jeudi 29 novembre 2018

Alt-right

 
Merci à Vieux Bandit de m'avoir communiqué cette caricature

Le journaliste Stéphane Baillargeon publie aujourd’hui dans Le Devoir son entrevue avec le philosophe américain Paul Gottfried, président et fondateur du Mencken Club. Il se définit comme paléoconservateur. Extraits :

Vous avez forgé le terme paléoconservateur (ou vieux conservateur) pour décrire votre philosophie politique. Vous avez aussi inventé le terme alt-right pour décrire une certaine nouvelle droite. Comment décrivez-vous le trumpisme ?
J’ai inventé ces concepts, c’est vrai. Je suis un paléoconservateur au sens où je milite pour un gouvernement restreint. Je m’oppose aux politiques de manipulation des citoyens. Je m’oppose aussi aux efforts de notre gouvernement de manipuler d’autres gouvernements. Les paléoconservateurs ne sont pas intéressés particulièrement par les questions d’identité ou par le multiculturalisme. La droite alternative est une coalition de différentes positions, y compris des groupes racistes et des trolls.


J’ai déjà mentionné le mot alt-right à quelques reprises dans ce blog. C’était un des dix mots de l’année choisis par l’équipe des dictionnaires Oxford en 2016 (« an ideological grouping associated with extreme conservative or reactionary viewpoints, characterized by a rejection of mainstream politics and by the use of online media to disseminate deliberately controversial content »).

Le mot n’a toujours pas été traité par l’équipe du Grand dictionnaire terminologique (GDT) de l’Office québécois de la langue française (OQLF). J’ai mentionné dans le billet précédent que l’Office s’était fixé l’objectif de produire 100 (cent !) nouvelles fiches terminologiques par année de 2018 à 2023. Je viens de leur en proposer deux : no-show (dans mon billet d'avant-hier : personne ne se présentant pas à son rendez-vous chez le médecin ou à l’hôpital) et alt-right.


mardi 27 novembre 2018

No show


En fouillant un dossier sur la santé en Outaouais, je suis tombé sur une réalité dont on parle peu et qui me désole profondément : le fléau des no-shows, ces patients qui ne se présentent pas à leur rendez-vous chez un médecin spécialiste.
[…]
Le plus ahurissant, c’est que près de la moitié des no-shows (43 %), peu importe la spécialité, sont des cas classés urgents. Des cas qui devraient être vus en 28 jours ou moins.
[…]
Mais le plus triste, c’est que si ce n’était des no-shows, la grande majorité des cas urgents de l’Outaouais pourraient être vus par un médecin spécialiste dans les délais prescrits par le ministère de la Santé.
« Si on retire les no-shows, on atteint les cibles en urologie, en orthopédie et en néphrologie », estime le Dr Monette.

Patrick Duquette, « Ces patients qui ne se présentent pas », Le Droit, 22 novembre 2018


À l’heure où la francophonie ontarienne doit une fois de plus monter au front pour défendre ses droits, il est pour le moins curieux de voir qu’un journaliste du quotidien français d’Ottawa utilise un anglicisme sans même se donner la peine de le mettre entre guillemets ou en italiques (sauf lorsqu’il rapporte les propos d’un médecin comme si ce dernier pouvait prononcer certains mots en italiques !).


On trouve bien deux fiches dans le Grand dictionnaire terminologique (GDT) de l’Office québécois de la langue française (OQLF) lorsqu’on l’interroge sur no-show mais elles sont en fait des doublons :





Ces fiches ou plutôt cette fiche a été produite en 1978 par l’ancienne Association française de terminologie (AFTERM). J’ai voulu savoir si le terme avait été traité à date plus récente par l’une des commissions de terminologie de France. Voici ce que j’ai trouvé dans la banque FranceTerme :





Avec les résultats de FranceTerme, je suis retourné interroger le GDT et j’ai alors trouvé qu’il y avait bien une fiche « défaillant » traduisant no-show :




Ce n’est pas la première fois que je trouve dans le GDT une réponse à une question… parce que, justement, je connais la réponse. Car, on l’a vu, si l’on interroge le GDT sur no-show, on n’a pas la réponse défaillant.


La fiche du GDT et celle de FranceTerme telle qu’elle apparaît dans le GDT ont comme domaine « hébergement et tourisme, transport ». Dans la banque FranceTerme, on a « tourisme, transport et mobilité», ce qui revient au même. La banque Termium du Bureau de la traduction (Ottawa) a un contenu plus riche puisque ses fiches « no-show » couvrent en plus les domaines de la citoyenneté et immigration (« défaut de se présenter, défaut de comparaître ») et de l’instruction du personnel militaire et de l’informatique (« absent »).


Mais l’usage de l’anglicisme no-show est beaucoup plus large. C’est ainsi qu’il est fréquent dans le domaine de la restauration. Une page du site Internet de Radio-Canada parle d’ailleurs de réservations non honorées dans les restaurants. Et dans un document produit par un hôtel français on parle d’annulation sans préavis. No-show s’emploie aussi dans les sports comme en témoigne ce texte de L’Équipe (23 avril 2018) :

Tony Yoka, suspendu un an avec sursis pour trois "no-show", devra finalement s'expliquer le 20 juin devant l'agence française de lutte contre le dopage.
Suspendu un an avec sursis, depuis le 12 décembre, par la Fédération française de boxe pour trois défauts de localisation lors de contrôles anti-dopage, Tony Yoka va devoir s'expliquer devant l'AFLD (agence française de lutte contre le dopage). 


