samedi 29 octobre 2016

Pourquoi chercher quand on a déjà la réponse ?


Un membre de l’Asulf (Association pour le soutien et l’usage de la langue française) a acheté récemment dans une boulangerie un produit étiqueté « slice ». Voulant demander au commerçant de donner un nom français à son produit, il a fait des recherches dans le Grand Dictionnaire terminologique (GDT) de l’Office québécois de la langue française (OQLF) et il a trouvé « feuilleté ». Je ne sais pas comment il a fait pour découvrir cette réponse parce que, quand on tape « slice » dans le GDT, on n’obtient que deux réponses, toutes deux relatives au sport :




Toutefois, quand on connaît déjà la réponse (!!!) et que l’on tape le mot « feuilleté », on trouve comme équivalent anglais « slice » :




Je crois qu’il est inutile que je commente davantage, n’est-ce pas ?


vendredi 28 octobre 2016

Depuis quand le masculin l’emporte-t-il sur le féminin ?



Par une combinaison de facteurs variant de décisions gouvernementales aux histoires au petit écran, nous bâtissons notre culture. Celle-ci définit, entre autres, les préjugés que nous entretenons. Par exemple, depuis le XVIIIe siècle, le masculin l’emporte sur le féminin parce que le grammairien Nicolas Beauzée a déclaré « la supériorité du mâle sur la femelle ».
– Fabrice Vil, « Une victime imparfaite », Le Devoir, 28 octobre 2016


Le chroniqueur écrit que « depuis le XVIIIe siècle, le masculin l’emporte sur le féminin parce que le grammairien Nicolas Beauzée a déclaré la supériorité du mâle sur la femelle ». C’est aller un peu vite en besogne. La règle est bien plus ancienne.


En grec ancien, « si les sujets sont des noms de personnes de genre différent, l’attribut se met au masculin pluriel » (grammaire Ragon, numéro 184) : Η τύχη και Φίλιππος ήσαν των έργων κύριοι (Eschine, Amb., 131). En latin, si les sujets sont de genre différent, l’attribut se met au masculin pluriel (grammaire Debeauvais, numéro 323) : pater et mater boni sunt.


Il ne faut pas se laisser trop impressionner par les étiquettes grammaticales et en tirer des conclusions influencées par l'idéologie. Des linguistes, dans la ligne du Cercle linguistique de Prague (qui connut son apogée dans les années 1930), préfèrent parler de genre non marqué (pour le masculin) et de genre marqué (pour le féminin).


dimanche 23 octobre 2016

Néologie féministe


La linguiste française Anne-Marie Houdebine nous a quittés il y a quelques jours. Féministe, elle était aussi disciple de Lacan.


Ses amis et disciples nous annoncent que « de nombreux femmages lui sont rendus ces jours-ci et plusieurs textes en son honneur sont en préparation. »


La quasi-totalité des locuteurs du français ont sans doute oublié que le mot hommage dérive de homme. Et la quasi-totalité des femmes locutrices du français n’ont sans doute jamais imaginé qu’on pourrait trouver un équivalent féminin à hommage.



L’Office de la langue française (OQLF), pourtant à l’avant-garde de la féminisation, n’a rien sur femmage ni dans son Grand Dictionnaire terminologique (GDT) ni dans sa Banque de dépannage linguistique (DPL). On ne sait donc pas si le mot doit se prononcer [fɛmaʒ] ou [famaʒ].

mercredi 19 octobre 2016

Troisième lettre persane


Le chanoine T***, qui fut de nombreuses années archiviste du Petit Séminaire de Québec, m’a permis de recopier un texte apparemment de Pascal, puis m’a aussi communiqué deux ébauches que Montesquieu n’aurait pas retenues dans les Lettres persanes et qui m’ont paru, elles aussi, apocryphes. Je n’avais plus de ses nouvelles depuis plusieurs mois. Or voici que mon bon chanoine me fait tenir une nouvelle lettre persane qui ne semble pas plus authentique que les précédentes. On se perd en conjectures sur ce qui pouvait conduire à écrire ces parodies en Nouvelle-France : peut-être les longues nuits ennuyeuses de l’hiver y furent-elles pour quelque chose.


Rica à Usbek

Je t’ai déjà écrit qu’il existe dans le Nouveau Monde un Cabinet d’Endogénisation qui détermine les mots qui doivent être naturalisés en ce pays. Les dervis de ce Cabinet, dont les arrêts sont tout aussi inutiles que non respectés, pour asseoir leur autorité déclinante, ont convoqué ces jours derniers à Québec un conciliabule dont on a bien pris soin d’écarter les gêneurs. Les membres de cette confrérie n’ont jamais réussi à intéresser le monarque dans ces gamineries, aussi cherchent-ils l’appui de leurs congénères des marches du royaume à qui ils n’ont pas hésité à faire faire une aussi périlleuse traversée.

On dit que depuis longtemps les dervis de Québec veulent imposer une gabelle sur les mots venant des colonies anglaises. Les mots seront donc taillables à défaut d’être corvéables.


