mercredi 27 septembre 2023

 

Le Devoir, 27 septembre 2023, p. B7

 

Ce titre d’article du Devoir de ce jour, où on lit noir dans une phrase et black dans l’autre, me fournit l’occasion de rappeler le billet que j’ai écrit sur « L’évolution d’un tabou linguistique » :cliquer ici pour le lire.

 

lundi 11 septembre 2023

Le GDT se contre-fiche des fiches qui se contredisent


Depuis 2005, le Grand Dictionnaire terminologique (GDT) de l’Office québécois de la langue française donne la préférence au calque changement d’huile sur le terme vidange et décrète que « le terme est parfaitement conforme au système du français ». Dans son revirement d’opinion le GDT a oublié de corriger deux fiches antérieures, l’une de 1963, l’autre de 1998, où il privilégiait vidange :

 


Pour sa part, Usito accepte changement d’huile comme québécisme mais ajoute la note qu’il « est parfois critiqué comme synonyme non standard de vidange d'huile ».

Dans sa dernière édition, le Multidictionnaire de la langue française continue de considérer ce calque comme une forme fautive.

 

dimanche 10 septembre 2023

Le grec du GDT/ 6


Le Grand Dictionnaire terminologique (GDT) de l’Office québécois de la langue française (OQLF) met en vedette ce mois-ci la fiche « biophonie ». Elle contient la note suivante : « Le terme biophonie est formé des éléments bio‑ et ‑phonie, du grec bios et ‑phônia, qui signifient ‘ vie ‘ et ‘ son ‘ ». On trouve la même explication dans la fiche « ambiophonie ». Presque à chaque fois que le GDT se lance dans des étymologies grecques il commet des erreurs. On trouve dans ces deux mots le même processus de composition que dans téléphonie. On s’accorde pour dire que ce dernier provient de φωνή, non de φωνία (cf. Trésor de la langue française informatisé : « Dér. De téléphone* ou formé sur le gr. τλε ‘loin, au loin’ et φωνή ‘son’ »).

Si le mot φωνία existe en grec, c’est uniquement comme nominatif-accusatif pluriel neutre du diminutif φωνίον « petit son » (cf. le dictionnaire de Bailly). Il n’a jamais été invoqué pour expliquer l’étymologie de téléphonie. On ne voit pas comment il pourrait l'être dans le cas de biophonie qui s’inspire clairement du modèle de téléphonie.

 

vendredi 25 août 2023

Les relations de la France et du Québec d’après le vocabulaire


Le titre de mon billet s’inspire de celui des deux livres de Fraser Mackenzie, Les relations de la France et de l’Angleterre d’après le vocabulaire (Paris, Droz, 1939). Des linguistes, plus ou moins jeunes, s’étonnent de découvrir que des mots anglais récemment empruntés par le français sont en réalité de vieux mots français. Ce va-et-vient a pourtant été analysé en détail il y a près d’un siècle. On redécouvre sans cesse l’Amérique. Cela me rappelle un incident survenu lors d’un colloque en Finlande. Un jeune universitaire de la Floride (incontestablement pas dans la Ivy League), faussement anobli par l’addition d’un chiffre romain à son nom comme on le voit à l’occasion en Amérique, avait présenté dans une communication ce qu’il croyait être une nouveauté. Quelques auditeurs s’étaient alors exclamés : mais nous connaissons cela en Europe depuis les travaux du Cercle linguistique de Prague !

 

Mon ami Robert Chaudenson a commenté, dans son blog, la façon dont a été reçu en France le mot courriel pour remplacer e-mail :

 

La sotte prétention des Français à tout régenter, seuls et de façon exclusive, dans la langue française, pour le présent comme pour le futur, est illustrée de la façon la plus caricaturale par l'affaire de la création d'un équivalent français de l'anglo-américain e-mail.

 

Je vous invite à lire le texte complet de Chaudenson en cliquant ici.

 

Dans un autre billet, Robert Chaudenson s’en prend au vocabulaire du golf préparé par les soins de la Commission ministérielle de terminologie du Ministère de la jeunesse et des sports : « tout donne à penser que les membres de cette Commission sont, hélas, meilleurs golfeurs que terminologues ! Dans ce dernier domaine, leur ‘ handicap ‘ apparaît en effet très lourd. » Il reproche à la Commission de proposer « des traductions littérales absurdes des mots anglais qu’on prétend éviter. On impose ainsi ‘ aigle ‘ pour ‘ eagle ‘ ou ‘ oiselet ‘ pour ‘ birdie ‘, etc. L’innovation proprement terminologique est donc nulle. » Ce que Chaudenson ne savait pas, c’est que ces traductions proviennent d’un ouvrage de l’Office (québécois) de la langue française, Vocabulaire technique du golf (1971). Malgré ce plagiat, Chaudenson a pu dénoncer « l’évitement systématique des termes proposés par les Québécois » :

