lundi 21 septembre 2020

L’écriture inclusive : du point médian au point Godwin

 
 

Au départ relative aux discussions sur des forums virtuels, la loi de Godwin peut s'appliquer à tout type de conversation ou débat ; l'un des interlocuteurs atteint le point Godwin lorsqu’il en réfère au nazisme, à Hitler ou à la Shoah, pour disqualifier l’argumentation de son adversaire.

Godwin distingue cette loi de l'erreur logique désignée par la pseudo-locution latine reductio ad Hitlerum, attestée depuis les années 1950, qui est une spécialisation de l’argumentum ad hominem et de l’argumentum ad personam, locutions antérieures. La loi de Godwin introduit l'idée selon laquelle un tel argument est inévitable dans un débat qui s'éternise.

— Wikipedia, s.v. Loi de Godwin

 

La publication dans Marianne, vendredi dernier, de la tribune de 32 linguistes contre l’écriture « inclusive » suscite un début de polémique, pour l’instant discrète : à ma connaissance, seul un article de blog tente de la contredire. L’article est intitulé « Point médian ou point Godwin ? » La polémique commence à peine et déjà on fait une discrète reductio ad Hitlerum : doit-on comprendre qu’on reproche subtilement aux auteurs de la tribune d’accuser les partisans de l’écriture inclusive de manipuler la langue pour imposer leur idéologie comme le faisaient les nazis* ?

 

Sans m’engager personnellement plus avant dans cette polémique, je me contenterai de faire quelques commentaires, le plus détachés possible, sur le plaidoyer paru dans le blog « Système et discours » le 20 septembre.

 

L’auteur commence par une précaution oratoire : « Sans malice aucune, j’avertis ici que ce billet ne sera pas rédigé en écriture inclusive, non pas par positionnement militant, mais pour ne pas attiser inutilement l’agacement des consœurs et confrères concernés. » Il aura de la difficulté à maintenir cette position comme en témoignent ces citations : « L’apport de certaines et certains de ces collègues aux sciences du langage est considérable », « … des échanges bienveillants entre chercheuses et chercheurs… », « …en réunissant des consœurs et des confrères… » (On pourra m’objecter que ces exemples ne relèvent pas de l’écriture inclusive mais plutôt de l’écriture bigenrée.)

 

L’auteur rappelle qu’il a suivi des cours de philologie (« je bénis mes cours de philologie à l’université »). Ils ont dû être assez élémentaires car il écrit : « Ce présent billet n’a dont [sic] aucune prétention d’outrage ad hominem ou ad feminem ». Admettons que feminem pour feminam soit une faute de frappe (deux dans la même phrase…). Il est tout de même curieux de voir que ce linguiste semble croire qu’en latin femina s’oppose à homo alors qu’il s’oppose plutôt à uir (ou vir, pour ceux qui préfèrent l’orthographe latine traditionnelle de l’enseignement secondaire et de l’Église). En latin, le mot homo est non genré, il désigne autant l’homme que la femme.

 

J’avoue que je ne comprends pas la critique suivante : « …on peut dire que ‘ ma fille est un vrai génie des maths ’ et ‘ c’est Jules, la vraie victime de l’accident ’, mais le simple fait que les auteurs de la tribune aient choisi ‘ génie ’ pour illustrer le masculin et ‘ victime ’ pour le féminin en dit déjà suffisamment »

 

On trouve aussi cette perle tautologique : « … beaucoup d’autrices féminines qui se sont penchées sur la question du pouvoir sexiste de la langue… ».

 

L’auteur de la réplique reproche aux signataires de la tribune de ne pas utiliser le mot genre pour catégoriser les humains mais de lui préférer sexe. C’est sans doute parce qu’ils ne s’inscrivent pas dans la mouvance néolibérale multiculturaliste : doit-on leur en faire le reproche ? Les 32 signataires ont justement pris le parti d’exposer une position la plus scientifique possible, sans entrer dans l’idéologie. Mais, aujourd’hui, dire d’une personne qu’elle est un homme ou une femme sans lui avoir précédemment demandé comment elle s’auto-définit est déjà une prise de position idéologique. Alors, évidemment, les signataires sont réactionnaires.

 

Enfin, on peut aussi lire dans l’article une tentative de diviser les signataires de la tribune : « On ne peut pas espérer de la profondeur scientifique dans un texte court, qui plus est signé par une multitude d’individus, qui auraient probablement tous des choses à redire et à corriger en relisant attentivement ladite tribune ». Cet argument vient d’être repris dans un fil de discussion auquel je suis abonné : « vu les signataires de la tribune, on ne peut pas les soupçonner d'adhérer pleinement au contenu apparent du texte. » Ces linguistes renommés seraient donc plus ou moins des inconscients. Pardonnons-leur donc, car ils ne savent ce qu’ils ont signé.

 

Il sera intéressant de voir si la polémique enfle et quel tour elle prendra alors. 

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* Sur ce point, voir le livre de Victor Klemperer, LTI, la langue du IIIe Reich, Paris, Albin Michel, 1996 (LTI : Lingua tertii imperii).

 

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