terminologues.

L’Office d’aujourd’hui essaie de nous faire croire que les emprunts massifs à l’anglais n’ont touché que quelques secteurs d’activité. Or, l’anglicisation massive du vocabulaire a touché toute la société – à tel point qu’un ancien directeur de l’Office, Jean-Claude Corbeil, a dit que « l’action de l’Office [depuis ses débuts en 1961] a été une entreprise de décolonisation » (L’Actualité, avril 1989, p. 22). Comprenons que l’on met fin à cette entreprise de décolonisation.

On peut penser ce que l’on veut des emprunts et en particulier des anglicismes. Il est même légitime d’affirmer qu’ils enrichissent les langues emprunteuses. Mais le Québec a connu dans son histoire une vague d’emprunts massifs à l’anglais et le législateur a voulu y réagir. Et c’est pourquoi il a confié à l’Office québécois de la langue française le mandat de franciser le Québec et de déterminer quels mots anglais étaient acceptables dans la langue officielle. Il n’était sûrement pas dans son intention en 1977 de lui demander d’ouvrir les vannes à l’accueil des anglicismes.

À l’Office québécois de la langue française, l’ère de la décolonisation a pris fin. Commence maintenant l’ère de l’asservissement volontaire.