samedi 29 décembre 2012

En deçà des promesses / 7



Dans ce billet, quatre termes relatifs à l’hiver et leur traitement dans le Dictionnaire de la langue française, le français vu du Québec, le Franqus.

Pelleter

Selon le Franqus, le verbe se conjugue je pellette ou, suivant les rectifications orthographiques, je pellète. Le Franqus se contente d’indiquer que l’infinitif présent se prononce [pɛlte] et s’abstient de dire comment prononcer le verbe aux autres temps et aux autres modes. Il se montre ainsi plus prudent que l’Office québécois de la langue française dont la Banque de dépannage linguistique nous dit : « Nous entérinons donc la prononciation [pElt] (pèlt), même dans un registre soigné, tout en conservant la graphie je pellette, tu pellettes, ou, selon les rectifications orthographiques, je pellète, tu pellètes, etc. »


Charrue

Le Franqus ne donne pas l’UQ [= usage québécois] charrue (ou charrue à neige, de l’anglais snow plough) au sens de « chasse-neige ». Contrairement à l’Office québécois de la langue française et à son Grand Dictionnaire terminologique. Voir mes billets « Mettre la charrue devant les bœufs ou devant les congères ? » et « La charrue devant la congère ». Il est tout de même curieux qu’un dictionnaire dit de langue ne relève pas cet usage et qu’on le trouve dans un dictionnaire terminologique où il n’a pas sa place.


Gratte

Le Franqus a l’UQ [usage québécois] fam. gratte = « chasse-neige ». Le Grand Dictionnaire terminologique de l’Office québécois de la langue française place le mot dans les termes « à usage restreint » et y ajoute la marque « langue courante ». Comme je l’ai fait valoir à plusieurs reprises, pourquoi un dictionnaire terminologique se mêle-t-il de la langue courante ? En revanche, il est normal qu’un dictionnaire de langue comme le Franqus relève cet usage.



Glace noire

Voici la définition que donne le Franqus : « mince film de glace transparente, presque invisible sur la chaussée ou ailleurs ».


Il est difficile de voir en quoi la définition du Franqus diffère substantiellement de la définition de verglas donnée par le Larousse en ligne, les deux dictionnaires s’accordant pour dire qu’il s’agit d’une couche de glace mince et transparente (il est vrai que le Franqus utilise film plutôt que couche…) :

  • Couche de glace mince et transparente, qui se forme à la surface du sol ou des objets, lorsque de grosses gouttes de pluie en surfusion se congèlent brusquement à leur contact.
  • Couche de glace lisse constituée par une pluie non surfondue tombant sur un sol glacé ; couche rugueuse et glissante par endroits, qui se forme lorsque la neige au sol, après avoir fondu, se congèle de nouveau.


Le Franqus ne donne aucune marque d’usage autre que « UQ » à glace noire même s’il indique que le terme vient de l’anglais black ice. En cela, il suit le Grand Dictionnaire terminologique de l’Office québécois de la langue français, qui justifie glace noire en écrivant qu’il est « bien construit » (l’endogénisme flirte avec l’eugénisme linguistique en suggérant d’expédier dans les limbes les termes mal formés). J’aimerais bien qu’on me donne un seul exemple de calque « mal construit ».

Notons que l’usage du mot film dans la définition ne correspond pas aux définitions de ce mot dans le même Franqus : 1) pellicule photographique ; 2) œuvre cinématographique ; 3) déroulement ininterrompu d’événements. D’habitude, on s’arrange pour que les mots utilisés dans les définitions d’un dictionnaire soient définis dans le même dictionnaire… A-t-on même pensé qu’il pouvait s’agir d’un emprunt sémantique à l’anglais ? Voici en effet la définition que donne de film le Webster : « a thin covering or coating <a film of ice> ».

À suivre

mercredi 26 décembre 2012

En deçà des promesses / 6


Suite de mon exploration du Dictionnaire de la langue française, le français vu du Québec, le Franqus.


