mercredi 28 juillet 2021

Pass, passe ou passeport

Depuis quelques semaines, on parle beaucoup dans les médias français du pass sanitaire. On hésite sur l’orthographe : pass ou passe ? L’Académie française, plus prompte à réagir qu’autrefois, s’est penchée sur la question dans un billet mis en ligne le 1er juillet :

Le nom pass est un anglicisme à proscrire. Il pourrait en français être remplacé par le mot féminin passe, qui peut désigner un permis de passage, un laissez-passer. On lit ainsi dans les Mémoires d’un touriste, de Stendhal (1838) : « Le sous-préfet […] m’a donné une passe pour l’extrême frontière » et dans Le Martyr calviniste, de Balzac (1841) : « Nul ne quitte la ville sans une passe de monsieur de Cypierre, fût-il, comme moi, membre des États. » Ce même nom désigne aussi un titre de circulation gratuit. Dans Passe-temps (1929), Paul Léautaud enviait les « grands auteurs, et riches, qui voyagent en première classe, et sans payer, grâce à des passes de chemin de fer qui leur sont données ». Au Québec, une passe désigne un titre de transport ou une carte d’abonnement*.

Au sens de laissez-passer, la passe, d’emploi un peu désuet, pourrait avantageusement être remplacée par un masculin : le passe, abréviation de « passe-partout ». L’une comme l’autre de ces formes rendraient facilement le sens contenu aujourd’hui dans l’anglicisme pass, et ce, d’autant plus que le verbe to pass est emprunté du français passer ; à peu de frais, le pass sanitaire et le pass culture deviendraient ainsi la ou le passe sanitaire et la ou le passe culture.

 

On ne trouvera pas pass ou pass sanitaire facilement dans le Grand Dictionnaire terminologique (GDT) de l’Office québécois de la langue française (OQLF). Ils figurent pourtant dans la fiche « passeport vaccinal ». C’est que le GDT n’a pas pris la peine d’indexer ces formes dans sa nomenclature.

 

L’Office affirme tout de go : « Le terme passe sanitaire ne s'intègre pas au système linguistique du français d'un point de vue sémantique, le substantif passe n'ayant pas le sens de « laissez-passer » en français. » Ce que contredit carrément le document de l’Académie cité plus haut. Le GDT va même jusqu’à se contredire lui-même puisqu’on lit dans la fiche « carte d’abonnement » : « On peut […] penser à réactiver le terme passe « permis de passer (vieilli), permis de circulation gratuite en chemin de fer » (Grand Robert) (il est vrai que cette fiche n’a pas été produite par l’Office lui-même mais par l’Université du Québec à Rimouski en 1972).

Notons qu’au passage l’Académie se trouve à avaliser un usage québécois : « Au Québec, une passe désigne un titre de transport ou une carte d’abonnement ». Usito est pas mal plus timide : « L'emploi de passe  (peut-être de l'anglais pass; considéré par certains comme archaïque) est critiqué comme synonyme non standard de carte, carte d'abonnement, laissez-passer. »

 

Nos endogénistes sont prompts à critiquer la France et le purisme de l’Académie. Ne leur arrive-t-il pas d’être plus puristes que l’Académie elle-même ?

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* Tout cela provient du Trésor de la langue française informatisé, s.v. passe. On s’étonne que les terminologues de l’OQLF n’aient pas consulté cet ouvrage.

 

dimanche 25 juillet 2021

Smoothie

On m’a signalé il y a quelques jours que la fiche « smoothie » du Grand Dictionnaire terminologique (GDT) de l’Office québécois de la langue française (OQLF) a été modifiée. La modification date de 2017. On trouve trace de l’ancienne position de l’OQLF dans une note de la banque de données terminologiques et linguistiques du gouvernement du Canada Termium Plus (s.v. smoothie) :

 

Selon l'Office québécois de la langue française du Québec, «smoothie» est un mot anglais à proscrire et à remplacer par les termes «yogourt frappé», «lait frappé», «lait frappé au yogourt», «lait fouetté», selon l'ingrédient principal de la boisson. De plus, le terme «frappé» s'utilise uniquement si des glaçons font partie de la recette.

 

Le GDT justifie son revirement par l’argument suivant :

 

Le terme smoothie est acceptable parce qu'il est légitimé en français, notamment au Québec et en France. Il est bien implanté dans l'usage et il est employé en contexte neutre, à l'écrit comme à l'oral, malgré les réticences qui ont été émises à son égard au cours des dernières années.

 

Le mot est acceptable parce qu’il est « légitimé en français ». Par qui ? Le GDT ne nous le dit pas. Supposons que la légitimation se fasse par la présence du mot dans les dictionnaires. Alors le mot deviendrait légitime du simple fait qu’il figure dans le GDT. C’est un argument circulaire, c’est le serpent qui se mord la queue.

