mercredi 27 janvier 2016

Francophonie sous perfusion



Dans Le Devoir d’aujourd’hui, l’article de Robert Dutrisac, « Le français, non merci », rend compte d’une étude de Jean Ferretti (Le Québec rate sa cible) sur la francisation et l’intégration des immigrants.


Extrait du texte de Robert Dutrisac :

[…] les immigrants de langue maternelle latine ou originaires de la Francophonie, quelle que soit leur langue maternelle, sont enclins à adopter le français, alors que c’est l’inverse pour les immigrants de langue maternelle non latine. Depuis 1971, la proportion des immigrants de langue latine qui adoptent le français a augmenté à 87 %, tandis que le transfert vers le français des immigrants de langue non latine est resté le même en 30 ans, à 15 %.

Ainsi 88 % des Latino-Américains et 90 % des Arabes installés au Québec connaissent le français, alors que plus de 40 % des Chinois et des Sud-Asiatiques ne connaissent pas le français.


La rédaction du texte laisserait croire que l’arabe serait une langue latine, ce qui est évidemment faux. Et je ne crois pas que cette ambiguïté doive être attribuée au chercheur.


En fait, nous avons affaire ici à la reprise d’une catégorisation proposée dans les années 1980 par Charles Castonguay dans ses études sur l’assimilation linguistique. Pour Castonguay, les francotropes, venant d’anciennes colonies ou protectorats de la France (Maghreb, Viêt-Nam, Laos, Cambodge, Afrique subsaharienne, etc.) et de pays de langue romane (Amérique latine, Roumanie, etc.) étaient plus portés à se tourner (τρόπος, « tour ») vers le français. En revanche, les anglotropes venaient de pays relevant de l’aire culturelle anglaise ou américaine et s’intégraient donc plus facilement à la minorité anglophone du Québec.


Mais l’évolution politique des pays qualifiés de francotropes il y a 30 ans les a pour plusieurs éloignés d’une pratique sociale répandue de la langue française, spécialement en Asie du Sud-Est. À tel point que l’Agence universitaire de la Francophonie, dont le mandat concerne en principe les universités, doit maintenant prendre en charge des classes bilingues dans les collèges et les lycées de plusieurs pays naguère francotropes pour assurer la relève d’une élite universitaire francophone :

Il s’agit d’aider les pays nouvellement adhérents à la francophonie, par des programmes de relance et de renforcement de l’enseignement du français et de l’enseignement en français et d’offrir ainsi à la jeunesse la possibilité de faire en langue française toute leur scolarité de la première classe de l’école primaire au doctorat d’université. Cette relance et ce renforcement se réalisent dans le cadre de cursus intégrés aux systèmes éducatifs nationaux. L’Agence Universitaire de la Francophonie, en réponse aux demandes de pays francophones de la péninsule indochinoise, du Monde Arabe, de la Caraïbe, du Pacifique-Sud et d’Europe Centrale et Orientale, a développé dans l’enseignement primaire et secondaire des programmes spécifiques :

• Classes bilingues en Asie Pacifique (Cambodge, Laos, Vietnam) et en Europe centrale et orientale (Moldova)

• Classes à français renforcé en Haïti et au Vanuatu


La catégorisation francotrope /anglotrope peut être utile dans l’étude de l’intégration linguistique des immigrants au Québec mais sa définition doit être revue pour tenir compte de l’évolution sociopolitique mondiale des dernières décennies.


mardi 26 janvier 2016

Immigration et francisation : le jeu ambigu du Parti libéral


Extrait de l’article de Robert Dutrisac publié ce matin dans Le Devoir :

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Les cours de français boudés par les immigrants
Une majorité ignorant le français refusent de suivre les cours offerts par l’État
Environ 60 % des immigrants adultes qui ne connaissent pas le français en arrivant au Québec refusent de suivre les cours de français qui leur sont offerts gratuitement par l’État, une proportion en nette progression ces dernières années.
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Pour autant que je sache, la politique officielle du Québec sur l’immigration est toujours celle qui a été adoptée en 1990 par le gouvernement du Parti libéral. Elle reconnaît que les institutions publiques anglophones – dont les établissements des réseaux de la santé et des services sociaux – continueront à jouer un rôle dans l’intégration des immigrants :