Sur le plancher du conseil exécutif

L’altercation entre M. Bergeron et Mme Fournier a été vaguement évoquée sur le plancher du conseil, mais le malaise portait surtout sur des paroles prononcées devant témoins par le maire de l’arrondissement du Plateau Mont-Royal, Luc Ferrandez.
Bryan Miles, « Des insultes en cadeau », Le Devoir, 19 décembre 2012


Le Franqus donne deux sens du mot plancher qui sont présentés comme des « anglicismes critiqués » : 1) étage, niveau ; 2) l’expression prendre le plancher « prendre la parole ». Mais il n’a pas relevé l’expression sur le plancher de (du conseil municipal, de la Chambre des communes, etc.).


Voici ce que dit Guy Bertrand dans Le français au micro :

On peut dire qu’on a laissé tomber une cuillère sur le plancher de la cuisine. En revanche, il faut éviter d’employer la locution sur le plancher de devant le nom d’une grande salle où se trouvent des gens. Cet emploi de la locution sur le plancher de est calqué sur l’anglais. Au lieu de parler d’un reporter sur le plancher du Palais des congrès et des députés sur le plancher de la Chambre, on parlera d’un reporter AU PALAIS DES CONGRÈS et des députés EN CHAMBRE.
Guy Bertrand, Le français au micro


Les problématiques

« Nous construisons à la verticale et non à l'horizontale » dit Me Rochefort, lorsque la juge lui demande ce qui la distingue de l'Association des constructeurs de route, qui demande aussi un statut. « Les problématiques sont donc très différentes », plaide-t-il.

Me Hurtubise dit que son association est intéressée par la problématique de la sous-traitance. La juge Charbonneau dit que ses membres risquent d'être affectés dans leurs tâches et leurs responsabilités par le rapport de la commission.


Quelques heures d’écoute des audiences de la Commission Charbonneau suffisent pour comprendre que les problèmes ont cédé la place aux problématiques. Cet usage n’a pas été relevé par l’équipe du Franqus.


Jobine

« Il n’y a plus de jobines », dit-il. « La caisse chez IGA, ça prend quasiment un bac pour la comprendre. Le travail est de moins en moins accessible pour les gens qui ont un handicap », dit-il en soulignant qu’environ les trois quarts des itinérants ont des problèmes de santé mentale.
Isabelle Porter, « Tellement maganés, tellement malades… », Le Devoir, 24 décembre 2012

L'année 76 n'était pas terminée que, d'autre part, un groupe de travail s'était déjà constitiué autour de Bernard Landry afin de déclencher dans les plus brefs délais, en improvisant au besoin, ces programmes de création d'emplois dont le taux de chômage soulignait dramatiquement la nécessité. Sous son acronyme exubérant, OSE (opération de solidarité économique), cet effort allait se poursuivre sans relâche, faisant d'abord apparaître plus de jobines que d'emplois durables, apprenant peu à peu à rectifier le tir et nous apportant surtout l'expérience concrète dont nous aurions tant besoin lors de la crise de 81-83.
René Levesque, Attendez que je me rappelle…, 1986 (cité d’après le TLFQ)


Le Franqus nous dit que « l’emploi de job est critiqué comme synonyme non standard de emploi, poste, travail ». Il ne dit rien de jobine dont le Trésor de la langue française au Québec offre 48 attestations, de 1957 à 2008.


Les forces

Le Franqus a bien « les forces armées » (s.v. force) mais ne mentionne pas que l’expression « les forces canadiennes » est habituelle pour désigner l’armée de terre, l’aviation et la marine.

La destruction de 3500 tonnes de BPC à la base des Forces canadiennes de Goose Bay, au Labrador, est maintenant terminée, a annoncé, hier, le ministre de la défense, Bill McKnight. Les 3500 tonnes [détruites] représentaient 40% de l'inventaire de BPC du gouvernement fédéral. Les produits chimiques ont été éliminés grâce à un incinérateur mobile. (Le Journal de Québec, 8 août 1990, source : TLFQ)


Dans la langue parlée, on entend fréquemment « les forces » pour désigner les forces armées canadiennes, usage qui a échappé aux rédacteurs du Franqus.