 

Pourquoi proposer, par exemple, de dire en français « chien de fusil » pour l’anglicisme « dog leg » (« trou dont le tracé dessine un coude très accentué »), tout en signalant que « les termes allée coudée et trou coudé sont également utilisés au Canada ») (1994 : 37). Les termes québécois sont bien meilleurs que le terme proposé qui, en français moderne, est désuet, hors de l’expression « dormir en chien de fusil ». Qui sait, de nos jours, ce qu’est un « chien de fusil » ? J’ajoute que dire "au Canada " et non "au Québec, me paraît une mesquinerie inutile ou, plus grave encore, une ignorance de la sensibilité des Québécois à l’égard d’une telle formulation. On trouve mieux encore avec l’article « par » : « par n.m., Domaine Sport/golf. Définition « Nombre de coups considéré comme la référence sur [sic; je dirais plutôt « pour », que « sur » mais enfin…] un trou. Note : le terme utilisé au Canada [même remarque que plus haut] pour le par est « la normale ». Anglais : "par". On voit qu’on déroge au principe, réputé fondateur, d’éviter l’emprunt anglais pour la seule satisfaction de ne pas user du terme (québécois) de « normale » qui semble pourtant excellent.

 

On peut lire ce billet de Robert Chaudenson en cliquant ici.

 

mercredi 23 août 2023

Les vieux croûtons


[…] il faut dire qu’au Québec le purisme langagier est aujourd’hui un phénomène du troisième âge. C’est malheureux de le dire et je ne veux pas faire de l’âgisme mais quand on voit qui sont ceux qui ont du temps à perdre pour chialer contre le changement linguistique, force est de constater qu’il s’agit de vieilles personnes parlant de vieilles choses. […] Quand on sait que Jacques Maurais a été terminologue à l’Office québécois de la langue française de 1973 à 1980, que Robert Auclair est un ancien juge retraité depuis 1996 et que Robert Dubuc est entré au service de Radio-Canada en 1956 comme traducteur-terminologue, on peut avoir une idée de l’âge vénérable de ces trois commentateurs.

— Blogueur anonyme, 10 octobre 2018

 

Il me semble vivre un cauchemar à la Samuel Butler, où l’âge serait un péché (le seul impardonnable, d’ailleurs) et l’assassinat des aînés un acte hautement moral.

— Pastiche de Julien Green par Jean-Louis Curtis, La Chine m’inquiète, Paris, Grasset, 1972

 

En 2018, le Blogueur anonyme annonçait mon imminente décrépitude. Il est vrai que je ne suis plus jeune. Je fais partie de la dernière cohorte des collèges classiques. Je l’avouerai, je suis bien fier d’avoir fait des études classiques à l’époque de la Grande Noirceur et, si Méphistophélès m’offrait de rajeunir, je refuserais tout de go à cause de ce qu’est devenue l’école québécoise.

Au primaire, chaque journée commençait par une leçon de catéchisme. C’était la Grande Noirceur. Aujourd’hui on enseigne aux élèves le tri sélectif. C’est le Progrès.

Pendant les premières années du cours classique, on traduisait César, Cicéron, Virgile, Platon, Xénophon. C’était la Grande Noirceur. Les élèves montaient des pièces de théâtre, Meurtre dans la cathédrale de T.S. Eliot, Athalie, La Cantatrice Chauve et La Leçon d’Ionesco. C’était la Grande Noirceur. À l’étude, un de mes voisins lisait Crime et châtiment, un autre Shakespeare. C’était la Grande Noirceur. Nous avions des concerts où on jouait Ravel, Debussy, Bartók et un prêtre nous apprenait comment prononcer le nom du compositeur Kodály, alors presque inconnu du grand public. C’était la Grande Noirceur. Des filles de « Belles-Lettres spéciales » venaient assister avec les garçons au cours de biologie (où nous disséquions des grenouilles et des rats, quelle horreur !) et à celui d’histoire de l’art. C’était la Grande Noirceur. En classe de chimie, nous manipulions éprouvettes, pipettes, béchers, becs Bunsen. C’était la Grande Noirceur.

