lundi 30 décembre 2013

Lame de neige


L'accident le plus spectaculaire est survenu en dehors de la route. Vers 12h10, un motoneigiste a heurté une lame de neige dans un sentier situé en parallèle avec l'autoroute 70, près de la rue d'Youville à Jonquière.
Stéphane Bégin, « Conditions extrêmes sur la région », Le Quotidien, 21 janvier 2013


Le Grand Dictionnaire terminologique (GDT) de l’Office québécois de la langue française (OQLF), qui fait la distinction entre le verglas et la glace noire (qui n’est que la traduction littérale de black ice « verglas »), ne traite pas d’un terme pourtant typique de l’hiver québécois, la lame de neige.


La lame de neige est une sorte de coulée de neige poussée par le vent et qui vient couper une voie de circulation. C’est de la neige soufflée en travers de la route, bref une congère qui bloque une voie :


« Elle aurait perdu le contrôle de sa voiture dans une lame de neige, et c'est un conducteur qui arrivait en sens inverse qui l'a frappée », indique Geneviève Bruneau, sergente de la Sûreté du Québec (Héloïse Archambault, « Déjà neuf morts sur les routes», fr.canoe.ca, 28 décembre 2011).
« Pourtant, jusque-là, le chemin était beau. Nous roulions normalement et, comme par surprise, il y avait de la glace et de la poudrerie sur la chaussée. Pas une lame de neige, non. Plutôt une rafale. Le vent s'est mis de la partie, tassant l'autobus d'environ deux pieds vers le fossé, et nous avons versé » (Luce Dallaire, « Accident de Plessisville », Le Soleil, 5 mars 2012).
Un véhicule de type utilitaire sport (VUS) s'est retrouvé les quatre roues en l'air. Le capotage est survenu non loin du Rang 3, à proximité de la Ferme Notre Dame Du Lac. La présence d'une lame de neige pourrait être à l'origine du premier accident (François Drouin, « Mini carambolage à Témiscouata-sur-le-Lac », infodimanche.com, 26 mars 2011).
« Il y avait des lames de neige sur la route. Avec les champs autour de la 137, la neige s'accumulait rapidement. Nous sommes restés pris une première fois, j'ai réussi à sortir, mais la deuxième fois, je ne pouvais plus bouger. […] Le lendemain matin, vers 10 h, M. Thiffeault s'est rendu à son véhicule et a constaté qu'un peu plus loin, il y avait une lame de neige de la hauteur d'une maison (Valérie Mathieu, « J’ai eu la peur de ma vie », L’œil régional, 15 mars 2008).


Lame de neige est vraisemblablement un québécisme formé sur le modèle de lame de mer. C’est un autre exemple de l’influence du vocabulaire maritime dans la langue parlée au Québec. En 1970, Gaston Dulong faisait remarquer que « la langue technique de la marine a largement contribué à la formation de la langue populaire au Canada français grâce surtout au procédé bien connu de l’élargissement sémantique et de la transposition » (« L’influence du vocabulaire maritime sur le franco-canadien », Phonétique et linguistique romanes. Mélanges offerts à M. Georges Straka, Lyon-Strasbourg, Société de linguistique romane, t. 1, p. 338).


dimanche 29 décembre 2013

Clash de normes



Lu ce matin sur le site Atlantico.fr : « Télévision : clash entre Jean-Michel Aphatie et Laurent Ruquier à propos de la nouvelle émission de France 2.– Pas encore diffusée mais déjà attaquée. Alors que France 2 a dévoilé, samedi, quelques détails du concept de l'access prime-time de Laurent Ruquier, l'animateur a d'ores et déjà l'assurance de ne pas compter Jean-Michel Aphatie parmi ses fans. »


Le Grand Dictionnaire terminologique (GDT) a une fiche clash mais dont l’auteur n’est pas l’Office québécois de la langue française (OQLF). Produite par l’Institut supérieur de traducteurs et d’interprètes (de Bruxelles, mais le GDT ne fournit pas cette information), la fiche date de 1980 : « Définition conflit, désaccord violent ». Clash est défini par deux synonymes qu’on pourrait facilement lui substituer. Il n’y a aucune marque normative dans la fiche produite par l’Institut supérieur de traducteurs et d’interprètes et l’équipe du GDT n’en a ajouté aucune.


Le GDT emmagasine des fiches produites par d’autres organismes et, ce faisant, on peut se demander si cela ne se fait pas au détriment de sa politique sur l’emprunt linguistique. En tout état de cause, l’usager ordinaire conclura que le mot clash est accepté par l’Office.


Le GDT a aussi une fiche « incompatibilité de caractères » (anglais : clash of personalities) alors que conflit de personnalités ou choc de personnalités ou encore plus simplement affrontement ou dispute auraient été de meilleurs équivalents.


Quant au terme access prime-time, mentionné aussi dans le texte d’Atlantico.fr, il apparaît dans deux fiches du GDT mais, encore là, dans des fiches produites par d’autres organismes : avant-soirée (Commission générale de terminologie et de néologie de France, 2005) et début de pointe (Radio-Canada, 1993).


Ces exemples montrent que le Grand Dictionnaire terminologique est de moins en moins un dictionnaire et de plus en plus une banque de données terminologiques. Peut-être faudrait-il songer à le rebaptiser.


