samedi 20 avril 2019

Le recul du français



L’Office québécois de la langue française (OQLF) vient de publier son bilan de la situation linguistique. Le précédent bilan « quinquennal » était paru… il y a onze ans. Les médias ont beaucoup insisté sur l’augmentation de l’accueil bilingue (Bonjour! Hi!) ou en anglais seulement dans les commerces de Montréal ou encore sur la diminution de l’usage du français comme langue unique de travail. Mais je voudrais plutôt attirer l’attention sur des éléments que l’OQLF a préféré minimiser dans son rapport.

Ainsi, dans la conclusion (p. 109), on affirme que « depuis 2010, on constate une augmentation du taux de conformité de l’affichage public des entreprises sur l’île de Montréal » : en particulier le taux de conformité  de l’affichage des entreprises situées dans un centre commercial est passé de 64 %en 2010 à 78,3 % en 2017 (p. 64). L’OQLF reconnaît bien (p. 65) que des modifications ont été apportées en novembre 2016 à la réglementation sur l’affichage mais omet de dire que les nouvelles règles sont beaucoup plus souples que les précédentes et que, par conséquent, il n’est pas légitime de comparer la conformité à la réglementation plus sévère de 2010 à celle plus laxiste de 2017. En revanche, l’Office a un scrupule méthodologique qui l’empêche de comparer les données sur la présence des langues dans l’affichage en 2017 avec les données de ses enquêtes de 1997, de 1999 et de 2010. À l’affirmation de l’OQLF qu’en 2017 « sur l’île de Montréal, 65,0 % des messages présents dans l’affichage des entreprises observées étaient écrits uniquement en français », nous pouvons ajouter que ce pourcentage était de 73,3 % en 1997 et de 69 % en 1999 (méthodologie strictement la même pour ces deux dernières enquêtes). On pourra peut-être chipoter sur la comparabilité des résultats  de 2017 (il ne tenait qu’à l’OQLF de s’assurer que son enquête de 2017 serait comparable aux précédentes) mais la tendance à la diminution de la présence du français, attestée depuis 1999, est nette compte tenu de l’ampleur de l’écart. En voici d’ailleurs une preuve indubitable que l’on trouve, à condition de bien chercher, dans les études publiées par l’OQLF ces dernières années : la proportion des commerces ayant pignon sur rue affichant uniquement en français est passée de 52 % en 1997 à 30 % en 2010. La baisse de 22 points est incontestable du point de vue méthodologique. En 2017, cette proportion est de 22,8 %. Cette baisse de 29,2 points sur vingt ans est trop importante pour s’expliquer simplement par l’absence de pondération, prétexte dont se sert l’OQLF pour éviter de faire la comparaison. Il y a eu recul du français, il faut l’admettre. L’OQLF se refuse à le faire.

Le dernier bilan de l’OQLF a trois pages sur les compétences en français. Dans le rapport de 2008, le chapitre sur la maîtrise du française comptait 18 pages. En 2019, l’OQLF se contente de présenter les taux de réussite à l’épreuve de français de cinquième du secondaire et à celle du collégial sans ventiler les résultats selon les critères de la grille de correction, en particulier selon les sous-critères (orthographe, grammaire, vocabulaire) du critère général de maîtrise de la langue : des éléments pourtant non négligeables quand on parle de compétences en français. Le bilan de l’OQLF ne nous dit donc pas qu’à l’épreuve du collégial, le taux de réussite au critère de maîtrise de la langue est passé de 88,9 % en 1998 à 84,8 % en 2016. La proportion des élèves qui reçoivent la cote C ou une cote supérieure (c’est-à-dire ceux qui font 15 fautes ou moins) au sous-critère d’orthographe est passée de 76,1 % en 1998 à 73,3 % en 2016.Alors que nous disposons de données depuis 1998, l’OQLF ne produit aucun tableau, aucun graphique présentant l’évolution des résultats du collégial au fil des ans. Aucune donnée non plus qui jetterait le moindre éclairage sur les résultats de la réforme de l’éducation entreprise en 2000. Pourtant, dès 2009, un article de Daphnée Dion-Viens dans Le Soleil nous alertait : « le taux de réussite des élèves de sixième année à l'épreuve uniforme de français est passé de 90 % en 2000 à 83 % en 2005. » Des analyses de ce type sont nécessaires quand on veut faire le point sur la situation du français au Québec. Force est donc de constater que, de ce point de vue, l’OQLF n’a pas rempli complètement son mandat.

Le communiqué de presse émis par l’OQLF, en dressant une liste d’éléments positifs (huit) et une autre d’éléments négatifs (huit), crée l’impression que les uns contrebalancent les autres. Je crois plutôt que dans ce bilan, décennal parce qu’il n’a pu être quinquennal, le passif l’emporte sur l’actif dans ce qu’il révèle et dans ce qu’il occulte. La présidente-directrice générale de l’OQLF, qui n’est en poste que depuis février, a eu raison de publier dès son arrivée et le bilan et les études préparés sous l’égide de ses prédécesseurs. Maintenant qu’elle a fait place nette, elle pourra s’atteler à la préparation d’un rapport quinquennal plus satisfaisant.

(Texte paru dans Le Droit du mardi 16 avril)

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire