mercredi 20 janvier 2016

Le patrimoine national entre poudrerie et poudre de perlimpinpin


La dernière Infolettre Usito m’apporte une fois de plus du grain à moudre… ou ne serait-ce que du vent ? Dans un texte intitulé « Une poudrerie patrimoniale »  rien que le titre fleure bon l’endogénisme militant – on lit :

Quand elle tourbillonne ou qu’elle est simplement soulevée par le vent, la neige devient ici poudrerie, alors que les Européens parleront plutôt de chasse-neige.
[…]
Le mot poudrerie, attesté dès 1695, a été un des premiers emplois caractéristiques du français d’ici à être revendiqué comme un fleuron à défendre et à promouvoir.

Poudrerie, alors que les Européens parleront de chasse-neige ? Et si les Européens parlaient plutôt de blizzard ? Je viens d’ailleurs tout juste de lire ce mot dans le roman HHhH de Laurent Binet où il l’emploie pour parler d’une tempête de neige à Prague. Le mot blizzard est totalement absent de l’entrée poudrerie du dictionnaire Usito. Pourtant, quand on consulte le Trésor de la langue française informatisé (TLFi), on trouve cette définition de blizzard : ,,Aveuglante tempête de neige, poussée par un vent violent et accompagnée d'un froid très vif`` (BÉL. 1957). La référence « BÉL. 1957 » désigne la première édition du Dictionnaire général de la langue française au Canada de Louis-Alexandre Bélisle. Et la définition de Bélisle est très près de celle de chasse-neige que donne le TLFi : « MÉTÉOR. Vent extrêmement violent qui soulève la neige en tourbillons ». Sur ce point comme sur tant d’autres que j’ai eu l’occasion de traiter au fil des billets de ce blog, Usito ne nous en apprend guère plus que le TLFi. En fait, plutôt moins.


Usito affirme que le mot poudrerie est attesté dès 1695 et l’entrée du dictionnaire reproduite dans l’article donne comme source le TLFQ, c’est-à-dire le Trésor de la langue française au Québec, sans plus. J'ai donc poussé plus loin : les plus anciennes attestations de ce mot dans le TLFQ sont du père Bonaventure Fabvre, jésuite français. Quant au Trésor de la langue française informatisé (TLFi), il est, une fois de plus, plus précis :


1695 «neige sèche et fine que le vent soulève en tourbillons» (Lettre du père Marest à Lamberville, LXVI, p.113 ds Canadian 1969)


Dans le Dictionnaire biographique du Canada, il y a deux Marest, tous deux jésuites de France. Et le Lamberville à qui écrit le père Marest est aussi un jésuite. Et il y a aussi deux Lamberville, tous deux jésuites et tous deux nés à Rouen.


Autant le TLFQ que le TLFi indiquent que les premiers à avoir couché par écrit le mot poudrerie sont des jésuites français. Mentionnons par ailleurs que le mot poudrière (puldriere) est attesté depuis 1155 et qu’il avait alors le sens de « nuage de poussière ». Et dans un texte de 1210 poudrer signifie « dégager de la poussière ». Utiliser le mot poudrerie en parlant de la neige ne constitue guère une innovation révolutionnaire.


L’extension de sens du mot poudrerie est d’abord attestée sous la plume de missionnaires français et elle peut très bien s’être produite en France même, bien avant 1695. En tout état de cause, le Dictionnaire historique de la langue française (Robert) le croit puisqu’il affirme que le mot poudrerie a pris le sens de « neige fine et sèche tourbillonnant au vent » et que ce sens est « encore vivant au Québec » (1992, t. 2, p. 1598, 2e col.).


Il me semble donc particulièrement futile de pousser des cocoricos patriotico-lexicographiques sur ce « fleuron à défendre et à promouvoir » comme le fait l'Infolettre Usito.


Qu’il est donc difficile de pratiquer la lexicographie sur un plan strictement descriptif ! Viennent s’y mêler fréquemment des considérations idéologiques : promotion de l’unité nationale, jacobinisme linguistique, nationalisme, patriotisme, séparatisme linguistique,…


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