Coup de boule

On se rappellera le fameux coup de boule de Zidane… au « (UF) football » = « (UQ) soccer », expression absente s.v. boule.


Icitte

Voilà un mot qui m’est venu à l’esprit par hasard et qu’on ne trouve pas sous sa forme populaire dans le Franqus même s’il figure dans ce que les promoteurs du Franqus appellent des « textes de qualité » (comme les romans Maria Chapdelaine, Le Survenant, Bonheur d’occasion). L’hexagonal Trésor de la langue française informatisé n’a pas de scrupule à consigner cet usage régional :

Icit(t)e, (Icite, Icitte) adv., région. (notamment Canada, Centre et Ouest) (cf. HÉMON, M. Chapdelaine, 1916, p. 9; GENEVOIX, Raboliot, 1925, p. 158; GUÈVREMONT, Survenant, 1945, p. 33; ROY, Bonheur occas., 1945, p. 182; LA VARENDE, Sorcière, 1954, p. 22).


Le Franqus ne donne droit de cité à icitte que dans sa liste des… acadianismes.


Lunch

Le Franqus dit : « (dans les pays de culture anglo-saxonne) repas rapide et léger pris au milieu du jour ». Il devrait ajouter, après « dans les pays de culture anglo-saxonne » : « et à Montréal ».


Le Franqus n’a pas le verbe luncher courant à Montréal pour signifier « prendre le repas de midi ». Je passe sur les expressions heure du lunch, boîte à lunch et sac à lunch qui ne sont suivies d’aucun commentaire normatif à la différence du mot lunch, « parfois critiqué » mais « passé dans l’usage standard ». Pour heure du lunch aucune mention de l’UF pause déjeuner, pause repas ni de l’UQ heure de dîner.


Cava

[…] à mon sens, le meilleur cava sur le marché actuel et une sincère découverte pour le groupe. […]Si la bulle n’a pas de goût spécifique, alors comment départager un champagne d’un cava espagnol ou d’un vouvray ligérien ?

Jean Aubry, « Le mousseux : quadrature de bulle réussie », Le Devoir, 21 décembre 2012



Le mot cava « vin mousseux catalan » est absent du Franqus.


À suivre

mercredi 19 décembre 2012

En deçà des promesses / 5



Suite de mon exploration « à sauts et gambades » du Dictionnaire de la langue française, le français vu du Québec, le Franqus. Dans ce billet, j’aborde la question des définitions dans le Franqus et celle des prononciations. Je ne fais qu’exposer quelques problèmes puisque je n’ai pas l’intention de corriger à moi seul ce dictionnaire.


Péplum

Il est intéressant de comparer les définitions du  Franqus, du Trésor de la langue française informatisé (TLFi) et du Larousse en ligne :

Franqus
Trésor de la langue
française informatisé

Larousse
Dans l’Antiquité, tunique sans manches, agrafée sur les épaules
ANTIQ. GR. ET ROMAINE. Vêtement féminin formé d'une grande pièce d'étoffe rectangulaire, maintenue sur les épaules par deux agrafes, avec un rabat retombant à l'extérieur.
Dans la Grèce antique, tunique féminine de laine, faite d'un rectangle de tissu enveloppant le corps et dont la partie supérieure est repliée sur le buste.



La définition du Franqus omet un élément essentiel : le péplum est un vêtement de femme.


Peso

La définition que le Franqus donne de ce mot laisse à désirer. Comparons-la avec celles du TLFi et du Larousse :

Franqus
Trésor de la langue
française informatisé

Larousse
Unité monétaire de plusieurs pays d’Amérique latine, de Cuba, de la République dominicaine et des Philippines
Unité monétaire de plusieurs pays d'Amérique latine, dont l'Argentine, la Bolivie et le Mexique.
Unité monétaire principale de plusieurs pays d’Amérique latine (Argentine, Chili, Colombie, Cuba, République dominicaine, Mexique, Uruguay) et des Philippines



