mercredi 24 juillet 2024

Sur Chomsky : la redécouverte de l’Amérique

   

 

…un monde où l’on est en voie d’oublier l’existence de la linguistique parce que Chomsky en a dégoûté le public…

André Martinet, Mémoires d’un linguiste, p. 330


Lorsque des chercheurs américains, comme Chomsky, qui, au départ, ne sont pas des linguistes, mais des logiciens, posent que tout énoncé comporte nécessairement le couple sujet-prédicat, ils prennent simplement la relève de l’impérialisme gréco-latin pour imposer l’impérialisme linguistique de l’anglais.

André Martinet, cité par Claude Hagège, La grammaire générative, réflexions critiques, p. 47, note 2


L’emploi du langage tel qu’on l’observe ne saurait assurément constituer l’objectif effectif de la linguistique, si celle-ci doit être une discipline sérieuse.

—Chomsky, Aspects, cité par Cl. Hagège, p. 73

 

Je n’ai pas osé intituler ce billet « Chomsky et moi » parce que cela aurait été décidément trop prétentieux, d’autant que je n’ai jamais rencontré le personnage. Mais j’ai été confronté à son œuvre parce qu’à la fin des années 1970 c’était le courant qui dominait les études de linguistique à Cambridge.

André Martinet rapporte qu’Uriel Weinreich (co-auteur des remarquables « Empirical Fondations in Historial Linguistics ») aurait dit : « La lumière en linguistique vient du MIT » (p. 68). À mon époque on ne doutait certainement pas à Cambridge UK que la lumière venait de Cambridge MA.

C’est ainsi que le cours de linguistique théorique comprenait une extase devant la transformation passive. Dans les dendrogrammes (les structures arborescentes) si typiques du chomskysme on se demandait le plus sérieusement du monde si tel ou tel branchement devait se faire vers la droite ou vers la gauche.

Parmi « les élucubrations chomskyennes », il faut que je dise un mot sur ce que Martinet appelle les « tripotages transformationistes » (p. 68). Pour résoudre l’ambiguïté de certains énoncés comme « flying planes can be dangerous » les générativistes recourent à des « transformations ». Martinet fait remarquer que pour lever l’ambiguïté, il suffit de remplacer « can be » par « is » ou « are » (p. 69). C’est du niveau de l’école primaire quand on nous expliquait que, pour déterminer s’il fallait écrire jouer ou joué, il suffisait de remplacer le verbe par un autre du deuxième groupe (finir, fini).

Autre exemple de tripotage transformationiste, l’ellipse obligatoire d’un constituant dans les phrases à verbe passif dans les langues qui ne présentent pas le complément d’agent de l’anglais. C’est un point que j’ai un peu étudié dans une langue indo-iranienne (cliquer ici pour lire l’article)..

Ce que j’ai trouvé de plus pénible, c’est la lecture de The Sound Pattern of English de Chomsky et Halle. Cela m’a donné des maux de tête tout comme, quelques années plus tôt dans un cours de littérature française au collège, la lecture du Planétarium de Nathalie Sarraute. J’ai trouvé que Chomsky et Halle redécouvraient l’Amérique. J’avais en effet suivi à l’Université Laval le séminaire d’Arthur Padley sur la grammaire comparée des langues germaniques et je voyais que, bien souvent, les « structures profondes » dégagées par Chomsky et Halle étaient identiques ou quasi identiques aux formes reconstituées pour le germanique commun.

On a souvent accusé les générativistes d’imposer aux autres langues la grammaire de l’anglais sous couvert de structure profonde. D’où la description générativiste de nombreuses langues. Mais tous ces travaux ne sont pas d’une grande utilité pour les locuteurs de langues en voie de disparition qui manquent de manuels scolaires pour transmettre la langue ancestrale aux futures générations.

Il faudrait aussi, mais je ne le ferai pas, parler de la façon dont les générativistes se sont imposés un peu partout dans les institutions américaines, reléguant les non-générativistes aux marges, par exemple dans une association comme LACUS, Linguistic Association of Canada and the United States dont Wikipedia dit : The Linguistic Association of Canada and the United States (LACUS) was founded in August 1974 […]. This was largely a reaction against the narrowing of the field following Noam Chomsky’s generative grammar theory. 

On aura compris que je ne suis pas un grand fan de Chomsky.

 

mardi 4 juin 2024

Rare phonème

 

 


La une de Libération de ce jour a attiré mon attention. Il est en effet rare qu’en français le coup de glotte ait une valeur phonémique. Mais il faut en effet un coup de glotte pour faire la distinction entre salaire [salɛʁ] et sale air [salʔɛʁ.]

 

jeudi 23 mai 2024

Tête-de-violon ou crosse de fougère?


C’est la saison des crosses de fougère. L’anglicisme têtes-de-violon, revigoré par l’action de l’Office québécois de la langue française (OQLF), est toujours présent dans la langue commerciale. Comme le dit le Grand Dictionnaire terminologique (GDT), « dans l'étiquetage de produits commerciaux, l'usage n'est pas encore fixé entre crosse de fougère et tête-de-violon » (fiche de 2003). L’Office est intervenu pour revamper l’anglicisme au moment où il perdait du terrain. C'est pourquoi l'usage n'est pas encore fixé.

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Cliquer sur l'image pour l'agrandir







On remarquera que, dans le texte, on utilise seulement crosses de fougère. On peut légitimement penser que c’est ce terme qui se serait imposé si l’OQLF, sous l’influence d’un petit groupe, n’avait pas revalorisé l’anglicisme têtes-de-violon au début des années 2000.

