mercredi 25 octobre 2017

L’intrusion de la langue familière dans le GDT


Jean-Claude Corbeil et Marie-Éva de Villers m’ont autorisé à publier des extraits de leur analyse de la présence de la langue familière dans le Grand Dictionnaire terminologique (GDT) de l’Office québécois de la langue française :

[…]
Ce n’est pas tant l’évolution de la situation de la langue française au Québec qui s’est modifiée que l’angle sous lequel l’OQLF considère les choses. L’Office semble désormais prendre en considération la généralisation de la langue familière, et même populaire, qui caractérise aujourd’hui la langue parlée, et parfois la langue écrite. À l’analyse terminologique des anglicismes, l’Office ajoute l’analyse lexicographique en tenant compte davantage des niveaux de langue. Le Grand Dictionnaire terminologique (GDT) s’éloigne de sa mission terminologique et se transforme en dictionnaire de langue. Pourtant, le mandat de l’organisme n’a jamais été modifié depuis l’adoption de la Charte et n’a fait l’objet d’aucun débat. Par ce changement de cap, l’Office dévie de son orientation fondamentale.

En conséquence, le personnel de l’Office s’inspire à la fois des principes de la terminologie et de la lexicographie. Ainsi, en terminologie, pâte à dents n’existe pas, sauf au Québec comme calque de l’anglais tooth paste. Pâte à dents est la trace de l’anglicisation du français au Québec au XVIIIe siècle, d’emploi généralisé en langue familière comme bien d’autres anglicismes. Si, d’après la remarque de l’Office, le statut de cette expression s’est modifié, c’est uniquement en raison d’une plus grande tolérance à ce niveau de langue chez les locuteurs québécois, d’autant que l’école québécoise assure de moins en moins bien l’enseignement de la lecture et de la langue elle-même.

D’où le flou des critères d’acceptabilité des emprunts mis de l’avant dans la nouvelle version de la politique, dont celui qui est principalement cité, la généralisation et l’implantation du mot litigieux dans l’usage du français familier. Le mot clé de la politique est l’adjectif légitimé, qui revient dans l’analyse d’un cas à l’autre d’anglicisme, sans autre précision, sans doute une manière d’évoquer la sanction populaire. L’Office se place donc dans la position d’un observateur et atténue son rôle de guide de l’usage, de promoteur du français standard du Québec […]
[…]

Privilégier la langue familière, donner droit de cité au relâchement linguistique, c’est le principal reproche que nous formulons à l’endroit de la nouvelle orientation du traitement des anglicismes à l’Office québécois de la langue française, alors que sa mission est de guider l’usage et de promouvoir le français standard du Québec.


Les auteurs donnent ensuite des exemples illustrant le glissement du GDT vers la langue familière :


Centre commercial et centre d’achats
Le terme centre commercial a fait l’objet d’un avis de normalisation en 1981. « Cette étiquette fait état d’une obligation d’emploi », peut-on lire dans les pages de l’aide du GDT. Pourtant la fiche du dictionnaire propose en plus du terme normalisé centre commercial, le calque de l’anglais centre d’achats. Une note explique que « le terme centre d’achats, construit sur le modèle de l’anglais shopping center, s’intègre au système linguistique du français […] puisque le sens qu’il possède respecte le sens premier des mots qui le composent ». Par définition, les calques s’intègrent au système linguistique parce que ces traductions littérales sont formées de mots existant dans la langue qui emprunte.

Comptoir à salades, buffet de salades et bar à salades
Les termes comptoir à salades et buffet de salades ont été proposés par l’Office au cours des années 70 et sont passés dans l’usage. Pourtant, la fiche du GDT inscrit maintenant en premier lieu le calque bar à salade(s) dans la liste des termes privilégiés pour traduire salad bar. La fiche comprend la note suivante : « Les termes bar à salades et bar à salade, calqués sur l'anglais, s'intègrent au système linguistique du français. » On donne comme exemple le terme bar à vin pour justifier cette construction. Le nom bar a pourtant une signification très précise en français, il s’agit d’un débit de boissons. On peut donc fréquenter un bar à vins, un bar à bières, un bar à cocktails ou même un bar à eaux pour consommer une boisson, mais non un bar à salades!

Franchise et déductible
Dans le domaine de l’assurance, bien des efforts ont été consentis il y a près de 50 ans pour convaincre les assureurs que l’équivalent français du terme anglais deductible était franchise. Aujourd’hui, tous les contrats d’assurance établissent une franchise et non un déductible. Dans la fiche du GDT, c’est le terme franchise qui est privilégié, mais le faux ami déductible y figure aussi. Il est accompagné d’une note qui mentionne que ce nom est également employé dans le vocabulaire des assurances. Pourquoi les rédacteurs des fiches du GDT s’emploient-ils à brouiller les cartes ainsi? Qui pourra faire la part des choses en lisant cette fiche contradictoire?

Soutien-gorge et brassière
Peut-on croire qu’une fiche datée de 2014 propose le nom brassière avec la marque d’usage Québec familier comme équivalent du nom anglais brassiere ou bra et comme synonyme de soutien-gorge? Il n’entre pas dans les attributions de l’organisme de décrire des emplois vieillis de la langue familière.

