dimanche 28 avril 2019

Les suçons de Mme Becsec

 
Le Pirate Maboule dans La Boîte à surprise,
épisode diffusé dans les années 1960 
Pour visionner l’épisode au complet, cliquer ici

Une ancienne collègue m’a envoyé cette publicité du Centre commercial Fleur-de-Lys à Québec :











Elle me fait remarquer que lorsque l’on fait une recherche sur le mot lollipop dans le Grand Dictionnaire terminologique (GDT) de l’Office québécois de la langue française (OQLF), on n’obtient qu’une réponse concernant le ski acrobatique (vérification refaite le 27 avril 2019).


En revanche, quand on connaît déjà la réponse… eh bien ! on découvre qu’il y a bien une fiche « sucette » (syn. suçonQuébec).


Ce n’est pas la première fois que je note ce genre de problème.


samedi 27 avril 2019

La rectitude politique et la rigueur terminologique


Je termine la lecture du dernier ouvrage de Diane Lamonde, Français québécois. La politisation du débat. Il se peut que j’utilise, dans les semaines qui viennent, des extraits de cet essai comme prétextes à écrire mes billets. Je commence aujourd’hui par un passage où elle critique la fiche « rectitude politique » (syn. politiquement correct) du Grand Dictionnaire terminologique (GDT) de l’Office québécois de la langue française (OQLF). Voici cette fiche :

Cliquer sur l'image pour l'agrandir

La fiche a été rédigée en 2001 et l’OQLF ne l’a pas modifiée depuis. On y déconseille l’usage du terme correction politique au motif que ce serait un calque de l’anglais. Affirmation étonnante pour un dictionnaire qui multiplie les calques, comme j’ai eu souvent l’occasion de le signaler.


Rappelons une des acceptions de correction dans le Trésor de la langue française informatisé : « Conformité à un modèle, à un ensemble de principes ou de règles; application de ces principes ou de ces règles». Être politiquement correct, c’est justement se conformer à un ensemble de règles ou de principes pour éviter toute apparence de discrimination. L’expression correction politique* me semble convenir tout à fait pour traduire political correctness mais j’admets qu’elle n’est pas courante en français. Si c’est un calque, il faut admettre qu’il ne fait pas violence à la sémantique, contrairement à la proposition du GDT, rectitude politique.


En effet, comme le remarque Diane Lamonde, le mot rectitude n’a pas en français le sens que le GDT lui donne. Il désigne plutôt la « qualité intellectuelle ou morale d'une personne droite» (Trésor de la langue française informatisé), il est synonyme de droiture, justesse, rigueur. On est loin du politiquement correct, qui est bien souvent un synonyme de langue de bois et rappelle la novlangue d’Orwell.


Concluons par cette citation de Diane Lamonde : « Le politiquement correct est en fait une forme de censure sociale, qui peut parfois s’exercer au détriment du discours ou du comportement que commanderait… la rectitude !» (p. 172)
________
* On a de même en espagnol corrección política, en allemand politische Korrektheit, en russe полити́ческая корре́ктность ou политкорректность.


samedi 20 avril 2019

Le recul du français



L’Office québécois de la langue française (OQLF) vient de publier son bilan de la situation linguistique. Le précédent bilan « quinquennal » était paru… il y a onze ans. Les médias ont beaucoup insisté sur l’augmentation de l’accueil bilingue (Bonjour! Hi!) ou en anglais seulement dans les commerces de Montréal ou encore sur la diminution de l’usage du français comme langue unique de travail. Mais je voudrais plutôt attirer l’attention sur des éléments que l’OQLF a préféré minimiser dans son rapport.