Le juge Robert Auclair, président-fondateur de l’Asulf (Association pour le soutien et l’usage de la langue française), a écrit, il y a une vingtaine d’années, pour demander à l’Office de justifier sa volte-face. Il a reçu une réponse pleine de faussetés et de demi-vérités : cliquer ici pour lire la lettre de l’Office et mes commentaires.

 

jeudi 9 mai 2024

L’air du temps/ 3


Je découvre que l’allemand, s’il n’a pas le point médian récemment apparu en français, compense son absence par le deux-points médian : enseignant.e = Lehrer:in.

 



jeudi 2 mai 2024

L'air du temps/ 2

 

Qui oserait encore douter que Sciences Po Paris est la tête de pont des universités américaines en France après l’annonce de la tenue prochaine d’un town hall rue Saint-Guillaume ? La tenue de cet événement s’est négociée en anglais avec la direction de Sciences Po…

Rappelons la définition de ce mot en anglais américain : « an event at which a public official or political candidate addresses an audience by answering questions posed by individual members » (Webster). Il s’agit tout simplement d’une assemblée (publique) ou d’une séance de discussion.

Laissons de côté la question du snobisme à la sauce woke. Plus intéressante est celle de de la prononciation. On entend sur les chaînes d’infos de France quelque chose qui ressemble à [tɔn ol], [tœn ol], voire [tœnol] ou [tɘnol] sans hiatus. Le mot est apparu dans l’espace public il y a à peine quelques jours et déjà l’adaptation phonétique s’est faite. Il y a fort à parier qu’un anglophone ne comprendrait pas ce qu’est un teunnôle.

 

mercredi 24 avril 2024

Les joyeux naufragés

 

Lionel Meney publie aujourd’hui un livre où il est beaucoup question de l’anglicisation de la France. Et, aussi, du recul du français au plan international.








mardi 23 avril 2024

Progrès, stabilité ou recul : allez savoir!

 

L’Office québécois de la langue française (OQLF) vient de publier une étude sur la langue d’accueil et de service dans les commerces. Déjà en 1988, le Conseil de la langue française (aujourd’hui disparu) avait fait une enquête sur ce thème à Montréal, enquête reprise en 1995. Cette fois-ci, les enquêteurs ont aussi visité des commerces de localités autres que Montréal.

On peut non seulement regretter mais déplorer que, dans la constitution de son échantillon de commerces montréalais en 2023, l’OQLF n’ait pas eu la présence d’esprit, ou tout simplement l’intelligence, de faire des sous-échantillons qui auraient permis de faire des comparaisons fiables avec les résultats de 1988 et de 1995. On aurait pu voir l’évolution sur 35 ans ! Il y a à l’OQLF un Comité de suivi qui ne semble plus comprendre que le suivi qu’il a à faire doit s’inscrire dans la longue durée.

Je ne peux donc que faire quelques comparaisons bancales à partir des résultats de la dernière enquête.

De 1988 à 1995, l’accueil en français dans les commerces sur rue du boulevard Saint-Laurent passait de 72 % à 86 %. En 2023, il est de 74,2 % dans le centre de Montréal (zone évidemment plus vaste). Les échantillons ne sont pas comparables mais rien n’interdit de s’interroger sur le recul du français comme langue d’accueil dans le centre-ville.

Regardons maintenant l’ouest de l’île. Voici un tableau qui résume les résultats ; la comparaison est statistiquement valable pour 1988 et 1995 mais non pour 2023 :

Langue d’accueil dans les commerces à Montréal

(en % des commerces sur rue)

 

1998

1995

2023

Centre-ville ouest

59

66

Zone ouest

49

Côte-des-Neiges-Snowdon

60

53

 

On peut se demander s’il n’y aurait pas eu une baisse dans l’accueil en français dans l’ouest de l’île de Montréal depuis 35 ans. Mais on ne peut l’affirmer.

Le rapport de l’OQLF conclut toutefois à un recul du français comme langue d’accueil de 2010 à 2023 :

Entre 2010 et 2023, le taux d’accueil en français a diminué de 13 points de pourcentage, passant de 84 % à 71 %.

Entre 2017 et 2023, dans les zones est et nord, le taux d’accueil en français a diminué de plus de 5 points de pourcentage (de 96 % à 91 % dans la zone est et de 83 % à 78 % dans la zone nord).

Dans la zone ouest, cette diminution a été de 3 points de pourcentage (de 52 % à 49 %). Le taux d’accueil en français dans la zone centre est demeuré semblable à celui de 2017, s’établissant à 74 %.

[Points de pourcentage = percentage point. En français correct : point, tout court.]

On peut se demander si ce recul n’aurait pas été plus grand si on avait pu faire la comparaison avec les enquêtes de 1988 et de 1995.

Rappelons que l’OQLF, dans sa dernière enquête sur l’affichage, n’avait pas non plus jugé bon d’utiliser une méthodologie qui aurait permis la comparaison avec les enquêtes antérieures : cliquer ici pour lire mes commentaires.

*   *   *

L’enquête de 1995 avait vérifié s’il y avait une différence dans la langue de l’accueil quand le client faisait partie d’une minorité. Boulevard Saint-Laurent, l’accueil en français passait dans ce cas de 86 % à 72 %. On ne sait pas si l’on a pris en compte cette variable dans l’enquête de 2023.