Boisson gazeuse et liqueur douce
« Les termes liqueur et liqueur douce sont employés en langue courante et dans des situations de discours familier au Québec », peut-on lire dans la fiche du terme boisson gazeuse ou de l’anglais soft drink. Il s’agit d’un autre exemple éloquent de glissement vers le registre familier, car ces emplois qui ont eu cours en français jusqu’au XIXe siècle sont sortis de l’usage ou nettement vieillis aujourd’hui. Pourquoi les sortir des boules antimites et faire concurrence au terme boisson gazeuse, qui s’est bien implanté?

Cuisinière et poêle, chasse-neige et gratte ou charrue
Le nom masculin poêle désigne un appareil de chauffage. Si le poêle à bois pouvait servir jadis à la cuisson des aliments, il est remplacé dans les cuisines actuelles par une cuisinière ou une plaque de cuisson. La fiche du GDT inscrit la marque d’usage langue courante, Québec et affirme qu’il est attesté comme un québécisme de langue standard de plusieurs ouvrages de référence, ce qui n’est pas exact. C’est le cas également des termes gratte, charrue et charrue à neige avec la marque d’usage Québec, langue courante comme synonymes de chasse-neige. Comme pour le nom liqueur, ces emplois sont nettement vieillis.


Extrait de la conclusion :

Au lieu d’effectuer un retour en arrière, de détricoter les importants travaux terminologiques soigneusement élaborés au cours des années 70, l’organisme devrait s’en tenir à son mandat original et accomplir avec efficacité la mission qui lui a été confiée par la Charte de la langue française.

Jean-Claude Corbeil, directeur linguistique de l’Office de la langue française de 1971 à 1977, sous-ministre adjoint responsable de la politique linguistique de 1997 à 2000, secrétaire et membre de la Commission des États généraux sur la situation et l'avenir de la langue française (Commission Larose) 2000-2001.

Marie-Éva de Villers, responsable de la terminologie de la gestion à l’Office de la langue française de 1970 à 1980, auteure du Multidictionnaire de la langue française.


lundi 23 octobre 2017

Le bon usage des québécismes



Le bon usage des québécismes, Analyse historique et stylistique de la langue littéraire avant 1960 (Pécs, Ímea Kiadó, 2015).

Il s’agit d’une œuvre monumentale (1029 pages) qui représente une contribution majeure à l’étude de la littérature québécoise et à l’histoire de la langue française au Québec. Árpád Vígh y étudie la langue de 142 romans québécois en commençant par le premier roman publié au Québec, L’influence d’un livre de Philippe-Aubert de Gaspé fils (1837).

Quatrième de couverture :



Je citerai l’opinion d’une autorité, Jean Marcel (Paquette), sur cet ouvrage unique dans l’histoire littéraire et linguistique du Québec :


Voici un ouvrage titanesque qui prend la forme d'un volumineux glossaire avec ses 683 entrées lexicales pour 928 usages différents (certaines entrées en comportant plusieurs). […]
Le tout est précédé d'une introduction de 82 pages, qui est à elle seule un petit monument de finesse dans l'analyse de notre littérature. Et le plus étonnant de tout : cet ouvrage est d'un Hongrois... qui n'a pas trouvé dans notre pays un seul éditeur pour le publier ! Cette affaire a en soi valeur de véritable scandale.
[…]
Le chercheur a voulu savoir comment et jusqu'où les auteurs, par la voix de leurs narrateurs, étaient en mesure d'utiliser ces dits québécismes sans avoir à les épingler comme des papillons rares - autrement dit comment ces auteurs considéraient de ce fait que ces singularités linguistiques étaient intégrées au bon aloi. Dès lors on peut dire que les québécismes faisaient partie de la langue littéraire. La démonstration donne ainsi une bonne claque (pour ainsi dire) aux thèses voulant que l'utilisation de la «langue franco-québécoise» en littérature ne remonte qu'à la Révolution tranquille de 1960.


Jean Marcel parle de véritable scandale. L’expression n’est pas trop forte quand on sait que l’ouvrage d’Árpád Vígh ne figure dans le catalogue que d’une seule bibliothèque publique au Québec, celle de l’Université McGill.


Un exemple valant mille mots, voici une page de l’ouvrage d'Árpád Vígh (merci à Jean Marcel pour la numérisation de cette page) :

Cliquer sur l'image pour l'agrandir




Comment se procurer Le bon usage des québécismes ?
Pour l’heure, impossible de le trouver dans une librairie au Québec. Il faut donc écrire à l’auteur : vigha43(à)gmail.com*
Le prix coûtant (de fabrication, sans marge de profit) est de 42 $ CDN. Prévoir 38 $ de frais de port pour un envoi recommandé au Canada.
______
*L’adresse est ainsi présentée pour éviter que l’auteur ne soit inondé de pourriels. Il faut donc remplacer le (à) par l’arobase (@).




Qui est Árpád Vígh ?

Árpád Vígh a introduit au département de français de l’Université de Pécs en Hongrie le programme d’études francophones. Ce programme, intégré au cursus obligatoire des futurs professeurs de français langue étrangère, comporte une introduction générale aux réalités du monde francophone, à l’histoire et aux variétés du français, ainsi qu’à l’étude d’un certain nombre d’auteurs des principales régions de langue française. L’enseignement systématique de la littérature québécoise apparaît alors pour la première fois dans le cursus d’une université hongroise.