 

Supposons plutôt que la légitimation vient de la présence du mot dans des dictionnaires autres que le GDT. En France, smoothie est présent dans le Larousse. Je n’ai pas cherché ailleurs mais disons que cela nous suffira pour affirmer la légitimité du mot en France.

 

La situation se corse lorsque nous consultons les dictionnaires d’ici. La septième édition du Multidictionnaire de la langue française (2021) frappe le mot d’un astérisque, ce qui signifie qu’il s’agit d’une forme fautive. Termium considère que c’est un terme à éviter. Pour sa part, Usito remarque : « L'emploi de smoothie ou de sa variante smoothy, parfois critiqué, n’a pas d’équivalent standard usuel. Le terme frappé aux fruits est surtout employé dans la langue d’affichage ». C’est une acceptation certes, mais plutôt par défaut car on note qu’un autre terme lui est préféré dans l’affichage ; le même dictionnaire a par ailleurs une entrée « frappé, n.m. » (absente du GDT). Et le mot smoothie est absent du Dictionnaire québécois d’aujourd’hui et du Dictionnaire du français Plus. La légitimation québécoise me semble donc plutôt faible.

 

On peut aussi tout simplement estimer que la légitimité vient de l’usage : vox populi, vox Officiii. Alors plus besoin du GDT ! S’il suffit d’enregistrer l’usage, Usito est là pour ça, on l’a déjà payé à même nos impôts, faisons l’économie du GDT.

 

On peut en revanche croire nécessaire d’avoir des avis officiels sur les termes corrects à utiliser dans la langue commerciale. C’est l’un des rôles que l’Office de la langue française a exercés depuis sa création. Et compte tenu de la nature fédérale du Canada, il lui a fallu collaborer avec les organismes du gouvernement canadien pour établir des listes de termes officiels dans différents domaines. L’Office a été membre du Comité intergouvernemental de la terminologie des produits laitiers dont les travaux ont été publiés en 1985 sous le titre Lexique de l’industrie laitière. Je n’ai pas conservé le document mais j’imagine qu’on y trouve le terme smoothie et qu’on le considère comme un terme à éviter (cf. la citation de Termium). Si cela est vrai, ce ne serait pas la première fois qu’un(e) terminologue de l’Office aurait unilatéralement modifié une décision d’un comité intergouvernemental de terminologie (cf. mon billet « Le gâchis de Pénélope »). Pour l'heure, les commerçants font face à des injonctions contradictoires: Termium qui déconseille le terme smoothie, le GDT qui l'encourage.

 

 

Il me reste une contradiction à mettre en évidence. L’OQLF dans sa Politique de l’emprunt linguistique a affirmé, en 2017 (même année que la fiche «smoothie»), que selfie ne s’intègre pas au système linguistique du français (ce qui demeure un mystère pour moi) mais il n’a pas vu le problème d’intégration phonétique que présente le « th » de smoothie. Va-t-on prononcer «smoussi» comme le suggère le Larousse ? Ou «smouti» selon Usito ? Pour une fois qu’un emprunt lexical présente un vrai problème d’intégration, le GDT le passe sous silence.

 

lundi 5 juillet 2021

Feuille de mauvais style

Je lis dans l'appel à communications d’un colloque qui doit se dérouler à Grenoble l’expression «feuille de style». Cette feuille détaille comment présenter les propositions de communication : titre, nombre de pages, mots clés, mise en page, police et mise en forme, références.

 

J’avoue que je trouve très curieuse l’expression «feuille de style». Pour moi, c’est une traduction littérale de l’anglais qui ne veut rien dire en français. Le Grand Dictionnaire terminologique (GDT) de l’Office québécois de la langue française a trois fiches « style sheet » Aucune n’est produite par l’Office et aucune n’a le terme français « feuille de style » :

 


 

De ces fiches, deux concernent le domaine de l’imprimerie. L’équivalent donné par la première, « liste de caractères », n’est d’aucune utilité dans le cas qui nous occupe. La seconde propose « guide d’instructions pour le compositeur », équivalent beaucoup trop long pour être d’un usage pratique. Elle donne comme « terme associé » « protocole de composition », ce qui est déjà meilleur. Pour ma part, je proposerais « protocole de présentation ».

 

J’ai fait une dernière consultation du GDT, cette fois en partant du terme français. Il y a bel et bien une fiche « feuille de style » mais sans équivalent anglais. On peut se demander pourquoi le GDT, dont la mission première est de contribuer à la francisation du Québec, intègre des fiches sans équivalent anglais : de quelle aide peut-il être au traducteur qui n’a pas déjà la réponse ? La fiche a été produite par l’Université Laval en 1988. Elle dit que « feuille de style » est calqué de l’anglais. Aucun effort pour remplacer le calque ni même pour le justifier. Même si le terme anglais « style sheet » apparaît dans la note, on ne peut consulter la fiche à partir de lui.

 

Conclusion : l’équipe du GDT devrait faire le relevé des fiches sans équivalent anglais et les compléter.