Ainsi, dans la conclusion (p. 109), on affirme que « depuis 2010, on constate une augmentation du taux de conformité de l’affichage public des entreprises sur l’île de Montréal » : en particulier le taux de conformité  de l’affichage des entreprises situées dans un centre commercial est passé de 64 %en 2010 à 78,3 % en 2017 (p. 64). L’OQLF reconnaît bien (p. 65) que des modifications ont été apportées en novembre 2016 à la réglementation sur l’affichage mais omet de dire que les nouvelles règles sont beaucoup plus souples que les précédentes et que, par conséquent, il n’est pas légitime de comparer la conformité à la réglementation plus sévère de 2010 à celle plus laxiste de 2017. En revanche, l’Office a un scrupule méthodologique qui l’empêche de comparer les données sur la présence des langues dans l’affichage en 2017 avec les données de ses enquêtes de 1997, de 1999 et de 2010. À l’affirmation de l’OQLF qu’en 2017 « sur l’île de Montréal, 65,0 % des messages présents dans l’affichage des entreprises observées étaient écrits uniquement en français », nous pouvons ajouter que ce pourcentage était de 73,3 % en 1997 et de 69 % en 1999 (méthodologie strictement la même pour ces deux dernières enquêtes). On pourra peut-être chipoter sur la comparabilité des résultats  de 2017 (il ne tenait qu’à l’OQLF de s’assurer que son enquête de 2017 serait comparable aux précédentes) mais la tendance à la diminution de la présence du français, attestée depuis 1999, est nette compte tenu de l’ampleur de l’écart. En voici d’ailleurs une preuve indubitable que l’on trouve, à condition de bien chercher, dans les études publiées par l’OQLF ces dernières années : la proportion des commerces ayant pignon sur rue affichant uniquement en français est passée de 52 % en 1997 à 30 % en 2010. La baisse de 22 points est incontestable du point de vue méthodologique. En 2017, cette proportion est de 22,8 %. Cette baisse de 29,2 points sur vingt ans est trop importante pour s’expliquer simplement par l’absence de pondération, prétexte dont se sert l’OQLF pour éviter de faire la comparaison. Il y a eu recul du français, il faut l’admettre. L’OQLF se refuse à le faire.

Le dernier bilan de l’OQLF a trois pages sur les compétences en français. Dans le rapport de 2008, le chapitre sur la maîtrise du française comptait 18 pages. En 2019, l’OQLF se contente de présenter les taux de réussite à l’épreuve de français de cinquième du secondaire et à celle du collégial sans ventiler les résultats selon les critères de la grille de correction, en particulier selon les sous-critères (orthographe, grammaire, vocabulaire) du critère général de maîtrise de la langue : des éléments pourtant non négligeables quand on parle de compétences en français. Le bilan de l’OQLF ne nous dit donc pas qu’à l’épreuve du collégial, le taux de réussite au critère de maîtrise de la langue est passé de 88,9 % en 1998 à 84,8 % en 2016. La proportion des élèves qui reçoivent la cote C ou une cote supérieure (c’est-à-dire ceux qui font 15 fautes ou moins) au sous-critère d’orthographe est passée de 76,1 % en 1998 à 73,3 % en 2016.Alors que nous disposons de données depuis 1998, l’OQLF ne produit aucun tableau, aucun graphique présentant l’évolution des résultats du collégial au fil des ans. Aucune donnée non plus qui jetterait le moindre éclairage sur les résultats de la réforme de l’éducation entreprise en 2000. Pourtant, dès 2009, un article de Daphnée Dion-Viens dans Le Soleil nous alertait : « le taux de réussite des élèves de sixième année à l'épreuve uniforme de français est passé de 90 % en 2000 à 83 % en 2005. » Des analyses de ce type sont nécessaires quand on veut faire le point sur la situation du français au Québec. Force est donc de constater que, de ce point de vue, l’OQLF n’a pas rempli complètement son mandat.

Le communiqué de presse émis par l’OQLF, en dressant une liste d’éléments positifs (huit) et une autre d’éléments négatifs (huit), crée l’impression que les uns contrebalancent les autres. Je crois plutôt que dans ce bilan, décennal parce qu’il n’a pu être quinquennal, le passif l’emporte sur l’actif dans ce qu’il révèle et dans ce qu’il occulte. La présidente-directrice générale de l’OQLF, qui n’est en poste que depuis février, a eu raison de publier dès son arrivée et le bilan et les études préparés sous l’égide de ses prédécesseurs. Maintenant qu’elle a fait place nette, elle pourra s’atteler à la préparation d’un rapport quinquennal plus satisfaisant.

(Texte paru dans Le Droit du mardi 16 avril)

mardi 9 avril 2019

Bébés épinards ?


