lundi 30 mai 2016

La saison des crosses de fougère


S'il y a une récolte qui annonce – irrévocablement ! – l'arrivée de l'été, c'est la crosse de fougère. Petite pousse verdoyante et omniprésente dans nos forêts, elle rebute, malheureusement, plus souvent qu'à son tour.
– Sophie Grenier-Héroux, « Concerto pour tête de violon », Le Soleil, 27 mai 2016


C’est la saison des crosses de fougère. Pour la banque de données terminologiques Termium (Ottawa), le terme tête-de-violon est « à éviter » tandis que pour le Grand Dictionnaire terminologique (GDT) de l’Office québécois de la langue française (OQLF), « dans l'étiquetage de produits commerciaux, l'usage n'est pas encore fixé entre crosse de fougère et tête-de-violon ». Si la position de l’Office avait été beaucoup plus claire ces dernières années, s’il avait vraiment rempli son rôle d’orienter l’usage, s’il n’était pas revenu sur sa décision de considérer tête-de-violon comme un terme à éviter, l’usage dans l’étiquetage commercial aurait de fortes chances d’être fixé.


J’ai écrit plusieurs billets sur le sujet. Je me contente de reprendre mon texte du 18 avril 2011 qui démolit point par point l’argumentation de l’OQLF en faveur de tête-de-violon :

*   *   *

L’ancien président de l’Asulf, l’Association pour le soutien et l’usage de la langue française, le juge Robert Auclair, a écrit en 2008 à l’Office québécois de la langue française pour demander des explications sur l’acceptation, par l’Office, du calque
tête-de-violon comme « quasi-synonyme » du terme crosse de fougère jusqu’alors préconisé. Comme il s’agit de la réponse d’un organisme officiel à une question posée par une association, et avec l’autorisation de M. Auclair, j’en publie le texte. (Comme pour les autres billets de mon blogue, j'omets les noms propres lorsque cela risque de trop personnaliser le débat.)


Québec, le 24 novembre 2008

Monsieur Robert Auclair
ASULF
***
Québec (Québec) ***


Monsieur,

Nous avons bien reçu votre lettre au sujet du quasi-synonyme tête-de-violon. Voici les raisons qui ont motivé nos choix terminologiques.
Il est sans doute exact que le terme tête-de-violon pour désigner la crosse de fougère est un calque de l’anglais fiddlehead, mais nous considérons que le seul fait de l'emprunt à l'anglais n'est pas une raison valable pour rejeter d'emblée un terme. Dans tous les cas, il faut pousser l'analyse plus loin. Il faut voir ici que d'une part il s'agit d'une réalité bien de chez nous, la crosse de fougère cuisinée ne faisant pas partie des habitudes alimentaires des Français. En outre, le terme crosse de fougère (que nous présentons tout de même en entrée principale) est quasi inusité au Canada, tant chez les cueilleurs que chez les gourmets et les cuisiniers.
D'autre part, tête-de-violon est une belle analogie avec l'extrémité du manche des instruments à corde. Ce sens est attesté dans les ouvrages français de lutherie (celui de François-Joseph Pommet et celui de Lamario pour ne citer que ceux-là) de même que dans des dictionnaires de langue comme le Trésor de la langue française (celui de France) sous le vocable violon et le Dictionnaire culturel de la langue française (sous tête). En outre, “ notre ” produit est vendu sous te nom de tête de violon en France sous l'étiquette Délices sauvages du Canada, ce qui prouve le pouvoir évocateur de la dénomination.
Enfin, le mot tête est utilisé en botanique pour dénommer l'extrémité arrondie de certains végétaux : tête d'asperge, tête d'artichaut, tête de champignon, tête d'arbre, etc. (voir notamment Le Petit Robert). Ces observations font que nous considérons tête-de­violon comme un emploi légitime qui contribue à conserver le caractère original et vivant de notre variété de français
En espérant que ces explications vous éclaireront sur notre choix, nous vous prions d'agréer, Monsieur, l'expression de nos sentiments distingués.
La directrice générale des services linguistiques,

* * *



M. Auclair m’a demandé ce que je pensais de la réponse qu’il avait reçue de l’Office. Voici les commentaires que je lui ai fait parvenir. Copie en a été transmise par mes soins à qui de droit à l’Office le 11 février 2009 :

Québec, le 22 décembre 2008

M. Robert Auclair
***
Québec (Québec)


Monsieur le Juge,

Vous m'avez transmis la lettre que vous adressait le 24 novembre la directrice générale adjointe des Services linguistiques de l'Office québécois de la langue française en me demandant si l'argumentation qu'elle présentait me convainquait. La lettre de Mme *** portait sur le mot tête-de-violon, donné comme « quasi-synonyme » de crosse de fougère dans le Grand dictionnaire terminologique de l'OQLF.

