mercredi 31 octobre 2018

Comment peut-on être féministe et justifier le port du voile?


La lecture de la chronique hebdomadaire de Francine Pelletier dans Le Devoir est devenue pour moi une corvée dont j’essaie de me dispenser de plus en plus en me contentant de la survoler. Mais, est-ce un fond de masochisme, je me suis tapé son prêche bobo de ce matin sur « La gauche et la laïcité ». Il y aurait tant à dire… Ainsi de la curieuse affirmation voulant que l’Arabie soit « un pays isolé de la planète » en fonction duquel il ne faudrait pas légiférer. Pourtant, depuis des décennies, l’Arabie finance des mosquées et des imams intégristes dans de nombreux pays occidentaux et en Afrique : c’est loin d’être un pays qui s’isole du reste de la planète.


Par ailleurs, Mme Pelletier n’est pas sans avoir de problèmes avec le français comme l’illustre la question qu’elle pose d’entrée de jeu : « Comment peut-on être féministe et défendre le voile ? » La formulation est pour le moins ambiguë puisque l’auteur ne propose pas d’interdire le port du voile mais en prend plutôt la défense.


Autre phrase mal écrite :

La tuerie à la synagogue de Pittsburgh est le dernier exemple de cette fracture qui, les insinuations malveillantes de Trump à propos des « criminels et des inconnus moyen-orientaux » aidant, s’opère de plus en plus entre les citoyens blancs de souche et les soi-disant envahisseurs. 


Les soi-disant envahisseurs ! Les migrants membres de la caravane qui se dirige actuellement vers la frontière américaine ne se définissent certainement pas comme envahisseurs, c’est la rhétorique de Trump qui les présente ainsi.


Sur cette utilisation incorrecte de soi-disant, je vous renvoie à un billet des correcteurs du Monde auquel vous aurez accès en cliquant ici.



lundi 29 octobre 2018

L’influence d’un blog / 9


L’Office québécois de la langue française (OQLF) aura mis à peu près une semaine pour corriger l’incroyable erreur de sa fiche « sociocratie » que j’ai relevée dans mon billet du 22 octobre : on y affirmait que ce terme provient de deux mots grecs, socius et kratos. Socius est évidemment un mot latin.


On notera que, même si la fiche a été modifiée en 2018, elle est toujours datée de 2015. Tant il est vrai que le Saint Office ne peut se tromper.


Ancienne version





















Version corrigée

lundi 22 octobre 2018

Le grec du GDT /3


Le 11 septembre, j’ai mis en ligne un billet où je traitais de la fiche « holocratie » du Grand dictionnaire terminologique (GDT) de l’Office québécois de la langue française (OQLF). Elle contenait la note suivante : « Il ne faut pas confondre l'holocratie avec la sociocratie, qui s'articule autour de la notion de consentement », avec un hyperlien renvoyant à la fiche « sociocratie ». L’étymologie n’est décidément pas le point fort du GDT puisqu’on lit dans cette dernière fiche que « sociocratie est formé à partir des mots grecs socius ‘compagnon, allié’ et kratos ‘pouvoir, puissance’ »:



Socius n’est évidemment pas un mot grec mais un mot latin.



mardi 9 octobre 2018

Le grec du GDT /2


Sur sa page d’accueil, le Grand dictionnaire terminologique (GDT) de l’Office québécois de la langue française (OQLF) vient de mettre en vedette un autre lot de fiches. Parmi celles-ci, la fiche « dysphorie ». Ce sera une nouvelle fois l’occasion de vérifier comment le GDT traite le grec ancien.


On lit sur la fiche l’explication suivante : « Le terme dysphorie provient du grec dusphoria, lui-même dérivé de dusphoros, qui signifie ‘difficile à supporter’ ».


La plupart des dictionnaires que j’ai consultés se contentent de donner comme étymologie dusphoros, sans mentionner dusphoria. Ainsi le Trésor de la langue française informatisé :

 
On comprend, à la lecture du Bailly, la prudence des dictionnaires qui ne donnent pas l’étymologie dusphoria :




L’astérisque devant δυσφορία signifie que le mot n’est pas attesté en attique. On ne trouve en grec ancien que la forme dialectale ionienne δυσφορίη.


