Dans
sa dernière chronique de la revue Châtelaine,
Josée Boileau critique la nouvelle politique sur les anglicismes de l’Office
québécois de la langue française (OQLF) et elle se sert de l’exemple du mot pop-corn (maïs éclaté ou maïs soufflé).
Ce qui m’a donné l’idée d’aller voir comment le Grand Dictionnaire
terminologique (GDT) le traite.
Je
constate que la fiche a été refaite en 2017. C’est donc l’occasion de vérifier
comment l’Office applique sa nouvelle politique.
Le
mot pop-corn est un emprunt lexical.
À ce titre, pour être accepté par l’Office, il doit répondre à certains
critères : être non récent (vieux de plus de 15 ans), généralisé et
légitimé. En français québécois, le mot est attesté depuis 1901 (selon le
fichier du Trésor de la langue française au Québec). De plus, il est généralisé,
personne ne contestera ce fait. Est-il légitimé ? On sait que la Politique de l’emprunt linguistique ne
définit pas ce qu’est la légitimation. Mais l’ancienne présidente du Comité d’officialisation
linguistique de l’OQLF nous a appris que « seuls sont finalement admis les
emprunts qui sont d’usage standard, couramment acceptés, voire valorisés dans
les meilleurs écrits qui servent de référence au Québec* […]». Les
meilleurs écrits? Le mot se trouve (ou se retrouve si on l’a perdu) dans
des textes de Françoise Loranger, Jacques Godbout, Valdombre (Claude-Henri
Grignon), Anne Hébert, etc. :
Ils lavent des piles d'assiettes dans des
cuisines de restaurant, épluchent des tonnes de pommes de terre, conduisent des
chevaux et des calèches bourrées de touristes grignoteurs de chips et de pop-corn, cueillent des fraises à l'île
d'Orléans et des pêches au bord du Niagara, déposent leurs sous dans la
cagnotte préparée à cet effet, et se nourrissent comme des écureuils (Anne
Hébert, Le premier jardin).
Le
mot n’est toutefois pas accepté par le Multi
et d’autres ouvrages québécois. Qu’à cela ne tienne, il est légitimé par sa présence dans le Trésor
de la langue française de Nancy et dans la 9e édition du
dictionnaire de l’Académie (il est attesté en français européen depuis 1946).
À s’en
tenir aux critères énoncés par l’Office, la balance devrait pencher en faveur
de l’acceptation de l’anglicisme pop-corn.
Malgré tout, la fiche du GDT ne le tolère que « dans certains contextes » :
Bien que l'emprunt à l'anglais popcorn
de même que sa variante pop-corn, en
usage depuis le milieu du XXe siècle [? ; il y a des attestations de 1901, 1930 et 1937], soient admis en français au Québec, l'Office
québécois de la langue française conseille d'employer les termes maïs soufflé et maïs éclaté pour désigner ce concept [le pop-corn est un concept maintenant !], afin de ne pas nuire
à leur implantation dans l'affichage et l'étiquetage, notamment, et aux efforts
particuliers de francisation déployés.
On
remarquera le distinguo subtilement introduit dans la note : un terme peut
être admis, mais non légitimé.
On
aura aussi remarqué l’élégance stylistique de la fin de la note : … aux efforts
particuliers de francisation déployés.
Il aurait été tellement plus simple d’écrire : pour ne pas nuire aux efforts passés de francisation. Mais voilà, ç’aurait
été trop simple. Et cela aurait surtout mis en évidence que l’acceptation des
anglicismes présents depuis plus de 15 ans vient en fait ruiner les efforts de
francisation de l’Office depuis sa création en 1961.
* * *
En
lisant les commentaires portant sur la nouvelle Politique de l’emprunt linguistique, je me suis aperçu que quelques
personnes croyaient qu’en ouvrant la porte aux anglicismes, l’Office visait à rapprocher
le vocabulaire des Québécois de celui des autres francophones. Il n’en est
rien. L’Office acceptera plus largement les anglicismes de plus de 15 ans, ceux
justement qui différencient le plus la langue parlée et écrite au Québec de
celle des autres francophones. Et dans son énoncé de politique il refuse des
anglicismes courants dans le monde francophone comme selfie, week-end ou cockpit (p. 13).
De fait, il s’agit d’une manifestation de séparatisme linguistique.
________
* Elle ajoute : « et
qu’on peut retrouver [comme si on les avait perdus !] dans des ouvrages
tels que le Multidictionnaire de la langue française et Usito. »
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