« Bébés épinards » est une expression courante au Québec. On vend des bébés épinards dans les épiceries, le chef Ricardo a même une recette de salade de bébés épinards aux pleurotes et aux œufs.




L’expression « bébé épinard », qu'on entend et lit au Québec depuis de nombreuses années, n’a pas retenu l’attention des terminologues de l’Office québécois de la langue française (OQLF) : le Grand Dictionnaire terminologique (GDT) n’a aucune fiche sur ce terme.


« Bébé épinard » est une traduction littérale de « baby spinach » :

"Baby spinach" is a term typically used to describe spinach that has been harvested during a fairly early stage of plant growth, usually between 15-35 days after planting. We're usually familiar with baby spinach in the grocery store because of its small leaves, tender texture, and sweet taste in comparison with mature, fully formed spinach leaves. (For these mature spinach leaves, the harvest dates are usually between 40-65 days.) (Site The World’s Healthiest Foods).


En français, on dit « pousses d’épinards »:


  
On trouve aussi « jeunes (pousses d’) épinards ».


lundi 1 avril 2019

La néologie, parente pauvre du GDT



Pensez ici à ce que promeuvent les adeptes du refus de se faire vacciner ou de faire vacciner ses enfants ; aux promoteurs de l’idée que la terre est plate ; à ces personnes persuadées que des chemtrails existent ; et ainsi de suite. On a même créé un mot nouveau pour désigner ces gens : on les appelle des dénialistes.
Normand Baillargeon, « Précieuses connaissances inflexibles », Le Devoir, 30 mars 2019


Je dois dire que le titre de la dernière chronique de Normand Baillargeon me laisse perplexe. Je me demande si le terme de connaissances inflexibles n’est pas un calque de l’anglais. Une recherche rapide me montre qu’il s’agit d’un concept de la psychologie cognitiviste récupéré en sciences de l’éducation. Ce dernier fait n’a pas de quoi surprendre quand on connaît le jargonisme* qui sévit dans ce domaine. Le terme de connaissances inflexibles signifie simplement que ce que l’on apprend par cœur demeure le plus souvent superficiel, c’est un savoir qu’on n’est pas capable de transposer dans un domaine différent. C’est une évidence qui est connue depuis des siècles et cela démontre une fois de plus que les sciences de l’éducation sont les seules sciences où on n’a jamais fait aucune découverte**. À défaut, on jargonne. En tout état de cause, le terme connaissances inflexibles n’est pas traité dans le Grand Dictionnaire terminologique (GDT) de l’Office québécois de la langue française (OQLF).


Quant à chemtrails, il s’agit d’un mot-valise anglais (chemical trails) entré dans cette langue dans les années 1990 (selon l’Oxford). Il n’est pas traité dans le GDT. Voici ce qu’en dit Wikipédia :

La théorie conspirationniste des chemtrails [kɛmtreɪls] avance que certaines traînées blanches créées par le passage des avions en vol sont composées de produits chimiques délibérément répandus en haute altitude par diverses agences gouvernementales pour des raisons dissimulées au grand public. Cette théorie est rejetée par la communauté scientifique qui indique qu'il s'agit de simples traînées de condensation.


Troisième néologisme relevé dans la chronique de Normand Baillargeon : dénialistes. On ne sera pas étonné d’apprendre que le GDT n’a pas de fiche dénialisme. Cherchons donc du côté de Wikipédia : « dans la psychologie comportementale, le dénialisme est le choix de nier la réalité. » Le terme est évidemment d’origine anglaise (denial). Si on veut penser en français, on recourra au mot négationnisme (absent lui aussi du GDT). Les mots dénialiste et dénialisme sont attestés en français, tant en France qu’au Québec, depuis plus d’une dizaine d’années mais ils n’ont pas attiré l’attention des terminologues de l’OQLF. On les trouve dans le magazine Québec Science en 2015. On pourrait penser que l’OQLF devrait au minimum répertorier en priorité les néologismes qui apparaissent dans cette revue.
________
* Autre mot absent du GDT.
** Je ne suis pas l’inventeur de cette formule. Je l’ai lue dans Le Devoir il y a plusieurs années (c’était à l’époque où Lise Bissonnette était directrice) à l’occasion d’une polémique sur les sciences de l’éducation.