Árpád Vígh est fondateur et directeur de la revue Cahiers francophones d’Europe centre-orientale (d’abord en collaboration avec l’Université de Vienne, à partir de 2002 avec le concours de l’Association internationale des études québécoises). Il dirige la composition des nos 1 (« Mots du Québec »,. 1990), 3 (« L’enseignement de la francophonie », 1992), 9 (« Anciens Canadiens et nouveaux Québécois. Hommage à Gaston Miron », 1998) et 11 (« Mémoires pour l’avenir. Naissance des études francophones en Europe centre-orientale », 2002).


Ses recherches sur l’intégration des québécismes dans le discours littéraire ont donné lieu à la publication de L’écriture Maria Chapdelaine. Le style de Louis Hémon et l’explication des québécismes (Québec, Septentrion, 2002) et de, en dernier lieu, Le bon usage des québécismes, Analyse historique et stylistique de la langue littéraire avant 1960.


Il est l’auteur de la seule histoire de la littérature québécoise qui existe en hongrois : Kék mezőben fehér liliom, A francia-kanadai irodalom története (Budapest, Akadémiai Kiadó, 2006, 270 p.). Pour illustrer cette histoire, il a dû traduire plusieurs textes d’auteurs québécois. Árpád Vígh a aussi traduit Bonheur d’occasion de Gabrielle Roy.



Árpád Vígh a aussi dirigé le numéro de Nuit blanche consacré à la littérature hongroise : cliquer ici pour lire son introduction.



jeudi 12 octobre 2017

L’opinion de Lionel Meney sur la nouvelle politique des emprunts de l’OQLF


Lionel Meney a mis en ligne dans son blog sa critique du document Politique de l’emprunt linguistique de l’Office québécois de la langue française (OQLF). Extrait :

L'absence de fondements scientifiques vérifiables se cache derrière l'emploi de multiples critères d'acceptation ou de rejet des emprunts aussi hétéroclites que peu crédibles. L'acceptabilité d'un mot anglais se déduirait rationnellement à l'issue d'un long parcours algorithmique à travers le filtre de ces critères. Leur nombre, leur hétérogénéité et le flou de leur définition font qu'on aboutit à toutes sortes de décisions contradictoires. Tel mot est accepté, tel autre ne l'est pas, mais on a souvent l'impression que le contraire serait tout aussi possible à la lumière des mêmes critères… Ce système à géométrie variable permet de sortir opportunément le critère qui permettra d'accepter le mot qui plaît et de rejeter celui qui déplaît… En réalité, pratiquement tous les emprunts de mots anglais seront rejetés, car trop visibles, les emprunts masqués que sont les calques ou les anglicismes de sens ayant plus grâce aux yeux de nos terminologues.
[…]
Autre critère arbitraire malgré sa dénomination impressionnante : la « légitimité sociolinguistique au Québec ». Le document ne dit pas qui détermine cette légitimité ni comment. Est-ce qu'on procède par sondages auprès de la population pour savoir si tel mot est légitime ou non ? Est-ce qu'on vérifie dans les médias s'il est fréquent ou pas ? Est-ce que tous les Québécois sont d'accord sur le statut à accorder à tel ou tel mot ? Est-ce qu'il n'y a qu'une seule manière de parler au Québec ? J'ai développé ces questions sur la base de recherches empiriques dans Le français québécois entre réalité et idéologie (Presses de l'Université Laval, Québec, 2017). La réponse est évidemment qu'il n'y a pas ici une seule légitimité sociolinguistique, mais au moins deux. Pourquoi l'OQLF favorise-t-il l'une au détriment de l'autre ?
[…]
On en vient à penser que ce sentiment de légitimité est celui que les terminologues de l'OQLF eux-mêmes veulent bien accorder ou non. En effet, pourquoi fin de semaine serait plus légitime que week-end alors que les deux mots sont employés ici pratiquement dans les mêmes proportions ? Pourquoi égoportrait – mot lourd et mal formé – devrait-il être favorisé aux dépens de selfie alors que ce dernier est d'emploi plus fréquent dans nos médias ? Idem pour démoniser – calque de l'anglais – alors que diaboliser, utilisé partout dans la Francophonie, lui aussi est plus fréquent ?


mercredi 11 octobre 2017

Le Web profond ou la Toile profonde ?


Le 26 septembre 2017, le Journal officiel de la République française a publié une liste de termes relatifs au vocabulaire de l’informatique. Le tableau suivant présente pour quelques termes anglais les termes normalisés par la France et les équivalents proposés par le Grand Dictionnaire terminologique (GDT) de l’Office québécois de la langue française (OQLF). À en juger par ce tableau, on peut se demander si la nouvelle politique de l’emprunt linguistique de l’OQLF vise vraiment à rapprocher le vocabulaire des Québécois de celui des autres francophones. On notera que le GDT se contente une fois de plus de traductions littérales. En tout état de cause, on ne peut que regretter le manque de coopération en matière terminologique, quels qu’en soient les responsables.

Terme anglais
Commission d’enrichissement de la langue française
Grand Dictionnaire terminologique
Dark net, darknet
Internet clandestin
---
Invisible Web, deep Web*
GDT : hidden Web
Toile profonde, abysse
(Note :) il convient de distinguer l’« internet clandestin » de la « toile profonde »
Web invisible, Web profond
(Terme utilisé dans certains contextes : ) Web caché (Note :) Le terme Web caché est de plus en plus utilisé pour désigner les sites du Web invisible qui se consacrent par exemple à des activités non légitimes, ou qui permettent de contourner la censure dans certains pays. Ces sites offrent à leurs utilisateurs une navigation anonyme grâce à des logiciels qui permettent le cryptage des communications en ligne.
Web mail
Portail de messagerie
Courriel Web, messagerie Web, courrier Web
*La Commission d’enrichissement de la langue française mentionne aussi les synonymes anglais deepnet et hidden web. Le GDT n’a pas deep net (ou deepnet)


mardi 10 octobre 2017

Vous prendrez bien un peu de statistique ?


Le Devoir d’aujourd’hui publie un texte de Charles Castonguay intitulé « Statistique Canada masque le déclin du français. Le texte porte sur les données du dernier recensement du Canada, en particulier sur le traitement qu’on doit réserver aux réponses multiples, c’est-à-dire aux personnes qui déclarent avoir deux ou trois langues maternelles ou deux ou trois langues parlées habituellement à la maison (langues d’usage). L’habitude s’est prise de réparti également entre le français, l’anglais et la catégorie « autres » les réponses multiples : « De 1981 jusqu’en 2011, Statistique Canada a donc réparti de façon égale les réponses doubles et triples aux questions sur les langues maternelle et d’usage. » Mais, ajoute Castonguay, « dans ses calculs pour 2016, Statistique Canada a rompu avec cette façon de faire. Aux déclarations du français comme langue d’usage unique, il a additionné la totalité des réponses multiples comprenant le français. Il a procédé de façon semblable pour la composante de langue d’usage anglaise, ainsi que pour celle de langue d’usage autre. Cependant, les réponses doubles sont alors comptées deux fois, et les triples, trois fois. » Ce qui a effectivement de quoi agacer un mathématicien puisque l’on arrive à des totaux qui dépassent les 100 %.


L’ancienne répartition se trouve en fait à considérer la connaissance et l’usage des langues comme des jeux à somme nulle : ce que gagne une langue, l’autre doit nécessairement le perdre. Dans la nouvelle répartition, les gains ne compensent pas les pertes et vice-versa : les pourcentages s’additionnent et peuvent dépasser les 100 %. Cette manière de faire rend mieux compte du multilinguisme que l’ancienne façon de procéder tendait à réduire (cf. la citation de Richard Marcoux plus bas).


La première méthode donne une image plus impressionnante. À la vue du graphique suivant de Charles Castonguay, on ne peut conclure qu’au déclin du français :
  


La seconde méthode donne un portrait plus idyllique : « on obtient un Québec à 87 % de langue d’usage française, à 19 % de langue d’usage anglaise et à 15 % de langue d’usage autre. Cela s’additionne à 121 %. Puisque les réponses multiples se multiplient à mesure que progressent la diversité linguistique et le plurilinguisme, tous ces pourcentages peuvent d’ailleurs croître en même temps. »


Le danger de cette dernière méthode, c’est qu’elle peut représenter une fausse sécurité pour les défenseurs d’un Québec français. Il est bien possible que le taux de multilinguisme diminue au fil des générations : que les petits-enfants, par exemple, parlent anglais et français mais pas la langue des grands-parents et qu’à la génération suivante, le bilinguisme ne se maintienne pas. D’autant plus que le gouvernement québécois, depuis plusieurs années, n’investit pas suffisamment dans les mesures de francisation.

*   *   *

La question de la répartition des réponses multiples aux questions linguistiques des recensements canadiens a été étudiée par Michel Paillé. Malheureusement, son étude est difficile à trouver, elle est enfouie au troisième sous-sol du site Internet (j’allais écrire : du site archéologique) de l’Office québécois de la langue française. On peut y avoir accès plus facilement en cliquant ici. Voici mon introduction à cette étude; j'y aborde à la fin la répartition des réponses multiples d'un point de vue éthique et sociolinguistique :

Depuis 1983, Statistique Canada publie le nombre de personnes qui ont donné plus d’une réponse à la question sur la « langue maternelle » ainsi qu’à celle portant sur la « langue d'usage » au foyer. Ces « réponses multiples » sont classées en cinq catégories : « français-anglais », « français-autre », « anglais-autre », « français-anglais-autre » ainsi qu’une classe résiduelle regroupant toutes les personnes ayant mentionné au moins deux langues non officielles (« autre-autre… »).
Depuis longtemps les chercheurs ont souvent choisi de répartir également les réponses multiples entre le français, l’anglais et l’ensemble des langues non officielles (ou langues tierces). Ainsi, pour faciliter la description et l’analyse des données, ils ne conservaient que les trois classes linguistiques habituelles.
La présente note méthodologique est une analyse critique de cette façon de procéder, c’est-à-dire qu’elle examine ce qui se produit lorsqu’on procède à la répartition égale des réponses multiples dans un tableau où les langues maternelles sont croisées selon les langues d’usage, procédure qui revient à ramener 49 informations brutes[1] à seulement 9. Cette procédure est notamment utilisée dans l’évaluation de l’importance de la substitution linguistique (on parle aussi de transferts linguistiques ou d’assimilation), un des indicateurs de la situation linguistique.
En marge des travaux confiés à l’Office québécois de la langue française, il est important d’engager des réflexions, voire des remises en question, concernant les méthodes et les instruments d’analyse en vue d’obtenir une description la plus fiable possible de la réalité que l’on cherche à comprendre. Aussi l’Office québécois de la langue française a-t-il demandé à Michel Paillé, démographe connu pour ses nombreuses contributions à la démolinguistique, de déterminer si la répartition des réponses multiples entre le français, l’anglais ou une langue tierce  est justifiée et si les procédures de répartition utilisées sont appropriées. On lui a de plus demandé d’examiner de quelle façon une telle répartition devrait, le cas échéant, être effectuée pour refléter le plus exactement possible la réalité.

