mercredi 27 mai 2015

Le français d’Usito


Comment écrire le français standard en usage au Québec à partir d’exemples tirés des deux dernières livraisons de l’Infolettre Usito.


« Dans Usito, et c’est une de ses principales originalités et spécificités par rapport aux autres dictionnaires, les emplois qui ne portent aucune marque d’usage sont réputés standards et panfrancophones. » Quand on écrit à la manière d’Usito, on n’a pas peur des pléonasmes.


« De plus, l’emploi ou non du trait d’union entre le préfixe et la base du mot est une constante source d’interrogations pour tout rédacteur ou apprenant. » Quand on écrit dans le style d’Usito, on n’hésite pas devant le calque syntaxique : la constante source d’interrogations, tout comme la romaine patrouille d’Astérix (plutôt que la source constante d’interrogations ou mieux la source d’interrogations constantes).


Dans le style d’Usito, on évite l’emploi du pronom et on préfère répéter le nom : « Enfin, dans l’onglet Listes, l’usager a accès à l’ensemble des préfixes et des suffixes, lesquels sont tous traités de manière systématique afin de servir de guide linguistique à l’usager » (afin de lui servir de guide). En passant, n’est-on pas plutôt l’utilisateur d’un dictionnaire plutôt que son usager ?


« Par ailleurs, emportiérage commence ici à produire des dérivés. On voit ainsi apparaître le verbe emportiérer (un cycliste), ou l’emploi adjectival (cycliste) emportiéré. Mais la fréquence de ces deux dérivés est encore trop timide pour leur ouvrir les pages du dictionnaire… »

Une fréquence timide… Dans la statistique lexicale comme on la pratique à Sherbrooke, les fréquences éprouvent des sentiments, ainsi elles peuvent être timides. Il est vrai que « le senti » fait partie de la panoplie des instruments d’analyse linguistique des endogénistes (voir mon billet « Les gardiens du senti »).

Emportiérer, dérivé d’emportiérage… Usito a procédé à une révolution dans la morphologie : désormais les infinitifs dérivent des substantifs en –age.


Enfin, contrairement à l’opinion courante, on peut très bien écrire à la manière d’Usito tout en utilisant des anglicismes (mais cela, les vrais linguistes le savaient déjà) : « […] l’emploi du trait d’union est requis lorsque le second élément commence par une majuscule (pré-Goncourt, etc.) » (dans l’article pré‑) (l’emploi est obligatoire, l'emploi s'impose).



lundi 25 mai 2015

Le français québécois, une tache propre


Ces jours derniers, on a fait état à quelques reprises, dans les gazettes et autres médias sociaux, du « brillant essai » d’une « savante linguiste » (dixit Louis Cornellier, Le Devoir, 16 mai 2015). Extrait de la quatrième de couverture :

Présenter le français québécois comme du joual, comme du mauvais français ou comme un simple registre populaire, qui contrevient au contenu des sacro-saints ouvrages de référence, c'est entacher l'identité québécoise d'une profonde insécurité. Le présenter comme une variété de langue légitime, dans toute sa complexité, avec toutes ses variations, pour laquelle les locuteurs ont un droit de regard, c'est nettoyer cette tache.

Le chroniqueur du Devoir résume à sa façon la thèse défendue dans le livre :

Les divers registres ont des rôles sociaux distincts : le registre soigné s’applique à des situations officielles et le registre familier aux situations informelles. Une analogie avec le rôle des vêtements sert d’illustration : dans un gala, on ne s’habille pas comme chez soi. Peut-on dire pour autant que les vêtements d’intérieur, moins chics, sont condamnables ?


Variété légitime dans toute sa complexité et avec toutes ses variations, ne pas s’habiller tout le temps avec les mêmes vêtements, c’est déjà ce qu’affirmait mais en usant d’une autre métaphore le phonéticien Laurent Santerre en 1981 :

Une langue vivante dans une société est très complexe à tous ses niveaux, et chaque niveau n'est pas moins cette langue qu'un autre niveau, quoi qu'on en pense parfois. Il serait aberrant de s'interdire par parti pris l'usage du langage soigné ou du langage populaire. On n'a pas à se confiner au grenier ou au sous-sol quand on habite une maison à plusieurs étages (Québec français, mars 1981).


En terminant, notons qu’on peut être professeur de français dans une université et écrire que l’on nettoie une tache. C’est quoi, une tache nettoyée ? Une tache propre ?


mercredi 13 mai 2015

Quel drôle de français !