Cependant, il est probable — et somme toute compréhensible — que certains de ces immigrants continueront de privilégier l’intégration à la communauté anglophone, surtout à la première génération. Par la suite, l’impact de la fréquentation de l’école française par leurs enfants devrait favoriser leur intégration progressive à la communauté francophone. Le Gouvernement reconnaît donc le rôle qu’ont à jouer certaines institutions anglophones — notamment celles du réseau de la santé et des services sociaux — dans l’intégration d’une partie des nouveaux arrivants ainsi que dans le soutien à la pleine participation des Québécois des communautés culturelles plus anciennes qu’elles ont accueillis dans le passé. C’est pourquoi, même si la priorité sera accordée à l’adaptation à la réalité pluraliste des institutions francophones où le rattrapage à effectuer est plus important, le Gouvernement soutiendra également, dans le cadre de sa politique d’intégration, les institutions anglophones » (Ministère de l’Immigration et des Communautés culturelles, Au Québec pour bâtir ensemble, Énoncé de politique en matière d’immigration et d’intégration, 1990, page 15, note 8.)


Cette note, dissimulée en bas d’une page, le ministère de l’Immigration se garde bien de la brandir. À preuve, lors d’un séminaire au Conseil de la langue française dans les mois qui ont suivi la publication de l’énoncé de politique, j’ai posé une question sur cette note à une directrice du MIDI (alors appelé MICC). Elle m’a dit que je me trompais, qu’il n’y avait rien de tel dans la politique gouvernementale. Malheureusement, je n’avais pas sous la main mon exemplaire annoté. Immédiatement après le séminaire, dès que j’eus retrouvé le passage concerné, j’envoyai un courriel à la directrice en question. Faut-il s’étonner que je n’aie jamais reçu de réponse ?

mercredi 20 janvier 2016

Le patrimoine national entre poudrerie et poudre de perlimpinpin


La dernière Infolettre Usito m’apporte une fois de plus du grain à moudre… ou ne serait-ce que du vent ? Dans un texte intitulé « Une poudrerie patrimoniale »  rien que le titre fleure bon l’endogénisme militant – on lit :

Quand elle tourbillonne ou qu’elle est simplement soulevée par le vent, la neige devient ici poudrerie, alors que les Européens parleront plutôt de chasse-neige.
[…]
Le mot poudrerie, attesté dès 1695, a été un des premiers emplois caractéristiques du français d’ici à être revendiqué comme un fleuron à défendre et à promouvoir.

Poudrerie, alors que les Européens parleront de chasse-neige ? Et si les Européens parlaient plutôt de blizzard ? Je viens d’ailleurs tout juste de lire ce mot dans le roman HHhH de Laurent Binet où il l’emploie pour parler d’une tempête de neige à Prague. Le mot blizzard est totalement absent de l’entrée poudrerie du dictionnaire Usito. Pourtant, quand on consulte le Trésor de la langue française informatisé (TLFi), on trouve cette définition de blizzard : ,,Aveuglante tempête de neige, poussée par un vent violent et accompagnée d'un froid très vif`` (BÉL. 1957). La référence « BÉL. 1957 » désigne la première édition du Dictionnaire général de la langue française au Canada de Louis-Alexandre Bélisle. Et la définition de Bélisle est très près de celle de chasse-neige que donne le TLFi : « MÉTÉOR. Vent extrêmement violent qui soulève la neige en tourbillons ». Sur ce point comme sur tant d’autres que j’ai eu l’occasion de traiter au fil des billets de ce blog, Usito ne nous en apprend guère plus que le TLFi. En fait, plutôt moins.


Usito affirme que le mot poudrerie est attesté dès 1695 et l’entrée du dictionnaire reproduite dans l’article donne comme source le TLFQ, c’est-à-dire le Trésor de la langue française au Québec, sans plus. J'ai donc poussé plus loin : les plus anciennes attestations de ce mot dans le TLFQ sont du père Bonaventure Fabvre, jésuite français. Quant au Trésor de la langue française informatisé (TLFi), il est, une fois de plus, plus précis :


1695 «neige sèche et fine que le vent soulève en tourbillons» (Lettre du père Marest à Lamberville, LXVI, p.113 ds Canadian 1969)


Dans le Dictionnaire biographique du Canada, il y a deux Marest, tous deux jésuites de France. Et le Lamberville à qui écrit le père Marest est aussi un jésuite. Et il y a aussi deux Lamberville, tous deux jésuites et tous deux nés à Rouen.