Par définition, les réponses multiples sont différentes des réponses uniques et on ne doit pas s’attendre à ce que leur répartition à égalité entre les trois groupes linguistiques (francophones, anglophones, allophones) produise les mêmes effets sur la rétention et la mobilité linguistique qu’une analyse qui serait faite uniquement à partir des réponses uniques. L’auteur, qui a choisi de faire porter son analyse plus spécifiquement sur les substitutions linguistiques, montre que la répartition égale des réponses multiples engendrerait, ou induirait, trois types de substitutions linguistiques : quelques rares substitutions véritables, de nombreuses substitutions fictives (ou modélisées, si l’on préfère) et autant de substitutions partielles transformées artificiellement en substitutions complètes.

Selon l’analyse de Michel Paillé, les substitutions partielles, indûment transformées en substitutions complètes, auraient augmenté de 39 % à 51 % en 20 ans. Mais ses conclusions les plus percutantes touchent ce qu’il appelle les substitutions fictives. La moitié des réponses multiples (les deux cinquièmes depuis 1991) seraient responsables des substitutions linguistiques fictives. Cette façon de faire écraserait par son poids celui des substitutions linguistiques véritables. Pour Michel Paillé, la répartition égale des réponses multiples crée donc une distorsion.

Les analyses de Michel Paillé valident donc l’hypothèse qu’il a émise voulant que les réponses multiples ne sont pas des erreurs systématiques que corrigerait la répartition égale mais qu’au contraire, elles reflètent bien une partie de la réalité linguistique. En effet, tout porte à croire que ces cas reflètent sans doute souvent des situations complexes et transitoires en matière de mobilité linguistique, situations qui s’accommodent mal de la contrainte de la réponse unique à laquelle invitent pourtant les questions linguistiques du recensement[2]. Considérant que les réponses uniques forment la très grande majorité des cas, l’auteur recommande, comme première solution, de calculer les indicateurs linguistiques les plus courants uniquement à partir de cette partie des données de recensement publiées par Statistique Canada, méthode plus simple que celle retenue par Louise Marmen et Jean-Pierre Corbeil[3] et qui arrive sensiblement aux mêmes résultats qu’eux. Car, que l’on analyse dans leur intégrité les substitutions linguistiques complètes et partielles telles qu’elles ont été déclarées ou, au contraire, qu’on simplifie l’analyse de l’assimilation au moyen de la répartition égale, les résultats obtenus en suivant l’une comme l’autre de ces démarches sont tout à fait en harmonie.

À défaut d’étudier les substitutions linguistiques uniquement à partir des réponses uniques, l’auteur propose comme solution de rechange de regrouper les réponses multiples en fonction du français. Dans le cas du Québec, pouvons-nous ajouter. Car, dans celui des autres provinces, on peut penser que le regroupement devrait se faire en fonction de l’anglais. Il faut savoir que, pour son auteur, cette proposition n’est qu’une hypothèse de travail, dont il est conscient de la valeur relative.

Certains pourront hésiter à suivre Michel Paillé dans le regroupement des réponses multiples qu’il propose. Car, dans l’étude de la substitution linguistique, ne serait-il pas préférable de ne prendre en compte que les réponses uniques, ainsi d’ailleurs que l’auteur lui-même le propose comme première solution ? Aux spécialistes de la démolinguistique d’en débattre et de proposer une solution. Mais si on parvenait à s’entendre sur une manière de répartir les réponses multiples, ne perdrait-on pas du coup un lot d’informations intéressantes ?

En outre, la répartition égale des réponses multiples n’est pas sans poser de difficultés du point de vue de l’éthique et de celui de la sociolinguistique.

En effet, d’un point de vue éthique, la répartition des réponses multiples revient à nier l’auto-identification des répondants puisque le chercheur décide de les loger à des enseignes uniques que, dans un geste délibéré, ils ont pourtant refusé de choisir.

