On m’a signalé il y a quelques jours que la fiche « smoothie » du Grand Dictionnaire terminologique (GDT) de l’Office québécois de la langue française (OQLF) a été modifiée. La modification date de 2017. On trouve trace de l’ancienne position de l’OQLF dans une note de la banque de données terminologiques et linguistiques du gouvernement du Canada Termium Plus (s.v. smoothie) :
Selon l'Office québécois de la langue française du Québec, «smoothie» est un mot anglais à proscrire et à remplacer par les termes «yogourt frappé», «lait frappé», «lait frappé au yogourt», «lait fouetté», selon l'ingrédient principal de la boisson. De plus, le terme «frappé» s'utilise uniquement si des glaçons font partie de la recette.
Le GDT justifie son revirement par l’argument suivant :
Le terme smoothie est acceptable parce qu'il est légitimé en français, notamment au Québec et en France. Il est bien implanté dans l'usage et il est employé en contexte neutre, à l'écrit comme à l'oral, malgré les réticences qui ont été émises à son égard au cours des dernières années.
Le mot est acceptable parce qu’il est « légitimé en français ». Par qui ? Le GDT ne nous le dit pas. Supposons que la légitimation se fasse par la présence du mot dans les dictionnaires. Alors le mot deviendrait légitime du simple fait qu’il figure dans le GDT. C’est un argument circulaire, c’est le serpent qui se mord la queue.
Supposons plutôt que la légitimation vient de la présence du mot dans des dictionnaires autres que le GDT. En France, smoothie est présent dans le Larousse. Je n’ai pas cherché ailleurs mais disons que cela nous suffira pour affirmer la légitimité du mot en France.
La situation se corse lorsque nous consultons les dictionnaires d’ici. La septième édition du Multidictionnaire de la langue française (2021) frappe le mot d’un astérisque, ce qui signifie qu’il s’agit d’une forme fautive. Termium considère que c’est un terme à éviter. Pour sa part, Usito remarque : « L'emploi de smoothie ou de sa variante smoothy, parfois critiqué, n’a pas d’équivalent standard usuel. Le terme frappé aux fruits est surtout employé dans la langue d’affichage ». C’est une acceptation certes, mais plutôt par défaut car on note qu’un autre terme lui est préféré dans l’affichage ; le même dictionnaire a par ailleurs une entrée « frappé, n.m. » (absente du GDT). Et le mot smoothie est absent du Dictionnaire québécois d’aujourd’hui et du Dictionnaire du français Plus. La légitimation québécoise me semble donc plutôt faible.
On peut aussi tout simplement estimer que la légitimité vient de l’usage : vox populi, vox Officiii. Alors plus besoin du GDT ! S’il suffit d’enregistrer l’usage, Usito est là pour ça, on l’a déjà payé à même nos impôts, faisons l’économie du GDT.
On peut en
revanche croire nécessaire d’avoir des avis officiels sur les termes corrects à
utiliser dans la langue commerciale. C’est l’un des rôles que l’Office de la
langue française a exercés depuis sa création. Et compte tenu de la nature
fédérale du Canada, il lui a fallu collaborer avec les organismes du
gouvernement canadien pour établir des listes de termes officiels dans différents
domaines. L’Office a été membre du Comité intergouvernemental de la
terminologie des produits laitiers dont les travaux ont été publiés en
1985 sous le titre Lexique de l’industrie
laitière. Je n’ai pas conservé le document mais j’imagine qu’on y trouve le
terme smoothie et qu’on le considère
comme un terme à éviter (cf. la citation de Termium). Si cela est vrai, ce ne
serait pas la première fois qu’un(e) terminologue de l’Office aurait
unilatéralement modifié une décision d’un comité intergouvernemental de
terminologie (cf. mon billet « Le gâchis de Pénélope »). Pour l'heure, les commerçants font face à des injonctions contradictoires: Termium qui déconseille le terme smoothie, le GDT qui l'encourage.
Il me reste une contradiction à mettre en évidence. L’OQLF dans sa Politique de l’emprunt linguistique a affirmé, en 2017 (même année que la fiche «smoothie»), que selfie ne s’intègre pas au système linguistique du français (ce qui demeure un mystère pour moi) mais il n’a pas vu le problème d’intégration phonétique que présente le « th » de smoothie. Va-t-on prononcer «smoussi» comme le suggère le Larousse ? Ou «smouti» selon Usito ? Pour une fois qu’un emprunt lexical présente un vrai problème d’intégration, le GDT le passe sous silence.
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