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Le troisième mot anglais apparaissant dans la citation d’Atlantico.fr a été traité par l’équipe du GDT. L’usage du mot fan, pourtant attesté en français depuis 1923 (selon le TLFi), est déconseillé, on lui préfère partisan. On ajoute la note : « Même si les emprunts à l'anglais fan et supporter, qui ont déjà fait l'objet de critiques, sont aujourd'hui employés en français, ils sont déconseillés puisqu'ils ne comblent aucune lacune terminologique. » Ils ne comblent aucune lacune terminologique. On ne peut que supposer que la même logique se serait appliquée à clash si l’OQLF avait décidé de traiter lui-même le terme.

vendredi 27 décembre 2013

Ville smatte*


Dans la ville durable (smart city), la bibliothèque offre la possibilité de réduire l’impact environnemental en réutilisant le matériel disponible et en en multipliant les usagers.
Caroline Montpetit, « Bibliothèques publiques – Montréal et Vancouver en tête d’un palmarès mondial », Le Devoir, 27 décembre 2013, p. A1


Le Grand Dictionnaire terminologique (GDT) de l’Office québécois de la langue française (OQLF) a bien enregistré le terme ville durable (sustainable city) mais il ne mentionne pas le terme anglais smart city, souvent traduit en français par ville intelligente (terme lui aussi absent du GDT). La question se pose de savoir si l’auteur de l’article du Devoir a bien raison d’indiquer que ville durable est la traduction de smart city, d’autant qu’une recherche rapide sur Internet montre que ce dernier terme est généralement traduit par ville intelligente.


Encore une fois, nous devons avoir recours à Wikipédia pour combler une lacune du GDT : l’encyclopédie en ligne a bien les entrées smart city (ville intelligente) et ville durable (sustainable city). À la lecture des articles, on constate qu’il s’agit bien de deux concepts différents.


On se demande comment l’équipe du GDT a pu passer à côté du néologisme anglais smart city qui est attesté dans cette langue depuis au moins 2009. On le trouve même dans des documents français : le site économique du Grand Lyon annonce que cette ville a élaboré une « stratégie smart city ».


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L’article du Devoir que je cite en exergue rend compte d’une étude sur les bibliothèques publiques dans le monde :


Les chercheurs ont […] évalué distinctement la valeur numérique et la valeur physique des bibliothèques des villes.
 
En évaluant la valeur numérique d’une bibliothèque ou d’un réseau de bibliothèques, les chercheurs se sont demandé si toutes les ressources numériques étaient gratuites, si des guides permettaient l’exploration de la bibliothèque numérique, si la bibliothèque utilisait les réseaux sociaux (Facebook, Twitter, etc.), et quelles étaient les applications mobiles qu’elle fournissait à ses membres.
 
Quant à la valeur physique de la bibliothèque, elle était déterminée entre autres par la qualité architecturale de ses édifices, par la diversité et la beauté de ses espaces, par la possibilité d’y boire et d’y manger, l’utilisation d’identifications par radiofréquence (RFID), qui permet de localiser un objet, la possibilité de remettre les documents dans plusieurs endroits, l’accès à un réseau Wi-Fi, et les activités de promotion.


Si le compte rendu est fidèle, les chercheurs de cette étude n’auraient pas pris comme critère dans leur évaluation le nombre de livres dans les bibliothèques. Curieux, n’est-ce pas ?


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* Pour les lecteurs étrangers, cliquer ici pour avoir des explications sur les sens du mot smatte en québécois.


dimanche 22 décembre 2013

Chichi


石室詩士施氏, 嗜獅, 誓食十獅
Shíshì shīshì Shī Shì, shì shī, shì shí shí shī
« Dans un repaire de pierre se trouvait le poète Shi, qui aimait manger des lions, et décida d'en manger dix » (célèbre virelangue chinois dont l’auteur est le poète Chao Yuen Ren)


Parmi les actualités de la page d’accueil de l’Office québécois de la langue française (OQLF) du mois de décembre 2013, on trouve une chronique sur les virelangues (« Des virelangues pour les fêtes »). J’ai consulté la fiche virelangue du Grand Dictionnaire terminologique (GDT). Aucune mention du fait que le mot est un calque de l’anglais tongue twister. Encore une fois, force est de constater que Wikipédia permet de compléter les lacunes du GDT : « Le mot virelangue est un néologisme et un calque du mot anglais tongue twister (« qui fait tordre la langue ») ». C’est bien la peine d’avoir une politique de l’emprunt si on n’est pas capable de voir un calque lorsqu’on en rencontre un.



dimanche 8 décembre 2013

Surfer sur la québécitude

Édition électronique du 7 décembre 2013

Hier et aujourd’hui, aux infos de Radio-Canada, j’entends parler de Dominique Maltais et de la Coupe du monde de surf des neiges. Sport que le Grand Dictionnaire terminologique (GDT) de l’Office québécois de la langue française (OQLF) s’obstine à appeler planche à neige tout en reconnaissant que ce n’est pas là l’usage international. Est-ce à dire que le mot surf dérange à ce point ? Non, puisque le GDT a une fiche surf de voiture sans proposition pour y remplacer le mot surf. Alors pourquoi ne pas mettre en entrée principale le terme surf des neiges comme équivalent de l’anglais snowboarding ?


