L’année
dernière, j’ai écrit au premier ministre du Québec, M. Philippe Couillard,
deux lettres que j’ai appelées des philippiques. Je viens tout juste d’envoyer
une lettre à Mme Nathalie Roy, la nouvelle ministre « responsable
de la Langue française », que je vais encore appeler une philippique même
si ce titre n’a plus aucun rapport avec le prénom de la personne. Après tout, Cicéron
avait bien emprunté à Démosthène le nom de philippique même si ses discours ne
s’adressaient pas à un Philippe mais à Marc Antoine.
Le
site d’Impératif français met en ligne aujourd’hui le texte de ma lettre à Mme Nathalie
Roy.
Lettre
à Mme Nathalie Roy
Madame la Ministre,
Vous avez eu l’audace
d’affirmer, le 18 décembre, qu’il y a « un sérieux problème »
dans la langue d’affichage à Montréal. Votre souci évident du statut et de la
qualité de la langue française m’incite à porter à votre attention les faits
suivants dans l’intention de vous aider à atteindre votre objectif de faire
respecter et de faire appliquer la Charte de la langue française.
1. L’Office québécois
de la langue française a rendu public l’automne dernier son Plan stratégique 2018-2023. Ce document,
préfacé par l’ancienne ministre libérale, correspond-il vraiment aux objectifs
en matière de promotion du français, de francisation des petites entreprises et
de francisation des immigrants que votre parti a proposés aux Québécois pendant
la dernière campagne électorale ?
2. L’OQLF devait
publier en 2018 le bilan que l’article 160 de la Charte de la langue française
lui impose de faire « au moins tous les cinq ans ». Il n’a publié
aucun bilan complet depuis 2008. Je vous prie de demander à l’OQLF de mettre à
jour tous les tableaux du bilan de 2008 pour que les citoyens puissent se faire
une idée de l’évolution de la situation linguistique.
3. La place du français
dans l’affichage à Montréal vous inquiète à juste titre. L’OQLF a publié le
29 mars 2018 une étude sur l’affichage à Montréal. On y affirmait que, de
2010 à 2017, il y avait eu une hausse dans la conformité à la réglementation.
Cette hausse n’est pas étonnante quand on sait que la règlementation a été
assouplie en 2016. Le Devoir a bien
débusqué l’astuce quand il a titré dans son édition du 30 mars :
« De nouvelles règles embellissent le portrait de l’affichage en
français. » L’étude publiée en 2018 se concentre sur la conformité des
commerces au nouveau règlement édulcoré mais fournit très peu de données sur la
concurrence des langues dans l’affichage et encore moins sur l’évolution de
cette concurrence.
Il m’a néanmoins été possible
d’établir à partir de ces données parcellaires que, de 1997 à 2017, les
commerces ayant pignon sur rue affichant uniquement en français sont passés de
52 % à 22,8 %, soit une baisse de 29,2 points.
Les données partielles
dont nous disposons à l’heure actuelle permettent de croire qu’il y a eu un
recul significatif de la présence du français dans l’affichage commercial sur
l’île de Montréal depuis vingt ans. Pendant cette période, l’Office a effectué
quatre enquêtes sur le sujet. Il a reçu le mandat de suivre l’évolution de la
situation linguistique. Il dispose des données nécessaires pour informer la
population de l’évolution de la concurrence des langues dans l’affichage
commercial à Montréal de 1997 à 2017. Il ne l’a pas fait dans son rapport de
2018. Il se doit de le faire le plus tôt possible.
4. Le bilan de 2008
comportait un chapitre sur la maîtrise du français. On y trouvait des données
sur le taux de réussite en qualité de la langue aux épreuves de français de 5e secondaire
et à l’épreuve uniforme de français du collégial. Le ministère de l’Éducation
ne met pas en ligne les résultats détaillés aux épreuves du secondaire :
il importe donc que l’OQLF mette à jour les données de son bilan de 2008. Pour
le collégial, nous savons que le taux de réussite au critère de la qualité de
la langue est passé de 90 % en 1998-1999 à 84,8 % en 2015-2016. Les
analyses que j’ai faites des données du Ministère montrent aussi que les
résultats en orthographe sont en baisse depuis 1997-1998 et en syntaxe depuis
2002-2003. Le Ministère n’a pas publié les résultats de 2016-2017 et de
2017-2018. Pourriez-vous demander à votre collègue de l’Éducation de les mettre
en ligne en attendant qu’ils soient intégrés au bilan de l’OQLF ?
5. L’OQLF a publié, en
2017, une nouvelle Politique de l’emprunt
linguistique, « sans réelle consultation du milieu » comme l’ont
écrit les auteurs de dictionnaires Marie-Éva de Villers et Jean-Claude Corbeil.
Ces derniers ajoutent : « La politique de l'emprunt linguistique
adoptée par l'OQLF en 2017 constitue un recul évident, un retour à la case
départ des années 60. Si l'on avait appliqué les critères d'acceptabilité
retenus dans la nouvelle politique de l'emprunt linguistique, jamais nous
n'aurions été en mesure d'entreprendre et de réaliser les chantiers
linguistiques menés par l'Office de la langue française » (Le Soleil, 23 septembre 2017).
J’espère que vous n’hésiterez pas à rappeler à l’OQLF que son rôle n’est pas de
décrire les usages populaires québécois mais de proposer l’usage d’un français
correct dans l’Administration, l’affichage, le commerce, la publicité,
l’enseignement, etc.
6. Je vous suggère,
Madame la Ministre, de jeter un coup d’œil sur les priorités organisationnelles
de l’OQLF. Le nombre d'inspecteurs y est passé de huit, en 2013‑2014, à quatre
en 2014‑2015. On me dit que ce nombre serait toujours de quatre. Parallèlement,
j’ai appris que deux terminologues ont été chargés de préparer, pendant au
moins deux ans, des dossiers de « désofficialisation » de termes
publiés à la Gazette officielle ces quarante dernières années : ce travail
de Pénélope est-il vraiment nécessaire ? L’OQLF ne pourrait-il pas mieux
gérer ses ressources humaines ? Plusieurs termes qui étaient déconseillés
dans les avis publiés à la Gazette officielle sont dorénavant considérés par
l’OQLF comme acceptables en contexte familier. Est-ce le rôle de l’OQLF de
régenter la langue familière ? Ne devrait-il pas plutôt s’occuper des
usages institutionnels de la langue ?
Je lis sur le site du gouvernement du Québec que
vous êtes « ministre responsable de la Langue française » alors que
vos prédécesseurs étaient ministres responsables de l’application de la Charte
de la langue française. Ce changement d’appellation témoigne de l’importance de
votre fonction et du rôle que vous êtes appelée à jouer dans la consolidation
du statut et de la qualité de la langue française au Québec.
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