lundi 14 janvier 2019

Le gâchis de Pénélope


À plusieurs reprises dans ce blog j’ai parlé de Pénélope à propos de l’Office québécois de la langue française (OQLF) dont, depuis une bonne quinzaine d’années, certains terminologues s’occupent à défaire les travaux de leurs prédécesseurs. J’ajoutais habituellement le commentaire suivant : faire et défaire, c’est toujours travailler. Je suis d’ailleurs revenu sur ce thème dans ma lettre à la ministre Nathalie Roy.


Le billet d’aujourd’hui, où je servirai un exemple du travail de Pénélope, n’est peut-être que le premier d’une série. On verra bien. En tout cas, ce n’est pas la matière qui manque.


Et commençons donc par la fiche « crème-dessert », qui a été refaite en 2014. Le terme avait été normalisé le 25 octobre 1980 puis a été désofficailisé le 15 février 2014. Voici un extrait de la fiche actuelle du Grand Dictionnaire terminologique (GDT) :




On remarquera d’abord la pratique terminologique curieuse, et fortement discutable, de présenter le mot crème, tout court, comme synonyme de crème-dessert.


On notera ensuite que le mot pouding est présenté comme synonyme québécois de crème-dessert. Une fois de plus, l’OQLF fait table rase du travail de ses pionniers en terminologie. L’Office, à la fin des années 1970 et au début des années 1980, était membre du Comité intergouvernemental de la terminologie des produits laitiers*. C’était l’époque où les petits Simard (René et Nathalie) faisaient la promotion des petits poudings Laura Secord (qui étaient en fait des crèmes-dessert). Le Comité a défini crème-dessert et a exclu le synonyme pouding précisément pour contrer l’usage qui était fait de ce mot dans l’étiquetage et la publicité.



On trouve encore une trace de la décision du Comité intergouvernemental de la terminologie des produits laitiers dans la banque de données Termium (Ottawa) :



C’est que le mot pouding (ou pudding), entré en français depuis belle lurette (xviie siècle!), désigne un entremets différent de la crème-dessert. Voici comment le Trésor de la langue française définit pudding :

PUDDING, subst. masc.
GASTRONOMIE
A. http://stella.atilf.fr/dendien/ima/tlfiv4/tiret.gif Entremets à base de mie de pain, de farine, d'œufs, de moelle de bœuf et de raisins de Corinthe, souvent parfumé avec de l'eau-de-vie, que l'on sert traditionnellement à Noël en Grande-Bretagne. Les domestiques avaient eu soin de préparer ce repas de Noël d'après les rites du pays, avec les bougies allumées, le pudding traditionnel, les branches de gui et de houx emmêlées (BOURGET, Actes suivent, 1926, p. 33). On croit qu'il suffit de quelques insolences bien choisies pour leur verser du feu dans les veines et les faire flamber comme des puddings de Noël (GREEN, Moïra, 1950, p. 218).
[…]
B. http://stella.atilf.fr/dendien/ima/tlfiv4/tiret.gif P. ext. , Toute préparation molle où il entre de la farine, cuite à l'eau ou à la vapeur, typique de la cuisine anglaise (REY-GAGNON Anglic. 1980). Pudding aux framboises, aux fraises; pudding instantané; pudding yorkshire.


Le dictionnaire de l’Académie française, dans sa 9e édition, donne la définition suivante :

XVIIe siècle. Emprunté de l'anglais pudding, qui a d'abord désigné une sorte de boudin, lui-même dérivé, par l'intermédiaire du moyen anglais poding, « saucisse », de l'ancien anglais puduc, « égratignure, plaie ». CUIS.Dessert anglais à la consistance très compacte, où il entre des biscuits, du pain de mie ou des féculents agrémentés de fruits secs et liés par des œufs ou de la crème. En composition. Plum-pudding, voir ce mot. • Par ext. En France, désigne aussi un gâteau grossier préparé par les boulangers à partir de pain et de gâteaux rassis. • (On écrit aussi Pouding.)


Une fiche du GDT, rédigée à l’époque où on savait encore faire de la terminologie à l’OQLF, va dans le même sens :

Définition
Apprêt culinaire fait de pâte (de type gâteau, ou bien composée de biscuits, de pain, de biscottes); il relève donc de la pâtisserie. Le pouding est toujours cuit ou pris au four. Il se consomme généralement chaud ou tiède, le plus souvent nappé d'une sauce.  
Note
Les poudings les plus connus au Québec sont le pouding du chômeur, le pouding aux pommes, le pouding aux bleuets, le pouding au pain, le pouding au caramel (à ne pas confondre avec la crème-dessert au caramel ni avec la crème renversée au caramel), le pouding à la rhubarbe, le pouding au chocolat (à ne pas confondre avec la crème moulée au chocolat ni avec la crème-dessert au chocolat). (GDT, fiche de 1984)


En bref, un pouding, ça ressemble plus à du gâteau qu'à une crème. Par sa décision de considérer dorénavant le mot pouding comme synonyme de crème-dessert, l’OQLF, une fois de plus, fait fi des travaux menés en commun avec d'autres ministères et les terminologues du gouvernement fédéral et s’éloigne de la norme du français général.
_______
* Le Comité intergouvernemental de terminologie de l'industrie laitière avait été créé pour uniformiser l’étiquetage français et anglais des produits laitiers partout au Canada et pour fournir aux inspecteurs des aliments, tant fédéraux que provinciaux, une terminologie commune. Faisaient partie du Comité, outre des terminologues de l’Office, des représentants du ministère de l'Agriculture, des Pêcheries et de l'Alimentation du gouvernement du Québec, de la Direction générale de la production et de l'inspection des aliments du Ministère de l'Agriculture du gouvernement du Canada, de l'Institut de technologie agricole et alimentaire de Saint-Hyacinthe, de la Division des langues officielles du ministère de l'Agriculture du gouvernement du Canada ainsi que du Bureau des traductions (Secrétariat d'État du gouvernement du Canada).


Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire