dimanche 4 décembre 2016

Parsemer des fautes



Contrairement au musli, le granola est cuit et contient du sucre ajouté et un corps gras. Il peut se manger tel quel, en collation. On peut aussi en parsemer sur du yogourt ou un dessert crémeux, tandis que le musli est généralement mélangé à du lait et consommé au déjeuner.  
– Grand Dictionnaire terminologique, fiche « granola » (2016)

« Parsemer sur du yogourt ». En français standard, le verbe parsemer est transitif direct : on parsème une surface. Exemple :

Les retentissantes couleurs
Dont tu parsèmes tes toilettes
Jettent dans l'esprit des poètes
L'image d'un ballet de fleurs
– Baudelaire, Les fleurs du mal


On dira donc que l’on parsème le yogourt de granola ; que l’on en parsème le yogourt ; ou que le yogourt en est parsemé.


Mais on peut tout aussi bien parsemer de fautes un dictionnaire.

samedi 3 décembre 2016

La revitalisation des langues autochtones


La semaine dernière, le Consulat général des États-Unis à Québec a invité quelques personnes intéressées par le sort des langues autochtones à une visioconférence organisée par le Département d’État à Washington. Deux chercheuses de la Smithsonian Institution ont parlé de programmes de revitalisation des langues autochtones. La conférence était en multiplex entre Washington, Vancouver, Ottawa, Montréal et Québec. Il est apparu en cours de réunion qu’il y avait des auditeurs en d’autres pays, au moins en Côte d’Ivoire et en Bolivie. Je continue de m’interroger sur les objectifs de pareille rencontre : on est peut-être en train de créer un nouveau droit d’ingérence, celui-ci pour protéger les langues et cultures menacées.


Les conférencières ont présenté d’abord la situation des langues menacées de disparition dans le monde, faisant la comparaison devenue maintenant de règle avec la disparition des espèces animales et végétales. On a aussi présenté le programme Breath of Life pour la revitalisation des langues. On a donné l’exemple d’enfants que l’on amenait au musée pour leur montrer des pièces de poterie et leur enseigner en même temps le vocabulaire des autochtones qui les avait fabriquées. Plutôt passéiste comme approche pour revitaliser les langues. Mais, après tout, le Smithsonian est d’abord connu pour ses musées.


Une remarque sur l’aspect technique. Les images du multiplex étaient souvent floues quand elles ne gelaient pas. Pas du tout la qualité d’images qu’ont à leur disposition les pilotes qui téléguident les drones dans la série Homeland. Je me suis demandé in petto ce qu’il en était pour les drones que l’on envoie en mission en Afghanistan et au Pakistan.


Commencée à 14 h, la conférence s’est abruptement terminée à 15 h alors que nous croyions qu’elle devait durer une heure et demie. Ce fut un mal pour un bien car le groupe de Québec a poursuivi la discussion – plus intéressante, j’oserais dire, que la visioconférence. Groupe composé de Wendats (Hurons), d’un Abénaquis, d’une Algonquine, peut-être une Innue (Montagnaise), j’ai un trou de mémoire, et de quelques Euro-Canadiens. Il y avait là trois personnes qui avaient collaboré à mon livre Les langues autochtones du Québec (1992 ; édition anglaise, 1996).


Il est peu connu que les Wendats sont en train d’essayer de faire renaître leur langue qui a cessé d’être parlée il y a plus d’un siècle. L’un d’entre eux a fait remarquer la nécessité qu’il y avait, pour faire renaître la langue ancestrale et pouvoir l’utiliser dans la vie de tous les jours, de trouver des équivalents pour des mots aussi banals pour nous que trottoir ou ventilateur (pour cet objet, il croit que la solution serait d’utiliser un terme qui se rend par une périphrase en français – elle pousse le vent – car, a-t-il ajouté, il y a prépondérance du féminin en wendat ; ce point mériterait une analyse détaillée et comparative avec le français, où le masculin « l’emporte » sur le féminin). Cette remarque est en contradiction avec la vision passéiste (ou puriste) que l’on a cru détecter, peut-être à tort, dans la présentation faite dans la visioconférence. En tout état de cause, la conférencière n’avait pas abordé le thème de la modernisation des langues, essentiel si l’on veut que les langues en voie de disparition retrouvent leur utilité dans la vie de tous les jours. Rappelons que la question a été étudiée en long et en large dans les six volumes de la série Language Reform : History and Future / La réforme des langues : histoire et avenir (1983-1994) de István Fodor et Claude Hagège.


Pour ma part, j’ai cité un passage de l’analyse produite par Statistique Canada des questions du recensement de 2011 portant sur les langues autochtones : «Selon le Recensement de 2011, presque 213 500 personnes ont déclaré une langue maternelle autochtone et près de 213 400 personnes ont déclaré parler une langue autochtone le plus souvent ou régulièrement à la maison». Soit une différence de seulement 100 entre les deux nombres. La phrase appelle deux commentaires. D’abord, il est invraisemblable que les langues autochtones ne connaissent pas l’assimilation linguistique. Ensuite, on ne dit rien de l’assimilation linguistique comme telle. Au contraire, on laisse entendre qu’il y a assimilation de personnes de langue maternelle anglaise ou française aux langues autochtones : « En 2011, près de 213 400 personnes ont déclaré parler une langue autochtone à la maison. Bien que 82,2 % d'entre elles aient déclaré cette même langue autochtone comme leur langue maternelle, les autres 17,8 % ont déclaré une langue maternelle différente, par exemple, le français ou l'anglais. » Ces données sont étonnantes au vu de la situation antérieure. Voici ce qu’écrivait Louis-Jacques Dorais dans mon livre Les langues autochtones du Québec (publié en 1992 ; à ce moment, les données du recensement de 1991 n’étaient pas encore disponibles) :

La comparaison entre langue maternelle et langue d'usage permet de calculer le taux de conservation des langues autochtones (langue d'usage/langue maternelle). En 1971, ce taux était de 85,4 % chez les Amérindiens du Québec. Cela signifie que, sur l'ensemble des personnes ayant une langue maternelle amérindienne, 83,8 % parlaient cette langue à la maison, 14,7 % parlaient l'anglais, 1,3 % le français et 0,2 % une autre langue (Bernèche et Normandeau, 1983). Les transferts linguistiques à partir des langues amérindiennes se faisaient donc massivement vers l'anglais.

En 1986, le taux de conservation des langues amérindiennes non mohawks était de 95,8 %, pourcentage sans doute assez proche de celui de 1971. Cette année-là, en effet, le taux de conservation des langues amérindiennes parlées en dehors de la grande région de Montréal était de 94 %. Il est probable aussi qu'en 1986 les transferts linguistiques aient continué à se faire surtout vers l'anglais, mais sans doute dans une proportion un peu moindre qu'en 1971, l'influence du français ayant, depuis, légèrement augmenté en milieu amérindien.

Chez les Inuit, le taux de conservation de l'inuktitut était de 98,6 % en 1986 comme, sans doute, en 1981. Les quelques transferts se faisaient surtout vers l'anglais.


Il faudrait donc qu’un démographe procède à une étude sérieuse des données du recensement de 2011 sur les langues autochtones.