D’un point de vue sociolinguistique, répartir également les réponses multiples signifie se priver d’informations sur le multilinguisme, phénomène dont il est de plus en plus important de tenir compte dans le présent contexte de mondialisation. Cette façon de faire est d’autant plus insatisfaisante que la recherche en sociolinguistique a montré que les variables que les études démolinguistiques tiennent pour des variables clé sont liées à des facteurs qui, en fait, ne sont pas stables mais fluides. Pour donner un exemple concret, une catégorie en apparence aussi limpide pour le sens commun que celle de la langue maternelle[4] peut en fait se décliner sous différents aspects : la langue des ancêtres, la première langue qu’on a apprise, la langue à laquelle on s’identifie, la langue à laquelle les autres nous identifient, la langue que l’on utilise le plus souvent, la langue dans laquelle on se sent le plus compétent, etc.; et la langue dite maternelle peut en fait être celle du père. Un expert de la recherche sociolinguistique affirme même : « la réalité sous-jacente à la notion de langue maternelle est variable et instable, quand elle n’est pas confuse et sans valeur pratique.[5] » La recherche sociolinguistique invite donc à la prudence dans le traitement de variables en apparence discrètes mais dont les frontières sont en réalité floues. Dans ces conditions, la répartition des multiples pourrait ne faire qu’accroître le flou tout comme, à l’inverse, il est aussi permis de supposer que son utilisation crée des compensations au lieu de cumuls de distorsions. Quoi qu’il en soit, la position la plus sage est sans doute : in dubio, abstine. Et cette abstention, ce refus de répartir les réponses multiples, permettrait de rendre davantage compte de la réalité multilingue québécoise en émergence.

Car la répartition égale des réponses multiples occulte cette réalité multilingue :

[…] [le] multilinguisme, qui semble bien réel dans de nombreux foyers québécois, vient remettre en question les méthodes classiques de mesure des transferts linguistiques […]. Ainsi, selon cette approche [= la répartition égale des réponses multiples], chaque individu doit avoir une seule langue maternelle alors que près de 100 000 personnes au Québec déclaraient au moins deux langues maternelles en 2001. De même, une seule langue d’usage à la maison doit être retenue pour chacun des individus alors que près d’un million de Québécois déclaraient en 2001 utiliser souvent ou régulièrement deux langues ou plus à la maison. […] à force de transformer les déclarations  pour qu’elles se prêtent aux exigences de la construction des indices classiques de transfert linguistique, on en vient à occulter le multilinguisme qui semble caractériser les comportements d’une frange importante de la société québécoise. Du coup, on en vient également à occulter la place qu’occupe la langue française dans ce multilinguisme tel qu’il est pratiqué dans les chaumières québécoises où l’on compte plus de 220 000 personnes qui déclarent utiliser régulièrement le français à la maison, même si cette langue n’est pas celle qu’ils déclarent utiliser le plus souvent.[6]

Cette étude sur la répartition égale des réponses multiples n’a pas la prétention de régler la question une fois pour toutes. Il s’agit d’un document technique qui devrait retenir l’attention surtout des utilisateurs de données linguistiques. En publiant le présent rapport, l’Office espère susciter un débat scientifique et il souhaite que les démographes, les sociologues, les sociolinguistes ainsi que d’autres personnes intéressées par la description des situations linguistiques y participent de manière positive.

Ce genre de questionnement sur les méthodes nous apparaît essentiel si nous voulons continuer d’offrir aux décideurs et aux citoyens des instruments qui rendent compte de façon fiable de la situation linguistique du Québec et de son évolution.





[1] En retenant la catégorie « autre-autre », on aurait 64 cases (8 x 8). Mais comme ces cas rarissimes sont tous versés aux réponses uniques « autre », la matrice est réduite à 49 cases (7 x 7).
[2] Voir, p.ex., Marc Termote, L’avenir démolinguistique du Québec et de ses régions, Québec, Conseil de la langue française,  1994, p. 14.
[3] Marmen, Louise et Jean-Pierre Corbeil, Nouvelles perspectives canadiennes. Les langues au Canada. Recensement de 2001, Ottawa, Ministère des travaux publics et Services gouvernementaux Canada, 2004, 163 p. Pour une présentation de la méthode utilisée par L. Marmen et J.-P.  Corbeil, voir, dans le présent rapport, l’encadré 3. Notons que les deux méthodes ont quand même pour effet de réduire la réalité multilingue.
[4] À cet égard, on se rappellera que le recensement canadien ne pose pas explicitement de question sur la langue maternelle (l’expression n’y figure même pas) mais plutôt sur la première langue apprise et encore comprise. L’habitude s’est toutefois prise d’interpréter cette question comme portant sur la langue maternelle.
[5] William F. Mackey, « Langue maternelle, langue première, langue seconde, langue étrangère », dans : Marie-Louise Moreau, Sociolinguistique. Concepts de base, Sprimont, Mardaga, 1997, p. 184.
[6] Richard Marcoux, Recherches sociographiques 44/2 (2006), p. 396.

lundi 9 octobre 2017

Le maïs s’éclate et le dictionnaire s’essouffle


Dans sa dernière chronique de la revue Châtelaine, Josée Boileau critique la nouvelle politique sur les anglicismes de l’Office québécois de la langue française (OQLF) et elle se sert de l’exemple du mot pop-corn (maïs éclaté ou maïs soufflé). Ce qui m’a donné l’idée d’aller voir comment le Grand Dictionnaire terminologique (GDT) le traite.


Je constate que la fiche a été refaite en 2017. C’est donc l’occasion de vérifier comment l’Office applique sa nouvelle politique.