C’est surf des neiges que j’ai trouvé dans La Presse, même si la compétition à laquelle prenait part Dominique Maltais y est appelée snowboardcross : « La Québécoise Dominique Maltais a qualifié sa deuxième position samedi dans le cadre d'une compétition de Coupe du monde de surf des neiges, à Montafon, en Autriche, de ‘scénario idéal’ puisque ce résultat la force à poursuivre son travail acharné dans l'espoir de décrocher l'or aux Jeux olympiques de Sotchi en février. L'athlète de Petite-Rivière-Saint-François, dans Charlevoix, s'est inclinée devant la Tchèque Eva Samkova en snowboardcross » (La Presse, 7 décembre 2013). Le terme surf des neiges est bien présent dans les médias québécois.


C’est surf des neiges qu’on trouve sur le site officiel de l’équipe olympique du Canada. Mais ce sport est régi au Canada par un organisme qui s’appelle… Fédération canadienne de Snowboard. C’est d’ailleurs snowboard que j’ai trouvé dans le journal français L’Équipe.


Dans la fiche planche à neige, le GDT « géolocalise » le terme en ajoutant la marque « Canada ». Mais rien de tel dans la fiche épreuve de cross en planche à neige. Encore un manque de systématicité. Au fait, peut-on m’expliquer pourquoi le GDT qui, désormais, assume sa québécitude, continue d’avoir recours à la marque « Canada » ?


lundi 25 novembre 2013

Mots nouveaux, maux anciens


Finalement, le narcissisme s’est assez bien porté cette année. Le doute éventuel a été balayé la semaine dernière par l’Oxford Dictionary, qui a élu le mot selfie, dans la langue de Rob Ford, mot de l’année 2013. Un selfie, c’est une photo de soi, un fragment de quotidien dont on est le nombril, immortalisé à bout de bras par l’entremise d’un téléphone dit intelligent pour être partagé frénétiquement sur les réseaux sociaux afin de se montrer et surtout d’affirmer que l’on existe. L’autoportrait vole au ras des narcisses, à défaut de pâquerettes. En français, on peut donc facilement traduire selfie par « egoportrait ».
[…]
La concurrence linguistique était serrée dans les coulisses du Oxford Dictionary, où selfie a ravi le titre de « mot de l’année » à schmeat, néologisme inventé pour qualifier la viande synthétique, ou encore twerk, cette danse vulgairement suggestive popularisée entre autres par la chanteuse décadente et provocante Miley Cyrus.

Fabien Deglise, « Les gros mots », Le Devoir, 25 novembre 2013


Trois mots anglais nouveaux – selfie, schmeat et twerk –, trois mots qui ne sont pas traités dans le Grand Dictionnaire terminologique (GDT) de l’Office québécois de la langue française (OQLF). Il fut un temps (dans les années 1970 et 1980) où l’Office avait une équipe spécialisée en néologie : son mandat était de débusquer les néologismes dans les journaux et magazines de langue anglaise et de leur trouver le plus rapidement possible des équivalents français. C’était au siècle dernier, l’Office n’avait pas encore choisi d’« assumer sa québécitude » comme on dit maintenant. Y en a-t-il encore aujourd’hui qui croient vraiment que l’Office nous aide à dénommer rapidement en français les réalités nouvelles ?


Quant à elle, la banque de données terminologiques Termium du gouvernement du Canada a déjà traité les mots selfie (équivalents français : égoportrait, autoportrait, autophoto) et twerk (emprunt accepté tel quel). Le mot schmeat n’y est pas encore. Deux sur trois, on doit considérer que c’est un score honorable en néologie (les trois mots anglais ne se sont popularisés en effet qu’en 2013 même si les lexicographes du Oxford English Dictionary ont trouvé une première attestation de selfie en 2002 en Australie).


Ajoutons pour terminer que le schmeat, qui est de la viande produite in vitro, a été aussi appelé frankenburger (Le Soleil, 5 août 2013 ; Le Devoir, 20 août 2013) et même burger éprouvette (Le Monde, 30 juillet 2013). Il est vrai que, compte tenu de son prix élevé de production, la consommation de ce produit n’est pas près de se généraliser et que l’OQLF aura bien le temps de lui trouver un équivalent français – si les terminologues fédéraux de Termium ne lui dament pas le pion.



vendredi 22 novembre 2013

L’abondance de la rareté


Dans mon billet du 12 décembre 2011, j’avais noté la formulation curieuse de la définition du mot savane dans le Grand Dictionnaire terminologique (GDT) de l’Office québécois de la langue française (OQLF) : « terrain bas, parfois marécageux, caractérisé par l'abondance des mousses et de [sic] la rareté des arbres ». L’abondance… de la rareté des arbres… La fiche savane (domaine : géographie) offre une formulation correcte mais pas la fiche savane (domaine : géologie) :




Ce manque de systématicité dans le travail est tout de même inquiétant. Il aurait pourtant suffi d’un simple copier-coller. Mais il est encore plus inquiétant de constater que, deux ans plus tard, la fiche n'a toujours pas été corrigée.



jeudi 21 novembre 2013

De la vermine


Cet automne, en plus des punaises et d’interventions locales de l’exterminateur, tout le 4e étage des résidences de l’ouest, rue Saint-Urbain, a dû être traité pour infestations de coquerelles.
[…]
Sur le site de l’Université Laval, les résidents sont informés de la procédure à suivre dès qu’ils remarquent des insectes « qui causent des problèmes », soit les « poissons d’argent, les blattes et les punaises de lit ».
Lisa-Marie Gervais, « Résidences universitaires – des invités indésirables », Le Devoir, 21 novembre 2013


Le Grand Dictionnaire terminologique de l’Office québécois de la langue française nous informe que coquerelle est un mot de la langue courante au Canada. Je pose la question une nouvelle fois encore : que vient faire la langue courante dans un dictionnaire terminologique ? Je reviendrai sur la question dans un prochain billet où je montrerai que la pratique du GDT contredit la théorie qu’il professe.


