mardi 15 décembre 2015

Le français d’Usito / 4


L’Infolettre Usito de décembre 2015 contient une page intitulée « Une langue de neige ». On y lit :


La consistance de la neige varie en fonction de la température et de l’humidité, selon qu’elle soit tombée récemment ou non.

Usito, qui dit collaborer avec l’Office québécois de la langue française, devrait consulter plus fréquemment la Banque de dépannage linguistique. Les rédacteurs d’Usito y apprendraient que « selon que se construit toujours avec un verbe au mode indicatif. »


La fluctuation de ces facteurs font que la neige peut être collante, compacte, etc.

La fluctuation … font : l’accord doit se faire au singulier.


Dans la page « La Sainte-Flanelle est dans le dictionnaire » de la même infolettre, cet extrait :

[…] la flanelle étant ce tissu de laine léger dont auraient été faits les premiers chandails portés par les joueurs des Canadiens.

Dans la définition d’un terme, il est d’usage en français de recourir à l’article, non à l’adjectif démonstratif : le tissu de laine, non ce tissu de laine. En pareil cas, le démonstratif est un calque de l’anglais. J’ai déjà mentionné ce point dans un billet.

  
Après tous mes billets critiques, on peut dire que le français d’Usito est châtié.

lundi 14 décembre 2015

Bas de plafond


Je viens de tomber sur une page du site de RTL où j’ai lui ce qui suit :

"Plafond de verre". Depuis les élections régionales de 2015, l'expression est quasiment devenue un dicton. Il faut dire que l'image est frappante : le plafond de verre du Front national, c'est cette barrière invisible à laquelle le parti se heurte et qui l'empêche de passer le second tour des élections pour accéder au pouvoir.

L'expression, employée par la plupart des commentateurs politiques, ne date pourtant pas d'hier. Elle est utilisée pour la première fois en 1984, aux États-Unis. À cette époque, le "plafond de verre" (glass ceiling) ne désignait pas un parti politique... mais la carrière des femmes dans les grandes entreprises américaines. "Les femmes ont atteint un certain point que j'appelle plafond de verre. Elles accèdent aux fonctions de management intermédiaire mais s'arrêtent là", écrivait à l'époque Gay Bryant, rédactrice en chef du magazine Adweek

Dans les années 2000, l'expression traverse l'Atlantique. Elle est alors appliquée aux femmes politiques françaises comme Arlette Laguiller, Ségolène Royal, Éva Joly ou encore Marine Le Pen, pour exprimer le fait qu'aucune d'entre elles ne parvient jamais à accéder aux fonctions de commandement.

L’expression « plafond de verre » est aussi utilisée au Québec : l’ancienne ministre des finances, Monique Jérôme-Forget, a publié en 2012 Les Femmes au secours de l'économie : pour en finir avec le plafond de verre (Montréal, Stanké).



Mais le Grand Dictionnaire terminologique (GDT) de l’Office québécois de la langue française (OQLF) n’a pas enregistré « plafond de verre ». Tout au plus trouvons-nous une fiche « glass ceiling », produite par Angelo Cagnacci Schwicker (?) en 1972, qui donne comme équivalent français « plafond vitré » dans le domaine du bâtiment, mais rien dans le domaine de la sociologie du travail.


Encore une fois, la banque de données Termium du gouvernement fédéral est plus à jour :

Pour le Bureau international du travail, « le plafond de verre constitue les barrières invisibles artificielles, créées par des préjugés comportementaux et organisationnels, qui empêchent les femmes d'accéder aux plus hautes responsabilités » [...] Cette expression a été étendue à d'autres catégories victimes de discrimination.


Le GDT, qui a la prétention d’orienter l’usage, n’est même pas capable de le suivre et de l’enregistrer.


vendredi 11 décembre 2015

Le français d’Usito / 3


Qu’en termes abscons et erronés ces choses-là sont dites !


L’Infolettre Usito de décembre 2015 contient une page intitulée « L’accord ou non de certains compléments du nom » à partir de deux exemples, étude d’impact et offre de service. Doit-on écrire étude d’impact ou d’impacts, offre de service ou de services ? En fait, la chronique porte sur le nombre du complément déterminatif, non sur son accord.


