mercredi 30 septembre 2020

Commentaire d’une autre des signataires de la tribune contre l’écriture inclusive

 

La tribune contre l’écriture inclusive publiée dans Marianne a provoqué colère, critiques et grincements de dents chez certains sociolinguistes. À ce point que trois signataires ont cru devoir s'expliquer. Je me permets de relayer les explications données par l'une d'entre eux, Sonia Branca-Rosoff :

 

 

J’ai signé cette tribune en linguiste descriptiviste préoccupée des conséquences des solutions orthographiques proposées par les réformateurs et réformatrices qui se réclament de l’écriture inclusive.

 

J’espère que les lecteurs prendront la peine de la lire (au lieu de faire des procès d’intention sur les opinions politiques des signataires) et qu’ils s’en tiendront à l’argumentaire du texte qui porte sur l’aspect graphique de l’écriture inclusive. Il n’y a pas lieu de parler de sexisme ou de droitisation, en réponse à un texte qui s’inquiète d’une orthographe peu lisible. Il n’y a pas davantage de raisons d’extrapoler sur les opinions des signataires concernant d’autres innovations : la tribune ne s’oppose ni à la féminisation des noms de métier sur laquelle s’accorde la quasi-totalité des linguistes, ni au procédé des doublets, ni au recours à des mots comme personne qui n’ont pas d’opposition masculin/féminin. Leur emploi est une affaire de style… C’est un tour de passe-passe que de répondre à des critiques précises sur des formes graphiques : « Vous n’avez rien lu ! Vous nous réduisez au point médian, alors qu’il s’agit seulement d’une variante. » Pour discuter d’une proposition technique, ne pas tout mélanger me semble de bonne méthode.

 

La tribune s’oppose aux raisonnements et aux approximations historiques qui sous-tendent les critiques des inclusivistes. Je regrette notamment le refus de la distinction entre forme marquée et forme non marquée qui est pour moi à la base des approches linguistiques.

 

Les réserves principales portent sur la difficulté du système de l’orthographe inclusive parce qu’il ne suit ni une logique phonétique (qui fait qu’à l’oral on peut apparier un ou plusieurs graphèmes à des phonèmes) ni une logique morphologique (alors que le français s’écrit « en morphèmes » si possible invariables, d’où par exemple le d de grand, même si muet ou prononcé t). Or, le nouveau système crée des unités visuelles étranges comme gran‑ ou d‑, dans gran.d.e, séquences de lettres sans correspondant linguistique. Cela complique sérieusement l’écriture déjà complexe du français pour un bénéfice qui me paraît fort incertain car il me semble que le discours et l’action sont autrement plus efficaces qu’un système graphique pour faire avancer la cause des femmes

 

J’entends bien que pour ceux qui défendent l’écriture inclusive l’important est d’afficher ses convictions et le point médian se voit ! (beaucoup plus que l’usage d’autrice ou de droits humains pas assez fréquents, pas assez ostentatoires. Le point médian permet de cliver, et symétriquement de faire groupe au nom de la fin de la domination masculine). Cependant, je ne crois pas qu’on puisse s’en tenir à la joyeuse effervescence du militantisme sans prendre en compte les conséquences sur la lecture et l’écriture du français d’innovations qui complexifient sérieusement l’orthographe.

 

 

Je signale qu’une contre-tribune a été publiée dans Mediapart et qu’on peut la lire en cliquant ici.

 

lundi 28 septembre 2020

Commentaires d’un des 32 premiers signataires de la tribune de Marianne

 

 

Les lecteurs de ce blog seront sans doute intéressés par les commentaires de Louis-Jean Calvet sur les critiques qu’il a reçues à la suite de la parution dans Marianne de la tribune sur l'écriture inclusive qu'il a cosignée :

 http://louis-jean.calvet.pagesperso-orange.fr/accueil.htm 

(Lorsque vous êtes entré dans le site de Louis-Jean Calvet, il vous faut cliquer sur « Au jour le jour » dans la colonne de gauche pour lire son billet du 27 septembre.)

 

En voici la conclusion :

 

Ce qui me frappe le plus dans ces réactions, c’est que l’idéologie passe avant la science, ou que la frontière entre science et idéologie est de plus en plus poreuse, que le débat scientifique semble préférer la passion à la raison. Tout cela, bien sûr, est assez consternant. Est-ce un signe des temps ? 

 

 

vendredi 25 septembre 2020

Tribune de Marianne : la liste des signataires s’allonge

 

Marianne a publié une tribune contre l’écriture inclusive : on pourra lire la version originale de ce texte (car il a depuis été condensé sans consultation, apparemment, de ses auteurs) en cliquant ici.

 

Plusieurs linguistes ont depuis demandé à ajouter leur signature : on pourra consulter la liste, régulièrement mise à jour, de tous les signataires en cliquant ici.

 

 

lundi 21 septembre 2020

L’écriture inclusive : du point médian au point Godwin

 
 

Au départ relative aux discussions sur des forums virtuels, la loi de Godwin peut s'appliquer à tout type de conversation ou débat ; l'un des interlocuteurs atteint le point Godwin lorsqu’il en réfère au nazisme, à Hitler ou à la Shoah, pour disqualifier l’argumentation de son adversaire.

Godwin distingue cette loi de l'erreur logique désignée par la pseudo-locution latine reductio ad Hitlerum, attestée depuis les années 1950, qui est une spécialisation de l’argumentum ad hominem et de l’argumentum ad personam, locutions antérieures. La loi de Godwin introduit l'idée selon laquelle un tel argument est inévitable dans un débat qui s'éternise.