La définition du Franqus laisse entendre que Cuba et la République dominicaine ne font pas partie de l’Amérique latine. Pourtant, comme l’indique Wikipédia, « La définition la plus fréquente de l'Amérique latine retient en pratique les 18 pays indépendants de l'Amérique hispanique, dont la langue officielle principale est l'espagnol, en y ajoutant le Brésil, dont la langue officielle est le portugais. »


Autre curiosité : le Franqus donne comme prononciation [pəzo] (avec un e dit muet) tout en indiquant qu’il est possible selon les rectifications orthographiques (RO) d’écrire péso. Personne ne semble avoir vu la contradiction. Remarquons au passage que le TLFi donne trois prononciations possibles, [pezo], [peso], [pɛzo], mais pas celle retenue par le Franqus.


À elle seule, la question des transcriptions phonétiques dans le Franqus mériterait une longue étude. Ainsi, le Franqus indique que la dernière syllabe de handball se prononce comme la dernière de baseball : ['andbɑl], [bezbɑl]. Le TLFi, pour sa part, donne [ãdbal] avec le premier a nasalisé et la finale se prononçant comme dans balle, ce qui est conforme à l’origine allemande du mot. Le Franqus traite handball comme s’il s’agissait d’un mot américain ; en cela, il est fidèle à l’usage québécois qu’il se garde bien de hiérarchiser par rapport à l’usage français dont il ne dit rien. Pour le mot gang, il n’a que la prononciation [gaɲ] (gagne) alors que dans la version numérique du Multidictionnaire de Marie-Éva de Villers l’acteur Gérard Poirier donne les prononciations [gãg] et [gaɲ] : encore une fois, le Franqus perd une occasion de hiérarchiser les usages. Pour cocktail, le Franqus préfère la prononciation anglicisante [kɔktel] et passe sous silence [kɔktɛl]. En revanche, pour bagel, il donne la prononciation à l’anglaise [begœl] et la prononciation francisée [bagɛl]. Pour square, il n’a que la prononciation québécoise [skwɑR] et ne mentionne pas la prononciation à l’anglaise [skwɛ:R], que donne pourtant le TLFi, ni la prononciation française [skwa:R]. La variante diphtonguée de [skwɛ:R] est pourtant fréquente au Québec.


Bref, en ce qui concerne la prononciation, et en particulier la prononciation des mots étrangers, le Franqus ne semble pas avoir de doctrine ferme, allant tantôt dans un sens, tantôt dans l’autre.

Pour vous changer les idées, je vous propose d’écouter ceci :
Martha Argerich, le trompettiste David Guerrier
et le chef Gabor Takacs-Nagy au Festival de Verbier en 2010
 
À suivre

dimanche 16 décembre 2012

En deçà des promesses / 4



Continuons l’exploration du Dictionnaire de la langue française, le français vu du Québec, le Franqus.


Carter

Le Franqus a bien le verbe carter dont il dit : « L’emploi du verbe carter qqn est critiqué comme synonyme non standard de contrôler qqn, demander à qqn une carte, une pièce, une preuve d’identité. »


Le problème, c’est que les deux exemples qu’il donne n’en sont pas mais sont plutôt des définitions : Demander une carte d’identité à un jeune adulte avant de lui vendre de l’alcool, du tabac ; se faire contrôler à l’entrée d’un bar.


Le Franqus n’a pas le verbe discarter, défini ainsi par le Grand dictionnaire terminologique de l’Office québécois de la langue française : « Rejeter de son jeu (une ou plusieurs cartes qui seront remplacées à la donne suivante) ». Le Franqus a perdu une belle occasion de « hiérarchiser l’usage » puisque le bulletin linguistique hebdomadaire de Radio-Canada nous met en garde :

Dans la langue des jeux de cartes, on remplacera le verbe discarter par se défausser de ou écarter. Par exemple, au lieu de dire qu’on discarte le deux de pique, on dira qu’on se défausse du deux de pique ou qu’on écarte le deux de pique. (Le français au micro, semaine du 5 au 11 janvier 2009)


Circulaire

Le Franqus n’a pas enregistré le sens de « prospectus » que le mot circulaire a en français québécois. Selon le Trésor de la langue française au Québec, le mot est attesté en ce sens depuis 1975.