L’infolettre recopie les entrées étude d’impact et offre de service du dictionnaire Usito, d’où j’extrais les remarques suivantes :

En principe, impact reste au singulier, comme entité abstraite, dans ce nom composé. Dans un autre sens, et distinct du nom composé, il peut par ailleurs s’accorder (les différentes études d’impacts économiques et sociaux).
En principe, service reste au singulier, comme entité abstraite, dans ce nom composé. Dans un autre sens, et distinct du nom composé, il peut par ailleurs s’accorder (diversifier son offre de services).


Ce qui se conçoit clairement s’énonce aisément. On voit tout de suite que le rédacteur n’a rien compris au problème qu’on lui a soumis. Il ne s’agit nullement de savoir si l’on doit faire un accord car il faudrait se demander alors avec quoi il faut faire accorder ce complément déterminatif. Il s’agit plutôt et plus simplement de savoir quel nombre ce complément doit avoir.


Le québécois standard illustré par l’exemple / 17


L’animateur de la treizième heure


À Midi Info sur ICI Radio-Canada Première, Michel C. Auger, quelques secondes avant 13 h, a l'habitude de dire que son émission se poursuivra « de l'autre côté de l'heure » (c'est-à-dire après les infos de 13 h). Curieusement, Google ne me donne qu'une seule attestation de cette expression pourtant utilisée quotidiennement à Radio-Canada.


Plus imaginative, ou plus coquine, Marie-Louise Arseneault de l’émission Plus on est de fous, plus on lit !, un peu avant 14 h, annonce que son émission se poursuivra « de l'autre côté de nous ».


Dans les médias anglophones, on a l'habitude de dire « at the top of the hour » ou « at the bottom of the hour ». Sur Internet, on ne trouve guère que ces attestations de l’expression « on the other side of the hour » :

KERRY CASSIDY (KC): This is Kerry Cassidy, Project Camelot Whistleblower Radio, and hopefully we will be on the air tonight with Michael Tellinger. [...]
KC: Okay. I’m sorry to interrupt you here... we’re about to go to break. We’ll be right back on the other side of this hour, and this is Michael Tellinger on Project Camelot Radio.

Okay, we're continuing on the other side of the hour, we're going to break right now, and thank you so much, Michael Tellinger, we'll be right back. (Source: Whistleblower Radio, 14 janvier 2010)

L’expression « de l’autre côté de l’heure » est fort vraisemblablement un calque de l’anglais. Faut-il dans ces conditions s’étonner qu’elle semble avoir échappé à l’attention de nos lexicographes ?


mercredi 9 décembre 2015

Le français d’Usito / 2


La dernière livraison de l’Infolettre Usito me fournit une nouvelle fois la matière d’un billet.

Dans sa promotion du temps des fêtes, l’équipe d’Usito offre son dictionnaire au prix réduit de 19,99 $ (toujours cette influence américaine : pourquoi pas un chiffre rond, 20 $ ?). On ajoute que « ce tarif est applicable pour un nouvel abonnement, un renouvellement ou un cadeau. » Applicable pour : on entend habituellement applicable à ou sur. Il y a visiblement télescopage avec l’expression valable pour. De plus, le Dictionnaire québécois-français de Lionel Meney nous apprend qu’un rabais applicable à ou sur est une expression calquée de l’anglais. En français standard on dit plutôt : à faire valoir sur ou valable pour.

Écrire à la manière d’Usito, c’est contribuer à créer une nouvelle langue latine à substrat anglais, le « français standard en usage au Québec ».

Si vous voulez offrir un dictionnaire en cadeau à l’occasion des fêtes de fin d’année, choisissez donc plutôt le Petit Larousse, le Petit Robert, le Multidictionnaire ou le Meney.

Voir aussi mon billet du 27 mai 2015


mardi 8 décembre 2015

Un match dans un(e) aréna


Le Grand Dictionnaire terminologique (GDT) de l’Office québécois de la langue française (OQLF) n’aime pas tellement le mot match. Tout au plus l’admet-il « dans certains contextes » dans deux fiches, l’une rédigée en 2013, l’autre en 2014.