Il sera facile de se soustraire aux nouveaux fermiers de la gabelle, qui connaissent mal la langue anglaise. On connaîtra donc le faux saunage des mots, il suffira de donner aux mots anglais une apparence vaguement française.


Pour l’heure les Bostonnais regardent la situation avec amusement. Ils savent que le jour où ils voudront s’installer à Québec, ce ne sera pas sous le couvert des mots mais en habit rouge.

De Québec, le 22 de la lune de Chahban 1715




lundi 17 octobre 2016

Retour aux origines

  
Donnez tous les prix musicaux que vous voulez à Dylan, il les mérite. Mais laissez donc le Nobel de la littérature aux écrivains, aux romanciers. Ce n’est pas une question de modernité ou d’ouverture. C’est une question de gros bon sens et d’évidence. Du moins, pour moi.
– Patrick Senécal, « Un Nobel de texte ? », Le Devoir, 17 octobre 2016, p. A6

Selon le titre d’un autre texte d’opinion paru dans la même page du Devoir, le Nobel d’économie « réinvente la roue ». Il en va de même du Nobel de littérature. Il y a trois millénaires, aux origines de la culture occidentale, on voit dans l’Odyssée des aèdes qui chantaient dans les banquets les aventures des héros en s’accompagnant de la cithare. Les rhapsodes parcouraient les villes en chantant les poèmes d’Homère. Chez les Grecs, la poésie lyrique était indissociable de la musique et de la danse. Pindare a composé des odes (poèmes chantés) en l’honneur des vainqueurs des jeux Olympiques et d’autres jeux grecs comme les jeux Isthmiques. Dans les tragédies grecques, les chœurs étaient chantés et dansés. Plus près de nous, au Moyen Âge, les troubadours et les trouvères étaient des poètes et des chanteurs.


Il n’y a donc rien de révolutionnaire dans l’attribution du Nobel de littérature au poète et chanteur Bob Dylan.


vendredi 14 octobre 2016

Pourquoi angliciser les noms étrangers ?


[…] avant le poète Lafontaine, il y a eu Archilochus, durant l’Antiquité. Un Grec. Poète, lui aussi. Archilochus a dit : « Le renard connaît beaucoup de choses, mais le hérisson connaît une grande chose. »
– Fabrice Vil, « Éducation : pensons hérisson », Le Devoir, 14 octobre 2016


Pourquoi écrire à l’anglaise le nom du poète grec ? Je sais bien que c’est aussi la façon dont le nom s’écrit en latin, mais tant qu’à vouloir remonter aux sources, et pour faire moins colonisé, aussi bien l’écrire à la grecque : Arkhilokhos (ρχίλοχος). Constatons que le journaliste, qui voulait peut-être faire prétentieux, fait plutôt montre de son inculture.


Dans le même ordre d’idée, je suis en train de lire un livre mal traduit (dont je soupçonne d’ailleurs qu’il est mal rédigé dans sa langue d’origine) où le traducteur n’a pas fait l’effort de trouver comment s’appelait en français Diodorus Siculus (Διόδωρος Σικελιώτης) : Diodore de Sicile. Bel exemple d’incompétence dans une édition savante (Erich H. Cline, 1177 avant J.-C., le jour où la civilisation s’effondra, Paris, La Découverte, 2015).


Les noms à l’anglaise, est-ce la nouvelle tendance ? L’actuel duc de Cambridge n’est connu dans les médias de langue française que sous le prénom de William alors que ses prédécesseurs dans les dictionnaires français s’appellent Guillaume. Passera-t-on directement de Guillaume IV à William V ? Il est vrai qu’on n’a pas traduit non plus le nom du nouveau roi d’Espagne : on l’appelle Felipe en français tout comme on appelle son père Juan Carlos et non Jean-Charles.


L’anglicisation des noms propres est depuis longtemps présente chez les disquaires (de moins en moins nombreux, il est vrai). Le plus souvent, on ne trouve pas les disques de Chostakovitch sous la lettre C mais sous S : Shostakovich.


lundi 10 octobre 2016

Le québécois standard illustré par l’exemple / 19


À l’heure actuelle, une personne adoptée peut contourner la règle générale actuelle en matière d’adoption, la confidentialité, seulement si le parent biologique y consent. « Ce sera renversé. La communication de renseignements sera présumée », a souligné Mme Vallée à l’occasion d’une conférence de presse.
« Le secret levé pour faciliter la quête des origines », Le Devoir, 7 octobre 2016

La communication des renseignements sera présumée : que peut bien signifier cette phrase de la ministre ? Apparemment, le journaliste lui a trouvé un sens puisqu’il la reprend telle quelle sans y ajouter une explication. Après avoir lu et relu les premiers paragraphes de l’article, j’ai conclu qu’il fallait comprendre : l’autorisation de communiquer les renseignements sera présumée. En français plus standard : on présumera que l’autorisation de communiquer les renseignements a été accordée.