Dans l’extrait de l’article du Devoir, on trouve aussi le terme poisson d’argent, fort répandu au Québec. Le Trésor de la langue française informatisé (TLFi) nous apprend que poisson d’argent est synonyme de lépisme (tout court). Ce dernier mot n’apparaît dans le GDT que dans l’expression lépisme argenté. La fiche du GDT, datée de 1985, n’a pas été rédigée par un terminologue de l’Office mais provient de la Société de protection des plantes du Québec. On peut se demander si le bon usage en français ne consiste pas à employer lépisme (tout court) mais le GDT ne répond pas à cette question.


lundi 21 octobre 2013

Dendrologie québécoise


Au milieu du XIXe siècle, en partie sous l’influence des travaux de Darwin (en partie seulement, car certains de ses articles sont antérieurs à l’Origine des espèces), le linguiste August Schleicher a émis une théorie (Stammbaumtheorie, théorie de l’arbre généalogique) selon laquelle l’évolution des langues est analogue à celle des espèces. Schleicher représente l’évolution des langues indo-européennes sous la forme d’un arbre généalogique :

Selon cette théorie, le tronc de l’arbre représente l’indo-européen. Il se sépare, en une première ramification, en cinq branches principales, représentant les langues slaves, latines, germaniques, celtes et helléniques. Chacune de ces branches se sépare, en une deuxième ramification, en plusieurs branches secondaires, représentant par exemple, pour s’en tenir à la branche principale des langues latines, les branches secondaires de l’espagnol, du portugais, du catalan, de l’occitan, du français, de l’italien et du roumain. En poursuivant l’image, on peut ajouter une troisième ramification, représentant, pour s’en tenir à la branche secondaire du français, les rameaux du français de France, de celui du Québec, de celui de Belgique, etc. (Lionel Meney, « Idée reçue : les langues sont des organismes vivants »)


On voit un exemple poussé à l’extrême de la théorie généalogique dans l’illustration suivante tirée du livre de Leigh Oakes et Jane Warren, Langue, citoyenneté et identité au Québec, PUL, 2009, p. 143 :




Cette arborescence présente une première incohérence de taille : le rameau « français du Canada ». Le français du Québec et le français acadien constituent deux rameaux distincts qui ne peuvent pas être subsumés sous un mythique français du Canada qui ne peut exister que dans les fantasmes de l’auteur de ce schéma car il contredit tout ce que nous enseigne l’histoire du français en Amérique.


Il en va de même pour le français d’Europe qui n’existe pas encore même si les barrières d’accent et les barrières lexicales tendent à disparaître de plus en plus. En tout état de cause, ce n’est pas le français de Bruxelles ni celui de Genève qui est la base du standard vers lequel convergent les variétés actuelles (régionales, sociales) du français en Europe.


L’illustration, en utilisant les branches « français du Canada » et « français d’Europe », mélange de façon maladroite considérations phylogéniques et considérations politiques.


Encore plus curieuse est la séparation que l’illustration établit en Beauce entre le français de Saint-Georges et celui de Saint-Joseph. On peut s’interroger sur les données scientifiques qui justifient pareille dichotomie : à ma connaissance, il n’y en a pas. La sociolinguistique permet bien au contraire de postuler qu’il pourrait y avoir plus de points communs entre, par exemple, la langue du personnel médical (médecins, dentistes, infirmières) de Saint-Georges et celle du personnel médical de Saint-Joseph qu’entre la langue du personnel de santé de Saint-Georges et celle des prolétaires (ouvriers, assistés sociaux) de cette même ville de Saint-Georges. En outre, nous ne sommes plus au Moyen Âge, on se déplace facilement entre Saint-Georges et Saint-Joseph, on y reçoit, lit, entend et regarde les médias basés à Montréal et à Québec, voire en Europe. Il arrive même que des migrants d’ailleurs au Québec et d’ailleurs dans le monde s’y établissent ! Il se trouve aussi que des personnes habitant Saint-Joseph travaillent à Saint-Georges et vice-versa. Il est contre-intuitif de séparer ces deux localités comme s’il s’agissait de deux ghettos ou de deux vases ne communiquant pas entre eux.


Le modèle utilisé dans le livre d’Oakes et Warren, celui de l’arbre généalogique, est utile en linguistique historique car il a permis des hypothèses sur la préhistoire des langues qui se sont révélées fructueuses. Il peut à la rigueur aider à expliquer la situation linguistique de la France (et d’autres pays) avant la Révolution industrielle et avant l’essor des moyens de communication depuis le XIXe siècle (au premier titre le chemin de fer ; puis le cinéma parlant, la radio et la télévision). Mais même au Moyen Âge les dialectes ne pouvaient pas se couper au couteau, il y avait des chevauchements d’un village à l’autre, il y avait des emprunts de sons (phonèmes) et de mots entre localités voisines, la langue parlée dans les villes avait une influence sur celle parlée aux alentours et réciproquement, et Anthony Lodge[1] a montré que même le français parisien s’est enrichi depuis l’époque médiévale de traits provenant au début de parlers voisins mais ensuite de parlers de plus en plus éloignés de la capitale, allant jusqu’à l’Auvergne et à la Bretagne au moment de la Révolution industrielle.


