mercredi 29 décembre 2021

Sutor, ne supra crepidam

 

Cette citation de Pline l’Ancien (« cordonnier, pas au-dessus de ta sandale ! ») explique l’origine du mot de l’année choisi par les Belges, ultracrépidarianisme. C'est la réponse qu'avait faite le peintre Apelle de Cos à un cordonnier qui critiquait son œuvre. On notera le remplacement de supra par le préfixe ultra‑. Le mot désigne le « comportement qui consiste à donner son avis sur des sujets à propos desquels on n’a pas de compétences » (Le Soir, 28 décembre 2021). Il s’applique bien aux discussions de Café du Commerce engendrées par la pandémie.

 


mercredi 22 décembre 2021

Les anglicismes à la mode/ 2

J’ajoute aujourd’hui deux mots que j’avais notés mais que j’ai oublié de citer dans mon billet précédent.

 

J’ai entendu l’abréviation anglaise XXL (extra extra large) plusieurs fois ces derniers temps sur les chaînes d’infos françaises. Je la croyais nouvelle mais elle figurait déjà dans le Petit Larousse 2009 pour désigner une très grande taille de vêtement et, aussi, au sens de « colossal » : un auteur au talent XXL.

 

Second mot : cash comme dans « Éric Zemmour parle cash ». On connaissait l’expression « payer cash », dont la première attestation en français se trouve dans Maria Chapdelaine, selon le Trésor de la langue française informatisé. Le Wiktionnaire donne un exemple de 2011 de l'emploi figuré de ce mot anglais (« de manière directe, franche, abrupte »). Le fait que le sens d’un mot emprunté puisse évoluer de la sorte est une preuve d’intégration dans la langue emprunteuse. C’est l’occasion pour moi de faire remarquer que la Politique de l’emprunt linguistique de l’Office québécois de la langue française (OQLF) est étrangement silencieuse sur les modes d’intégration des emprunts. Cela n’est pas pour étonner quand on lit dans ce document qu’un mot comme selfie, employé quotidiennement par des millions de francophones, ne s’intègre pas au système linguistique du français.

 

lundi 13 décembre 2021

Les anglicismes à la mode

 

J’ai lu l’autre jour le billet d’un grogniqueur qui me reprochait de parler des anglicismes sur le ton de la condamnation. Il visait en particulier mon billet sur « frapper un mur ». Or, il se trouve que mon texte était uniquement descriptif, sans même de proposition pour remplacer le calque. Ce qu’a d’ailleurs fort bien compris un lecteur pour me le reprocher. Était aussi visé un article de Lionel Meney sur le même sujet. Il se terminait pourtant par ces mots qui sont loin d’être une condamnation ferme du calque :

 

Dans la publicité québécoise, la jeune femme ne « frappe pas un mur », elle « se heurte à un mur », ce qui l'empêche de rejoindre le jeune homme. La seconde formulation est linguistiquement plus correcte mais, en contexte québécois, la première est expressivement bien plus forte…

 

Aujourd’hui encore, je vais parler d’anglicismes sur le mode descriptif.

 

J’ai noté depuis plusieurs semaines qu’à la télévision et à la radio publiques on utilisait couramment l’expression « bris de service » (dans les hôpitaux). Le journaliste du Devoir Michel David me semble à peu près seul à lui préférer « rupture de service ». Nos médias parlent aussi beaucoup de « plan de contingence » (contingency plan).

 

Une lectrice m’a communiqué qu’elle avait entendu Olivier Véran, ministre de la Santé et des Solidarités de France, dire « à date ». J’avais déjà noté l'apparition de cette expression en France depuis quelques mois. Je l’ai entendue dans la bouche du premier ministre Jean Castex et dans celle du président Macron. Pas étonnant, au fond, de la part de celui qui se veut le président de la Start-Up Nation. Je crois que l'origine doit en être cherchée dans la langue des bureaucrates de Bruxelles (voir mon billet du 28 juillet 2016).

 

J’ai entendu la semaine dernière Jean Castex employer le verbe « booster ». Il a aussi parlé des citoyens « éligibles » à la vaccination. Ce dernier adjectif est devenu tout à fait courant en France, le ministère de la Santé l’utilise même dans ses publicités.

 

Et le professeur Raoult (IHU Marseille) parle couramment d’« évidences » (preuves) scientifiques.

 

Il y a plusieurs années, en lisant Le français et les siècles (1987), j’avais constaté que plusieurs des anglicismes que Claude Hagège signalait comme récents en France étaient depuis longtemps bien connus au Québec. Les Français continuent d’emprunter les mêmes mots anglais que nous, mais avec quelques décennies de retard.

 

jeudi 9 décembre 2021

C'est du grec!

On sait que l’expression « c’est du grec » signifie : je n’y comprends rien, c’est du charabia. On trouve un bel exemple de charabia dans la note suivante de la fiche « acousticophonie » du Grand Dictionnaire terminologique (GDT) de l’Office québécois de la langue française (OQLF) :

 

Puisque le terme désignant le concept d'« acousticophobie » est une adaptation de l'alphabet grec, il existe plusieurs graphies pour ce terme. La graphie acousticophobie est celle qui correspond le mieux au système linguistique du français.

 

Notons d’abord le caractère amphigourique de la formulation « le terme désignant le concept d’acousticophobie ». Il eût été tellement plus simple d’écrire : le terme acousticophobie.

 

Le reste de la phrase nous apprend que le terme en question est une adaptation de l’alphabet grec ! Il eût été tellement plus simple d’écrire que le terme est un emprunt au grec. Trop simple, évidemment.

 

Tout ça pour dire qu’on a préféré la lettre c au k pour rendre la lettre grecque kappa.

 

Et la dernière phrase devrait être corrigée : la graphie acousticophobie n’est pas celle qui correspond le mieux au système linguistique du français (!), mais celle qui correspond le plus à son système orthographique.