J'ai passé plusieurs heures à étudier la réponse de l'Office.

Je commenterai chacun des points mentionnés dans la lettre de Mme ***.

L'expression « quasi-synonyme » utilisée dans le premier paragraphe
Si tête-de-violon est acceptable, il est alors un synonyme de plein droit, non un quasi-synonyme. Il y là une erreur de conceptualisation.

« … la crosse de fougère ne faisant pas partie des habitudes alimentaires des Français. »
Vérification faite, il est signalé à plusieurs endroits que les crosses de fougère se sont consommées autrefois en France, particulièrement en période de disette. Aujourd'hui ceux qui pratiquent la survie en forêt savent encore qu'on peut en consommer moyennant certaines précautions (toxicité).
Du point de vue de la simple logique, il est toujours hasardeux de faire des assertions portant sur la non-existence d'un terme. La formulation utilisée dans la lettre est donc imprudente. La même remarque s'applique au point qui suit.

« Le terme crosse de fougère est quasi inusité au Canada »
Dans le domaine du vocabulaire, les travaux de Claude Poirier l'ont amené à parler de l'« intrication » des québécismes et des mots du français dit de référence car il est impossible de prouver qu'un mot du français de référence n'est pas utilisé au Québec. Mon étude récente Le vocabulaire des Québécois, étude comparative (1983 et 2006) apporte de nouveaux arguments à cette position.
D'un point de vue plus pratique, une simple consultation dans Internet par le moteur de recherche Google permet de trouver plus de 900 attestations de l'emploi du terme crosse de fougère, la plupart dans des textes canadiens et québécois. Il est utilisé dans des sites officiels des gouvernements du Canada et du Nouveau-Brunswick et dans celui de l'émission L'épicerie (Radio-Canada). Le site de l'Association canadienne de distribution de fruits et légumes ne donne que l'appellation crosse de fougère. Le site de la chaîne d'alimentation Métro n'utilise, dans la page « Les légumes tiges », que le terme crosse de fougère, celui de la chaîne IGA l'utilise comme synonyme de tête-de-violon.

Le terme crosse de fougère est inusité « chez les gourmets et les cuisiniers »
Il est toujours difficile de prouver une assertion portant sur la non-existence. C'est la troisième occurrence dans la lettre de ce type d'argumentation.
Une recherche sur Google révèle qu'en plus d'être utilisé par des chaînes d'alimentation, le terme se trouve dans la revue Coup de pouce. Le site Passeport Santé offre une recette de crosses de fougère sautées au sésame. On trouve aussi dans Internet des recettes de velouté de crosses de fougère et poires et de crosses de fougères aux champignons. Le Bulletin des agriculteurs donne aussi une recette de crosses de fougère et précise que le terme tête-de-violon est à proscrire.

« Tête-de-violon est une belle analogie avec l'extrémité du manche des instruments à corde. »
Plus exactement, c'est une métaphore.

« Ce sens est attesté dans les ouvrages français de lutherie (celui de François-Joseph Pommet et celui de Lamario pour ne citer que ceux-là.) »
Renseignements pris, il n'y pas d'ouvrage de ces deux auteurs à la bibliothèque de l'OQLF ni dans aucune bibliothèque gouvernementale.
En fait, François-Joseph Pommet est un luthier de Reims qui a son propre site Internet où on peut voir des images présentant les diverses parties d'un violon.
Lamario n'est pas un nom de personne mais la marque de commerce d'un luthier québécois, Mario Lamarre.
La formulation de la phrase est donc de nature à induire en erreur.



