La
dernière Infolettre Usito m’apporte
une fois de plus du grain à moudre… ou ne serait-ce que du vent ? Dans un
texte intitulé « Une poudrerie patrimoniale » – rien que le
titre fleure bon l’endogénisme militant – on lit :
Quand elle tourbillonne ou qu’elle est simplement
soulevée par le vent, la neige devient ici poudrerie,
alors que les Européens parleront plutôt de chasse-neige.
[…]
Le mot poudrerie,
attesté dès 1695, a été un des premiers emplois caractéristiques du français
d’ici à être revendiqué comme un fleuron à défendre et à promouvoir.
Poudrerie,
alors que les Européens parleront de chasse-neige ?
Et si les Européens parlaient plutôt de blizzard ?
Je viens d’ailleurs tout juste de lire ce mot dans le roman HHhH de Laurent Binet où il l’emploie pour parler d’une tempête de
neige à Prague. Le mot blizzard est
totalement absent de l’entrée poudrerie du
dictionnaire Usito. Pourtant, quand on consulte le Trésor de la langue
française informatisé (TLFi), on trouve cette définition de blizzard : ,,Aveuglante tempête de
neige, poussée par un vent violent et accompagnée d'un froid très vif`` (BÉL.
1957). La référence « BÉL. 1957 » désigne la première édition du Dictionnaire général de la langue française
au Canada de Louis-Alexandre Bélisle. Et la définition de Bélisle est très
près de celle de chasse-neige que
donne le TLFi : « MÉTÉOR. Vent extrêmement violent qui soulève
la neige en tourbillons ». Sur ce point comme sur tant d’autres que j’ai
eu l’occasion de traiter au fil des billets de ce blog, Usito ne nous en apprend
guère plus que le TLFi. En fait, plutôt moins.
Usito
affirme que le mot poudrerie est attesté dès 1695 et l’entrée du dictionnaire
reproduite dans l’article donne comme source le TLFQ, c’est-à-dire le Trésor de
la langue française au Québec, sans plus. J'ai donc poussé plus loin : les plus anciennes attestations de ce mot dans
le TLFQ sont du père Bonaventure Fabvre, jésuite français. Quant au Trésor de
la langue française informatisé (TLFi), il est, une fois de plus,
plus précis :
1695 «neige sèche et fine que le
vent soulève en tourbillons» (Lettre du père Marest à Lamberville, LXVI,
p.113 ds Canadian 1969)
Dans
le Dictionnaire biographique du Canada,
il y a deux Marest, tous deux jésuites de France. Et le Lamberville à qui écrit le père
Marest est aussi un jésuite. Et il y a aussi deux Lamberville, tous deux jésuites et tous deux nés à Rouen.
Autant
le TLFQ que le TLFi indiquent que les premiers à avoir couché par écrit le mot poudrerie sont des jésuites français.
Mentionnons par ailleurs que le mot poudrière
(puldriere) est attesté depuis 1155 et qu’il avait alors le sens de « nuage
de poussière ». Et dans un texte de 1210 poudrer signifie « dégager de la poussière ». Utiliser le
mot poudrerie en parlant de la neige
ne constitue guère une innovation révolutionnaire.
L’extension
de sens du mot poudrerie est d’abord attestée
sous la plume de missionnaires français et elle peut très bien s’être produite
en France même, bien avant 1695. En tout état de cause, le Dictionnaire historique de la langue française (Robert) le croit
puisqu’il affirme que le mot poudrerie
a pris le sens de « neige fine et sèche tourbillonnant au vent » et
que ce sens est « encore vivant au
Québec » (1992, t. 2, p. 1598, 2e col.).
Il
me semble donc particulièrement futile de pousser des cocoricos
patriotico-lexicographiques sur ce « fleuron à défendre et à promouvoir » comme le fait l'Infolettre Usito.
Qu’il est donc difficile de pratiquer la lexicographie sur un plan
strictement descriptif ! Viennent s’y mêler fréquemment des considérations
idéologiques : promotion de l’unité nationale, jacobinisme linguistique,
nationalisme, patriotisme, séparatisme linguistique,…
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