mardi 29 janvier 2019

Les travaux de Pénélope


Dans deux billets intitulés « Le gâchis de Pénélope » et mis en ligne ces derniers jours, j’ai parlé des activités de «désofficialisation» de l’Office québécois de la langue française (OQLF). Je continue dans cette ligne mais sous un nouveau titre, « Les travaux de Pénélope ». Il y aura vraisemblablement plusieurs suites au présent billet.


J’ai consulté hier la page Facebook de Gaston Bernier, qui a déjà été président de l’Asulf (Association pour le soutien et l’usage de la langue française). Son dernier billet portait sur le terme smoked meat. Je savais que l’OQLF avait fini par entériner cet anglicisme mais j’ai été tout de même étonné de lire sur la fiche du Grand Dictionnaire terminologique (GDT) cette note : « Smoked meat est un emprunt culturel à l'anglais qui désigne un mets introduit à Montréal par les immigrés d'Europe de l'Est. »


On sait que la dernière Politique de l’emprunt linguistique de l’OQLF accepte un mot anglais « s’il fait référence à une réalité représentative d’une des communautés linguistiques anglo-saxonnes » (p. 12). Ce petit bout de phrase, qui n’a l’air de rien, contient une absurdité. Anglo-saxon s’applique aux habitants qui peuplaient l’île de Grande-Bretagne avant la Conquête normande et, en linguistique, il est synonyme de vieil-anglais. Il est abusif d’utiliser l’adjectif ou le substantif anglo-saxon pour désigner les peuples anglophones modernes.


En ce qui concerne smoked meat, il ne fait pas « référence à une réalité représentative d’une des communautés linguistiques anglo-saxonnes ». En fait, on s’accorde généralement pour dire que le smoked meat est un plat juif originaire d’Europe de l’Est. Peut-être cette appellation anglaise est-elle un calque du yiddish.


La fiche du GDT ajoute : « on a tenté, dans les années 1980, de remplacer smoked meat par d'autres termes, notamment par bœuf mariné qui avait été officialisé alors par l'Office québécois de la langue française, mais ces termes ne se sont pas implantés.» Avec un peu plus d’efforts le terme se serait peut-être implanté, au moins partiellement.


La fiche du GDT dit bien que le terme avait été normalisé par l’Office (le 24 janvier 1981). Ce qu’elle ne dit pas, c’est que cette normalisation résultait des travaux de terminologie effectués de pair avec des collaborateurs du gouvernement fédéral*. Une fois de plus, l’OQLF a désofficialisé des termes sans en avertir ses partenaires. Il reste néanmoins des traces, dans la banque Termium du Bureau des traductions (Ottawa), de cette collaboration passée :

Smoked meat platter :


Smoked beef sandwich :


Ajoutons, pour terminer, qu’en anglais même on privilégiait smoked beef :



En effet, dans le but de protéger le consommateur, la réglementation fédérale exigeait alors (je ne sais pas si cela est toujours le cas) de préciser l’espèce animale dans la vente de produits carnés.

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* À ma connaissance, il y a eu plusieurs éditions du Lexique du bœuf (1977, 1978, 1979 et 1980). L’un des auteurs mentionnés dans les bases bibliographiques est le docteur Guy Meilleur, vétérinaire au ministère de l’Agriculture du Canada. Dans l’édition de 1977 (qui porte la mention « Régie de la langue française »), on peut lire : « Ce lexique contient la terminologie française normalisée pour la vente au détail au Québec, les termes de demi-gros ainsi que la terminologie bilingue fédérale des coupes pour collectivités. Les notes, placées entre le lexique et l'index des termes français, sont des plus utiles aux bouchers, aux rédacteurs de livres de recettes et aux professeurs de coupe de viandes. L'ouvrage est indispensable à toutes les personnes qui de près ou de loin ont à traiter la viande de bœuf ou à traiter de la viande de bœuf pour étiquetage, affichage interne ou publicité, afin de se conformer à la loi sur la francisation des entreprises. »


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