Les deux fiches, qui privilégient l’emploi de partie plutôt que de match, ont la particularité de ne pas présenter exactement la même définition :

Compétition sportive entre deux joueurs ou deux équipes de deux joueurs, constituée d'un nombre déterminé de manches à remporter (2013).

Compétition, le plus souvent de nature sportive, qui se déroule selon des règles précises, habituellement entre deux concurrents ou deux équipes, et qui est mesurée par un nombre de coups à jouer, de points à obtenir pour l'emporter (2014).


Pourquoi n’avoir pas fait une seule fiche en uniformisant la définition ?


La fiche de 2013 contient une note bizarre : « Une partie est divisée en manches, en jeux et en points. » Une partie divisée en points ? Étonnant, n’est-ce pas ?

Mais plus étonnante encore est la remarque suivante : « L'emprunt à l'anglais match est attesté dans les sports depuis le XIXe siècle. » Soyons plus précis que le GDT qui aime bien laisser des zones d’ombre quand cela fait son affaire : depuis 1819 selon le Trésor de la langue française informatisé (TLFi). Soit depuis près de deux siècles.

Les utilisateurs du GDT savent que la cohérence est loin d’être la qualité principale de l’ouvrage. Ainsi le GDT admet-il le mot score entré plus tardivement en français (1896). Il admet aussi aréna au prétexte qu’il est « un emprunt ancien à l’anglais ». Pourtant le Trésor de la langue française au Québec (TLFQ) date de 1898 son apparition. Et il est particulièrement intéressant de relire les premières attestations de ce mot :

L'Arena, une construction spécialement consacrée aux joueurs de hockey, est l'un des plus beaux édifices du genre (La Presse, 1898).

Quinze cents personnes se sont rendues à l'Arena, samedi, ce qui semble indiquer clairement que la vogue du jeu de hockey est plus que jamais croissante (La Patrie, 1900).

Les clubs Victoria et Mc Gill sont sortis victorieux des deux parties de la ligue intermédiaire jouées hier après-midi, à l'Arena (Les Débats, 1903).

[...] le leader du mouvement nationaliste dans le Québec, M. Henri Bourassa [...] avait loué l'«Arena» pour y faire une manifestation en l'honneur du Sacré-Cœur [...] (Le Devoir, 1910).


Première constatation : dans ses plus anciennes attestations, le mot est écrit sans accent aigu, avec une majuscule et, dans un cas, avec des guillemets. Preuve de son origine anglaise (ou peut-être à l’époque lui prête-t-on une origine latine).


Seconde constatation : le mot n’est pas accompagné d’un complément déterminatif (ce n’est pas l’aréna Maurice-Richard ou l’aréna du centre-ville), on le considère comme un nom propre, avec une majuscule. Tout comme plus tard le Forum (à Montréal) et le Colisée (à Québec).


Bref, l’utilisation d’aréna comme nom commun générique pour désigner des patinoires couvertes est plus récente, de 1913 au plus tôt à en juger par la documentation du TLFQ.


Aréna, vieux d’à peine un siècle en français québécois, est accepté par le GDT alors que match, entré en français depuis deux siècles, est considéré avec suspicion. Allez chercher la logique là-dedans.


Le mot aréna, au féminin, commence à s’introduire en français européen pour désigner un stade couvert multifonctionnel. Mais il ne s’agit pas encore d’un nom générique courant. Exactement le même phénomène qu’en français québécois à la fin du xixe siècle.


lundi 7 décembre 2015

La logique du Grand Dictionnaire terminologique


Le gouvernement québécois vient de présenter un projet de loi sur la réforme des commissions scolaires. C’est pour nous l’occasion de reparler de la fiche commission scolaire du Grand Dictionnaire terminologique (GDT) de l’Office québécois de la langue française (OQLF). Elle contient toujours cette perle :


Même si la désignation commission est moins bien adaptée à la réalité actuelle, le terme commission scolaire est, au Québec, fortement lexicalisé. En effet, le sens de chacun des termes cède le pas au signifié unique.

Pour certains terminologues de l’Office, apparemment peu portés sur la logique, le terme commission scolaire serait donc composé de deux termes…


J’avais déjà analysé la fiche commission scolaire dans le billet « Faire de la terminologie à Babel » publié le 11 juin 2014. La fiche n’a toujours pas été corrigée.