Autant le TLFQ que le TLFi indiquent que les premiers à avoir couché par écrit le mot poudrerie sont des jésuites français. Mentionnons par ailleurs que le mot poudrière (puldriere) est attesté depuis 1155 et qu’il avait alors le sens de « nuage de poussière ». Et dans un texte de 1210 poudrer signifie « dégager de la poussière ». Utiliser le mot poudrerie en parlant de la neige ne constitue guère une innovation révolutionnaire.


L’extension de sens du mot poudrerie est d’abord attestée sous la plume de missionnaires français et elle peut très bien s’être produite en France même, bien avant 1695. En tout état de cause, le Dictionnaire historique de la langue française (Robert) le croit puisqu’il affirme que le mot poudrerie a pris le sens de « neige fine et sèche tourbillonnant au vent » et que ce sens est « encore vivant au Québec » (1992, t. 2, p. 1598, 2e col.).


Il me semble donc particulièrement futile de pousser des cocoricos patriotico-lexicographiques sur ce « fleuron à défendre et à promouvoir » comme le fait l'Infolettre Usito.


Qu’il est donc difficile de pratiquer la lexicographie sur un plan strictement descriptif ! Viennent s’y mêler fréquemment des considérations idéologiques : promotion de l’unité nationale, jacobinisme linguistique, nationalisme, patriotisme, séparatisme linguistique,…


mardi 19 janvier 2016

Retard terminologique pour cause de neige

  
« Le lien causal entre l'alcool et l'accident est difficile à cerner dans ce cas-ci », a soutenu le juge, tout en précisant qu'au moment de la collision, la chaussée était enneigée avec la présence d'une lame de neige et que les conditions climatiques et routières étaient difficiles.
La Nouvelle Union (Victoriaville), 21 septembre 2015

Les premiers indices laissent croire qu'une importante lame de neige qui se trouvait sur la chaussée pourrait avoir été à l'origine de la fausse manœuvre qui a mené à la collision frontale.
Le Courrier Sud (Bécancour), 10 février 2015

Le MTQ [ministère des Transports du Québec] souligne également la présence de lames de neige sur route 148, entre les secteurs de Bryson et Aylmer, et sur la route 105, entre Low et Gracefield. Une lame de neige est un amas de neige accumulée sur la chaussée.
Ici Radio-Canada.ca, édition Québec, 30 janvier 2015

On note une visibilité réduite et la présence de lame de neige sur la chaussée de la route 132 de Gaspé, dans le secteur L'Anse-à-Brillant, jusqu'à Percé, dans le secteur L'Anse-à-Beaufils. C'est aussi le cas de Sainte-Madeleine-de-la-Rivière-Madeleine jusqu'à Cloridorme.
Des lames de neige sont aussi présentes dans le secteur de Rivière-au-Renard jusqu'à Saint-Majorique.
Ici Radio-Canada.ca, édition Québec, 27 novembre 2014


Le 30 décembre 2013, je notais que le Grand Dictionnaire terminologique (GDT) de l’Office québécois de la langue française (OQLF) n’avait pas de fiche sur l’expression lame de neige, pourtant typique de l’hiver québécois et bien attestée dans la presse. Deux ans plus tard, l’expression est toujours absente du GDT.

Relire le billet « Lame de neige »


lundi 18 janvier 2016

Coffice

J’ai rappelé, dans un billet récent, que l’Office (alors pas encore québécois) de la langue française avait créé dans les années 1970 une équipe de néologie dont la mission était de détecter le plus tôt possible les néologismes apparaissant en anglo-américain pour leur trouver des équivalents français. Le mot coffice n’aurait pas échappé à leur attention, ce qui est malheureusement le cas du Grand Dictionnaire terminologique :




Le coffice a fait l’objet récemment d’un article dans Le Monde, repris dans Le Devoir du 16 janvier :

Le «coffice», ou mon bureau au bistrot
Entre le café et le lieu de travail, le concept fleurit dans le monde
Bosser au troquet? Une habitude, désormais, pour les travailleurs nomades. À tel point que fleurissent les « coffices », un compromis entre le café et le bureau.
[…]
Surfant sur la tendance nomade des travailleurs, une nouvelle génération d’établissements, les cafés-bureaux, commence à ouvrir en France. L’idée serait née en Corée, avant de se développer aux États-Unis où les « coffices », contraction de « coffee » et « office », font fureur.

Dans ces lieux, on ne facture pas les consommations, mais le temps passé. À l’intérieur, accès wi-fi gratuit, boissons et encas à volonté.