Le mot pop-corn est un emprunt lexical. À ce titre, pour être accepté par l’Office, il doit répondre à certains critères : être non récent (vieux de plus de 15 ans), généralisé et légitimé. En français québécois, le mot est attesté depuis 1901 (selon le fichier du Trésor de la langue française au Québec). De plus, il est généralisé, personne ne contestera ce fait. Est-il légitimé ? On sait que la Politique de l’emprunt linguistique ne définit pas ce qu’est la légitimation. Mais l’ancienne présidente du Comité d’officialisation linguistique de l’OQLF nous a appris que « seuls sont finalement admis les emprunts qui sont d’usage standard, couramment acceptés, voire valorisés dans les meilleurs écrits qui servent de référence au Québec* […]». Les meilleurs écrits? Le mot se trouve (ou se retrouve si on l’a perdu) dans des textes de Françoise Loranger, Jacques Godbout, Valdombre (Claude-Henri Grignon), Anne Hébert, etc. :

Ils lavent des piles d'assiettes dans des cuisines de restaurant, épluchent des tonnes de pommes de terre, conduisent des chevaux et des calèches bourrées de touristes grignoteurs de chips et de pop-corn, cueillent des fraises à l'île d'Orléans et des pêches au bord du Niagara, déposent leurs sous dans la cagnotte préparée à cet effet, et se nourrissent comme des écureuils (Anne Hébert, Le premier jardin).


Le mot n’est toutefois pas accepté par le Multi et d’autres ouvrages québécois. Qu’à cela ne tienne, il est légitimé par sa présence dans le Trésor de la langue française de Nancy et dans la 9e édition du dictionnaire de l’Académie (il est attesté en français européen depuis 1946).


À s’en tenir aux critères énoncés par l’Office, la balance devrait pencher en faveur de l’acceptation de l’anglicisme pop-corn. Malgré tout, la fiche du GDT ne le tolère que « dans certains contextes » :

Bien que l'emprunt à l'anglais popcorn de même que sa variante pop-corn, en usage depuis le milieu du XXe siècle [? ; il y a des attestations de 1901, 1930 et 1937], soient admis en français au Québec, l'Office québécois de la langue française conseille d'employer les termes maïs soufflé et maïs éclaté pour désigner ce concept [le pop-corn est un concept maintenant !], afin de ne pas nuire à leur implantation dans l'affichage et l'étiquetage, notamment, et aux efforts particuliers de francisation déployés.


On remarquera le distinguo subtilement introduit dans la note : un terme peut être admis, mais non légitimé.


On aura aussi remarqué l’élégance stylistique de la fin de la note : … aux efforts particuliers de francisation déployés. Il aurait été tellement plus simple d’écrire : pour ne pas nuire aux efforts passés de francisation. Mais voilà, ç’aurait été trop simple. Et cela aurait surtout mis en évidence que l’acceptation des anglicismes présents depuis plus de 15 ans vient en fait ruiner les efforts de francisation de l’Office depuis sa création en 1961.

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En lisant les commentaires portant sur la nouvelle Politique de l’emprunt linguistique, je me suis aperçu que quelques personnes croyaient qu’en ouvrant la porte aux anglicismes, l’Office visait à rapprocher le vocabulaire des Québécois de celui des autres francophones. Il n’en est rien. L’Office acceptera plus largement les anglicismes de plus de 15 ans, ceux justement qui différencient le plus la langue parlée et écrite au Québec de celle des autres francophones. Et dans son énoncé de politique il refuse des anglicismes courants dans le monde francophone comme selfie, week-end ou cockpit (p. 13). De fait, il s’agit d’une manifestation de séparatisme linguistique.
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* Elle ajoute : « et qu’on peut retrouver [comme si on les avait perdus !] dans des ouvrages tels que le Multidictionnaire de la langue française et Usito. »


samedi 7 octobre 2017

L’OQLF et les anglicismes, de nouvelles réactions


Josée Boileau, Châtelaine :

Même l’Office québécois de la langue française (OQLF) se met de la partie! L’organisme a, sans tambour ni trompette, assoupli ces derniers mois sa Politique de l’emprunt linguistique. Il s’agit désormais de tenir compte de l’usage fait d’un mot anglais avant de rejeter celui-ci.
Vertement critiqué par plusieurs linguistes, l’OQLF se défend d’ouvrir ainsi les vannes de l’anglicisation, affirmant plutôt prendre acte des résistances tenaces à certaines de ses propositions. Par exemple, le «collant sans pieds» qu’il proposait n’a jamais réussi à déloger le «legging». Faisons confiance au jugement de la population, soutient l’organisme.
Reste que, si l’OQLF a parfois fait preuve d’un surcroît de créativité, il a bien davantage guidé à bon escient. Alors, pourquoi remettre au rang d’honneur «popcorn» ou «softball», alors qu’il nous avait appris que «maïs soufflé» et «balle molle» étaient les bons termes? Et il faut bien que quelqu’un nous rappelle que, même si on l’emploie tout le temps, «poudre à pâte» est un calque inacceptable: en français, c’est de «levure chimique» dont il s’agit.
Donc, je m’inquiète: si les «bon matin!» continuent de se multiplier, est-ce que dans quelques années l’OQLF pliera devant l’usage? Oui, c’est bien moi que vous entendez rugir.


L’article de Jean-Claude-Corbeil et Marie-Éva de Villers est repris dans le site du Mouvement Québec français.