Plus tard, un Belge venu de Louvain nous faisait découvrir Rutebeuf, Villon, Ronsard, Nerval, Hugo. C’était la Grande Noirceur. Le professeur d’histoire, fils d’un pasteur de Toronto, nous faisait lire le Manifeste du parti communiste. C’était la Grande Noirceur. Un autre Belge nous introduisait à Durkheim. C’était la Grande Noirceur. En cours de littérature française, un prêtre nous faisait lire Madame Bovary, Gide, Mauriac, La Condition humaine, La Peste, Bonjour tristesse. C’était la Grande Noirceur.

À Cambridge, j’étais dans un collège où on devait porter la toge au dîner (« Formal Hall »). Old Times. Le dîner commençait par une prière en latin. Old Times. Le repas se terminait parfois par de retentissants rots sous la voûte sonore du réfectoire, car il n’y avait pas encore de girls. Old Times. Aujourd’hui le collège accepte des « people with wombs ». Brave New World. À mon époque, les étudiants manifestaient contre l’apartheid en Afrique du Sud. Old Times. Aujourd’hui, le collège vient de construire un centre multiconfessionnel avec « two entries for segregated prayers » et un « shoe rack » (sans doute pour remiser les savates des catholiques, presbytériens, juifs et autres non-conformists) et la salle peut être divisée « by a curtain for segregated prayers ». Brave New World.

Non, je ne regrette rien.

 

mardi 22 août 2023

Tinquer en hongrois

 

Je découvre le verbe hongrois tankolni « faire le plein d’essence ». Je soupçonne un emprunt à l’anglais et, n’ayant pas de dictionnaire étymologique hongrois sous la main, je me rabats sur Internet (Wiktionary). J’apprends que le mot hongrois tank, dont dérive le verbe tankolni, viendrait du néerlandais, ultimement d’un mot sanskrit :

Unadapted borrowing from Dutch tank, from English tank, from Portuguese tanque (“tank, liquid container”), originally from Indian vernacular for a large artificial water reservoir, cistern, pool, etc., for example, Gujarati ટાંકી (ṭā̃kī) or Marathi टाकी (ṭākī), from Sanskrit तडग (taḍaga, “pond”).

L’explication fournie par le Trésor informatisé de la langue française n’exclut pas une origine indienne :

Empr. d'abord au port.tanque att. dep. la fin du xves. (Dalg. t. 2; Mach.3) puis à l'angl. tank att. dep. le déb. du xviies. (NED) et dont les 1res formes laissent supposer une infl. du port. L'orig. du terme port. n'est pas clairement établie, le lien avec estancar corresp. au fr. étancher* n'étant pas certain. L'hyp. d'une orig. indienne n'est pas à exclure. Dans ce cas, les formes corresp. relevées en Inde (v. NED et Dalg.t. 2) seraient autochtones et le terme angl. aurait été directement empr. à une lang. de l'Inde après avoir d'abord été introduit dans l'usage par l'intermédiaire du portugais.

Dans le cas hongrois, le mot serait venu par l’intermédiaire du néerlandais, dans le cas français par l’intermédiaire du portugais. Les deux explications se complètent. Les Portugais avaient jusqu’au milieu du XXe siècle des comptoirs en Inde et les Hollandais administraient les Indes orientales, aujourd’hui l’Indonésie (le mot existe en malais : tank, tang, teng et viendrait du néerlandais).

Le verbe québécois tinquer « faire le plein » (< tank) ne figure pas dans Usito. Les deux sens du substantif tank y sont accompagnés d’une mise en garde : « l'emploi de tank est parfois critiqué comme synonyme non standard de citerne », « ce mot, parfois critiqué, est passé dans l’usage standard ». Les articles d’Usito regorgent de telles mises en garde. 

Le traitement de tank pour désigner une citerne est particulièrement cocasse. Alors qu’au Québec on dit une tinque, Usito présente le mot comme masculin et nous dit qu’il se prononce [tɑ̃k] ! Elle est où, la description du français québécois revendiquée par les promoteurs du dictionnaire ?

Usito, qui enregistre le sens familier franco-français de gazer (« ça gaze »), n’a pas le sens québécois de ce verbe dans mâ aller gâzer « je vais aller faire le plein ».

Je suis sans doute le premier à le dire — et je revendique cette priorité : Usito est plus puriste que le dictionnaire de l’Académie. Bien des mots courants au Québec y sont absents, sans doute parce qu’on les considère comme des verrues. Diane Lamonde n’avait pas tout faux quand elle parlait d’un « joual de parade ».

 

mardi 15 août 2023

Désœuvrés actifs


En France les grèves s’appellent des mouvements sociaux. En Angleterre, dans les mêmes circonstances, on parle d’industrial action. France et Angleterre se rejoignent pour dire que, quand on ne fait rien, ça brasse.