C’est aussi en partant de son besoin personnel que Leonid Goncharov, 26  ans, a fondé le premier Anticafé à Paris, en 2013. Deux ans après, trois autres établissements ont déjà vu le jour, dont un à Rome.

Pour 3 à 5 euros l’heure, selon la formule choisie, membre régulier ou visiteur, le concept séduit une génération ultraconnectée qui y va pour travailler mais aussi pour trouver du lien social, le tout dans une ambiance décontractée — plus « barbe de trois jours et bonnet » que « costume-cravate ».


Comme j’ai bien connu l’initiateur de l’équipe de néologie à l’Office, je crois bien qu’il aurait fait valoir que travailler au café faisant partie de la tradition intellectuelle de la France il est par conséquent inutile de trouver un mot nouveau.

Sartre en plein travail au Café de Flore


Le mot coffice est d’autant plus inutile en français que de mauvais esprits pourraient y voir un mot-valise formé de con et office.


*   *   *

Tant qu’à y être, et puisqu'il n'y a plus guère de « mémoire institutionnelle » à l’Office (québécois) de la langue française, je préciserai que l’initiateur des travaux de terminologie a été l’écrivain Gilles Leclerc (Le Journal d’un inquisiteur, 1960).

 
Gilles Leclerc (1928-1999)

Son bras droit était Stéphane Golmann. Ce dernier a participé au débarquement allié en Afrique du Nord puis il s’est fait connaître comme auteur-compositeur-interprète à la grande époque de Saint-Germain-des-Prés.


mercredi 13 janvier 2016

Des mots absents du GDT


Dans les deux derniers billets, j’ai traité de la fiche « djihad » du Grand Dictionnaire terminologique (GDT) de l’Office québécois de la langue française (OQLF). J’ai alors découvert que le GDT n’avait pas de fiche sur deux dérivés très usités de ce mot, djihadiste et djihadisme. Ce travail à la pièce qui fait abstraction de la famille sémantique d’un mot montre une fois de plus que l’Office n’applique plus les règles de la recherche terminologique, dans ce cas-ci celle voulant que l’on traite les mots par domaine et non en les prenant isolément. 

Démonstration des conséquences de ce dérapage

Le Larousse en ligne définit ainsi djihadiste : « relatif au djihadisme; qui en est partisan ». Et djihadisme : « mot par lequel on désigne les idées et l’action des fondamentalistes extrémistes qui recourent au terrorisme en se réclamant de la notion islamique de djihad. »


Reprenons maintenant la définition irénique de djihad donnée par le GDT (« précepte coranique qui invite les musulmans pratiquants à faire des efforts sur eux-mêmes pour s'élever spirituellement ou moralement ») et essayons de l’appliquer à un exemple tiré de la presse québécoise récente :

Un djihadiste syrien de 20 ans a exécuté en public sa mère qui avait tenté de le convaincre d'abandonner le groupe État islamique (La Presse, 8 janvier 2016).


Cela donne : Un djihadiste syrien, c’est-à-dire un partisan du précepte coranique qui invite les musulmans pratiquants à faire des efforts sur eux-mêmes pour s'élever spirituellement ou moralement, a exécuté en public sa mère qui avait tenté de le convaincre d'abandonner le groupe État islamique. Caractère absurde ou incomplet de la définition du GDT. C.Q.F.D.


mardi 12 janvier 2016

La définition biaisée


Continuons l’analyse, commencée hier, de la fiche « djihad » du Grand Dictionnaire terminologique (GDT) de l’Office québécois de la langue française (OQLF). Et commençons par citer la définition du mot :

Précepte coranique qui invite les musulmans pratiquants à faire des efforts sur eux-mêmes pour s'élever spirituellement ou moralement.


La définition est suivie d’une note qui ne semble guère avoir de rapport avec elle :

Il existe plusieurs niveaux de « combat », à proprement parler, et chaque pratiquant ou chef religieux peut adhérer à l'un ou à l'autre. L'une des formes de combat peut être une lutte personnelle contre ses pulsions intérieures, de manière à les dominer. La forme de combat extrême serait un combat physique contre ce qui est jugé comme une agression contre la foi musulmane.


Que vient faire le mot combat dans la note, mot qui n’est pas mentionné dans la définition et, qui plus est, est mis entre guillemets, ce qui suppose un lien avec ce qui précède ? Serait-ce parce qu’on aurait omis un élément essentiel de la définition ? En effet.