« Ce sens est attesté … dans des dictionnaires de langue comme le Trésor de la langue française (celui de France, sous le vocable violon)… »
Mais il ne désigne pas alors une partie du violon, encore moins d'une plante, mais une partie d'un foret de sculpteur utilisé pour percer le béton :
b) TECHNOL. Petit touret à main actionné à l'aide d'un archet; foret de sculpteur utilisé pour percer le marbre. Le ministre et son amie voyaient avec effroi tout autour de la chambre à coucher les vrilles percer les portes et les volets, les violons faire des trous dans les murs [pour les observer] (A. FRANCE, Île ping., 1908, p. 377).
Tête de violon, clef de violon. Tête de vis ayant la forme des clefs de cheville et que l'on manœuvre à la main. Lorsque le fléau est muni d'une vis de sûreté à tête de violon placée sur le support au-dessus du fléau, une plus-value est prévue [à la série] (ROBINOT, Vérif., métré et prat. trav. bât., t. 3, 1928, p. 72).
Il est pour le moins curieux que des terminologues, dont la mission consiste à travailler sur des vocabulaires spécialisés, puissent faire ce genre de confusion.
Par ailleurs, le Trésor de la langue française donne bien l'expression tête de violon pour désigner la partie recourbée de l'instrument de musique mais on trouve ce sens au mot… crosse !

Ce que l'Office ne dit pas : dans le Trésor de la langue française, sous le vocable crosse, on indique clairement que ce mot est le terme technique pour désigner l'extrémité de la tige de certaines plantes, en particulier des fougères :
Spéc. [En parlant de certaines parties de plantes, en partic. lorsqu'il s'agit de fougères] Feuille en crosse. Les fougères sèches jonchaient le sol que perçaient les nouvelles crosses, d'un vert acide (MAURIAC, Th. Desqueyroux, 1927, p. 193).P. méton. Partie d'un élément présentant une certaine courbure.
A. [En parlant d'obj. fabriqués]
1. Usuel. Crosse de canne. Mme de Cambremer tenait à la main, avec la crosse d'une ombrelle, plusieurs sacs brodés (PROUST, Sodome, 1922, p. 808).
2. MUS. [Dans un instrument à cordes] Partie recourbée du manche qui porte les chevilles. Crosse de luth, de viole, de violon, La tête ou crosse [du luth] était légèrement renversée et était munie de chevilles qu'on tournait pour tendre plus ou moins les cordes (ROUGNON 1935, p. 379).

Ce que l'Office ne dit pas non plus : dans le Trésor de la langue française au Québec, on trouve au moins 27 attestations de l'expression crosse de fougère, par exemple :
« Plusieurs lecteurs ont gentiment appelé et écrit à l'auteur de ces lignes pour lui rappeler que son texte sur les crosses de fougère (cessez donc d'appeler ça à tort des têtes de violon) ne faisait nulle part mention de la façon de les cueillir pour éviter leur disparition. » (Robert Fleury, Le Soleil, 30 mai 1984, p. D-2).

En comparaison, le TLFQ donne 77 attestations de tête-de-violon (ratio 3/1), dont plusieurs disent soit que c'est un synonyme de crosse de fougère, soit que c'est un anglicisme à éviter.


« Ce sens est attesté … dans le Dictionnaire culturel de la langue française (sous tête). »
Le sens est attesté dans cet ouvrage pour la partie de l'instrument de musique, non pour la crosse de la fougère, même si l'article tête fait plus de quatre colonnes et demie.
En revanche, ce que l'Office ne dit pas : dans le même ouvrage, au mot crosse, on indique le sens « jeune feuille de fougère enroulée sur elle-même ».

« En outre, 'notre' produit est vendu sous le nom tête de violon en France sous l'étiquette Délices sauvages du Canada. »
Je ne vois pas ce que cela apporte comme argument puisqu'une simple consultation d'Internet nous apprend que le produit est étiqueté au Canada.

Source : TerroirsQuébec

« Enfin, le mot tête est utilisé en botanique pour dénommer l'extrémité arrondie de certains végétaux : tête d'asperges, tête d'artichaut, tête de champignon, tête d'arbre, etc. (voir notamment Le Petit Robert) »
Mais il y manque la tête de violon (et, me permettrai-je d'ajouter, la tête de nœuds).
En fait, il s'agit de deux séries qui n'ont rien de commun : en botanique, le syntagme est composé de tête + nom d'une plante, alors que le syntagme tête de violon, est composé de tête + nom d'un instrument ! Dans tête d'artichaut, seul le terme tête est métaphorique, alors que dans tête de violon, c'est l'ensemble qui l'est : curieux dérapage dans le raisonnement et manque de rigueur.
Le Petit Robert est un ouvrage de lexicographie générale et on pourrait s'attendre à ce que des terminologues citent plutôt des ouvrages spécialisés. S'ils avaient consulté l'Encyclopaedia Universalis, par exemple, ou un ouvrage pour spécialistes comme Le Bon Jardinier, ils auraient découvert que le terme technique est crosse.