Déjà dans la seconde moitié du XIXe siècle, on s’était rendu compte des limites de la Stammbaumtheorie, de la théorie généalogique, en particulier lorsqu’on l’appliquait à la France du Moyen Âge ou au domaine linguistique allemand. Car on avait bien vu qu’il est difficile d’établir des séparations claires entre les dialectes : les variétés dialectales constituent des collections de traits dont certains qui peuvent ou non être communs entre des dialectes voisins. En d’autres termes, il n’y a pas un ensemble de traits qui ne seraient propres qu’à une variété, il y a toujours des traits qui sont partagés avec des dialectes contigus et d’autres qui ne le sont pas. Or, la théorie de Schleicher suppose des variétés de langue bien définies et stables, absentes de contaminations par d’autres parlers. En particulier, elle ne rend pas compte des continuums linguistiques, c’est-à-dire de la variation progressive lorsqu’on passe d’un village à l’autre, en Allemagne par exemple : l’intercompréhension est toujours possible entre villages rapprochés quand on n’emploie que le dialecte mais elle diminue au fur et à mesure que les distances augmentent.


Les insuffisances de la théorie généalogique ont poussé les linguistes à proposer une nouvelle théorie pour en combler les lacunes. La théorie des ondes (Wellentheorie) énoncée en 1872 par Johannes Schmidt[2] explique que les innovations linguistiques se diffusent dans les dialectes sous forme d’ondes circulaires et concentriques comme des ronds dans l’eau. Le modèle postule donc que les innovations se répandent comme des vagues à partir d’un centre.


Il est incroyable que l’on présente sans nuance dans un livre publié au XXIe siècle un modèle théorique dont on avait perçu les insuffisances un siècle et demi plus tôt. Leigh Oakes et Jane Warren vont même jusqu’à affirmer que l’arborescence sur laquelle ils s’appuient (cf. illustration ci-dessus) « est à plusieurs égards une représentation exacte de la réalité actuelle. Il [le modèle] établit une hiérarchie montrant clairement la position sociale des diverses variétés géographiques du français les unes par rapport aux autres, ainsi que les rapports de pouvoir qui existent entre elles […]» (p. 142).


Il est sidérant de parler de la « position sociale » des variétés de français et des « rapports de pouvoir » entre elles en ne prenant en considération que la variation géographique sans même faire mention des sociolectes (dialectes sociaux : parler d’un groupe social, celui des jeunes par exemple, ou parler d’une classe sociale).



De plus, l’arborescence que je critique et dont on nous dit qu’elle est une « représentation exacte de la réalité actuelle » met sur le même pied français de France d’une part et français de Belgique et français de Suisse d’autre part : ce qui occulte une réalité de taille – le fait que c’est le français de France, en particulier celui de Paris, qui est hégémonique depuis des siècles. Parallèlement, on voit que, dans l’arborescence, français du Québec et français d’Acadie sont sur le même pied, ce qui occulte les relations de pouvoir qui existent entre ces deux variétés : la concentration des médias (radio et télévision) à Montréal fait que c’est le modèle linguistique des médias montréalais qui influence le français acadien, comme me l’ont déjà affirmé des linguistes du Nouveau-Brunswick qui ont noté l’apparition chez les jeunes de traits linguistiques québécois qui étaient auparavant inconnus du parler acadien comme l’affrication (prononcer dzire pour dire) et la diphtongaison (mon paère au lieu de mon péére).


Contrairement à l’affirmation des auteurs, le modèle décrit par l’arborescence ne rend pas compte du tout de « la position sociale des diverses variétés géographiques du français les unes par rapport aux autres, ainsi que les rapports de pouvoir qui existent entre elles ». Bien au contraire, ce modèle a plutôt pour effet d’occulter les rapports de pouvoir.


L’endogénisme est décidément un recul sur le plan de la science.




[1] A Sociolinguistic History of Parisian French, 2004.
[2] Die Verwandtschaftsverhältnisse der indogermanischen Sprachen ; Hugo Schuchardt a aussi contribué au développement de ce modèle.

dimanche 20 octobre 2013

De déictique à article



Dans mon billet précédent, j’ai mentionné le tic langagier d’un chef d’antenne de Radio-Canada qui utilise couramment le démonstratif ce/cet/cette à la place du simple article défini. C’est ce qu’on appelle un idiotisme (au sens de « mot, expression propre à une personne, à un groupe » et non au sens vieilli d’idiotie). Chez cette personne, le démonstratif a presque totalement perdu son sens déictique (« qui sert à désigner », du grec δείκνυμι, montrer), sa fonction se rapproche de celle d’un article. Mais ce qui a l’air aujourd’hui d’un idiotisme ne fait que répéter une évolution qui s’est déjà produite dans l’histoire du français puisque notre article le vient du démonstratif latin ille (à l’accusatif).