Le Larousse en ligne donne deux sens à djihad : 1) effort sur soi-même pour atteindre le perfectionnement moral et religieux (formulation que semble avoir reprise le GDT en la modifiant quelque peu) ; 2) combat, action menée pour étendre l’Islam et, éventuellement, le défendre. (C’est abusivement que le mot est employé au sens de « guerre sainte ».)

Le dernier sens est évacué de la définition du GDT, on se demande bien pourquoi (ou peut-être croit-on le deviner : réflexe de bien-pensance).


D’autres ouvrages font moins dans l’irénisme que le GDT. Ainsi Wikipédia :

En arabe, ce terme signifie « effort », « lutte » ou « résistance », voire « guerre menée au nom d'un idéal religieux ».
L'islam compte quatre types de jihad : par le cœur, par la langue, par la main et par l'épée. Le jihad par le cœur invite les musulmans à « combattre afin de s'améliorer ou d'améliorer la société ». Le jihad peut aussi être interprété comme une lutte spirituelle, dans le cadre du soufisme par exemple, mais aussi armée. Cette dernière interprétation a pu servir d'argument à différents groupes musulmans à travers l'histoire pour promouvoir des actions contre les « infidèles » ou d'autres groupes musulmans considérés comme opposants et révoltés.


Et maintenant l’Encyclopædia Universalis :

Le mot arabe jihād indique « un effort tendu vers un but déterminé ». Souvent traduit par « guerre sainte » dans les langues occidentales, le djihad a varié au cours des siècles dans sa conception comme dans son application. Ce n'est pas un devoir personnel, c'est un devoir collectif s'adressant à l'ensemble de la communauté musulmane (umma), et dont les règles précises ne furent fixées qu'après la mort du Prophète. […] Le djihad est […] une institution divine pour propager l'islam dans le dār al-harb (les territoires non encore gagnés à l'islam, décrits comme le domaine du combat) ou pour défendre l'islam contre un danger. Pour être légitime, il doit avoir des chances raisonnables de succès. Mais le djihad n'est pas une guerre sainte d'extermination : dans sa version offensive, dirigée contre les peuples infidèles voisins du « territoire de l'islam », ceux-ci, avant d'être combattus, doivent être invités à se convertir. Juifs et chrétiens, en qualité de « gens du Livre » croyant en un seul Dieu, peuvent devenir « protégés » (dhimmī) par la communauté musulmane. Ils jouissent alors d'un statut privilégié et conservent le libre exercice de leur culte, moyennant le paiement d'un impôt de capitation, la jiziya.


Voyons enfin ce que dit l’Encyclopædia Britannica :

Jihad, also spelled jehad, (“struggle”, or “battle”), a religious duty imposed on Muslims to spread Islam by waging war; jihad has come to denote any conflict waged for principle or belief and is often translated to mean “holy war.”


Ce dernier sens est fréquent dans la presse québécoise :

Le Journal de Montréal, 17 décembre 2015


Le GDT, qui ne cesse de nous bassiner avec sa « langue courante », qui n’ose plus critiquer l’usage du mot vidanges (ordures ménagères) puisqu’il fait partie de « la langue courante au Canada français depuis plus d’un siècle », n’a pas retenu le sens le plus courant du mot djihad dans les médias québécois. Il préfère donner une définition irénique. Concluons : le politiquement correct est dorénavant un critère de rédaction d’une définition terminologique.


lundi 11 janvier 2016

L’accent du Grand Dictionnaire terminologique


En voulant vérifier quelle orthographe l’Office québécois de la langue française préconise pour le mot (d)jihad, je tombe sur cette remarque : « On rencontre parfois un accent grave sur le a, sans doute pour rendre la prononciation arabe, mais en français, il convient mieux de ne pas l'ajouter ».

 
Extrait de la fiche djihad du GDT (2009)

La mention d’un accent grave dans la translitération de l’arabe me semble curieuse et je fais donc quelques vérifications.


Quand le a du mot (d)jihad est pourvu d’un signe diacritique dans les textes écrits en français, il s’agit d’un macron (petit trait au-dessus de la voyelle : ā) ou d’un accent circonflexe (â), jamais d’un accent grave.


L’Encyclopædia Universalis et l’Encyclopædia Britannica utilisent toutes deux le macron : jihād. Dans les textes moins spécialisés, le mot est souvent écrit sans accent ou avec un circonflexe (jihâd).