Mes analyses m'amènent à conclure que la réponse de l'Office est mal rédigée, confuse et incomplète. Tout comme la fiche du Grand Dictionnaire terminologique, sur laquelle voici quelques commentaires.

La fiche traite de deux domaines : alimentation et botanique. Or, si crosse de fougère peut avoir crosse de fougère à l'autruche comme synonyme et tête de violon comme « quasi-synonyme », c'est uniquement dans le domaine de l'alimentation.
Dans le domaine de la botanique, le terme crosse de fougère à l'autruche, qui désigne une fougère en particulier parmi des centaines d'autres, ne peut pas être le synonyme de crosse de fougère. En effet, en français, le terme crosse de fougère ne s'applique pas uniquement à Matteuccia struthiopteris comme pourrait le faire croire la fiche. C'est un terme générique pour désigner la partie recourbée de la tige (la fronde) des fougères, de toutes les fougères comme aussi, par exemple, Onoclea sensibilis ou Dryopteries marginalis.
La définition de la fiche est inexacte, pour la botanique (crosse de fougère : Jeune fronde de fougère qui se consomme comme légume vert). Toutes les crosses de fougère ne se consomment pas (d'ailleurs la fiche signale ce fait…). Et le premier sens de crosse de fougère s'applique d'abord à la botanique (extrémité recourbée de la fronde de la fougère), ensuite à l'alimentation.
Le terme fougère à l'autruche ou fougère de l'autruche est vraisemblablement un calque de l'anglais ostrich fern… La fiche ne donne pas les équivalents français standard de fougère à l'autruche. En Europe francophone, ses noms vernaculaires sont fougère plumes d'autruche, fougère allemande, fougère d'Allemagne ou matteucie, mais visiblement cela n'intéresse pas le GDT, qui pourtant prétend s'adresser à un public francophone international…
La fiche ne donne pas les marques d'usage attendues (Canada ou Québec). Il faut aller aux commentaires pour comprendre que tête de violon est peut-être un québécisme. Rien n'est dit pour fougère à l'autruche.
Le GDT rejette les termes crosse de violon et queue de violon (« termes non retenus »). On se demande pourquoi. En effet, les termes crosse de violon et queue de violon sont attestés dans le TLF pour désigner « la partie où s'attache les cordes d'un violon » ou « la partie recourbée du manche qui porte les chevilles ». Si la métaphore est valable pour tête de violon, pourquoi ne le serait-elle pas pour crosse de violon et queue de violon ?
La fiche ne mentionne pas le terme pousse de fougère, très fréquent. D'ailleurs, le terme pousse de + est fréquent dans les termes composés du domaine de l'alimentation.

Comme vous le voyez, votre demande m'a amené à faire des recherches approfondies. Je ne prétends pas avoir de réponse définitive quant au statut de l'expression tête-de-violon mais deux conclusions se dégagent de mes recherches :
1) Un sondage auprès de botanistes européens effectué par un ami m'indique que le terme tête-de-violon, dans cet emploi, ne semble pas usité en Europe francophone, du moins en langue de spécialité, mais les spécialistes savent que ce terme s'utilise au Canada. Cela tendrait à prouver que l'origine de notre tête-de-violon est à rechercher dans l'anglais fiddlehead. Mais, de même qu'il n'est pas possible de prouver l'inexistence d'un terme dans une variété de langue, il est également impossible de prouver l'interférence de l'anglais ici (la même image ayant pu apparaître de manière indépendante en français) mais il est évident qu'il s'agit d'un cas qui s'apparente à un calque.
2) Selon la documentation consultée, le terme technique est bel et bien crosse de fougère. Comme le GDT est censé être un dictionnaire terminologique, c'est le seul terme qui devrait être présenté en entrée, tête-de-violon pouvant être relégué dans une note.

Quoi qu'il en soit, l'analyse que j'ai faite suscite en moi des doutes sur les méthodes de travail de l'Office qui me semblent plus près d'une simple description lexicographique que de la terminologie proprement dite.

