mardi 23 novembre 2021

Le grec du GDT/ 5b

La note de la fiche « bois d’aloès » du Grand Dictionnaire terminologique (GDT) de l’Office québécois de la langue française (OQLF) a continué de me turlupiner. Je la cite à nouveau : « le mot aloès dans le terme bois d'aloès provient du mot grec xylaloes, qui dérive de l'arabe alud, signifiant ‘ le bois’ ».

 

Dans le billet précédent j’ai déjà proposé une autre étymologie, plus vraisemblable.

 

La note est mal formulée, pour plusieurs raisons :

 

‑ on voit mal comment l’arabe alud a pu être emprunté en grec pour devenir la forme xylaloes;

‑ la proposition étymologique ne peut donc concerner que le mot aloès;

‑ au minimum, le mot arabe aurait dû être transcrit al-oud en français ; ou mieux, al-‘oud.

 

L’explication la plus vraisemblable est celle d’Henri Lemmens (Remarques sur les mots français dérivés de l'arabe, Beyrouth Impr. Catholique, 1890, p. 261) :

 


En résumé : le faux nominatif aloês (αλόης), en fait un génitif à l’origine, a été emprunté par le latin qui l’a refilé à l’arabe.

 

Littré, qui avait d’abord cru à une étymologie arabe, s’est ravisé dans son Supplément : « Aloès vient du lat. aloe, qui vient du grec λόη. »

 

 

jeudi 18 novembre 2021

Le grec du GDT/ 5

 

L’une des fiches que le Grand Dictionnaire terminologique (GDT) de l’Office québécois de la langue française (OQLF) met en vedette ce mois-ci m’offre l’occasion de produire un nouveau billet sur le thème de ses étymologies grecques.

 

On lit dans la note de la fiche « bois d’aloès » : « le mot aloès dans le terme bois d'aloès provient du mot grec xylaloes, qui dérive de l'arabe alud, signifiant ‘ le bois’ ». Dans mon dictionnaire grec, le mot est plutôt xylaloê (ξυλαλόη,-ης). 

 

Il aurait été plus juste de dire que bois d’aloès est un calque de xylaloê ξύλον + λόη. En effet, ξύλον signifie « bois, arbre » en grec ancien et λόη est aloès.

 

Selon le dictionnaire grec-français de Bailly la première attestation du mot ξυλαλόη serait dans l’œuvre de Gallien, médecin du iie siècle apr. J.-C. Il serait étonnant que Gallien ait emprunté un mot à l’arabe à cette époque bien antérieure à Mahomet.

 

En tout état de cause, ξύλον est d’origine indo-européenne et ne vient donc pas de l'arabe. Quant à λόη, il vient plutôt d’une autre langue sémitique, l’hébreu (« from Hebrew אֲהָלִים, ultimately from a Dravidian language », WordSense Online Dictionary).

 

 

vendredi 12 novembre 2021

Peut-on parler de rédaction «épicène»?

 

Dans ses Polémiques, le professeur Guy Laflèche avait remis en cause l’appellation de « rédaction épicène » pour désigner la forme d’écriture non sexiste proposé par l’Office québécois de la langue française. Il préférait parler d’écriture bigenre. Il a repris son argumentaire dans L’Office québécois de la langue française et ses travailleuses du genre (Les Editions du Singulier, Laval, 2020). Dans son compte rendu de l’ouvrage, Lionel Meney écrit :

 

Les promoteurs de la « rédaction épicène » et de l’« écriture inclusive » sont des ignorants en matière de langue, mus uniquement par des raisons idéologiques. S’ils connaissaient le sens exact de l’adjectif épicène, ils ne prôneraient pas la rédaction « épicène », puisque cet adjectif qualifie un nom « qui désigne aussi bien le mâle que la femelle d’une espèce. Nom épicène masculin (ex. le rat). Nom épicène féminin (la souris) » (Le Petit Robert). On comprend que l’expression « style bigenre » est plus adéquate. 

 

Lionel Meney poursuit :

 

[Les promoteurs de la rédaction épicène] connaissent mal le fonctionnement réel du système du genre grammatical en français. Critiquant le prétendu « sexisme » de la langue française, ils ignorent le caractère véritablement féministe de ce système. En s’attaquant à la langue, ils se trompent de cible. Certes, il est plus facile d’obtenir des victoires sur papier, comme cette recommandation de l’OQLF, que de réelles avancées touchant la condition féminine (égalité salariale, etc.).

 

Lionel Meney résume ainsi la question du genre :

 

[…] le système du genre en français est un système binaire dans lequel le féminin est le genre marqué et le masculin, le genre non-marqué. Il résume ainsi en trois règles sa position : Règle n°1 : Les mots, les vocables ne sont pas marqués d’office en genre ; Règle n°2 : Il n’existe qu’une seule et unique marque de genre en français, et c’est le féminin ; Règle n°3 : La langue est un système très puissant qui sait utiliser de deux manières ce code binaire.

 

C’est pour l’essentiel la position que j’ai déjà présentée dans ce blog (« Le masculin continuera-t-il de l’emporter sur le féminin ? »).

 

Le terme de « rédaction épicène », utilisé par l’OQLF depuis au moins 2007, est impropre. Qu’à cela ne tienne ! S’étant rendu compte du problème (quatorze ans plus tard, tout de même), l’OQLF vient d’ajouter la fiche « rédaction épicène » dans son Grand Dictionnaire terminologique. En 2011, le Manifeste des anciens terminologues de l’Office reprochait au GDT d’enregistrer l’usage plutôt que de l’orienter, conformément à son mandat. Et voilà que l’OQLF franchit un pas de plus en enregistrant et normalisant son propre usage déviant !

 

mercredi 3 novembre 2021

Le québécois standard illustré par l’exemple / 18

Je m’aperçois que je n’ai pas publié depuis 2015 de billet illustrant le québécois standard. La chronique de Jean-François Lisée dans Le Devoir de ce jour m’en offre l’occasion. En voici quelques extraits : « … l’alors conseillère Christine Gosselin … L’énergie et la jovialité de l’alors conseillère syndicale… L’alors chef de Projet, Richard Bergeron… »

 

Ceux qui connaissent l’anglais auront compris que cet usage étrange de l’adverbe alors est tout bêtement un calque. En anglais, then peut remplir la fonction d’un adjectif : that decision was taken by the then president.

 

C’est la première fois que je rencontre cet usage pour le moins curieux dans la presse québécoise. Pour l’instant, je le considère comme un hapax.