Selon l’Office québécois de la langue française, dans son Grand dictionnaire terminologique, « il faut éviter d'employer au sens de ‘ feuillet publicitaire ‘ le terme circulaire, calqué sur l'anglais circular. »

 
Trait-carré

À plusieurs reprises ces jours-ci, j’ai entendu à la radio et à la télévision parler de la fête de Noël au Trait-Carré de Charlesbourg. Le Grand Dictionnaire terminologique de l’Office québécois de la langue française nous dit :

Le trait-carré est associé à un mode de lotissement radial. Au Québec, ce mode de lotissement a été adopté pour former deux noyaux de peuplement : Charlesbourg et Bourg-Royal (situés actuellement dans l'arrondissement de Charlesbourg, à Québec). Le premier correspond maintenant aux rues appelées Le Trait-Carré Est et Le Trait-Carré Ouest, le second aux rues appelées carré De Tracy Est et carré De Tracy Ouest.
Le 16 janvier 2007, la Commission de toponymie du Québec a approuvé le terme trait-carré ainsi que sa définition, pour la gestion des noms de lieux.


On ne trouve aucune mention de l’expression trait-carré dans le Franqus ni à l’entrée carré ni à l’entrée trait. Ce qui est curieux dans un dictionnaire dont on nous dit qu’il existe « parce que le Québec a un environnement naturel (une faune et une flore) nord-américain particulier, des institutions politiques, sociales, culturelles, d’enseignement, qui diffèrent de celles de l’Europe, etc. »


Référence

Il a beaucoup été question de la référence ou du placement syndical dans l’actualité des dernières semaines :

Au départ, l'élimination du placement d'employés par les syndicats devait arriver au même moment où le Service de référence de la main-d'œuvre de l'industrie de la construction, administré par la Commission de la construction du Québec, allait être mis en place.
[…]
La CSQ-Construction se désole que le règlement encadrant la référence de la main d'œuvre n'ait pas encore été adopté, mais soutient que l'industrie « ne s'en trouvera pas paralysée » pour autant.

Site de Radio-Canada, « Placement syndical : un nouveau système impossible à respecter, dit la FTQ », 2 décembre 2012




On ne trouve pas ce sens du mot référence dans le Franqus. Sens par ailleurs critiqué, par exemple par l’Asulf dans son mémoire à la Commission de l’économie et du travail de l’Assemblée nationale en octobre 2011. Encore une fois, le Franqus perd une occasion de « hiérarchiser » les usages et passe sous silence (ou à la trappe) un usage québécois.

À suivre

jeudi 13 décembre 2012

En-deçà des promesses / 3



Je continue mon exploration du Dictionnaire de la langue française, le français vu du Québec, le Franqus.


Quitter

Le Franqus indique qu’il s’agit d’un « v.tr.d. », c’est-à-dire un verbe transitif direct. C’est passer facilement sous silence l’usage québécois très fréquent, que l’on trouve dans ce titre d’article du Devoir : « Nouvelle démission de taille chez Union Montréal: Marvin Rotrand quitte » (version Internet du Devoir, 15 novembre 2012).


Autre exemple :

Le CRTC s’inquiète : tant de journalistes de la société d’État quittent pour la politique, n’y a-t-il pas menace pour sa crédibilité ?
Josée Boileau, « Radio-Canada – Les démons du CRTC », Le Devoir, 21 novembre 2011


Libre penseur

Le Trésor de la langue française informatisé (TLFi) définit ainsi le libre penseur : « « Qui s'oppose aux croyances installées et en particulier aux dogmatismes religieux, pour ne se fier qu'à ce qui est librement établi et prouvé par la raison. » La définition du Franqus est la même, à un mot près : « Personne qui s’oppose aux croyances installées et en particulier aux dogmatismes religieux, pour ne se fier qu'à ce qui est librement établi et prouvé par la raison. »


La définition du Franqus n’est pas conforme à l’usage québécois.


Dans Le Devoir du 11 février 2010, on pouvait lire : « L'écrivain et syndicaliste Pierre Vadeboncoeur, un libre penseur, est décédé la nuit dernière à l'âge de 89 ans. La cause de son décès n'est pas encore connue. » Ses funérailles ont été célébrées en l’église Saint-Albert-le-Grand le 15 février.


Le cinéaste Pierre Falardeau a aussi été traité de libre penseur (p.ex. Québec Presse, 28 septembre 2009). Ses funérailles ont été célébrées en l’église Saint-Jean-Baptiste de Montréal…


Au Québec, on célèbre les funérailles des libres penseurs à l’église. Ce fait semble avoir échappé aux rédacteurs du Franqus.


Étudiant

L’étudiant est défini ainsi dans le Franqus : « élève qui fait des études dans un établissement d’enseignement supérieur ».


Aucune mention des « étudiants du secondaire » ni des « étudiants universitaires » (pléonasme que le Franqus aurait dû signaler même si on peut le rencontrer ailleurs dans le monde francophone) :

S’ils ont défié la direction de l’école en s’absentant de leurs cours jeudi après-midi pour aller manifester à Montréal, ces étudiants du secondaire 2e cycle de l’École d’éducation internationale de Laval ont tout de même été bons joueurs, respectant deux directives qui leur avaient été imposées, la veille.
Stéphane St-Amour, « Plus de 200 étudiants d’une école secondaire débrayent », Courrier Laval, 22 mars 2012

« Quatre étudiants au secondaire couronnés au gala Forces AVENIR », titre d’un article du Courrier du Saguenay, 3 juin 2012

« L'étudiant universitaire type en arrache. »

Lisa-Marie Gervais, « Les étudiants universitaires en arrachent », Le Devoir, 19 novembre 2010




On trouve même l’expression « étudiants du primaire », comme dans ce titre du Courrier du Saguenay (12 décembre 2010) : « Des étudiants du primaire et du CFP ‘brassent la cabane’! »



Ces emplois très fréquents, relevés dans de nombreux ouvrages (par exemple dans Le français au micro), ne sont pas signalés par le Franqus. Il est difficile de croire qu’il puisse s’agir d’un oubli involontaire. Je ne comprends pas pourquoi on ne fait pas mention de ces usages, quitte à les « hiérarchiser » puisque tel est l’un des objectifs de ce dictionnaire.

 

Commercial

Le sens « message publicitaire » du mot commercial, pourtant bien attesté en français québécois, n’est pas consigné dans le Franqus :

Je dois dire que le tournage des commerciaux, par moments, c'est plus excitant qu'un tournage de films. Ça rapporte beaucoup plus à l'artiste qu'un long métrage. Quand Molson a décidé, par exemple, de réaliser le commercial d'été pour la Laurentide, elle y a mis le paquet. C'était impressionnant comme production. Les gens ne savent pas la somme de travail que peut exiger la réalisation d'un commercial d'une durée de 30 ou 60 secondes à la télé.
Jérôme Lemay, Les Jérolas, 1983 (source : Trésor de la langue française au Québec)


Cet anglicisme se retrouve même dans la bouche de personnes « de qualité »* ou plutôt, dans l’exemple suivant, parlant ès qualités :

Le Président de l'O.L.F. [Office de la langue française] s'inquiète de cet « effet pub », notamment dans ce qu'il appelle le langage de taverne dans les commerciaux de bière.
Le Devoir, 17 mars 1992, p. 32 (cité d’après le Trésor de la langue française au Québec)


On ne comprend donc pas pourquoi le Franqus n’a pas enregistré, quitte à le condamner, ce sens du mot commercial.

_______________
* Voir l'exergue du billet du 11 décembre 2012.

À suivre

mercredi 12 décembre 2012

En-deçà des promesses / 2


Je continue mon exploration « à sauts et gambades » du dictionnaire Franqus – Dictionnaire de la langue française, le français vu du Québec.  J’en étais à commenter le traitement du vocabulaire sexuel.