Le Larousse anglais-français peine à trouver un équivalent de no-show, aussi propose-t-il deux traductions qui sont plutôt des définitions et dont la seconde appartient à un domaine d’utilisation non mentionné par les banques de terminologie habituelles, le monde du spectacle :



Tous ces domaines d’utilisation de l’anglicisme no-show, hôpitaux, immigration, instruction militaire, informatique, lutte antidopage, monde du spectacle, d’autres sans doute, sont passés sous silence dans le GDT.


Dans son plan stratégique 2018-2023, l’OQLF s’est fixé l’objectif ambitieux (!?!) de traiter 100 nouveaux termes chaque année (il ne manque pas un zéro, il s’agit bien du nombre cent) :







Quand on sait que depuis des années une partie des ressources de l’OQLF est occupée à produire des dossiers de « désofficialisation » (c’est-à-dire dénormaliser des dizaines de termes déjà officialisés et publiés dans la Gazette officielle) – mais après tout, comme le savait Pénélope, faire et défaire c’est toujours travailler – on comprend que produire annuellement 100 nouvelles fiches terminologiques peut paraître audacieux, voire téméraire.


lundi 26 novembre 2018

Ваша Честь, Votre Honneur


L’influence des séries télévisées américaines se fait sentir un peu partout. J’ai lu quelque part qu’il arrive que, dans des tribunaux français, on s’adresse maintenant au juge en l’appelant « Votre Honneur ». Hier, dans un film de 2017 diffusé sur la chaîne Rossiya 1, les protagonistes appelaient le juge Ваша Честь. Il est vrai qu’un des témoins a utilisé l’expression camarade juge, vestige de l’époque soviétique. Mais Votre Honneur est peut-être maintenant d’usage standard, ma connaissance de la Russie actuelle ne me permet pas de le dire.


lundi 12 novembre 2018

Une errance terminologique de la Cour suprême du Canada


Le président-fondateur de l’Asulf (Association pour l’usage et le soutien de la langue française), le juge à la retraite Robert Auclair, a attiré mon attention sur un article du Devoir paru samedi dernier. Dans « Valeurs mobilières : la Cour suprême donne raison à Ottawa », le journaliste François Desjardins cite cet extrait de la décision de la Cour :

Nous tenons à souligner que notre avis consultatif ne porte que sur la constitutionnalité du régime coopératif, ont écrit les neuf juges dans une décision unanime. Il appartient aux provinces de décider s’il est dans leur intérêt d’y participer. Le présent avis consultatif ne prend pas en considération bon nombre des difficultés politiques et pratiques liées à ce régime coopératif, et particulièrement celles qui peuvent se présenter si une juridiction participante décide de se retirer à une date ultérieure.


Où va-t-on si le plus haut tribunal du pays n’est pas capable d’employer les mots avec le sens qu’ils ont en français standard ? Il aurait suffi à la Cour de consulter la banque de terminologie Termium du gouvernement fédéral pour apprendre que juridiction était un terme « à éviter » en ce sens. La Cour a préféré détourner la formule error communis facit ius en error communis facit normam, la faute commune crée la norme. Nul n’est censé ignorer la loi (nemo censetur ignorare legem) mais la Cour suprême peut ignorer la norme linguistique.


*   *   *

Voici ce qu’on trouve dans les Clefs du français pratique du Bureau de la traduction à Ottawa :

juridiction
Le nom juridiction est un calque de l’anglais jurisdiction à remplacer, selon le contexte, par :
compétence
autorité
ressort
Exemples
La gestion du site relève de la compétence de Parcs Canada. (et non : La gestion du site relève de la juridiction de Parcs Canada.)
La gestion du site est du ressort de Parcs Canada.
Il faut réserver l’emploi de juridiction au domaine de la justice, où il désigne non pas la compétence d’un tribunal, mais le tribunal lui-même, l’ensemble des tribunaux de même niveau et le pouvoir de juridiction que l’on confère à certaines personnes, aux tribunaux et à certains organismes de l’État.



mercredi 7 novembre 2018

L’État, ce n’est pas lui


Dans le Devoir de ce matin, les journalistes Isabelle Porter et Dave Noël signent un texte sur la découverte des restes d’une palissade érigée en 1693 et destinée à protéger l’ouest de la ville de Québec des attaques anglaises et iroquoises. Extraits de l’article : 

L’importance accordée par le premier ministre François Legault à la découverte d’un tronçon de l’enceinte fortifiée de 1693 a surpris plus d’un archéologue, mardi. […] L’archéologue Marcel Moussette, ne se souvient pas d’avoir reçu la visite d’un chef d’État sur l’un de ses chantiers.

De mémoire d’archéologue, la dernière fois qu’un premier ministre s’est présenté sur un chantier de fouilles, c’était en 2006, lors du passage de Jean Charest sur le site Cartier-Roberval de Cap-Rouge. Le chef d’État évoquait alors « l’un des épisodes fondateurs de la nation » en soulignant la valeur exceptionnelle de la colonie éphémère établie en 1541 par le navigateur Jacques Cartier et le seigneur de Roberval.


Il est tout de même étonnant de constater que des journalistes professionnels ne sont pas capables de faire la distinction entre le chef de l’État (la reine Élisabeth, représentée au Québec par un lieutenant-gouverneur) et le chef du gouvernement (le premier ministre).