Paul Dionne, « Changement de cap à l’OQLF », Vigile.Québec :
Les réactions qu’a suscitées la nouvelle politique de l’Office québécois de la langue française semblent confirmer que nous ne voyons pas l’autre danger qui menace la langue française au Québec. Obsédés par les anglicismes que nous insérons dans nos phrases, nous oublions en effet que la structure anglaise que nous empruntons pour les construire altère autant, sinon plus, le génie de notre langue. Ainsi, nous reprocherons à un Français de dire « On lui a demandé d’agir comme chairman », mais nous ne nous formaliserons pas d’entendre un Québécois dire : « Il a été demandé pour présider l’assemblée. » Si l’emploi d’anglicismes révèle un problème épidermique, l’emploi de structures grammaticales anglaises révèle un problème organique sans doute plus profond. Il est étonnant qu’on n’en reconnaisse pas l’existence et qu’on ne s’y attaque pas comme on le fait pour les anglicismes.

Site meteoweb.eu :

[...] in Quebec, un’altra regione del mondo dove l’autonomia linguistica si colora di connotazioni politiche, si fa marcia indietro sull’ortodossia francofona. La provincia canadese in cui il francese e’ lingua ufficiale si e’ arresa all’evidenza e ha sdoganato il “cocktail” al posto del “francosuonante” “coqueteil”.

L’Office que’be’cois de la langue francaise ha pubblicato sul suo sito online la lista delle parole inglesi d’ora in poi considerate accettabili. In Quebec si puo’ dunque adesso dire “baby-boom” al posto di “be’be’-boum” e giocare a “softball” e non a “balle-molle”. Parlando del Primo Ministro Justin Trudeau, si potra’ definirlo “leader” del suo partito, non necessariamente “chef”.

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La réponse catalane à la brutalité policière : l’humour.



mardi 3 octobre 2017

Le GDT qui a perdu son « t »

  
On m’a rapporté le mot d’un de mes anciens patrons disant que le GDT avait perdu son «t». C’est-à-dire que le Grand Dictionnaire terminologique de l’Office québécois de la langue française (OQLF) est de moins en moins terminologique. En voici un nouvel exemple : la fiche « bonhomme Sept-Heures ».


On se demande en effet ce que cette fiche a de terminologique. À la rigueur on pourrait admettre sa présence dans le domaine « ethnographie » ou « folklore ». Mais on l’a mise dans le domaine « linguistique », sous-domaine « langage ». Il est vrai que l’étymologie de ce mot a, un temps, passionné une demi-douzaine, au plus, de personnes du département de linguistique d’une université québécoise. Était-ce suffisant pour que le mot figure à ce titre dans un dictionnaire terminologique ?



Mais cela m’amène à poser une question plus sérieuse : comment se fait-il que, dans le domaine d’emploi « linguistique », il y ait un sous-domaine « langage » ? Ne serait-il pas plus logique d’avoir des sous-domaines comme « étymologie », « phonétique », « morphologie », etc., plutôt que « langage » ? La linguistique étant l’étude du langage, on s’attendrait à ce que ce soit elle qui figure dans la classe des sous-domaines et que « langage » soit le nom du domaine. Le GDT, c’est le monde à l’envers.

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Le Devoir de ce jour publie une lettre de Solange Chalvin, ancienne directrice à l’Office de la langue française :

Non à la pâte à dents, à la brassière et à «bon matin»!

Ayant travaillé à la francisation des entreprises durant une douzaine d’années, avec des centaines de conseillers en francisation et de linguistes, à l’amélioration de la langue parlée et écrite au travail, aussi bien dans les usines que dans les plus grands commerces, ainsi qu’à la qualité de l’étiquetage et de l’affichage commercial, je n’accepte pas que l’OQLF par le biais d’une nouvelle « Politique de l’emprunt linguistique » fasse fi des efforts et des sommes considérables consacrés par ces entreprises à la francisation des emballages, de la publicité et des documents d’information sur leurs produits pour se conformer aux recommandations de l’Office de la langue française de l’époque — c’était le nom de l’OQLF jusqu’en 2002. Ce recul enlève toute crédibilité et toute efficacité aux efforts antérieurs de l’Office.

Les consommateurs achètent aujourd’hui du dentifrice (non de la pâte à dents), des soutiens-gorge (non des brassières), des plateaux (non des cabarets) et fréquentent un comptoir à salades (et non un bar à salades). Ces calques de l’anglais que nous avions fini par oublier apparaîtraient de nouveau dans l’espace public par l’action de l’OQLF, qui a pour mission de guider l’usage du français parlé et écrit au Québec.

Plutôt que de dépenser des sommes folles à faire des suggestions permissives, plus farfelues les unes que les autres, l’OQLF devrait consacrer ses énergies à promouvoir des cours de francisation pour intégrer les immigrants à la société et au monde du travail, surtout dans les entreprises qui accueillent des travailleurs immigrants, afin de faire du français la langue de travail et de l’espace public.

J’aurais bien préféré que l’OQLF affiche publiquement son désaccord avec ce « bonjour,hi » qu’on nous sert de plus en plus dans les commerces ainsi que ce « bon matin » (calque de l’anglais « good morning ») au lieu de « bonjour », utilisé dans toute la francophonie, sans compter ce « pas de problème » (calque de l’anglais « no problem ») plutôt que « pas de souci ».