mardi 30 mars 2021

D’une seule voix

 

Je n’ai pas trouvé meilleur titre pour introduire mon billet sur l’univocité du terme scientifique et technique. Pour celui que l’on considère comme le fondateur de la terminologie (au sens de discipline : Terminologielehre), l’ingénieur autrichien Eugen Wüster, le terme est monoréférentiel. Voici la définition tirée du Vocabulaire systématique de la terminologie (OLF, 1985) :



 

Dans un domaine donné, un terme ne désigne qu’une notion. En principe. Car cet idéal est rarement atteint, même dans les taxonomies (classifications scientifiques). Prenons l’exemple de la chimie. À côté du terme bicarbonate de sodium coexistent le terme plus ancien bicarbonate de soude et les appellations carbonate monosodique, carbonate acide de sodium (ancienne appellation en pharmacie), sans compter hydrogénocarbonate de sodium qui est le terme de l’Union internationale de la chimie pure et appliquée. Tous ces termes sont monoréférentiels, c’est-à-dire qu’ils ne réfèrent qu’à un seul objet, NaHCO3. Pour éviter la confusion entre le bicarbonate de soude et la soude caustique, on préconise d’utiliser l’appellation moderne bicarbonate de sodium. Malgré tout, le Grand Dictionnaire terminologique (GDT) de l’Office québécois de la langue française (OQLF) met bicarbonate de soude au rang des termes privilégiés (fiche de 2016). Comme si ce n’était pas assez, il introduit d’autres appellations relevant de la langue courante, dont une désuète :

 


Le rédacteur de la fiche oublie que la mission du GDT est de fournir la terminologie française officielle (standardisée) pour l’État, l’industrie, le commerce, les échanges internationaux, etc., pas de décrire les divers usages passés ou locaux du français au Québec (pour cela il y a le Dictionnaire historique du français au Québec et Usito). C’est ce mandat qu’ont rappelé d’anciens terminologues de l’Office dans leur manifeste Au-delà des mots, les termes :

 

Il faut en effet prendre conscience que la démarche terminologique est différente de la démarche lexicographique. Alors que la seconde est essentiellement descriptive, vouée à l’enregistrement objectif des usages sans les juger, la première a pour objectif de déterminer quelle est la meilleure dénomination pour un objet ou un concept. C’est ainsi que se définit le dictionnaire terminologique. L’Office ne peut se limiter à observer et à enregistrer l'usage, ou les usages en concurrence, comme l’exigerait la démarche lexicographique, car il a le mandat de déterminer quel usage il faut préconiser.

 

Je citerai encore Jean-Claude Corbeil, ancien directeur de l’Office de la langue française, ancien sous-ministre responsable de l’application de la langue française, co-auteur du Visuel, et Marie-Éva de Villers, ancienne responsable de la terminologie de la gestion à l’Office et autrice du Multidictionnaire :

 

La mission de [l’Office] est d’assurer la définition et la diffusion par le GDT des terminologies françaises des différents domaines d’emploi. À cet égard, son rôle ne s’exerce pas dans tous les registres de langue : il se limite aux registres de la langue technique courante ou soutenue. Il n’entre pas dans les attributions de l’OQLF de décrire et de légitimer les emplois de registre familier.

 

Quand on refuse de voir quelle est la mission d’un dictionnaire terminologique, comment elle a été détournée, il est facile de traiter, à visière baissée et du haut de sa tour d’ivoire universitaire, les signataires du manifeste de puristes et de ringards et d’assaisonner le tout d’âgisme.

 

lundi 29 mars 2021

Ethnonymes autochtones/ 1

 

 

J’ai entendu récemment à la radio publique l’interview d’un chef atikamekw, ce qui m’a donné l’idée d’aller vérifier quelle est la position actuelle de l’Office québécois de la langue française (OQLF) sur les désignations des peuples autochtones du Québec.