— Wikipedia, s.v. Loi de Godwin

 

La publication dans Marianne, vendredi dernier, de la tribune de 32 linguistes contre l’écriture « inclusive » suscite un début de polémique, pour l’instant discrète : à ma connaissance, seul un article de blog tente de la contredire. L’article est intitulé « Point médian ou point Godwin ? » La polémique commence à peine et déjà on fait une discrète reductio ad Hitlerum : doit-on comprendre qu’on reproche subtilement aux auteurs de la tribune d’accuser les partisans de l’écriture inclusive de manipuler la langue pour imposer leur idéologie comme le faisaient les nazis* ?

 

Sans m’engager personnellement plus avant dans cette polémique, je me contenterai de faire quelques commentaires, le plus détachés possible, sur le plaidoyer paru dans le blog « Système et discours » le 20 septembre.

 

L’auteur commence par une précaution oratoire : « Sans malice aucune, j’avertis ici que ce billet ne sera pas rédigé en écriture inclusive, non pas par positionnement militant, mais pour ne pas attiser inutilement l’agacement des consœurs et confrères concernés. » Il aura de la difficulté à maintenir cette position comme en témoignent ces citations : « L’apport de certaines et certains de ces collègues aux sciences du langage est considérable », « … des échanges bienveillants entre chercheuses et chercheurs… », « …en réunissant des consœurs et des confrères… » (On pourra m’objecter que ces exemples ne relèvent pas de l’écriture inclusive mais plutôt de l’écriture bigenrée.)

 

L’auteur rappelle qu’il a suivi des cours de philologie (« je bénis mes cours de philologie à l’université »). Ils ont dû être assez élémentaires car il écrit : « Ce présent billet n’a dont [sic] aucune prétention d’outrage ad hominem ou ad feminem ». Admettons que feminem pour feminam soit une faute de frappe (deux dans la même phrase…). Il est tout de même curieux de voir que ce linguiste semble croire qu’en latin femina s’oppose à homo alors qu’il s’oppose plutôt à uir (ou vir, pour ceux qui préfèrent l’orthographe latine traditionnelle de l’enseignement secondaire et de l’Église). En latin, le mot homo est non genré, il désigne autant l’homme que la femme.

 

J’avoue que je ne comprends pas la critique suivante : « …on peut dire que ‘ ma fille est un vrai génie des maths ’ et ‘ c’est Jules, la vraie victime de l’accident ’, mais le simple fait que les auteurs de la tribune aient choisi ‘ génie ’ pour illustrer le masculin et ‘ victime ’ pour le féminin en dit déjà suffisamment »

 

On trouve aussi cette perle tautologique : « … beaucoup d’autrices féminines qui se sont penchées sur la question du pouvoir sexiste de la langue… ».

 

L’auteur de la réplique reproche aux signataires de la tribune de ne pas utiliser le mot genre pour catégoriser les humains mais de lui préférer sexe. C’est sans doute parce qu’ils ne s’inscrivent pas dans la mouvance néolibérale multiculturaliste : doit-on leur en faire le reproche ? Les 32 signataires ont justement pris le parti d’exposer une position la plus scientifique possible, sans entrer dans l’idéologie. Mais, aujourd’hui, dire d’une personne qu’elle est un homme ou une femme sans lui avoir précédemment demandé comment elle s’auto-définit est déjà une prise de position idéologique. Alors, évidemment, les signataires sont réactionnaires.

 

Enfin, on peut aussi lire dans l’article une tentative de diviser les signataires de la tribune : « On ne peut pas espérer de la profondeur scientifique dans un texte court, qui plus est signé par une multitude d’individus, qui auraient probablement tous des choses à redire et à corriger en relisant attentivement ladite tribune ». Cet argument vient d’être repris dans un fil de discussion auquel je suis abonné : « vu les signataires de la tribune, on ne peut pas les soupçonner d'adhérer pleinement au contenu apparent du texte. » Ces linguistes renommés seraient donc plus ou moins des inconscients. Pardonnons-leur donc, car ils ne savent ce qu’ils ont signé.

 

Il sera intéressant de voir si la polémique enfle et quel tour elle prendra alors. 

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* Sur ce point, voir le livre de Victor Klemperer, LTI, la langue du IIIe Reich, Paris, Albin Michel, 1996 (LTI : Lingua tertii imperii).

 

samedi 19 septembre 2020

32 linguistes contre l’écriture inclusive

 

  

« Si des universitaires militants ne sont pas capables d’appliquer leurs propres préceptes, qui peut le faire ? »

 

Marianne publie une tribune contre l’écriture inclusive : on pourra la lire en cliquant ici.

Extrait :

 

En réservant la maîtrise de cette écriture à une caste de spécialistes, la complexification de l’orthographe a des effets d’exclusion sociale. Tous ceux qui apprennent différemment, l’écriture inclusive les exclut : qu’ils souffrent de cécité, dysphasie, dyslexie, dyspraxie, dysgraphie, ou d’autres troubles, ils seront d’autant plus fragilisés par une graphie aux normes aléatoires.

 

Je profite de l’occasion pour signaler qu’un professeur retraité de l’Université de Montréal, Guy Laflèche, a lui aussi publié un essai (que je n’ai pas encore lu) contre l’écriture inclusive : L’Office québécois de la langue française et ses travailleuses du genre. Lionel Meney en a fait un compte rendu dans son blog Carnet d'un linguiste.