Crosser, crosseur 

Bref, nous conseillons aux politiciens actuels qui tentent de cadrer Daniel Breton comme un crosseur du système éhonté de s’installer devant YouTube et de réécouter l’intégrale des trois saisons des Bougon maintenant accessible gratuitement.
Daniel Pierre-Roy, « Un bien petit Bougon » (lettre), Le Devoir, 30 novembre 2012


Le verbe crosser est absent du Franqus. Pourtant on y trouve l’« UF (usage français) vulg. se branler » (s.v. branler) mais il n’a même pas comme synonyme l’« UQ (usage québécois) se crosser ». Il n’a pas non plus le québécois branleux, attesté en 1925 dans un texte du chanoine Groulx. En revanche, il est vrai que le Franqus admet qu’un évêque ou un abbé puisse être crossé (s.v. crosse : « Abbé, évêque crossé »). L’abbé peut aussi être mitré (s.v. mitré, mitrée).


Très intéressante, cette entrée mitré, mitrée, avec sa définition : « catholicisme Qui porte la mitre, qui a le droit de porter la mitre. » Notez la forme féminine mitrée et la mention catholicisme. Que je sache, il n’y a pas, dans le catholicisme, de femme évêque, ce qui est pourtant le cas dans une partie de l’église anglicane et chez les luthériens. Les exemples d’abbesses mitrées sont rares dans l’histoire et il ne semble pas qu’il y en ait eu au Québec. De nos jours, les femmes mitrées sont luthériennes ou anglicanes, pas catholiques. Le Trésor de la langue française informatisé (TLFi) a plus raisonnablement : « RELIG. CHRÉT. Qui porte la mitre. Abbé crossé et mitré. » Le Franqus aurait donc dû indiquer RELIG. CHRÉT., comme le TLFi, plutôt que CATHOLICISME.


Le Franqus, généralement très fort sur la féminisation, n’a pas de forme féminine pour évêque, présenté simplement comme « n.m. » (nom masculin). Avec comme exemple : L’évêque de Québec. Détail de l’histoire (comme dirait l’autre), l’évêque de Québec est devenu archevêque en 1819. Le Franqus serait-il en retard sur l’usage ?

Christina Odenberg, évêque luthérienne mitrée et crossée

Pour rester dans un domaine « con-nexe », remarquons que la définition de graine dans le Franqus exclut le sens québécois usuel… Dans un domaine tout aussi con-nexe, le mot pelote n’a pas dans ce dictionnaire son sens populaire québécois (comme quand Jean Charest s’est fait accueillir en France par les mots « J'espère que vous n'avez pas trop la plotte à terre ») et le mot chatte n’a pas non plus son sens populaire français. Pas de UQ noune non plus. On notera aussi que, selon notre dictionnaire, si on peut se faire faire une pipe (s.v. pipe), on ne peut s’en faire tailler une. Mais on trouvera l’expression se faire tirer la pipe (« UQ » = usage québécois).



Avec le règlement de l’affaire DSK, ceci n’est plus la pipe la plus chère du monde
(tableau de René Magritte, source : Wikipédia)
 

Baveux oui, licheux non

Notre société ne manque pas de baveux. Que ce soit Assathiany, Renaud, moi ou d’autres.
Elle compte heureusement quelques courageux, comme Philippe Béha.
Et elle souffre surtout de compter de plus en plus de licheux. Des licheux qui se contentent d’espérer en silence qu’on entende les baveux. »
Jean-François Nadeau, « Blaise, Pascal et les autres », Le Devoir, 1er décembre 2012


Baveux est dans le Franqus, mais pas licheux (mais il a le verbe licher). Pourquoi ? Les deux mots me semblent de même niveau.


*   *   *

Pour vous distraire, je vous propose un extrait d’On n’est pas couché où Jonathan Lambert tient le rôle de Larousse. Il est accompagné du Petit Robert… qui ne parle qu’anglais (ce qui illustre le fait bien connu que les dictionnaires publiés à Paris sont pleins de mots anglais).



À suivre