 

Commençons par un retour en arrière. Quand j’ai publié en 1992 l’ouvrage Les langues autochtones du Québec, l’Office (pas encore québécois) de la langue française avait déjà proposé une série de recommandations sur l’écriture des noms des peuples autochtones comme l’indique cette note figurant au début de mon livre : «En ce qui concerne l'orthographe des noms des nations autochtones du Québec, nous avons suivi les recommandations de l'Office de la langue française. Toutefois, dans le cas de l'article consacré à l'avenir de la langue atikamekw, nous avons utilisé l'orthographe préconisée par les technolinguistes de cette nation.» Il m’a été impossible de retrouver, sur le site de l’Office, le texte de ces recommandations. Tout ce que j’ai pu apprendre, c’est qu’elles ont été publiées à la Gazette officielle le 25 août 1979. Elles ont été retirées le 29 février 2020. Le document de l’OQLF où j’ai trouvé cette information renvoie à une fiche de la Banque de dépannage linguistique où on peut lire :

 

Depuis plusieurs années déjà, on a observé des changements dans les dénominations de peuples autochtones. En effet, de nos jours, certaines appellations données autrefois par les colonisateurs ou jugées péjoratives sont devenues moins fréquentes dans l’usage. Dans un processus de réappropriation culturelle, certains peuples ont par ailleurs revendiqué des appellations issues de langues autochtones. On a ainsi vu, au cours des dernières décennies, les noms Indien et Esquimau être progressivement remplacés par Amérindien et Inuit, respectivement. C’est également dans cet esprit qu’Attikamek a remplacé Tête-de-Boule et, plus récemment, qu’on a vu s’implanter Innu, préféré à Montagnais, et Wendat ou Huron-Wendat, préférés à Huron.

 

Dans le Grand Dictionnaire terminologique (GDT), on donne toujours la priorité à l’appellation Attikamek, graphie pourtant récusée par les locuteurs de la langue. On ne mentionne la graphie Atikamekw qu’accessoirement, dans une note.


 

La fiche ajoute même comme synonyme le terme Têtes-de-Boule qui me semble offensant. Pourtant ce n’est pas par ignorance de la position des principaux intéressés puisqu’on lit dans la note :

 

L'Institut linguistique Atikamekw-Wasihakan, du Conseil de la nation Atikamekw, a rejeté officiellement, au début des années 1970, le nom historique français Tête-de-Boule […].

 

Mais voilà, les rédacteurs des fiches n’ont toujours pas compris que le GDT n’est pas un dictionnaire historique. Ils continuent de faire la promotion de formes anciennes. Ainsi en est-il de vidanges au sens d’« ordures ménagères » : c'est qu'on trouve le mot dans le dictionnaire de l’Académie de 1762 ! C’est ce que j’ai appelé le purisme pure-laine.

 

lundi 8 mars 2021

Cette année encore, raclons du violon

 

Ce sera bientôt la saison des crosses de fougère. J’ai écrit plusieurs billets sur ce terme depuis que le Grand Dictionnaire terminologique (GDT) de l’Office québécois de la langue française (OQLF) a décidé d’accepter le calque « tête-de-violon » :

 

Quand le GDT fait un U-turn

Conflit de normes : de la difficulté d’accorder ses violons

Crosse de fougère ou tête de violon ?

Tête-de-violon / 1

Tête-de-violon / 2

 

Termium, la banque de données terminologiques et linguistiques du gouvernement du Canada, continue de considérer « tête-de-violon » comme un terme « à éviter ».

 

 

Linguistiquement correct, dix ans déjà

 

C’est aujourd’hui le dixième anniversaire de « Linguistiquement correct ». Je vous invite à relire mon premier billet en cliquant ici.

 

 

Chaussure à son pied

 

 

Je relisais récemment The Line of Beauty d’Alan Hollinghurst (roman portant sur les années Thatcher). Je suis tombé sur cette phrase: « Now, in linen shorts and espadrilles, busying back and forth from the car, he was full of anecdotes… » Ce qui m’a donné l’idée d’aller revoir la fiche « chaussure de sport » du Grand Dictionnaire terminologique (GDT) de l’Office québécois de la langue française (OQLF) que j’avais critiquée en 2012. Neuf ans plus tard, on y trouve toujours les mêmes inepties. Le terme « chaussure de sport » y a trois synonymes « privilégiés » : espadrille, tennis et basket ! On n’a toujours pas compris la différence entre synonyme et hyperonyme (ce dernier figurant pourtant dans la nomenclature du GDT).


 

Ce n’est pas le GDT qui aide à trouver chaussure à son pied.