Je vous autorise à utiliser ma lettre dans d'éventuelles démarches auprès de la présidente de l'Office ou auprès de la ministre. Si vous l'utilisez pour votre bulletin, ce ne pourrait alors être que sous forme de résumé étant donné la longueur de ma lettre et j'aimerais dans ce cas pouvoir lire le texte avant publication.

Veuillez recevoir, Monsieur le Juge, avec mes meilleurs vœux pour la nouvelle année, l'expression de mes meilleurs sentiments.


mardi 24 mai 2016

Bande au néon


bandonéon   n. m.
Le terme bandonéon, emprunté à l'allemand, du nom de celui qui a commercialisé l'instrument de musique (Heinrich Band), s'inscrit dans la norme sociolinguistique du français au Québec. Il est attesté en français depuis le début du XXsiècle. Bandonéon est acceptable en vertu des critères de traitement de l'emprunt linguistique en vigueur à l'Office québécois de la langue française
— Tiré du Grand Dictionnaire terminologique


On se demande pourquoi le Grand Dictionnaire terminologique (GDT) de l’Office québécois de la langue française (OQLF) se met tout à coup à réévaluer des emprunts entrés dans le français général depuis un siècle. Bandonéon, mot d’origine allemande, est acceptable, nous dit-on. Mais avait-il seulement un concurrent ? Le mot apparaît dans la 9e édition du dictionnaire de l’Académie (en cours de rédaction) : avait-il besoin en plus de recevoir l’aval du GDT ? Le Trésor de la langue française informatisé date son entrée en français de 1928.


On sera tout de même heureux d’apprendre que le mot bandonéon « s’inscrit dans la norme sociolinguistique du français au Québec » parce qu’il est « acceptable en vertu des critères de traitement de l’emprunt linguistique en vigueur à l’Office québécois de la langue française ».


lundi 16 mai 2016

Un citron peu pressé

 
Le restaurant Yuzu à Québec à la fin des années 2000
Crédit: Le Soleil

Le mot yuzu (agrume d'origine asiatique) a été introduit dans la plus récente édition du Petit Larousse. Contrairement au mot ciabatta, traité dans le billet précédent, il y a une fiche « yuzu » dans le Grand Dictionnaire terminologique (GDT) de l’Office québécois de la langue française (OQLF). Elle est datée de 2008. Or, il y avait, depuis 2002, un restaurant qui s’appelait Yuzu à deux pâtés de maisons des bureaux de l’OQLF à Québec. Il aura donc fallu six ans pour que le GDT enregistre le mot.



La fiche ne nous dit pas si le mot yuzu « s’inscrit dans la norme sociolinguistique du français au Québec en vertu des critères de traitement de l'emprunt linguistique en vigueur à l'Office québécois de la langue française ». Elle ne nous dit surtout pas comment il se prononce. Quel est le timbre de la voyelle, « u » ou « ou » ? La transcription du mot en russe, юдзу, laisse croire que le « z » se prononcerait « dz ». Comment le mot se prononce-t-il au juste en français ? Vous ne le saurez pas. Il faut croire que la prononciation d’un mot ne fait pas partie des « critères de traitement de l'emprunt linguistique en vigueur à l'Office québécois de la langue française ».

dimanche 15 mai 2016

Néologie en veilleuse


L'ancien café Agga, situé à un coin de rue des bureaux de l'OQLF à Québec

On se rend compte à quel point la veille néologique est loin d’être une priorité à l’Office québécois de la langue française quand on apprend que, parmi les néologismes qui font leur entrée dans l’édition 2017 du Petit Larousse, il y a le mot ciabatta, « pain à l'huile d'olive, plat et rectangulaire, dont la mie très aérée est recouverte d'une fine croûte lisse ». Le mot est absent du Grand Dictionnaire terminologique (GDT). Quand, en 2002, l’Office est allé s’établir au 750 boul. Charest Est à Québec, le café Agga, situé à un coin de rue, au 600 boul. Charest Est, et ouvert depuis 2000, vendait des sandwichs faits avec du ciabatta, ce qui semble avoir échappé à nos terminologues. Je pense déjà depuis un certain temps que l’usage, pour les rédacteurs du GDT, est plus souvent fantasmé qu’observé.


Une question demeure pendante : trouvera-t-on que le mot ciabatta « s’inscrit dans la norme sociolinguistique du français au Québec en vertu des critères de traitement de l'emprunt linguistique en vigueur à l'Office québécois de la langue française » ?


vendredi 13 mai 2016

On ne sait plus sur quel pied se lever pour aller faire une collecte de fonds


Extrait du site RTL, 13 mai 2016



Lorsque l’on tape « fund raising » dans le Grand Dictionnaire terminologique (GDT) de l’Office québécois de la langue française (OQLF), on obtient quatre équivalents français, proposés par autant d’organismes : activité de financement (Bureau de normalisation du Québec), campagne de financement (OQLF), collecte de fonds (Culture Montréal), levée de fonds (Commission générale de terminologie et de néologie, France).



Quand on regarde la fiche produite par l’OQLF lui-même, on a le choix entre six propositions : campagne de financement, collecte de fonds, campagne de collecte de fonds, collecte de dons, campagne de collecte de dons, campagne d’appel de fonds ! Avec, cerise sur le gâteau, cette note : « les expressions levée de fonds et campagne de levée de fonds constituent des calques à éviter ». Levée de fonds est pourtant accepté par la Commission générale de terminologie et de néologie de France et figure dans la banque FranceTerme avec son synonyme collecte de fonds.


Puisque le GDT et FranceTerme s’accordent sur collecte de fonds, pourquoi ne pas privilégier, dans le GDT comme dans FranceTerme, ce qui est commun plutôt que de mettre en vedette les différences ?


jeudi 12 mai 2016

Googler ou googliser, telle est la question !



Pour Régis Labeaume toutefois, quel temps perdu, que d’énergie dépensée en vain pour un projet risqué, potentiellement ruineux, qui ne passionnait de toute façon à peu près personne dans la capitale. On serait tenté de dire : encore… Contrairement aux Olympiques, le retour des Nordiques fait rêver. Mais que d’énergie, que d’encre gaspillées là aussi. Il suffit de googler pour s’en rendre compte.
— Antoine Robitaille, « L’athlète de la diversion », Le Devoir, 9 mai 2016.


Le verbe « to google » est entré dans l’Oxford English Dictionary en 2006 : « intr. To use the Google search engine to find information on the Internet. trans. To search for information about (a person or thing) using the Google search engine. ». La même année, il faisait aussi son entrée dans le Webster.


Sur le site de l’OED, j’ai trouvé ce commentaire pertinent: « Google as a verb to describe searching is just as legitimate as using Toyota as a verb to describe driving.»


En 2016, quand on tape « google » dans le Grand Dictionnaire terminologique (GDT) de l’Office québécois de la langue française (OQLF), on tombe sur la fiche « moteur de recherche ». L’OQLF n’a toujours pas enregistré que « google » est aussi un verbe en anglais et que googler s’utilise en français (le Larousse a aussi googliser). J’ai hâte de voir quel équivalent le GDT va « inscrire dans la norme sociolinguistique du français au Québec en vertu des critères de traitement de l'emprunt linguistique en vigueur à l'Office québécois de la langue française » (selon la nouvelle formulation que l’on trouve sur les fiches du GDT).


mercredi 11 mai 2016

Raccourci saisissant


On apprenait la semaine dernière que le gouvernement du Québec, après des années de tergiversations, avait finalement pris une décision en ce qui concerne les marques de commerce en anglais affichées comme noms d’entreprise : les entreprises devront s’assurer que le français occupe une « présence suffisante » sur leur façade. Dans son article « Le retour du mouton » (Le Devoir, 10 mai 2016), le chroniqueur Michel David a bien résumé l’évolution des exigences en matière de francisation de l’affichage :

De la règle de l’unilinguisme français, on est d’abord passé à la « nette prédominance » et maintenant à la « présence suffisante ». Quelle sera la prochaine étape ? Le minimum symbolique ?


samedi 7 mai 2016

L’influence d’un blog /5



Le 14 février 2014, je notais dans mon billet « Néologie en veilleuse» :
  
Burkini et rashguard, deux mots attestés en français québécois depuis au moins cinq ans et demi et qui sont toujours absents du Grand Dictionnaire terminologique (GDT) de l’Office québécois de la langue française (OQLF). L’Office effectue-t-il encore une veille néologique ?