La linguistique historique montre que la même évolution s’est aussi produite dans l’histoire du grec puisque l’article de cette langue, ὁ, ἡ, τ, vient d’un ancien démonstratif dont le sens déictique est toujours perceptible dans certains passages d’Homère (Pierre Chantraine, Morphologie historique du grec, 2e édition, Paris, Klincksieck, p. 124).


Même si le passage de démonstratif à article n’est pas une nouveauté du point de vue de la linguistique historique, il n’en demeure pas moins que dans le cas qui nous occupe cette évolution est sûrement induite par l’anglais.


samedi 19 octobre 2013

Un nouveau Lazare ?


Le québécois standard, langue calque / 6


J’ai déjà écrit une série de billets portant sur les calques dans ce que l’on appelle diversement le québécois standard ou le français standard en usage au Québec (pour lire le premier de ces billets, cliquer ici). J’ai attiré notamment l’attention sur la sur-utilisation du démonstratif ce/cet/cette à l’imitation de ce qui se fait en anglais (voir « Le québécois standard,langue calque / 4»).


Il y a un chef d’antenne de Radio-Canada chez qui cet emploi du démonstratif est devenu un tic des plus agaçants. Récemment, lors de la mort du financier Paul Desmarais, on a pu l’entendre ouvrir son émission en annonçant qu’elle serait consacrée à « ce décès de Paul Desmarais » plutôt qu'au décès de Paul Desmarais. Comme si Paul Desmarais était mort plus d’une fois et que l’émission serait consacrée en particulier à son dernier décès… À ma connaissance, dans l’histoire de l’humanité il n’y a que Lazare qui soit mort, ressuscité puis remort.


Pour qui veut bien se donner la peine de considérer les faits sans parti pris, il saute aux yeux que les particularités de ce que l’école endogéniste veut appeler la langue québécoise standard résultent souvent d’interférences de l’anglais.



jeudi 10 octobre 2013

L’art de se tirer dans le pied


L’orientation de l’usage représente la raison d’être de l’Office [québécois de la langue française]. La production et la diffusion du GDT [Grand Dictionnaire terminologique] constituent une intervention par un organisme de l’État sur la composante lexicale de la langue.
– Guide méthodologique du Grand Dictionnaire terminologique


Au cours de mes recherches récentes, je suis tombé sur cette note de la fiche chaussée désignée (fiche de 2013) du Grand Dictionnaire terminologique de l'Office québécois de la langue française :

« Le terme chaussée désignée est un calque de l'anglais dont l'usage est généralisé et légitimé en français du Québec depuis de nombreuses années. »


Deux remarques sur cette phrase.


La première porte sur le calque. N’en faisons pas tout un plat. Le calque est un vieux procédé d’enrichissement lexical présent (sans doute) dans toutes les langues. Quand on refuse un calque au nom de la qualité de la langue, on oublie que le mot qualité lui-même est issu d’un calque créé par Cicéron (voir mon billet « Réflexions sur l’emprunt et en particulier sur le calque »).


Plus intéressante est la notion que le calque en question (chaussée désignée) est « légitimé ». Ce point mérite d’être développé davantage que le premier.


La fiche du GDT se contente d’affirmer que le calque est légitimé sans que ce participe passé soit suivi d'un complément d'agent (un lapsus digiti m’a d’abord fait écrire claque, dont le sens argotique a au moins le mérite de montrer ce qu’est devenu le GDT depuis plus de dix ans). Or, en lexicographie (car on fait de moins en moins de terminologie et de plus en plus de lexicographie à l’Office), quand on utilise le participe passé légitimé, on le fait habituellement suivre des mots « par l’usage », ce qu’omet pudiquement (ou prudemment) de faire le rédacteur de la fiche. Légitimé par l’usage : on est ainsi rendu au bout de la logique lexicographique, tout à faire contraire au mandat même de l’Office (« L’orientation de l’usage représente la raison d’être de l’Office »). Le GDT n’a plus qu’à enregistrer les milliers de calques légitimés par l’usage parce qu’ils sont employés depuis longtemps dans des textes de lois, dans des directives administratives, dans les interventions des personnes légitimement élues à l’Assemble nationale, dans des circonstances « formelles » (formal) comme la lecture des informations à la radio et à la télévision, dans la presse, etc. Rien que dans le domaine du droit, ils sont quelques centaines à en juger par la liste dressée par Wallace Schwab. Mais est-ce le rôle du GDT ? À partir du moment où le GDT ne remplit plus son mandat d’orienter l’usage, il n’a plus sa raison d’être, c’est écrit noir sur blanc dans son guide méthodologique : « L’orientation de l’usage représente la raison d’être de l’Office ». Dans les autres pays, y compris les pays francophones, on laisse le soin d’enregistrer les usages aux dictionnaires produits par des éditeurs privés.


mardi 1 octobre 2013

Le vaudeville du boulevard, quatrième acte



Ce qui me choque le plus, c'est qu'ils ne pas capables de travailler de façon systématique en étudiant les notions entres elles, même à l'intérieur d'une toute petite nomenclature. Pas capables de voir la relation entre le corridor cyclable et leur vélorue. Tout ça parce que les principes de la recherche terminologique, on s'en fout.
– Témoignage d’une personne qui a travaillé comme terminologue à l’Office québécois de la langue française


Je continue mes commentaires sur la fiche vélorue du Grand Dictionnaire terminologique (GDT) de l’Office de la langue française et sur le vocabulaire À vos vélo ! en ligne sur le site de l’Office.