Dans la phrase « la communication des renseignements sera présumée », il manque un élément d’information : l’autorisation de communiquer les renseignements. Encore un cas de brachylogie : la pensée est à moitié exprimée (voir mon billet du 22 septembre 2015).


La chaîne V, anciennement TQS, donne l’avertissement suivant lorsqu’un film contient des éléments de violence : le jugement des parents est conseillé (au lieu de : on conseille aux parents de faire preuve de jugement). On voit tout de suite la parenté de formulation avec la phrase de la ministre : on peut se demander s’il ne s’agit pas du résultat produit par la répétition depuis des années et des années de la phrase maladroite de la chaîne V.


mercredi 5 octobre 2016

Le style, c’est la femme



[…] le style n’est que l’ordre et le mouvement qu’on met dans ses pensées […] Bien écrire, c’est tout à la fois bien penser, bien sentir et bien rendre ; c’est avoir en même temps de l’esprit, de l’âme et du goût. Le style suppose la réunion et l’exercice de toutes les facultés intellectuelles ; les idées seules forment le fonds du style ; l’harmonie des paroles n’en est que l’accessoire, et ne dépend que de la sensibilité des organes. […] le style est l’homme même.
– Buffon, Discours sur le style (1753)



Après mon billet du 21 septembre, me voici encore à commenter la prose de madame Francine Pelletier, chroniqueuse du Devoir. « Étiez-vous parmi les millions de spectateurs qui ont syntonisé le débat Trump-Clinton ? » demande-t-elle dans l’édition de ce matin. Syntoniser, pour le Larousse, c’est « réaliser une syntonie », c’est-à-dire un « état résultant de l’accord ou de l’égalité des fréquences de plusieurs appareils ou phénomènes. ». C’est « accorder deux circuits oscillant sur une même fréquence » pour se mettre plus facilement à l’abri des brouillages » (Trésor de la langue française informatisé). Pour le Dictionnaire québécois d’aujourd’hui, syntoniser, c’est « régler une fréquence donnée sur un récepteur radio ». Le Trésor de la langue française au Québec n’offre que trois attestations du verbe syntoniser. On se demande pourquoi la chroniqueuse utilise ce verbe, inapproprié dans les circonstances, plutôt que de demander plus simplement à ses lecteurs s’ils ont regardé le débat Trump-Clinton.


Mais peut-être faut-il voir dans l’utilisation du verbe syntoniser un lapsus freudien : les deux candidats n’étaient pas sur la même longueur d’onde et la chroniqueuse aurait préféré qu’ils se syntonisassent.


Plus loin, la chroniqueuse écrit : « J’ai souvent dit qu’il était difficile pour les femmes publiques de trouver le bon ton.» Le contexte indique que les femmes publiques ici mentionnées ne sont ni des lorettes ni des cocottes ni des poules. Pour autant il est encore un peu risqué de voir dans l’expression femme publique la simple féminisation d’homme public. Même si, un peu partout sur la planète, des hommes publics se vendent au plus offrant.


Dans sa chronique précédente, Francine Pelletier avait écrit : « Des hommes à 95 % qui ont souffert de l’arrivée massive des femmes sur le marché du travail, du déplacement de la main-d’œuvre vers l’étranger, de la disparition du secteur manufacturier en faveur de l’innovation technologique. » Cette féministe préférerait-elle donc des machos, des hommes à 100 %? Encore une fois, il s’agit d’une maladresse de style. Il aurait fallu écrire, le plus simplement du monde : des hommes qui, à 95 %, ont souffert de l’arrivée massive des femmes sur le marché du travail


N’hésitons pas à féminiser le discours de Buffon : le style, c’est aussi la femme.


lundi 3 octobre 2016

Apparition d’un nouvel anglicisme ?


Vendredi dernier, j’ai entendu un chroniqueur de la télévision publique utiliser l’expression « par le temps que ». Cela fait deux ou trois fois ces dernières semaines que j’entends ce calque de l’anglais « by the time ». Le Larousse anglais-français nous dit que « by the time you get this… » se traduit par « le temps que tu reçoives ceci…, quand tu auras reçu ceci… ».


J’ai trouvé sur Internet quelques attestations de ce qui semble un anglicisme à la veille de s’implanter. Pour l’instant, l’anglicisme ne semble apparaître à l’écrit que dans des médias francophones hors Québec :


Par le temps que Québec et Louisbourg puissent envoyer du renfort au printemps 1757, il était trop tard pour environ 400 âmes, dont beaucoup d’enfants « à la mamelle », tous morts de famine ou de maladies liées aux carences alimentaires (L’Acadie nouvelle, 5 septembre 2016).

Par le temps que la Floride vote pour les primaires le 15 mars prochain, les républicains auront peut-être déjà sélectionné leur candidat (Le Soleil de la Floride, 3 mars 2016).


Je n’ai rien trouvé sur cet anglicisme dans la Banque de dépannage linguistique (BDL) de l’Office québécois de la langue française (OQLF).