Plus tard en 2014, l’Office avait produit une fiche « burkini ». Mais je notais le 3 avril qu’il n’y avait toujours pas de fiche « rashguard ». Un mois plus tard, le vide a été comblé : on sait maintenant que l’équivalent français est maillot dermoprotecteur. Comme ce maillot est surtout utilisé dans la pratique du surf, le GDT précise que l’on peut aussi dire maillot de surf.


mercredi 4 mai 2016

Francisation de façade


Hier après-midi, l’édition électronique du Devoir nous apprenait que le gouvernement québécois avait finalement pris une décision sur la question des marques de commerces en anglais et qu’il allait intervenir non en modifiant la Charte de la langue française mais l’un de ses règlements. L’article de la version papier du Devoir de ce matin apporte des précisions. Extraits commentés de cet article :


Les Toys “R” Us, Starbucks, Best Buy et autres Burger King du Québec n’auront pas à traduire leur image de marque ni à y apposer un générique tel que « restaurant » ou « café », a confirmé le gouvernement, mardi. Tout au plus, ces multinationales devront assurer « une présence suffisante » du français sur leur façade, qui pourra prendre la forme tantôt d’un slogan, tantôt d’un descriptif ou d’une autre mention située sur la devanture, mais pas nécessairement au même endroit que le logo.


Comme je l’avais déjà expliqué dans ce blog en me basant sur l’avis produit en 2000 par le Conseil de la langue française, l’exigence de l’Office québécois de la langue française d’obliger les entreprises à ajouter un générique ou un descriptif n’avait pas d’assise juridique. Le Conseil recommandait plutôt de prendre des mesures pour que les entreprises accroissent la présence du français sur leur façade lorsqu’elles affichent une marque de commerce anglaise.

Le Conseil du patronat a accueilli favorablement la mesure, qui laisse suffisamment de temps et de latitude aux entreprises, selon le président Yves-Thomas Dorval. 


L’accueil favorable du Conseil du patronat suffit à prouver que la décision prise par le gouvernement libéral ne bousculera rien.

À défaut de pouvoir forcer les entreprises à franciser leur image de marque comme l’ont fait volontairement Shoppers Drug Mart (Pharmaprix) et Staples (Bureau en gros) au fil des années, Québec français aurait souhaité que le gouvernement oblige la présence d’un descriptif français « collé » au nom de marque, a expliqué son porte-parole Éric Bouchard.


Il y a quelques années, en effet, l’Office québécois de la langue française a essayé de faire croire que les commerçants étaient tenus d’ajouter un descriptif en français à leur marque de commerce anglaise (cliquer ici pour avoir accès à la liste des billets que j’ai publiés sur ce thème). L’Office a été débouté en Cour d’appel.


On modifiera finalement le règlement sur la langue du commerce plutôt que la loi 101, en évoquant notamment le fait que les marques de commerce sont de compétence fédérale.


La dernière phrase n’est que partiellement vraie : les marques de commerce sont effectivement de compétence fédérale. Mais les entreprises qui choisissent de déposer une version française de leur marque de commerce sont tenues de l’utiliser au Québec – on ne propose pas au gouvernement fédéral d’inciter les entreprises à déposer une marque française, ce qui aurait été la moindre des choses. Qui plus est, on omet de mentionner un élément d’importance : les marques de commerce sont protégées par des accords internationaux signés par le Canada. C’est pourquoi le gouvernement américain ne pourrait pas, par exemple, obliger le Cirque du Soleil à s’appeler Sun Circus lorsqu’il donne des spectacles aux États-Unis.


*   *   *

Attendons de voir le texte du règlement. Il pourrait être plus décevant pour les défenseurs du français au Québec que ce que donne à entendre la mise en scène médiatique d’hier.



mardi 3 mai 2016

Seize ans plus tard


Il aura fallu seize ans au gouvernement du Québec pour arriver à la même conclusion que le Conseil de la langue française en 2000 :

 
Le Devoir en ligne, 3 mai 2016

Le gouvernement semble avoir retenu la proposition du Conseil d’augmenter la présence du français sans toucher aux marques de commerce en langue étrangère :

Les messages en français n’auront pas nécessairement à se retrouver au même endroit que le nom de la marque sur la façade des magasins et restaurants dont le nom n’est pas français, tranche le gouvernement Couillard. Ces mentions devront toutefois se situer « dans le même champ visuel », par exemple ailleurs sur la devanture (Le Devoir, 3 mai 2016).


J’ai écrit plusieurs billets sur cette question. On en trouvera la liste dans le billet « Tout ça pour ça ».