Rappelons qu’en 2011 le Grand Dictionnaire terminologique affirmait :

Les calques de l'anglais vélo boulevard et boulevard vélo (de bicycle boulevard) sont à déconseiller. Vélo boulevard ne respecte pas le mode de composition en français où, généralement, c'est le nom qui suit qui détermine le nom qui précède.


La même année, 2011, la commission générale de terminologie et de néologie de France officialisait le terme véloroute qui, lui non plus, « ne respecte pas le mode de composition en français où, généralement, c'est le nom qui suit qui détermine le nom qui précède ». Ce terme sera pourtant repris par le GDT en 2013 avec la remarque : « Le terme véloroute a déjà été critiqué, mais il est dorénavant considéré comme correct. »


On pourrait croire que le mode de composition qui condamnait le terme vélo boulevard est dorénavant accepté par l’Office. Sauf que…


Sauf que, dans le vocabulaire À vos vélo !, on trouve la forme corridor-vélo qui, lui, respecte « le mode de composition en français où, généralement, c'est le nom qui suit qui détermine le nom qui précède ».


Il y a dans tout cela un manque de systématicité qui non seulement est navrant mais qui est contraire à l’esprit même de l’activité terminologique. Ce manque de systématicité se manifeste aussi dans le fait que les définitions ne précisent pas clairement ce qui différencie la vélorue du corridor-vélo (appelé aussi corridor cyclable).


Même à l’intérieur d’une toute petite nomenclature, on s’est révélé incapable de distinguer clairement les concepts entre eux. On ne fait même pas de renvoi d’une fiche à l’autre. Et pour cause : l’usager ne s’y retrouverait plus.


La recherche terminologique est l’étude systématique des termes d’un domaine. En bonne méthode, on doit préciser les concepts du domaine et déterminer les termes qui les désignent. Ce qu’on constate dans les fiches dont j’ai traité, c’est l’atomisation de la recherche, aucun lien n’étant fait entre les concepts. D’ailleurs, y a-t-il bien deux concepts différents dans le cas qui nous occupe aujourd’hui ? Vélorue (« …suite de rues… ») et corridor-vélo (corridor cyclable), n’est-ce pas la même chose ?


Encore une fois, on voit que les anciens terminologues de l’Office québécois de la langue française ont eu raison d’attirer l’attention sur les dérives de la recherche terminologique à l’Office depuis plus d’une dizaine d’années.


jeudi 19 septembre 2013

Le vaudeville du boulevard, troisième acte



La ville de Québec n’a finalement pas attendu la décision de l’Office québécois de la langue française pour trouver une solution – en apparence – acceptable et intelligente pour traduire l’anglais « bike boulevard » : corridor cyclable.


Le bike boulevard de Québec est un parcours cyclable composé de plusieurs rues cyclables :

·         entre l’Université Laval et l'avenue De Bourlamaque :
o    les rues de la Somme, Rochette et Hélène-Boullé;
o    la rue Raymond-Casgrain;
o    la rue De Callières;
o    une piste cyclable contournerait la propriété du collège Saint-Charles-Garnier;
o    la rue Père-Marquette.
·         entre l’avenue De Bourlamaque et la colline Parlementaire :
o    au nord les rues Dumont, Lockwell et Turnbull pour rejoindre le quartier Saint-Jean-Baptiste;
o    au sud les rues Fraser, de Maisonneuve, Turnbull et Saint-Amable pour rejoindre la colline Parlementaire.


 
Source: Ville de Québec



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Pour déterminer d’où peut bien venir l’expression corridor cyclable utilisée au Québec, et notamment par la ville de Québec, commençons par étudier les sens du mot corridor en anglais.


Dans les Oxford Dictionaries en ligne, on trouve les définitions suivantes de corridor :

– a long passage in a building from which doors lead into rooms: his room lay at the very end of the corridor
– British a passage along the side of some railway carriages, from which doors lead into compartments: even on long journeys early trains had no corridors
– a belt of land linking two other areas or following a road or river:the security forces established corridors for humanitarian supplies


Le Collins en ligne offre une série plus complète de définitions :

1.    a hallway or passage connecting parts of a building
2.    a strip of land or airspace along the route of a road or river  the M1 corridor
3.    a strip of land or airspace that affords access, either from a landlocked country to the sea (such as the Polish corridor, 1919-39, which divided Germany) or from a state to an exclave (such as the Berlin corridor, 1945–90, which passed through the former East Germany)
4.    a passageway connecting the compartments of a railway coach
5.    See corridors of power
6.    a flight path that affords safe access for intruding aircraft
7.    the path that a spacecraft must follow when re-entering the atmosphere, above which lift is insufficient and below which heating effects are excessive


Voici les définitions de corridor dans le Webster:

1
a :  a passageway (as in a hotel or office building) into which compartments or rooms open
b :  a place or position in which especially political power is wielded through discussion and deal-making <was excluded from the corridors of power after losing the election>
2
:  a usually narrow passageway or route: as
a :  a narrow strip of land through foreign-held territory
b :  a restricted lane for air traffic
c :  a land path used by migrating animals
3
a :  a densely populated strip of land including two or more major cities <the Northeast corridor stretching from Washington into New England — S. D. Browne>
b :  an area or stretch of land identified by a specific common characteristic or purpose <a corridor of liberalism> <the city's industrial corridor>