Le dictionnaire grec ancien-anglais de Liddell et Scott est moins prudent puisqu’il n’indique pas que la forme δυσφορία n’est pas attestée :




Pourtant, dans les exemples qu’il donne, on ne trouve que la forme ionienne. Ainsi chez Hippocrate : δυσφορίην τε κα ιπτασμν τν μελέν ποιέει (« [de telles selles] causent l’anxiété [du malade] et l’agitation des membres », Morb. acut., 393 ; trad. Littré).


Le Webster apporte l’explication la plus vraisemblable :



Le mot dysphoria, dysphorie en français, viendrait donc d’un mot néolatin formé sur la base de l’adjectif grec δύσφορος.


jeudi 4 octobre 2018

Détour ou déviation?


Dans la dernière livraison de L’expression juste, le président-fondateur de l’Association pour le soutien et l’usage de la langue française (Asulf), M. Robert Auclair, écrit :

Plusieurs membres de l’Association ont fait part depuis un certain temps de leur agacement de voir le mot « détour » omniprésent dans l’affichage public au Québec. L’explication de cette situation intolérable a déjà été donnée [par] Robert Dubuc […] dans L’Expression juste de septembre 2007 sous le titre « Une déviation de l’Office ».

M. Auclair cite ensuite un passage de cet article. En voici un extrait plus long :

Au Québec, nous avons adopté le français comme langue officielle. Ce faisant, nous avons adopté le code grammatical et le lexique qui sont l’apanage de cette langue. Aussi faut-il s’inquiéter lorsqu’un organisme officiel, mandaté par la loi pour promouvoir et défendre l’intégrité de cette langue sur notre territoire, cautionne des écarts à la norme générale. C’est ce qui s’est produit lorsque le Conseil d’administration de l’Office québécois de la langue française, revenant sur une décision antérieure et contrevenant à l’avis donné par sa Commission de terminologie, a officialisé l’emploi du mot détour dans la signalisation routière.

Depuis 1884, selon Le Robert, pour désigner le chemin que doivent prendre les véhicules lorsque la voie principale est bloquée, on utilise en français le terme DÉVIATION. Au début des années quatre-vingt, lorsque l’Office, avec le concours des ministères intéressés, a décidé d’aligner le vocabulaire de la signalisation routière sur l’usage général du français, le mot « détour », d’utilisation usuelle jusque-là, a été remplacé par DÉVIATION, comme il se devait. Mais les fonctionnaires responsables de l’affichage routier ont toujours montré beaucoup de résistance à ce changement. En dépit des avis de l’Office, l’utilisation de « détour » restait courante. L’Association pour le soutien et l’usage de la langue française a harcelé les autorités compétentes pour que la décision de l’Office soit respectée. Or au lieu de se conformer à l’usage général du français, les fonctionnaires sont revenus à la charge pour faire changer le décret de l’Office. C’est devant ces pressions que l’Office, contre l’avis de sa Commission de terminologie, a décidé de ratifier l’usage du mot DÉTOUR en signalisation routière. C’est conforme au nouveau leitmotiv de l’Office : « Ne pas faire de vagues ».

Qu’est-ce qu’un détour en français? D’après les dictionnaires, c’est un parcours qui s’écarte du chemin direct pour diverses raisons. On fait un détour pour visiter des parents ou pour apprécier les beautés d’un site ou d’un paysage. Le mot détour désigne encore les sinuosités naturelles d’un cours d’eau ou d’une route. Ex. : La rivière fait de nombreux détours. Il n’y a pas là trace de l’usage technique en signalisation routière. A-t-on besoin, on peut se le demander, d’un Office québécois de la langue française pour ratifier les usages locaux qui s’écartent de la norme du français ? Les fonds publics pourraient servir à meilleur escient.
Robert Dubuc
Traducteur et terminologue agréé