Le Grand Dictionnaire terminologique en est-il rendu à confondre accent circonflexe et accent grave ?


mardi 5 janvier 2016

Les mots de l’année 2015


J’ai lu récemment sur le site de RTL un petit article sur les mots de l’année 2015. Pas sur les nouveaux mots mais sur les mots les plus significatifs de cet annus horribilis (expression naguère employée par Babette*) : carnage, massacre, guerre, violence, etc. Parmi ces mots, il y avait tout de même quelques néologismes : ubérisation, cyber-djihadisme, transition climatique, justice climatique, etc. Néologismes qui n’ont pas encore été traités par les terminologues du Grand Dictionnaire terminologique (GDT) de l’Office québécois de la langue française (OQLF).


L’équipe responsable des dictionnaires Oxford a révélé en novembre dernier que le mot de l’année n’en était pas tout à fait un : un emoji, c’est-à-dire un pictogramme ou « smiley », représentant une figure avec des larmes de joie.



Un smiley, c’est ce que l’OQLF appelle une « binette » et, en France, la Commission générale de terminologie une « frimousse ». La Commission prend la peine d’ajouter : « Le terme ‘ binette ’ est recommandé au Québec. ‘ Frimousse ’ doit être préféré à ‘ binette ’ ». Sans autre explication. Vive la coopération francophone !


Le mot emoji, largement mentionné dans les médias anglophones en novembre dernier, n’apparaît toujours pas dans le GDT. Dire qu’il y a encore des naïfs qui croient que l’une des missions de l’OQLF est de fournir des équivalents français aux néologismes anglais (bon, disons nippon dans le cas présent). On a même pensé à une époque que le Québec, étant aux avant-postes de la francophonie, avait pour rôle de proposer au monde francophone des équivalents aux néologismes américains, ce qui avait entraîné dans les années 1970 la création d’une équipe de néologie à l’Office (pas encore québécois) de la langue française. Époque révolue. Pour savoir aujourd’hui ce que signifie emoji, il vaut mieux se fier à Wikipédia :

Emoji (japonais : 絵文字 ou えもじ, prononcé [emodʑi]) est le terme japonais pour désigner les émoticônes utilisées dans les messages électroniques et les pages web japonaises, qui se répandent maintenant dans le monde entier. Signifiant à l'origine pictogramme, le mot emoji signifie littéralement « image » (e) + « lettre » (moji)Ces caractères sont utilisés de la même façon que les émoticônes ASCII, mais un plus grand nombre sont définis, et les icônes sont standardisées et intégrées aux appareils.

L’équipe d’Oxford avait établi une liste des dix mots de l’année 2015. Les neuf autres mots étaient les suivants :

ad blocker, noun: A piece of software designed to prevent advertisements from appearing on a web page.
Brexit, noun: A term for the potential or hypothetical departure of the United Kingdom from the European Union, from British + exit.
Dark Web, noun: The part of the World Wide Web that is only accessible by means of special software, allowing users and website operators to remain anonymous or untraceable.
on fleek, adjectival phrase: Extremely good, attractive, or stylish.
lumbersexual, noun: A young urban man who cultivates an appearance and style of dress (typified by a beard and check shirt) suggestive of a rugged outdoor lifestyle.
refugee, noun: A person who has been forced to leave their country in order to escape war, persecution, or natural disaster.
sharing economy, noun: An economic system in which assets or services are shared between private individuals, either for free or for a fee, typically by means of the Internet.
they (singular), pronoun: Used to refer to a person of unspecified sex.


Le dernier mot relève de la grammaire anglaise et n’a pas à être pris en compte dans le GDT. Six mots n’ont pas d’équivalent dans le GDT. Seuls sont traités refugee et dark Web. Mais même un mot comme refugee reçoit un traitement des plus sommaires, une simple équivalence refugee = réfugié, sans définition. Le GDT a pourtant les termes réfugié climatique, de la mer, de l’environnement, etc. Comme le travail terminologique est visiblement taylorisé, avec une répartition des tâches qui sépare la conception de l’exécution, personne ne s’est avisé qu’il faudrait peut-être commencer par refaire la vieille fiche réfugié (datant de 1978). Finalement, seul le mot dark Web fait l’objet d’une fiche acceptable avec ses équivalents : Web invisible, Web caché, Web profond, Internet invisible, Net invisible. Mais pense-t-on vraiment aider les usagers et orienter l’usage en multipliant les équivalents français ?



Au final, la néologie apparaît comme le parent pauvre du GDT.
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* Surnom cher à ma feue collègue Thérèse, dont ce serait l'anniversaire aujourd'hui.