Lu sur la page d’accueil de l’Office québécois de la langue française : « Trouvez la dénomination d'une panoplie d'outils dans notre vocabulaire sur les outils de jardinage… »


Un vocabulaire sur les outils ? Où as-tu mis ton dico ? Je l’ai mis sur le râteau !


mardi 12 mai 2015

La décolonisation linguistique


« Je ne sais, écrivait Langevin en 1962, s’il est possible de maintenir une culture contre la force des choses, contre l’envahissement irrésistible d’une civilisation étrangère qui nous pénètre et nous imprègne de partout. Je ne sais s’il est possible de recréer en français notre part d’Amérique, mais je sais que la fidélité à notre être collectif l’exige, mais je sais que, hors de cette culture, nous ne sommes rien. »
Cité par Louis Cornellier, « André Langevin et le destin du Québec », Le Devoir, 9 mai 2015


Recréer en français notre part d’Amérique, c’est la tâche à laquelle s’est attelé le premier Office de la langue française comme on le voit dans cette citation de Jean-Claude Corbeil :


« L’action de l’Office a été une entreprise de décolonisation. On doit la mettre dans la même perspective que la publication de Nègres blancs d’Amérique ou du Journal d’un colonisé de Memmi. À l’époque de la création de l’Office, les Québécois se resituaient en tant que majorité maîtrisant ses propres institutions. On s’est trouvé dans l’obligation de décoloniser la langue tout comme les institutions publiques, l’économie, etc. Il a donc fallu franciser les entreprises et faire un ménage dans nos anglicismes. Par exemple, le mot bumper doit disparaître non pas parce que c’est un mot anglais, mais parce qu’il fait partie de la logique de la colonisation anglaise. Cette colonisation, nous en sommes toujours menacés. Il faut être vigilant, sinon on va un jour ou l’autre passer à l’anglais. »
Jean-Claude Corbeil cité par Pierre Turgeon, « La bataille des dictionnaires », L’Actualité, avril 1989, p. 22.


Depuis, l’Office (devenu québécois) de la langue française a tourné casaque et propose de nous faire parler anglais avec des mots français – ce que Gaston Miron appelait le « traduitdu ». C’est cette situation qui a été dénoncée dans le manifeste des ex-terminologues de l’Office. Dénonciation du processus de traduction littérale systématique, dénonciation en fait de la légitimation de la production massive de calques : kitchen counter à comptoir de cuisine (plutôt que plan de travail), lemonade à limonade (plutôt que citronnade), etc.

dimanche 10 mai 2015

Le québécois standard illustré par l’exemple / 12


« L’ADN jouit d’un statut hors norme dans la pratique, de sorte que, si l’ADN retrouvé sur une scène de crime concorde avec celui d’une personne inscrite dans le fichier, c’est assez difficile d’aller contre », fait remarquer Mme Bourgain, tout en présentant un exemple récent d’assassinat avec cambriolage survenu aux États-Unis qui démontre les dangers d’une telle assomption.
– Pauline Gravel, « Le pouvoir de l’ADN », Le Devoir, 9-10 mai 2015


En français, le mot assomption n’a pas le sens d’« hypothèse ». En anglais, assumption signifie « a fact or statement (as a proposition, axiom, postulate, or notion) taken for granted » (Webster en ligne).



mercredi 6 mai 2015

Comment mieux utiliser les exterminologues ?


Je terminais mon dernier billet par ces mots :


À l’heure où l’Office ne parvient pas à faire du français la langue de travail sur le chantier du mégahôpital francophone de Montréal, on peut se demander s’il ne serait pas plus judicieux de réaffecter des ressources humaines à la francisation des entreprises plutôt que d’encourager des terminologues à continuer de jouer les Pénélope qui défont aujourd’hui ce qui a été fait hier.


La curiosité m’a depuis amené à lire le compte rendu de la séance de la Commission de la culture et de l’éducation consacrée à l’étude des crédits des organismes chargés de l’application de la Charte de la langue française (Journal des débats de la Commission de la culture et de l’éducation, 28 avril 2015, version non révisée). On y trouve la réponse à la question que je pose dans le titre de mon billet :

M. Kotto : Mme la Présidente, selon les données aux renseignements particuliers RP6 de 2014‑2015, il y avait huit inspecteurs en 2013. Et on constate que le nombre d'inspecteurs est rendu à quatre pour 2014‑2015. Les inspecteurs ont effectué, en moyenne, 567 inspections chacun dont, grosso modo, ce sont 2 268 inspections qui ont été réalisées. Et ce sont près de 1 000 inspections de moins, de moins l'an dernier où 3 308 inspections avaient été réalisées.
C'est donc dire que les inspections ont diminué. C'est ça, la réalité. Elles ont diminué au tiers, et c'est colossal, surtout quand on considère le fait que les cas de non-respect de la loi 101 se sont accumulés les derniers mois.
Je parlais tout à l'heure du chantier du CHUM, de la Davie pour ne nommer que ceux-là. Alors, est-ce que les diminutions du tiers des inspections et de la moitié des effectifs des inspecteurs est le résultat de l'austérité, disons-le, parce que mal nommer les choses, c'est contribuer au malheur du monde, c'est Camus qui l'a dit ? Est-ce que cette diminution est le résultat de l'austérité ?
[…]
Mme Samson : Merci, Mme la Présidente. Merci, Mme la ministre. J'aimerais renchérir sur une question qu'a posée mon collègue de Bourget sur le nombre d'inspecteurs et les ressources disponibles à l'office pour accomplir son mandat. Il y en avait huit, inspecteurs, en 2013. On tombe à quatre. C'est 50 % des ressources. Je comprends qu'il y a d'autres personnels qui font d'autres travaux et qui font des suivis de dossiers et tout ça, mais il me semble que quatre inspecteurs pour faire respecter la loi 101 partout au Québec, c'est vraiment bien peu et c'est très pauvre.