Si on compare ces définitions à celles que donne le Trésor de la langue française informatisé (TLFi), on voit que le sens « an area or stretch of land identified by a specific common characteristic or purpose » ne s’y trouve pas, mais le sens 4b s'en approche :

A. http://atilf.atilf.fr/dendien/ima/tlfiv4/tiret.gif 1. Passage plus ou moins étroit, mais plus long que large, qui, dans une habitation, donne accès, de plain-pied, à une partie de l'édifice, le plus souvent à une pièce ou à plusieurs pièces qui s'ouvrent sur lui.
2. Au fig., usuel. Moyen d'accès à quelque chose.
3. Argot
a) Gossier.
b) Bouche.
B. http://atilf.atilf.fr/dendien/ima/tlfiv4/tiret.gif Emplois spéc. [P. anal. de forme et/ou de fonction]
1. FORTIF. Chemin couvert.
2. MAR. Galerie de l'entrepont.
3. THÉÂTRE. Passerelle de service, à droite ou à gauche des cintres.
4. GÉOGR
a) Passage étroit déterminé par un accident de terrain. Synon. couloir.
b) Bande de territoire qui sert de dégagement à une enclave, territoire qui sert de lieu de passage. Corridor polonais. Synon. couloir de Dantzig
http://atilf.atilf.fr/dendien/ima/tlfiv4/tiretgras.gifP. ext., ASTRONAUT. Corridor de lancement.


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Même si je ne l’ai pas trouvée dans des dictionnaires comme le Webster ou l’Oxford, l’expression bike corridor s’utilise couramment en anglais, par exemple à Édimbourg :

Edinburgh's first Quality Bike Corridor runs from the King's Buildings Campus in South Edinburgh to George IV Bridge in the city centre. 
In 2012 the Council upgraded the 3km route, popular with students and commuters, by providing new or enhanced bus and cycle lanes, changes to the parking and loading restrictions, and route signage.
The measures outlined aim to:
·         improve the safety and attractiveness of the corridor for cyclists
·         improve bus priority
·         address demand for kerbside parking and loading



L’expression est attestée aussi aux États-Unis:

A paving project in downtown Chattanooga has added benefits for bicyclists: a new bike corridor is being created from 20th Street to Riverfront Parkway along Chestnut Street.


Et au Canada anglais :

To help save the planet, Toronto should have more pedestrian-friendly traffic signals, a new east-west bike corridor, and more commuter parking lots near transit stations, says a city staff report (TheStar, 28 septembre 2007).


Surprise ! Le Grand Dictionnaire terminologique (GDT) de l’Office québécois de la langue française a une fiche sur bike corridor, traduit par... corridor-vélo (en entrée principale), synonyme corridor cyclable, synonymes anglais : bicycle corridor, cycling corridor. Aucun renvoi à bike boulevard ni à la fiche vélorue.


Voici la définition de corridor-vélo dans le GDT :

Ensemble de voies cyclables constituant un trajet le plus continu et direct possible, qui permet de traverser un quartier ou une agglomération de façon plus sécuritaire que sur les artères environnantes.


Avec cette note :

Le corridor-vélo peut être composé de différents types de voies cyclables telles que des bandes cyclables, des pistes cyclables sur rue ou en site propre, des chaussées désignées et des vélorues.



On se demande bien pourquoi, si le GDT propose vélorue, on a corridor-vélo plutôt que vélocorridor


Et comme la ville de Québec appelle maintenant son « vélo boulevard » un corridor cyclable, on ne voit pas très bien pourquoi l’Office fait une distinction entre vélorue (définie comme… « une suite de rues… ») et corridor-vélo (« ensemble de voies cyclables »). Le vélo boulevard de Québec, maintenant appelé corridor cyclable, est un parcours cyclable composé de plusieurs rues cyclables toutes situées dans le même axe (pourquoi d’ailleurs ne pas parler tout simplement d’axe cyclable ?).


L’emploi du mot corridor dans l’expression corridor cyclable pourrait-il être dû à une influence de l’anglais ? C’est possible et même probable.


Le seul sens attesté en français qui se rapproche du sens qui est donné à ce mot au Québec est le suivant : « Bande de territoire qui sert de dégagement à une enclave, territoire qui sert de lieu de passage. Corridor polonais. Synon. couloir de Dantzig » (à comparer avec les définitions anglaises données plus haut).


La recherche sur Internet montre que le terme corridor cyclable ne semble pas usité hors du Québec. Un québécisme donc qui a échappé aux rédacteurs du GDT (d’où l’absence de marque. Laquelle, d’ailleurs ? Québec ou Canada ? On trouve les deux dans le GDT).


Ajoutons que le sens récent du mot corridor au Québec est au fait assez près du sens étymologique puisque l’ancien italien corridore (italien moderne corridoio) signifie « lieu où l’on court ».


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Que conclure de tout ceci ? D’abord que, malgré tout, corridor cyclable est sûrement préférable au terme vélorue. Ensuite, que si l’on avait essayé de penser en français plutôt que de s’enfermer dans une logique dictée par l’anglais, on serait arrivé à la conclusion que le bike boulevard (synonyme : bike corridor) est tout simplement un parcours cyclable constitué de plusieurs rues cyclables.